Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
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Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Öffentlich-rechtliche Abteilung, Beschwerde in öffentlich-rechtlichen Angelegenheiten 1C.377/2007
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1C_377/2007

Arrêt du 10 mars 2008
Ire Cour de droit public

MM. les Juges Féraud, Président, Aeschlimann et Fonjallaz.
Greffier: M. Rittener.

A. ________,
recourante, représentée par Me Patricia Clavien, avocate,

contre

Office fédéral des migrations,
Quellenweg 6, 3003 Berne.

annulation de la naturalisation facilitée,

recours contre l'arrêt du Tribunal administratif fédéral, Cour III, du
14 septembre 2007.

Faits:

A.
Le 24 mai 1995, A.________, ressortissante des Philippines née en 1958, a
épousé B.________, ressortissant suisse né en 1949. Elle s'est alors vu
délivrer une autorisation de séjour dans le but de vivre auprès de son époux.
Le 20 avril 2000, elle a déposé une demande de naturalisation facilitée
fondée sur ce mariage. Le 10 février 2001, les époux prénommés ont signé une
déclaration écrite aux termes de laquelle ils confirmaient résider à la même
adresse et vivre en communauté conjugale effective et stable; ils ont pris
connaissance du fait que la naturalisation facilitée ne pouvait pas être
octroyée lorsque, avant ou pendant la procédure de naturalisation, l'un des
époux demandait le divorce ou la séparation, ou lorsque la communauté
conjugale effective n'existait plus. La déclaration signée précisait en outre
que si cet état de fait était dissimulé, la naturalisation facilitée pouvait
être annulée dans les cinq ans. Par un formulaire signé et daté du même jour,
A.________ a été rendue attentive au fait que le requérant devait respecter
l'ordre juridique suisse pour pouvoir être naturalisé et que la
naturalisation pouvait être annulée en cas de fausse déclaration ou de
dissimulation de faits essentiels.
Par décision du 5 mars 2001, l'Office fédéral des étrangers (OFE,
actuellement l'Office fédéral des migrations [ci-après: l'ODM]) a accordé à
A.________ la naturalisation facilitée en vertu de l'art. 27 de la loi
fédérale du 29 septembre 1952 sur l'acquisition et la perte de la nationalité
suisse (LN; RS 141.0).

B.
Le 1er octobre 2002, l'Ambassade de Suisse à Manille a informé l'OFE du fait
qu'un mariage célébré le 2 novembre 1974 entre A.________ et C.________ était
enregistré à l'état civil de Caloocan City. Elle estimait en outre que
l'attestation de célibat que la prénommée a présenté dans la procédure de
mariage avec B.________ était très vraisemblablement un faux.
Le 31 octobre 2002, le Service de l'état civil et des étrangers du canton du
Valais a déposé une dénonciation pénale contre A.________ pour faux dans les
certificats. Il n'a pas été donné suite à cette dénonciation, pour cause de
prescription.
Par courrier du 8 février 2005, l'ODM a informé A.________ du fait qu'il
envisageait l'ouverture d'une procédure visant à l'annulation de la
naturalisation facilitée et lui a donné la possibilité de se déterminer à ce
sujet. L'intéressée a alors expliqué qu'elle ne comprenait pas qu'un mariage
avec C.________ ait pu être inscrit à l'état civil philippin et que, même si
elle avait conçu ses quatre enfants avec le prénommé, elle n'avait jamais
vécu en communauté avec lui. De plus, elle ne se souvenait pas d'une
quelconque cérémonie et elle affirmait que la famille de C.________ se serait
opposée à un éventuel mariage. Elle a également indiqué avoir déposé une
demande de déclaration en nullité de ce mariage en date du 7 mars 2005.

