Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Öffentlich-rechtliche Abteilung, Staatsrecht 1P.17/2007
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{T 0/2}
1P.17/2007 /col

Arrêt du 1er mars 2007
Ire Cour de droit public

MM. les Juges Féraud, Président,
Aeschlimann et Fonjallaz.
Greffière: Mme Angéloz.

A. ________,
recourante, représentée par Me Susannah L. Maas, avocate,

contre

Juge d'instruction du canton de Genève,
case postale 3344, 1211 Genève 3,
Procureur général du canton de Genève,
case postale 3565, 1211 Genève 3,
Chambre d'accusation du canton de Genève,
case postale 3108, 1211 Genève 3.

procédure pénale, saisie conservatoire (procédure P/5673/2005),

recours de droit public contre l'ordonnance de la Chambre d'accusation du
canton de Genève du
2 novembre 2006.

Faits:

A.
En juillet 2005, B.________ a été inculpé d'abus de confiance qualifié,
subsidiairement de gestion déloyale qualifiée, d'escroquerie et de faux dans
les titres. Il lui était reproché d'avoir, entre 1997 et 2005, en tant que
gérant de fortune, détourné, par le biais de sa société X.________, les fonds
que ses clients lui avaient confiés. Le procédé, dit de cavalerie, consistait
à utiliser les fonds confiés par des clients pour en rembourser d'autres ou
leur verser les intérêts importants qui leur étaient promis pour gagner leur
confiance. Une vingtaine de clients avaient déjà déposé plainte et le
préjudice estimé s'élevait à plusieurs dizaines de millions de francs.
Dans le cadre de l'enquête, il s'est notamment avéré que, le 23 juin 2003,
A.________ avait confié 100'000 fr. à l'inculpé, qui lui promettait des
intérêts mensuels oscillant entre 8'000 et 12'000 francs. Ce montant a été
versé par virement du compte de A.________ auprès de la banque Y.________ sur
un compte de X.________ auprès de la banque Z.________. Peu après, il a été
intégralement prélevé en espèces. Un mois plus tard, en juillet 2003,
A.________ a reçu une somme de 8'000 à 12'000 fr. de l'inculpé à titre
d'intérêts. En août 2003, elle a demandé le remboursement de son capital. Ce
dernier lui a finalement été versé le 9 février 2004 sur un compte ouvert à
son nom auprès de la banque Z.________. L'inculpé a reconnu que ce
remboursement n'avait pas été effectué depuis l'un des comptes de X.________,
mais depuis un compte xxx, appartenant à un autre client, sur lequel il
détenait une procuration et qu'il avait débité sans droit.

B.
Le 8 mars 2006, le juge d'instruction a ordonné la saisie conservatoire du
compte de A.________ auprès de la banque Z.________, à concurrence de 100'000
fr., au motif que cette somme constituait le produit d'une infraction
présumée.
Le 20 mars 2006, A.________ a recouru contre cette décision à la Chambre
d'accusation genevoise, faisant valoir qu'elle avait reçu de bonne foi les
fonds saisis, en remboursement de la somme équivalente qu'elle avait confiée
à l'inculpé, et qu'elle n'avait personnellement tiré aucun profit de
l'infraction reprochée à celui-ci.
Invité à se déterminer, le juge d'instruction a indiqué, le 29 mars 2006,
qu'entendue le même jour par la police, A.________ avait admis avoir reçu en
juillet 2003 quelque 8'000 fr. à titre d'intérêts, sans toutefois s'enquérir
de la façon dont son argent avait été investi, nonobstant l'importance de
l'intérêt généré. La bonne foi qu'elle alléguait apparaissait ainsi douteuse.
Les circonstances du remboursement du capital devaient faire l'objet d'une
audience d'instruction complémentaire, d'ores et déjà fixée au 6 avril 2006.
Lors de cette audience, A.________ a confirmé avoir reçu 8'000 à 12'000 fr. à
titre d'intérêts et avoir signé, le 15 décembre 2004 une quittance attestant
de la réception de ce montant. Elle a admis n'avoir pas demandé d'explication
à B.________ quant à la manière dont il entendait gérer l'argent confié,
sachant seulement qu'il voulait le placer "parce qu'il avait un coup fumant".
Retraitée et sans formation particulière, "surtout pas dans la bourse", elle
avait voulu faire une opération ponctuelle. Elle avait un compte dans une
banque, qui s'occupait de gérer ses fonds, et il n'était pas dans ses
habitudes de placer de l'argent sur des marchés ou ailleurs. Après avoir
demandé le remboursement de son capital, elle avait attendu qu'il lui soit
versé; bien qu'elle n'avait pas l'adresse de l'inculpé ni ne pouvait le
relancer directement pour récupérer ses fonds, elle ne s'était pas fait de
souci.
Par ordonnance du 14 juin 2006, la Chambre d'accusation a écarté le recours
de A.________ et confirmé la saisie conservatoire du 8 mars 2006. Elle a tenu
pour suffisamment vraisemblable que le montant saisi provenait d'avoirs
détournés par l'inculpé et qu'il était donc susceptible de confiscation au
sens de l'art. 59 CP. Elle a estimé que la recourante n'avait pas fourni
d'éléments concrets suffisant à démontrer la bonne foi qu'elle alléguait
quant à l'origine des fonds qui lui avaient été versés. Elle ne s'était
notamment pas interrogée quant à l'importance des intérêts servis, ce qui
laissait planer un doute quant à sa bonne foi au sujet de la nature des
opérations réalisées par l'inculpé, qui avaient permis le versement d'un taux
aussi élevé, alors qu'il était notoire que le taux usuel sur les marchés
financiers n'était en aucun cas susceptible de générer les intérêts tels que
promis et versés. Pour le surplus, la recourante n'invoquait pas de préjudice
particulier du fait de la saisie; elle gardait d'ailleurs la libre
disposition de son compte bancaire auprès de la banque Z.________, la saisie
n'ayant été ordonnée qu'à concurrence de 100'000 francs.

