Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Öffentlich-rechtliche Abteilung, Staatsrecht 1P.107/2007
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1P.107/2007

Arrêt du 11 janvier 2008
Ire Cour de droit public

M. et Mme les Juges Féraud, Président, Fonjallaz
et Pont Veuthey, Juge suppléante.
Greffier: M. Rittener.

A. ________,
recourant, représenté par Me André Gossin, avocat,

contre

B.________,
intimée,
agissant par sa mère, elle-même représentée par Me Olivier Moniot, avocat,
Procureur général du canton de Berne,
case postale, 3001 Berne,
Cour suprême du canton de Berne,
3ème Chambre pénale, case postale 7475, 3001 Berne.

procédure pénale; appréciation des preuves,

recours de droit public contre le jugement de la Cour suprême du canton de
Berne, 3ème Chambre pénale,
du 8 décembre 2006.

Faits:

A.
Par jugement du 16 août 2006, la Présidente de l'Arrondissement judiciaire
Courtelary-Moutier-La Neuveville a condamné A.________ pour acte d'ordre
sexuel avec des enfants au préjudice de sa fille B.________ et pour
infraction à la loi fédérale sur la circulation routière (LCR; RS 741.01) à
la peine de quatre mois d'emprisonnement avec sursis pendant trois ans. Elle
a également alloué à la prénommée 1'500 fr. à titre d'indemnité pour tort
moral. Elle a notamment retenu les faits suivants:
Lors des vacances d'octobre 2004, A.________ a accueilli chez lui sa fille
B.________. Un soir, alors qu'il était allongé sur le canapé et que sa fille,
vêtue d'un "pyjama-short", était assise sur son ventre, il a écarté le short
et le slip de celle-ci et lui a touché, embrassé et léché le sexe. Ces faits
correspondent à la version donnée par B.________. Confrontée à une version
différente de A.________, qui nie avoir commis les actes qui lui sont
reprochés, la juge précitée l'a écartée. Sur la base de différents indices,
elle a acquis la conviction que les déclarations de la victime présentaient
"une très haute vraisemblance, respectivement une crédibilité certaine".

B.
A.________ a fait appel de ce jugement devant la Cour suprême du canton de
Berne, 3ème Chambre pénale, qui l'a confirmé par jugement du 8 décembre 2006.
En substance, la Cour suprême bernoise a retenu les mêmes faits que la juge
de première instance et a déclaré A.________ coupable d'acte d'ordre sexuel
sur un enfant de moins de seize ans au sens de l'art. 187 CP.

C.
Agissant par la voie du recours de droit public, A.________ demande au
Tribunal fédéral d'annuler le jugement rendu par la Cour suprême du canton de
Berne. Invoquant les art. 32 al. 1 Cst. et 6 par. 2 CEDH, il se plaint de la
violation du principe "in dubio pro reo". Il requiert en outre l'assistance
judiciaire. La Cour suprême se réfère aux considérants de son arrêt. Le
Ministère public et B.________ se sont déterminés; ils concluent au rejet du
recours. A.________ a présenté des observations complémentaires.

Considérant en droit:

1.
La décision attaquée ayant été rendue avant le 1er janvier 2007, la loi
fédérale d'organisation judiciaire (OJ) demeure applicable à la présente
procédure de recours (art. 132 al. 1 LTF).

2.
Le pourvoi en nullité au Tribunal fédéral n'étant pas ouvert pour se plaindre
d'une appréciation arbitraire des preuves et des constatations de fait qui en
découlent (ATF 124 IV 81 consid. 2a p. 83) ni pour invoquer une violation
directe d'un droit constitutionnel ou conventionnel, tel que la maxime "in
dubio pro reo" consacrée aux art. 32 al. 1 Cst. et 6 par. 2 CEDH (ATF 121 IV
104 consid. 2b p. 107; 120 Ia 31 consid. 2b p. 35 s.), la voie du recours de
droit public est ouverte à cet égard (art. 84 al. 2 OJ). Dans la mesure où
l'arrêt attaqué confirme sa condamnation à une peine d'emprisonnement, le
recourant a qualité pour contester ce prononcé (art. 88 OJ).