C.
Par décision du 10 novembre 2005, l'ODM a prononcé l'annulation de la
naturalisation facilitée, au motif que A.________ avait trompé les autorités
helvétiques lors de la conclusion du mariage avec un ressortissant suisse,
que la coexistence de deux mariages n'était pas compatible avec la communauté
conjugale exigée pour l'obtention de la naturalisation facilitée et que
l'octroi de celle-ci s'était effectué sur la base de déclarations mensongères
et d'une dissimulation de faits essentiels.
Le 1er mars 2006, le Tribunal de grande instance de Manille a déclaré nul et
non avenu le mariage célébré le 2 novembre 1974 entre l'intéressée et
C.________. Il ressort notamment de ce jugement que  A.________ a affirmé,
par écrit et sous serment, qu'elle avait rencontré C.________ en 1973 alors
qu'elle était âgée de quinze ans, qu'étant jeune et naïve elle avait succombé
à ses avances, qu'un premier enfant était né de leur union, qu'ils s'étaient
mariés le 2 novembre 1974 et qu'au vu de son jeune âge elle se rendait à
peine compte de ce qui lui arrivait.
Le Tribunal administratif fédéral a confirmé la décision de l'ODM par arrêt
du 14 septembre 2007. Il a considéré en substance que A.________ avait
dissimulé aux autorités suisses que son premier mariage n'était pas dissous
au moment de son mariage avec B.________, alors qu'elle était manifestement
au courant de ce fait. Elle avait en outre présenté un certificat de célibat
mensonger. Elle avait ainsi trompé les autorités en leur cachant une
situation de bigamie contraire à l'ordre public suisse et c'était uniquement
par ce procédé déloyal qu'elle avait obtenu une naturalisation facilitée.

D.
Agissant par la voie du recours en matière de droit public, A.________
demande au Tribunal fédéral d'annuler cet arrêt et de dire que sa
naturalisation facilitée n'est pas annulée. Elle invoque une violation des
art. 26, 27 et 41 LN et elle se plaint d'arbitraire. Elle requiert en outre
l'octroi de l'effet suspensif. L'ODM et le Tribunal administratif fédéral ont
renoncé à se déterminer.

E.
Par ordonnance du 22 novembre 2007, le Président de la Ire Cour de droit
public a accordé l'effet suspensif au recours.

Considérant en droit:

1.
L'arrêt entrepris émane du Tribunal administratif fédéral et concerne
l'annulation de la naturalisation facilitée accordée à la recourante, si bien
qu'il peut faire l'objet d'un recours en matière de droit public devant la
cour de céans (art. 82 al. 1 let. a et 86 al. 1 let. a LTF, art. 29 al. 1
let. f RTF). Le motif d'exclusion de l'art. 83 let. b LTF n'entre pas en
ligne de compte, dès lors qu'il s'agit en l'espèce de naturalisation
facilitée et non pas de naturalisation ordinaire (cf. arrêt non publié
5A.7/2003 du 25 août 2003 et les références). Pour le surplus, la recourante
a la qualité pour recourir au sens de l'art. 89 al. 1 LTF et les conditions
formelles de recevabilité sont remplies, de sorte qu'il y a lieu d'entrer en
matière.

2.
La recourante conteste avoir obtenu la nationalité suisse par des
déclarations mensongères. Elle affirme qu'au moment du dépôt de sa requête il
ne faisait aucun doute pour elle que son mariage avec B.________ était
valable. Elle n'aurait découvert qu'en février 2005 qu'elle était toujours
inscrite comme mariée à C.________ dans un registre d'état civil philippin.
Elle insiste en outre sur le fait qu'elle forme une réelle communauté
conjugale avec B.________ depuis 1995 et elle se prévaut de l'obtention, le
1er mars 2006, d'une déclaration de nullité de son précédent mariage.

3.
Conformément aux art. 41 al. 1 LN et 14 al. 1 de l'ordonnance du 17 novembre
1999 sur l'organisation du DFJP (RS 172.213.1), l'Office fédéral des
migrations (ODM) peut, avec l'assentiment de l'autorité du canton d'origine,
annuler dans les cinq ans une naturalisation facilitée obtenue par des
déclarations mensongères ou par la dissimulation de faits essentiels.

3.1 Pour qu'une naturalisation facilitée soit annulée, il ne suffit pas
qu'elle ait été obtenue alors que l'une ou l'autre de ses conditions n'était
pas remplie; il faut qu'elle ait été acquise grâce à un comportement déloyal
et trompeur. S'il n'est pas besoin que ce comportement soit constitutif d'une
escroquerie au sens du droit pénal, il est nécessaire que l'intéressé ait
donné sciemment de fausses informations à l'autorité ou l'ait délibérément
laissée dans l'erreur sur des faits qu'il savait essentiels (ATF 132 II 113
consid. 3.1 p. 115; 128 II 97 consid. 4a p. 101 et les arrêts cités; arrêt
5A.36/2004 du 6 décembre 2004, consid. 1.2, in REC 2005 p. 38).

3.2 La nature potestative de l'art. 41 al. 1 LN confère une certaine latitude
à l'autorité, qui doit toutefois s'abstenir de tout abus dans l'exercice de
cette liberté. Commet un abus de son pouvoir d'appréciation l'autorité qui se
fonde sur des critères inappropriés, ne tient pas compte de circonstances
pertinentes ou rend une décision arbitraire, contraire au but de la loi ou au
principe de la proportionnalité (cf. ATF 129 III 400 consid. 3.1 p. 403; 123
III 273 consid. 1a/cc p. 279 s.; 116 V 307 consid. 2 p. 310 et la
jurisprudence citée).

3.3 La procédure administrative fédérale est régie par le principe de la
libre appréciation des preuves (art. 40 PCF, applicable par renvoi de l'art.
19 PA). Ce principe prévaut également devant le Tribunal administratif
fédéral (art. 37 LTAF). L'administration supporte le fardeau de la preuve
lorsque la décision intervient - comme en l'espèce - au détriment de
l'administré. Cela étant, la jurisprudence admet dans certaines circonstances
que l'autorité puisse se fonder sur une présomption. C'est notamment le cas
pour établir que le conjoint naturalisé a menti lorsqu'il a déclaré former
une union stable, dans la mesure où il s'agit d'un fait psychique, lié à des
éléments relevant de la sphère intime, souvent inconnus de l'administration
et difficiles à prouver (ATF 130 II 482 consid. 3.2 p. 485). Partant, si
l'enchaînement rapide des événements fonde la présomption de fait que la
naturalisation a été obtenue frauduleusement, il incombe alors à l'administré
de renverser cette présomption, non seulement en raison de son devoir de
collaborer à l'établissement des faits (art. 13 al. 1 let. a PA), mais
également dans son propre intérêt. S'agissant d'une présomption de fait, qui
ressortit à l'appréciation des preuves et ne modifie pas le fardeau de la
preuve, il suffit que l'administré parvienne à faire admettre l'existence
d'une possibilité raisonnable qu'il n'ait pas menti (ATF 130 II 482 consid.
3.2 p. 486).

4.
Le Tribunal administratif fédéral a considéré que la recourante avait trompé
les autorités suisses en dissimulant le mariage contracté aux Philippines le
2 novembre 1974 avec C.________. Il n'a pas retenu les explications de
l'intéressée selon lesquelles elle n'aurait découvert qu'en janvier 2005
qu'elle était inscrite comme mariée à l'état civil philippin.

4.1 A l'instar de la volonté de former une union stable, la conscience que la
recourante avait de son premier mariage - respectivement de son inscription
au registre d'état civil - constitue un élément psychique très difficile à
prouver. Conformément à la jurisprudence susmentionnée, on peut donc admettre
que l'administration se fonde sur une présomption. Il appartient dès lors à
la recourante de renverser cette présomption en établissant une possibilité
raisonnable de l'absence de mensonge de sa part.

4.2 En l'occurrence, l'autorité peut se fonder sur divers indices pour
établir la présomption que l'intéressée avait conscience de l'existence de ce
premier mariage. En effet, sa signature figurait bien sur le contrat de
mariage ainsi que sur un acte de naissance mentionnant ce mariage. De plus,
il ressort de la traduction du jugement rendu le 1er mars 2006 par le
Tribunal de grande instance de Manille que la recourante a déclaré "par écrit
et sous serment" qu'elle avait rencontré C.________ en 1973, qu'étant jeune
et naïve elle avait cédé à ses avances et qu'ils s'étaient mariés le 2
novembre 1974. Enfin, selon l'expérience générale de la vie, il apparaît en
soi peu vraisemblable qu'une femme soit mariée sans en avoir aucunement
conscience avec un homme dont elle a eu quatre enfants. Dans ces
circonstances, il appartenait à la recourante de renverser cette présomption
en exposant les circonstances qui pourraient expliquer l'ignorance de ce
fait.

4.3 Dans ses explications devant l'ODM, la recourante alléguait qu'elle ne se
souvenait pas qu'un mariage ait été célébré aux Philipines entre elle et
C.________. Compte tenu des éléments exposés ci-avant, le seul fait que ce
mariage ait été célébré il y a plus de trente ans alors que l'intéressée
n'avait que seize ans ne suffit pas à rendre cette affirmation vraisemblable.
Quoi qu'il en soit, la recourante ne se prévaut plus de cette ignorance,
puisqu'il ressort de son recours qu'elle s'étonne désormais uniquement du
fait que le mariage litigieux était toujours inscrit au registre d'état civil
en 2005. Elle n'explique cependant pas pour quels motifs elle aurait pu
raisonnablement croire que cette inscription n'existait plus. Elle n'allègue
en effet aucune cause de dissolution du mariage, ni aucun événement qui
aurait pu l'induire en erreur. De même, elle ne donne aucune explication au
sujet de l'attestation de célibat litigieuse, que l'Ambassade de Suisse à
Manille décrivait pourtant comme étant "très vraisemblablement un faux" et
qui est qualifiée de mensongère par l'arrêt attaqué.
Dans ces conditions, il y a lieu de constater que la recourante ne rend
aucunement vraisemblable qu'elle ait pu ignorer avoir été mariée avec
C.________ ou croire de bonne foi que ce mariage avait été dissous ou annulé.
Elle ne parvient dès lors pas à renverser la présomption selon laquelle elle
savait qu'elle était déjà mariée lorsqu'elle a épousé B.________ et
lorsqu'elle a requis sa naturalisation facilitée. Comme l'arrêt attaqué le
retient à bon droit, il ne fait aucun doute que la naturalisation facilitée
n'aurait pas été accordée à la recourante si l'autorité compétente avait su
qu'elle était déjà mariée, une telle situation de bigamie étant manifestement
contraire à l'ordre public suisse. Ainsi, dans la mesure où la recourante a
trompé les autorités et dissimulé des faits essentiels, l'annulation de sa
naturalisation facilitée ne procède pas d'un abus du pouvoir d'appréciation
et elle ne viole pas la loi sur la nationalité.

4.4 Pour le surplus, la recourante se prévaut de la communauté conjugale
qu'elle forme avec B.________ et de l'annulation de son premier mariage.
C'est à juste titre que le Tribunal administratif fédéral a considéré que ces
éléments étaient sans pertinence, dès lors qu'ils n'enlèvent rien au fait que
l'intéressée a dissimulé sa réelle situation matrimoniale aux autorités
suisses, au moment de son mariage avec B.________ et lors de sa demande de
naturalisation facilitée. Même si elle frappe durement la recourante, cette
annulation était donc conforme à la loi sur la nationalité (art. 41 LN).
Cela étant, il est vrai que la recourante se trouve dans une situation
particulière. Son premier mariage - remontant à plus de trente ans et célébré
alors qu'elle était très jeune - a en effet été déclaré nul et non avenu en
raison de "l'incapacité mentale" de son époux. De plus,  l'intéressée forme
depuis plus de dix ans une communauté conjugale - qui apparaît stable et
effective - avec le ressortissant suisse B.________, celui-ci ayant en outre
adopté son dernier enfant. Sur le vu de sa situation actuelle, il n'est donc
pas exclu que l'intéressée puisse à l'avenir présenter une demande de
naturalisation avec succès. Dans ces circonstances, l'annulation de la
naturalisation facilitée pour cause de déclarations mensongères et
dissimulation de faits essentiels ne sanctionne pas ces comportements de
manière exagérément sévère et ne saurait être qualifiée d'arbitraire,
contrairement à ce que soutient la recourante.

5.
Il s'ensuit que le recours doit être rejeté. La recourante, qui succombe,
doit supporter les frais de la présente procédure (art. 66 al. 1 LTF).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est rejeté.

2.
Les frais judiciaires, arrêtés à 2000 fr., sont mis à la charge de la
recourante.

3.
Le présent arrêt est communiqué à la mandataire de la recourante, à l'Office
fédéral des migrations et au Tribunal administratif fédéral, Cour III.

Lausanne, le 10 mars 2008

Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse

Le Président: Le Greffier:

Féraud Rittener