C.
Le 18 juillet 2006, le juge d'instruction a refusé derechef de lever la
saisie opérée sur le compte de A.________.
Par ordonnance du 2 novembre 2006, la Chambre d'accusation a écarté comme
matériellement irrecevable le recours formé par A.________ contre ce refus.
En bref, elle a considéré qu'aucun élément nouveau, susceptible de l'amener à
modifier son appréciation quant à la bonne foi alléguée par la recourante,
n'était survenu depuis sa précédente décision du 14 juin 2006. A cet égard,
elle a notamment relevé que, lorsqu'elle avait rendu cette décision, elle
s'était fondée sur l'état du dossier, tel qu'il avait été déposé lors de
l'audience de plaidoiries du 10 mai 2006, et qu'elle avait donc déjà
connaissance du contenu de l'audition de la recourante par le juge
d'instruction du 6 avril 2006. Dans ces conditions, conformément à sa
pratique en pareil cas, il n'y avait pas lieu d'entrer à nouveau en matière
sur le fond, aucun élément nouveau ne justifiant de le faire.

D.
A.________ forme un recours de droit public au Tribunal fédéral. Se plaignant
d'arbitraire, elle conclut à l'annulation de la décision attaquée et à ce que
le Tribunal fédéral ordonne la levée de la saisie contestée.
Le juge d'instruction a renoncé à formuler des observations. Le Ministère
public conclut au rejet du recours. L'autorité cantonale se réfère à sa
décision. Ces prises de position ont été communiquées à la recourante.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
La décision attaquée a été rendue avant l'entrée en vigueur, le 1er janvier
2007, de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110),
remplaçant la loi fédérale d'organisation judiciaire du 16 décembre 1943
(art. 131 al. 1 LTF). La présente procédure de recours est donc soumise à
l'ancien droit (art. 132 al. 1 LTF).

2.
La décision attaquée, qui confirme le refus de lever la saisie, constitue une
décision incidente, susceptible de causer un dommage irréparable à la
recourante, qu'elle prive temporairement de la libre disposition des avoirs
séquestrés (ATF 128 I 129 consid. 1 p. 130/131) et qui a un intérêt manifeste
à en obtenir l'annulation. Le recours est ainsi recevable sous l'angle des
art. 87 al. 2 et 88 OJ.

3.
Le recours de droit public n'a en principe qu'un effet cassatoire. La
jurisprudence ne fait exception à cette règle que si la simple annulation de
la décision attaquée ne suffit pas au rétablissement de l'ordre
constitutionnel (ATF 129 I 129 consid. 1.2.1 p. 131/132 et les arrêts cités).
Il n'y a pas lieu de l'étendre au recours dirigé contre la saisie d'avoirs
bancaires; l'admission d'un tel recours n'appellerait pas de mesures
d'exécution particulières, de sorte la saisie pourrait être levée
pratiquement sans délai (cf. arrêts 1P.41/2003 consid. 1.3 et 1P.94/ 2002
consid. 1.3). La conclusion de la recourante tendant à ce que le Tribunal
fédéral ordonne la levée de la mesure litigieuse est par conséquent
irrecevable.

