Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
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I. Öffentlich-rechtliche Abteilung, Beschwerde in öffentlich-rechtlichen Angelegenheiten 1C.341/2007
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1C_341/2007

Arrêt du 6 février 2008
Ire Cour de droit public

MM. les Juges Féraud, Président, Aemisegger et Reeb.
Greffier: M. Kurz.

Ville de Genève, 1211 Genève 3,
recourante,

contre

A.________,
intimé, représenté par Me Christian Bruchez, avocat,

Licenciement d'un employé public à la fin de la période d'essai,

recours contre l'arrêt du Tribunal administratif du canton de Genève du
28 août 2007.

Faits:

A.
A. ________ a été engagé pour le 1er janvier 2003 en tant que
tailleur-coupeur de costumes au Grand-Théâtre de Genève, sur la base d'un
contrat temporaire de droit privé. Après renouvellement de ce contrat,
A.________ a été nommé à titre d'essai, au même poste, le 28 janvier 2004, en
tant que fonctionnaire de la Ville de Genève. Durant l'année 2004, des
dissensions sont apparues entre A.________, qui se plaignait d'une attitude
dénigrante de la part de sa supérieure hiérarchique B.________, et cette
dernière qui jugeait insuffisante la qualité de son travail.
Au terme de la période d'essai, le Grand-Théâtre fit savoir à A.________, par
lettre du 8 décembre 2004 qu'il n'entendait pas poursuivre la relation de
travail, car ce dernier n'avait pas une marge de progression suffisante et
éprouvait des difficultés à positiver les remarques de sa supérieure. Ces
motifs ont été contestés par l'intéressé, qui dénonçait l'attitude de
B.________. Le 25 avril 2005, A.________ fut informé qu'une procédure de
licenciement avait été ouverte et qu'il était dispensé de l'obligation de
travailler jusqu'à l'échéance de son contrat. Selon un rapport du 19
septembre 2005 établi par un ancien collaborateur de la Ville de Genève
(ci-après: le rapport X.________, les compétences professionnelles et
l'attitude de B.________ étaient contestées par certains employés, mais les
relations humaines au sein du personnel pouvaient être qualifiées de
satisfaisantes. Les tensions avaient diminué depuis le départ de A.________.

A. ________ a été licencié par décision du 5 octobre 2005, pour le
31 décembre 2005. Cette décision a été retirée pour vice de forme et une
nouvelle procédure de licenciement a été entamée le 14 décembre 2005.
L'intéressé a été entendu et a pu s'exprimer sur le rapport du 19 septembre
2005. Une nouvelle décision de licenciement a été rendue le 27 janvier 2006
par le Conseil administratif genevois, avec effet au 31 mars 2006.

B.
Par arrêt du 28 août 2007, après avoir procédé à de nombreuses auditions et
versé au dossier deux rapports d'audit commandés par le Grand-Théâtre et la
Ville de Genève (ci-après: les rapports Y.________ et Z.________, établis
indépendamment de la cause), le Tribunal administratif du canton de Genève a
admis le recours formé par A.________ contre la décision du 27 janvier 2006.
Le grief de violation du droit d'être entendu a été écarté: le rapport
X.________, de même que les deux audits, concernaient les problèmes
relationnels au sein de l'atelier, et non les compétences professionnelles du
recourant; ne s'agissant pas d'une enquête administrative dirigée contre
l'intéressé, celui-ci n'avait pas le droit de prendre connaissance des
témoignages recueillis, ni de s'exprimer avant l'élaboration de ces rapports.
Sur le fond, le Tribunal administratif a retenu qu'à l'échéance de la période
probatoire de trois ans, les rapports de services pouvaient être résiliés
"librement", sous réserve notamment d'arbitraire. En l'occurrence, les très
bonnes compétences du recourant dans le vêtement traditionnel, et son manque
d'expérience dans la coupe de théâtre étaient connus dès son engagement;
après une période de formation, le recourant avait été engagé une seconde
fois à l'issue d'un concours limité au marché suisse. Lors de sa nomination
en février 2004, le recourant ne s'était pas vu remettre de cahier des
charges ou fixer d'objectifs à atteindre; les reproches adressés lors de
l'entretien relatif au conflit avec sa supérieure n'avaient été précédés
d'aucune évaluation et ne reposaient sur aucune faute avérée. La durée de
l'engagement ne permettait pas à un tailleur traditionnel de devenir un bon
tailleur de théâtre, le recourant n'ayant d'ailleurs pas eu l'occasion de
confectionner des costumes d'époque durant sa courte période d'engagement.
Enfin, l'attitude négative reprochée au recourant était due en partie au
comportement de sa supérieure et aux graves lacunes dans la gestion des
ressources humaines. Le licenciement apparaissait ainsi arbitraire.