3.
Pour être recevable, un recours de droit public doit contenir un exposé
succinct des droits constitutionnels ou des principes juridiques violés et
préciser en quoi consiste la violation (art. 90 al. 1 let. b OJ). Lorsqu'il
est saisi d'un tel recours, le Tribunal fédéral n'a donc pas à vérifier de
lui-même si l'arrêt entrepris est en tous points conforme à la Constitution.
Il n'examine que les griefs d'ordre constitutionnel invoqués et suffisamment
motivés dans l'acte de recours. Le recourant ne saurait se contenter de
soulever de vagues griefs ou de renvoyer aux actes cantonaux (ATF 130 I 258
consid. 1.3 p. 261, 26 consid. 2.1 p. 31; 125 I 71 consid. 1c p. 76).

4.
Invoquant le principe de la présomption d'innocence, le recourant reproche en
substance à l'autorité intimée d'avoir confirmé un jugement de première
instance qui reposait sur des faits établis en contradiction avec les
éléments ressortant du dossier ou de façon arbitraire.

4.1 Selon la jurisprudence, l'arbitraire, prohibé par l'art. 9 Cst., ne
résulte pas du seul fait qu'une autre solution pourrait entrer en
considération ou même qu'elle serait préférable; le Tribunal fédéral ne
s'écarte de la solution retenue en dernière instance cantonale que si elle
est manifestement insoutenable, méconnaît gravement une norme ou un principe
juridique clair et indiscuté ou si elle heurte de manière choquante le
sentiment de la justice ou de l'équité. Il ne suffit pas que la motivation de
la décision soit insoutenable; encore faut-il qu'elle soit arbitraire dans
son résultat (ATF 132 I 13 consid. 5.1 p. 17; 131 I 217 consid. 2.1 p. 219,
57 consid. 2 p. 61; 129 I 173 consid. 3.1 p. 178).
L'appréciation des preuves est en particulier arbitraire lorsque le juge de
répression n'a manifestement pas compris le sens et la portée d'un moyen de
preuve, s'il a omis, sans raison sérieuse, de tenir compte d'un moyen
important propre à modifier la décision attaquée ou encore si, sur la base
des éléments recueillis, il a fait des déductions insoutenables (ATF 129 I 8
consid. 2.1 p. 9). Il en va de même lorsqu'il retient unilatéralement
certaines preuves ou lorsqu'il rejette des conclusions pour défaut de
preuves, alors même que l'existence du fait à prouver résulte des allégations
et du comportement des parties (ATF 118 Ia 28 consid. 1b p. 30). Il ne suffit
pas qu'une interprétation différente des preuves et des faits qui en
découlent paraisse également concevable pour que le Tribunal fédéral
substitue sa propre appréciation des preuves à celle effectuée par l'autorité
de condamnation, qui dispose en cette matière d'une grande latitude. En
serait-il autrement, que le principe de la libre appréciation des preuves par
le juge du fond serait violé (ATF 120 Ia 31 consid. 2d p. 37 s.).
4.2 La présomption d'innocence est garantie par l'art. 6 par. 2 CEDH et par
l'art. 32 al. 1 Cst., qui ont la même portée. Elle a pour corollaire le
principe "in dubio pro reo", qui concerne tant le fardeau de la preuve que
l'appréciation des preuves. En tant que règle de l'appréciation des preuves,
ce principe, dont la violation n'est invoquée que sous cet angle par le
recourant, signifie que le juge ne peut se déclarer convaincu d'un état de
fait défavorable à l'accusé, lorsqu'une appréciation objective de l'ensemble
des éléments de preuve laisse subsister un doute sérieux et insurmontable
quant à l'existence de cet état de fait (ATF 127 I 38 consid. 2a p. 41; 124
IV 86 consid. 2a p. 88; 120 Ia 31 consid. 2c p. 37). Le Tribunal fédéral ne
revoit les constatations de fait et l'appréciation des preuves que sous
l'angle de l'arbitraire (ATF 127 I 38 consid. 2a p. 41; 124 I 208 consid. 4
p. 211; 120 Ia 31 consid. 2d p. 37 s.). Il examine en revanche librement la
question de savoir si, sur la base du résultat d'une appréciation non
arbitraire des preuves, le juge aurait dû éprouver un doute sérieux et
insurmontable quant à la culpabilité de l'accusé; dans cet examen, il
s'impose toutefois une certaine retenue, le juge du fait, en vertu du
principe de l'immédiateté, étant mieux à même de résoudre la question (cf.
arrêts non publiés 1P.454/2005 du 9 novembre 2005, consid. 2.1; 1P.428/2003
du 8 avril 2004, consid. 4.2 et 1P.587/2003 du 29 janvier 2004, consid. 7.2).