4.
Saisi d'un recours de droit public, le Tribunal fédéral ne peut entrer en
matière que sur les griefs d'ordre constitutionnel invoqués et suffisamment
motivés dans le recours (cf. art. 90 al. 1 let. b OJ; ATF 130 I 258 consid.
1.3 p. 261/262; 129 I 113 consid. 2.1 p. 120, 185 consid. 1.6 p. 189). Sous
peine d'irrecevabilité, le recourant doit donc non seulement indiquer quels
droits constitutionnels auraient, selon lui, été violés, mais démontrer en
quoi consiste cette violation.

5.
La recourante se plaint d'arbitraire, prohibé par l'art. 9 Cst.

5.1 De jurisprudence constante, une décision n'est pas arbitraire du seul
fait qu'elle apparaît discutable ou même critiquable; il faut qu'elle soit
manifestement insoutenable, et cela non seulement dans sa motivation mais
dans son résultat (ATF 131 I 57 consid. 2 p. 61; 129 I 8 consid. 2.1 p. 9,
173 consid. 3.1 p. 178).

5.2 La recourante reproche d'abord à l'autorité cantonale d'avoir écarté son
recours comme irrecevable, motif pris de l'absence d'élément nouveau, pour
avoir déjà tenu compte, dans sa précédente décision du 14 juin 2006, du
résultat de l'audience d'instruction du 6 avril 2006, alors qu'il constituait
un élément nouveau, puisque postérieur au dépôt de son recours du 20 mars
2006.
Ce grief est irrecevable. Il revient à se plaindre de la manière dont a été
menée la procédure ayant abouti à la décision du 14 juin 2006, donc, en
définitive, à contester cette décision, que la recourante, qui a renoncé à
l'attaquer par un recours, ne saurait toutefois remettre en cause dans le
cadre de la présente procédure, dont seule la décision attaquée peut faire
l'objet.

5.3 La recourante reproche ensuite à l'autorité cantonale d'avoir refusé de
lever le séquestre, pour avoir nié arbitrairement qu'elle est un tiers de
bonne foi.
La décision attaquée ne se prononce pas sur le refus de lever le séquestre.
Elle n'y revient pas, au motif que la question a déjà été tranchée dans la
décision du 14 juin 2006, qu'aucun élément nouveau susceptible de modifier
cette décision n'est intervenu depuis lors et qu'il n'y a dès lors pas lieu
de réexaminer le bien-fondé de la mesure litigieuse. En conséquence, elle
refuse d'entrer à nouveau en matière sur le fond, en déclarant le recours
matériellement irrecevable. Le grief de la recourante revient donc, là
encore, à contester, non pas la décision attaquée, mais celle du 14 juin
2006. Partant, il est également irrecevable.

5.4 Du considérant qui précède, il découle que seule pourrait être examinée
ici la question de savoir si la pratique cantonale susdécrite ou son
application dans le cas d'espèce viole les droits constitutionnels de la
recourante, plus précisément l'art. 9 Cst. qu'elle invoque. La recourante ne
conteste toutefois pas cette pratique, dont elle ne démontre en tout cas pas,
conformément aux exigences de motivation de l'art. 90 al. 1 let. b OJ,
qu'elle serait arbitraire. Elle n'en démontre pas plus d'application
arbitraire; en particulier, elle n'établit pas, dans la mesure exigée par
l'art. 90 al. 1 let. b OJ, qu'il était manifestement insoutenable de nier
l'existence d'éléments nouveaux propres à justifier un réexamen du bien-fondé
de la saisie. Il n'y a dès lors pas lieu d'entrer en matière (cf. supra,
consid. 4).

6.
Le recours doit ainsi être déclaré irrecevable.
Conformément à l'art. 156 al. 1 OJ, la recourante supportera les frais.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est déclaré irrecevable.

2.
Un émolument judiciaire de 2000 fr. est mis à la charge de la recourante.

3.
Le présent arrêt est communiqué en copie à la mandataire de la recourante, au
Juge d'instruction, au Procureur général et à la Chambre d'accusation du
canton de Genève.

Lausanne, le 1er mars 2007

Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse

Le président:  La greffière: