Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Öffentlich-rechtliche Abteilung, Beschwerde in öffentlich-rechtlichen Angelegenheiten 1C.355/2007
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Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal

{T 0/2}
1C_355/2007/col

Arrêt du 6 novembre 2008
Ire Cour de droit public

Composition
MM. les Juges Féraud, Président, Fonjallaz et Eusebio.
Greffier: M. Rittener.

Parties
A.________,
recourant, représenté par Me Philip Grant, avocat,

contre

Conseil d'Etat du canton de Genève,
rue de l'Hôtel-de-Ville 2, 1204 Genève.

Objet
rapports de travail de droit public,

recours contre l'arrêt du Tribunal administratif du canton de Genève du 4
septembre 2007.

Faits:

A.
Par arrêté du 17 novembre 1999, le Conseil d'Etat du canton de Genève a nommé
A.________ en qualité de professeur auprès de l'Ecole de traduction et
d'interprétation de l'Université de Genève du 1er décembre 1999 au 30 septembre
2003. Par arrêté du 19 mars 2003, A.________ a été nommé professeur associé du
1er octobre 2003 au 30 septembre 2006. Par arrêté du 29 novembre 2006, cet
engagement a été renouvelé du 1er octobre 2006 au 31 juillet 2007. Enfin, par
arrêté du 10 janvier 2007, le Conseil d'Etat a décidé que le mandat de
A.________ ne serait pas renouvelé au 31 juillet 2007. Cet arrêté n'indiquait
aucune voie de recours.

B.
Le 16 février 2007, A.________ a recouru contre cette décision auprès du
Tribunal administratif du canton de Genève (ci-après: le Tribunal
administratif). Il concluait à l'annulation de l'arrêté précité et se plaignait
principalement d'une violation de son droit d'être entendu.
Par arrêt du 4 septembre 2007, le Tribunal administratif a déclaré ce recours
irrecevable. Il s'est fondé sur l'art. 56B al. 4 let. a de la loi cantonale du
22 novembre 1941 sur l'organisation judiciaire (LOJ; RSG E 2 05), aux termes
duquel les décisions concernant le statut et les rapports de service des
fonctionnaires et autres membres du personnel de l'Etat, des communes et des
autres corporations et établissements de droit public ne peuvent faire l'objet
d'un recours au Tribunal administratif que si une disposition légale,
réglementaire ou statutaire le prévoit. Or, le non-renouvellement du mandat
d'un professeur est régi par la loi cantonale du 26 mai 1973 sur l'université
(LU; RSG C 1 30), qui ne prévoit pas de compétence du Tribunal administratif à
cet égard. Cette autorité a donc transmis la cause à la Commission de recours
de l'université "afin que celle-ci se détermine sur sa propre compétence".

C.
Agissant par la voie du recours en matière de droit public et du recours
constitutionnel subsidiaire, A.________ demande au Tribunal fédéral d'annuler
cet arrêt et de renvoyer la cause au Tribunal administratif pour qu'il se
déclare compétent pour connaître du litige, subsidiairement d'annuler l'arrêté
du Conseil d'Etat du 10 janvier 2007 et de renvoyer la cause à cette autorité
pour nouvelle décision, plus subsidiairement encore d'"acheminer le recourant à
rapporter, par toutes voies de droit applicables, la preuve des faits allégués
dans [son] recours". Il invoque le droit d'avoir accès à un tribunal
conformément aux art. 6 CEDH et 29a Cst. et se plaint d'une violation de ces
dispositions. Il se prévaut également de l'interdiction du déni de justice
formel, au sens de l'art. 29 al. 1 Cst.

D.
Le recourant avait requis préalablement la suspension de la procédure jusqu'à
droit jugé sur la compétence de la Commission de recours de l'université à
connaître du litige. Par ordonnance du 23 octobre 2007, le Président de la Ire
Cour de droit public a accédé à cette requête. Par décision du 15 mai 2008, la
Commission précitée a déclaré le recours de A.________ irrecevable, si bien que
l'instruction de la cause a été reprise. Le Tribunal administratif a renoncé à
formuler des observations. Le Conseil d'Etat s'est déterminé; il conclut au
rejet du recours, dans la mesure de sa recevabilité. Le recourant a présenté
des observations complémentaires.
Considérant en droit:

1.
La décision attaquée ayant été rendue en matière de rapports de travail de
droit public, elle peut en principe faire l'objet d'un recours en matière de
droit public selon les art. 82 ss LTF. Le recourant conclut notamment à
l'annulation de l'arrêté du Conseil d'Etat du 10 janvier 2007; bien que les
griefs soulevés soient essentiellement de nature formelle, l'admission de son
recours sur ce point aurait pour effet d'annuler la décision qui a mis un terme
à son mandat, ce qui pourrait faire naître des prétentions financières. Par
conséquent, son action a, en tout cas partiellement, un but économique et son
objet peut être apprécié en argent, si bien qu'il y a lieu de considérer qu'il
s'agit d'une contestation de nature pécuniaire (cf. FABIENNE HOHL, Procédure
civile, Tome II, Berne 2002, p. 77; JEAN-FRANÇOIS POUDRET, Commentaire de la
loi fédérale d'organisation judiciaire, vol. II, Berne 1990, p. 196 ss). Il
s'ensuit que le motif d'exclusion de l'art. 83 let. g LTF n'entre pas en
considération. La valeur litigieuse atteint le seuil de 15'000 fr. ouvrant la
voie du recours en matière de droit public dans ce domaine (art. 51 al. 2 et 85
al. 1 let. b LTF). Le recourant est particulièrement atteint par la décision
attaquée - qui déclare irrecevable le recours contre le non-renouvellement de
son mandat - et il a un intérêt digne de protection à son annulation; il a donc
la qualité pour recourir (art. 89 al. 1 let. b et c LTF). La voie du recours en
matière de droit public étant ouverte en l'espèce, le recours constitutionnel
subsidiaire doit être déclaré irrecevable (art. 113 LTF).

2.
Le recourant invoque les art. 6 CEDH et 29a Cst. pour se plaindre du fait que
sa cause n'a pas pu être soumise à une autorité judiciaire.

2.1 En vigueur depuis le 1er janvier 2007, l'art. 29a Cst. donne à toute
personne le droit à ce que sa cause soit jugée par une autorité judiciaire. La
Confédération et les cantons peuvent, par la loi, exclure l'accès au juge dans
des cas exceptionnels. Cette norme étend le contrôle judiciaire à toutes les
matières, y compris aux actes de l'administration, en établissant une garantie
générale de l'accès au juge (ATF 130 I 312 consid. 4.2 p. 327 et les
références). Selon la jurisprudence, elle est concrétisée par l'art. 86 al. 2
LTF, aux termes duquel les cantons doivent instituer des tribunaux supérieurs
qui statuent comme autorités précédant immédiatement le Tribunal fédéral, sauf
dans les cas où une autre loi fédérale prévoit qu'une décision d'une autre
autorité judiciaire peut faire l'objet d'un recours devant le Tribunal fédéral.
L'art. 130 al. 3 LTF impartit aux cantons un délai de deux ans pour édicter les
dispositions d'exécution y relatives. Avant l'expiration de ce délai, le grief
lié à l'absence d'accès à un tribunal supérieur n'est en principe pas fondé
(arrêts 2C_64/2007 du 29 mars 2007 consid. 3.2, 1D_3/2008 du 10 juillet 2008
consid. 3.2; Denise Brühl-Moser, in Basler Kommentar, Bundesgerichtsgesetz,
2008, n. 5 ad art. 130 LTF), de sorte que le recourant ne pourrait pas se
prévaloir de l'art. 29a Cst. pour exiger que sa cause soit traitée par une
telle autorité. En l'état, la présente cause doit par conséquent être examinée
uniquement à la lumière de l'art. 6 CEDH.

2.2 L'art. 6 par. 1 CEDH donne à toute personne le droit à ce que sa cause soit
entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un
tribunal indépendant et impartial établi par la loi, qui décidera soit des
contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du
bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. La
jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme a récemment étendu le
champ d'application de cette disposition en ce qui concerne les employés
publics. Elle s'est écartée de l'ancien "critère fonctionnel", selon lequel
étaient soustraits au champ d'application de l'art. 6 par. 1 CEDH "les litiges
des agents publics dont l'emploi était caractéristique des activités
spécifiques de l'administration publique dans la mesure où celle-ci agit comme
détentrice de la puissance publique chargée de la sauvegarde des intérêts
généraux de l'Etat ou des autres collectivités publiques" (arrêt Pellegrin
contre France du 8 décembre 1999, Recueil CourEDH 1999-VIII § 66). Désormais,
il y a une présomption que l'art. 6 par. 1 CEDH s'applique dans les
contestations relatives aux employés publics. Pour que ces litiges soient
soustraits à la protection offerte par cette norme, deux conditions doivent
être remplies. En premier lieu, le droit interne de l'Etat concerné doit avoir
expressément exclu l'accès à un tribunal s'agissant du poste ou de la catégorie
de salariés en question. En second lieu, cette dérogation doit reposer sur des
motifs objectifs liés à l'intérêt de l'Etat. Le simple fait que l'intéressé
relève d'un secteur ou d'un service qui participe à l'exercice de la puissance
publique n'est pas en soi déterminant. Il faut encore que l'objet du litige
soit lié à l'exercice de l'autorité étatique, de sorte que les conflits
ordinaires du travail - tels ceux portant sur un salaire, une indemnité ou
d'autres droits de ce type - ne sont en principe pas soustraits aux garanties
de l'article 6 CEDH (arrêt Vilho Eskelinen et autres contre Finlande du 19
avril 2007, § 62).

2.3 En l'espèce, les conditions posées par la jurisprudence susmentionnée pour
soustraire un employé public à la protection offerte par l'art. 6 CEDH ne sont
pas réunies. En effet, le droit applicable n'exclut pas expressément, pour des
motifs qui seraient liés à l'intérêt de l'Etat, l'accès à un tribunal pour le
poste du recourant ou pour la catégorie de salariés à laquelle il appartient.
Or, le recourant s'est vu refuser l'accès au Tribunal administratif - ainsi
qu'à la Commission de recours de l'université - et il n'apparaît pas en l'état
que sa cause puisse être examinée par une autre autorité judiciaire au niveau
cantonal, le Tribunal administratif et le Conseil d'Etat ne soutenant
d'ailleurs pas le contraire. Par ailleurs, sous l'angle de l'art. 6 par. 1
CEDH, le Tribunal fédéral ne saurait être la seule autorité judiciaire
compétente pour connaître du litige. Son pouvoir d'examen est en effet
fortement limité en ce qui concerne les faits de la cause, puisqu'il statue en
principe sur la base des faits établis par l'autorité précédente (art. 105 al.
1 et 118 al. 1 LTF). Il convient enfin de relever que, même si le législateur
cantonal avait prévu une dérogation, le domaine d'activité en cause et l'objet
du litige sont manifestement étrangers à l'exercice de l'autorité étatique, de
sorte qu'il n'y a pas de raison objective de soustraire cette cause aux
garanties de l'art. 6 CEDH.
Dans ces conditions, il y a lieu de constater que la cause du recourant n'a pas
été examinée par un tribunal, de sorte que l'art. 6 par. 1 CEDH a été violé. Il
se justifie donc de renvoyer l'affaire au Tribunal administratif pour qu'il
statue sur le fond du litige ou qu'il transmette la cause à une autre autorité
judiciaire répondant aux exigences posées par l'art. 30 al. 1 Cst.

3.
Il s'ensuit que le recours en matière de droit public doit être admis et
l'arrêt attaqué annulé, l'affaire étant renvoyée au Tribunal administratif pour
nouvelle décision dans le sens des considérants. Il n'y a pas lieu de percevoir
des frais judiciaires (art. 66 al. 4 LTF). Le recourant, assisté d'un avocat, a
droit à des dépens, à la charge de l'Etat de Genève (art. 68 al. 1 LTF).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours constitutionnel subsidiaire est irrecevable.

2.
Le recours en matière de droit public est admis; l'arrêt attaqué est annulé et
la cause est renvoyée au Tribunal administratif du canton de Genève, pour
nouvelle décision dans le sens des considérants.

3.
Il n'est pas perçu de frais judiciaires.

4.
Une indemnité de 2000 fr. est allouée au recourant à titre de dépens, à la
charge de l'Etat de Genève.

5.
Le présent arrêt est communiqué au mandataire du recourant, ainsi qu'à la
Commission de recours de l'Université, au Conseil d'Etat et au Tribunal
administratif du canton de Genève.

Lausanne, le 6 novembre 2008
Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse
Le Président: Le Greffier:

Féraud Rittener