5.
5.1 En l'espèce, pour juger de la crédibilité de la victime, les juges
cantonaux se sont notamment fondés sur ses révélations spontanées à sa
cousine et sur ses déclarations à sa tante, à sa mère ainsi qu'à la
psychologue du Centre de protection de l'enfance à Berne. Ils ont également
forgé leur conviction sur la base de la constance et de la précision des
descriptions de la victime, des termes utilisés, ainsi que des dessins
qu'elle a esquissés et expliqués à la psychologue. La Cour cantonale s'est
aussi appuyée sur le fait que les tensions existantes entre les parents
avaient disparu et que l'entente était bonne au moment des faits. Dans ces
circonstances, rien au dossier ne permettait de soupçonner une
instrumentalisation ou une manipulation de l'enfant par son entourage.

5.2 Lorsque l'autorité cantonale forge sa conviction sur la base d'un
ensemble d'indices ou éléments de preuves, c'est leur appréciation globale
qui prévaut. Il convient alors de se demander si cette appréciation globale
et le résultat auquel elle a conduit doivent être qualifiés d'arbitraires,
c'est-à-dire considérés non seulement comme critiquables ou discutables mais
comme manifestement insoutenables. Il ne suffit donc pas que le recourant se
livre à une discussion de chaque élément ou argument ou de l'un ou de l'autre
de ceux-ci en prétendant que, sauf arbitraire, il ne pouvait être apprécié ou
interprété autrement que dans le sens favorable à sa thèse. Un tel procédé se
réduit à une critique appellatoire, dont la jurisprudence a constamment
souligné qu'elle n'est pas à même de faire admettre l'arbitraire de la
décision attaquée.

6.
6.1 Le recourant fait d'abord grief aux juges cantonaux d'avoir considéré à
tort que les premières déclarations de l'intimée avaient été faites de
manière spontanée. Le témoignage de la tante de l'intimée, C.________, permet
pourtant d'établir que la victime a fait à sa cousine plusieurs récits en
relation avec son père, alors qu'elle jouait avec celle-ci. Elle a également
fait diverses déclarations que C.________ a entendues par hasard. A ces
occasions, l'intimée a notamment dit que son père lui avait fait "des bisous
à la zézette". Ce n'est qu'après qu'elle ait rapporté le comportement de son
père à son égard que C.________ lui a demandé dans quelles circonstances ces
bisous avaient été donnés. Dans ces conditions, on ne voit pas en quoi il
serait manifestement insoutenable de considérer qu'il s'agit de déclarations
spontanées. En retenant cet élément au nombre du faisceau d'indices, les
juges cantonaux n'ont donc pas fait preuve d'arbitraire.

6.2 Le recourant ne saurait davantage soutenir - ce qu'il fait au demeurant
de façon essentiellement appellatoire - que d'un point de vue physique,
l'infraction ne peut être réalisée telle qu'elle a été décrite par la
victime. Il était en effet possible pour le recourant de faire le geste
incriminé en se penchant en avant et moyennant un léger déplacement de
l'enfant, même s'il a été retenu que la victime se trouvait "sur son ventre".
Dès lors, même si la position décrite n'était pas confortable pour
l'agresseur, elle n'en reste pas moins praticable. Le recourant ne parvient
en tout cas pas à démontrer en quoi l'appréciation des juges serait
manifestement insoutenable.

6.3 Selon le recourant, le principe de la présomption d'innocence aurait dû
conduire les juges à privilégier ses propres déclarations, qu'ils ont
eux-mêmes qualifiées de "sincères". En réalité, l'autorité intimée a mis
l'accent sur le fait que le recourant a confirmé un certain nombre de points
secondaires du récit de sa fille alors qu'il nie toute implication dans les
éléments importants. Les juges cantonaux ont en outre esquissé la
personnalité du recourant, qui apparaît comme quelqu'un de fragile, peu
stable et confronté à de nombreux problèmes. Ils ont également relevé que la
"lettre de pressentiment" qu'il a écrite à son amie avant d'être interpellé
par la police démontre qu'il s'est rendu compte "qu'il était allé trop loin".
Dans ces conditions, il y a lieu de considérer que l'appréciation des preuves
faite par la Cour cantonale est circonstanciée et qu'elle échappe au grief
d'arbitraire.

6.4 Par ailleurs, dans un grief de nature essentiellement appellatoire, le
recourant reproche également à l'autorité cantonale de ne pas avoir examiné
l'hypothèse d'une commission des actes litigieux sans intention dolosive. Il
ressort toutefois des considérants du jugement attaqué que tel ne peut être
le cas. En effet, les faits reprochés au recourant vont manifestement au-delà
de la plaisanterie ou de la taquinerie; écarter le pyjama d'une enfant pour
lui toucher les parties génitales avec les lèvres ou la langue ne peut en
aucun cas être considéré comme un jeu et ne saurait arriver de manière
fortuite. Par conséquent, la Cour cantonale n'est pas tombée dans
l'arbitraire en retenant que le comportement incriminé ne pouvait être
qu'intentionnel.

6.5 Enfin, le recourant soutient que la Cour cantonale a violé la présomption
d'innocence en choisissant, parmi les déclarations contradictoires de
l'enfant, la version qui lui était la moins favorable. Il ressort des divers
interrogatoires que la victime a mentionné que son père l'avait embrassée sur
le sexe et, dans une audition ultérieure, qu'il l'avait léchée. Or, selon le
recourant, en application du principe in dubio pro reo, la Cour aurait dû
retenir qu'il n'avait donné qu'un baiser furtif sur le sexe de sa fille. A
cet égard, le recourant se borne à donner sa propre interprétation des faits
sans expliquer en quoi l'appréciation des juges serait manifestement
insoutenable. Au demeurant, une telle contradiction - qui venant d'un enfant
peut tout au plus être qualifiée d'imprécision - n'est pas de nature à faire
naître un doute sérieux et insurmontable quant à la véracité des déclarations
de la victime.

6.6 Dans ces circonstances, il y a lieu de constater que la Cour suprême du
canton de Berne s'est fondée sur un faisceau d'indices convaincants et
qu'elle n'a pas usé de son pouvoir d'appréciation des preuves de manière
arbitraire. Dès lors qu'au terme de cette appréciation des preuves exempte
d'arbitraire il ne subsiste pas de doute sérieux et irréductible quant à la
culpabilité du recourant, le grief tiré de la violation de la présomption
d'innocence doit également être rejeté.

7.
Il s'ensuit que le recours doit être rejeté. Comme le recours était d'emblée
voué à l'échec, l'une des conditions d'octroi de l'assistance judiciaire
n'est pas réalisée (art. 152 al. 1 OJ), de sorte que la requête du recourant
tendant à ce que celle-ci lui soit accordée doit être rejetée. Par
conséquent, le recourant, qui succombe, doit supporter les frais de la
procédure de recours de droit public (art. 153, 153a et 156 OJ). L'intimée,
qui a obtenu gain de cause avec l'assistance d'un avocat, a droit à des
dépens à la charge du recourant (art. 159 al. 1 OJ).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est rejeté.

2.
La requête d'assistance judiciaire est rejetée.

3.
Un émolument de 1'500 fr. est mis à la charge du recourant.

4.
Une indemnité de 1'500 fr. à verser à l'intimée à titre de dépens est mise à
la charge du recourant.

5.
Le présent arrêt est communiqué aux mandataires des parties, au Procureur
général et à la Cour suprême du canton de Berne, 3ème Chambre pénale.

Lausanne, le 11 janvier 2008

Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse

Le Président: Le Greffier:

Féraud Rittener