C.
Par acte du 10 octobre 2007, la Ville de Genève forme un recours en matière
de droit public et un recours constitutionnel subsidiaire. Elle conclut à
l'annulation de l'arrêt cantonal et à la confirmation de la décision de
licenciement, subsidiairement au renvoi de la cause au Tribunal administratif
pour nouvelle décision dans le sens des considérants. L'effet suspensif est
requis.
Le Tribunal administratif persiste dans les termes de son arrêt. A.________
conclut au rejet de la demande d'effet suspensif et des recours, dans la
mesure de leur recevabilité.
Par ordonnance présidentielle du 1er novembre 2007, l'effet suspensif a été
accordé.

Considérant en droit:

1.
La voie du recours en matière de droit public (art. 82 ss LTF) est ouverte
contre les décisions en matière de rapports de travail de droit public,
lorsque la valeur litigieuse dépasse 15'000 fr. (art. 85 al. 1 let. b LTF).
Tel est le cas en l'espèce, la Ville de Genève se voyant contrainte, selon
l'arrêt attaqué, de réintégrer l'intimé dans sa fonction.

1.1 Le recours est formé par une commune, agissant en tant qu'employeur.
Selon l'art. 89 al. 2 let. c LTF, les communes peuvent agir en invoquant la
violation de garanties qui leur sont reconnues par la constitution cantonale
ou fédérale. La Ville de Genève invoque à ce sujet l'autonomie qui lui est
reconnue dans le domaine de la gestion de son personnel, et en particulier le
large pouvoir d'appréciation dont elle dispose à la fin de la période d'essai
pour décider si elle entend ou non poursuivre la relation de travail. En tant
qu'employeur, obligée de réintégrer un employé après un licenciement abusif,
la recourante pourrait aussi agir sur la base de l'art. 89 al. 1 LTF car elle
est touchée par l'arrêt attaqué de la même manière qu'un employeur privé.

1.2 Pour le surplus, interjeté en temps utile et dans les formes requises
contre une décision finale prise en dernière instance cantonale non
susceptible de recours devant le Tribunal administratif fédéral, le recours
respecte les exigences des art. 42, 86 al. 1 let. d, 90 et 100 al. 1 LTF. Le
recours en matière de droit public est par conséquent recevable, ce qui
entraîne l'irrecevabilité du recours constitutionnel subsidiaire (art. 113
LTF).

2.
La Ville de Genève invoque l'autonomie dont elle dispose dans le domaine de
la gestion de son personnel. Durant la période d'essai, l'employeur pourrait
résilier librement les rapports de service; il disposerait sur ce point d'un
très large pouvoir d'appréciation, et le Tribunal administratif n'aurait
quant à lui qu'un pouvoir d'examen extrêmement limité. En l'occurrence, la
cour cantonale aurait outrepassé ce pouvoir en revoyant l'opportunité de la
décision de licenciement, et en méconnaissant les critiques justifiées
concernant la qualité du travail de l'intéressé.

2.1 Selon l'art. 30 let. w de la loi genevoise sur l'administration des
communes (LAC), le statut du personnel communal est adopté par le conseil
communal. Selon l'art. 48 let. r LAC, le Conseil administratif engage et
nomme le personnel de l'administration municipale, fixe son salaire, le
contrôle et le révoque conformément au statut du personnel. Selon l'art. 7 du
statut du personnel de l'administration municipale, le fonctionnaire est
d'abord nommé à titre d'essai pendant trois ans (sous déduction de la durée
des contrats antérieurs, d'auxiliaire ou de temporaire; al. 1 et 2). Pendant
la période probatoire, l'engagement peut être résilié de part et d'autre, un
mois à l'avance pour la fin d'un mois pendant la première année, et deux mois
d'avance pendant les deuxième et troisième années du temps d'essai. La
décision de licenciement est notifiée par écrit à l'intéressé avec indication
des motifs. Elle est susceptible de recours au Tribunal administratif, sur la
légalité et la forme. Le Tribunal administratif peut annuler le licenciement
(al. 5). Au terme de la période d'essai, le Conseil administratif doit
confirmer la nomination ou résilier l'engagement en respectant les délais
précités, en permettant à l'intéressé de s'exprimer par écrit et en
l'entendant s'il en fait la demande (art. 9 al. 1 du statut).

2.2 Le statut ne prévoyant aucun motif de licenciement, mais uniquement le
respect de certains délais et de garanties formelles telle que l'exigence de
motivation de la décision, l'autorité de nomination est en principe libre de
renoncer au maintien des rapports de service durant la période d'essai. Cette
faculté est destinée à permettre l'engagement de personnel répondant au mieux
aux exigences du service. Le temps d'essai (cf., en droit privé, l'art. 335b
CO; arrêt 4A_385/2007 du 28 novembre 2007, destiné à la publication, consid.
7.1) doit ainsi fournir aux parties l'occasion de préparer l'établissement de
rapports de travail destinés à durer, en leur permettant d'éprouver leurs
relations de confiance, de déterminer si elles se conviennent mutuellement et
de réfléchir avant de s'engager pour une plus longue période. Si les rapports
contractuels qu'elles ont noués ne répondent pas à leur attente, les parties
doivent pouvoir s'en libérer rapidement (ATF 129 III 124 consid. 3.1 p. 125).
L'autorité dispose dans ce cadre d'un très large pouvoir d'appréciation, de
sorte que la cour cantonale, comme elle l'admet elle-même, ne saurait
intervenir qu'en cas de violation des principes constitutionnels tels que
l'égalité de traitement et l'interdiction de l'arbitraire. En outre, lorsque
le droit applicable ne fait pas dépendre le licenciement de conditions
matérielles, le grief d'arbitraire ne saurait être admis que dans des cas
exceptionnels, par exemple lorsque les motifs allégués sont manifestement
inexistants, lorsque des assurances particulières ont été données à l'employé
(arrêt 4A_385/2007 précité, consid. 7.1.2) ou en cas de discrimination. En
revanche, l'autorité de recours n'a pas à rechercher si les motifs invoqués
sont ou non imputables à une faute de l'employé; il suffit en effet que la
continuation du rapport de service se heurte à des difficultés objectives, ou
qu'elle n'apparaisse pas souhaitable pour une raison ou une autre.

2.3 La cour cantonale a considéré que le licenciement était arbitraire en
raison de l'attitude ambiguë de l'administration (invitation à postuler lors
de la remise au concours, nouvelle nomination alors que les faits reprochés à
l'intimé étaient déjà connus, manque de cahier des charges et d'évaluation du
travail), et du caractère injustifié des reproches faits à l'intéressé. Ce
faisant, le Tribunal administratif raisonne comme s'il s'agissait d'appliquer
les critères de l'art. 336 CO relatifs à la résiliation abusive du contrat de
travail, perdant de vue qu'un licenciement au terme de la période d'essai
peut parfaitement intervenir en l'absence de toute faute de l'intéressé.

2.4 En l'occurrence, l'intimé s'est vu adresser des reproches d'ordre
professionnel (manque de précision, d'autonomie, d'imagination et de
créativité notamment) et relationnel (difficultés avec sa supérieure et
manque d'adaptation). Une partie seulement des manquements constatés peut
être imputée à une gestion défaillante du personnel; pour le surplus, les
reproches formulés notamment dans la lettre du 8 décembre 2004 apparaissaient
en partie fondés. En particulier, l'arrêt cantonal ne revient pas sur le fait
que l'intéressé refusait de tenir compte des critiques de sa supérieure, même
si l'attitude de cette dernière et une politique défaillante des ressources
humaines ont pu contribuer à cette situation. La cour cantonale considère
certes qu'il serait "injuste, dans ces circonstances, de faire porter à M.
A.________ l'entière responsabilité de l'état d'esprit négatif dans lequel il
était". Il n'en demeure pas moins que les reproches formulés à ce sujet
étaient eux aussi, en tout cas partiellement justifiés.

2.5 La décision de licenciement reposait ainsi sur des motifs objectifs qui
ne peuvent être qualifiés de purs prétextes, ce qui suffit pour lui dénier
tout caractère arbitraire. En substituant son appréciation à celle de
l'autorité, le Tribunal administratif a ainsi violé l'autonomie communale.

3.
Le recours doit par conséquent être admis et l'arrêt attaqué annulé. Les
frais de la cause sont mis à la charge de l'intimé qui succombe (art. 66 al.
1 LTF). Il n'est pas alloué de dépens (art. 68 al. 3 LTF). La cause est
renvoyée au Tribunal administratif pour nouvelle décision sur les frais et
dépens de l'instance cantonale.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours constitutionnel subsidiaire est irrecevable.

2.
Le recours en matière de droit public est admis et l'arrêt attaqué est
annulé.

3.
Les frais judiciaires, arrêtés à 2000 fr., sont mis à la charge de l'intimé
A.________.

4.
Il n'est pas alloué de dépens.

5.
La cause est renvoyée au Tribunal administratif pour nouvelle décision sur
les frais et dépens de l'instance cantonale.

6.
Le présent arrêt est communiqué aux parties et au Tribunal administratif du
canton de Genève.

Lausanne, le 6 février 2008

Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse

Le Président: Le Greffier:

Féraud Kurz