Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
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Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Öffentlich-rechtliche Abteilung, Beschwerde in öffentlich-rechtlichen Angelegenheiten 1C.227/2007
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1C_227/2007/col

Arrêt du 7 janvier 2008
Ire Cour de droit public

MM. les Juges Féraud, Président,
Reeb et Fonjallaz.
Greffière: Mme Truttmann.

Département fédéral de justice et police, 3003 Berne,
recourant,

contre

A.________,
intimée, représentée par Me Lorella Bertani, avocate,
Instance d'indemnisation de la loi fédérale sur l'aide aux victimes
d'infractions (LAVI) de la République et canton de Genève, c/o Hospice
général, cours de Rive 12, case postale 3360, 1211 Genève 3,
intimée.

LAVI,

recours contre l'arrêt du Tribunal administratif de la République et canton
de Genève du 12 juin 2007.

Faits:

A.
B. ________ a été assassinée le 12 janvier 2004. Elle était la fille unique
de A.________. Cette dernière s'est constituée partie civile dans la
procédure pénale ouverte suite à la commission de ce crime.
Le 15 octobre 2005, la Cour d'assises de la République et canton de Genève
(ci-après: la Cour d'assises) a reconnu l'agresseur de B.________ coupable
d'assassinat et de vol et lui a infligé une peine de quinze ans de réclusion.
Elle l'a également astreint au paiement de 40'000 fr. à titre d'indemnité
pour tort moral ainsi qu'à la prise en charge de l'entier des dépens, dont
5'000 fr. valant participation aux honoraires d'avocat de A.________.

B.
Le 2 août 2006, A.________ a requis de l'Instance d'indemnisation de la loi
fédérale sur l'aide aux victimes d'infractions (LAVI) de la République et
canton de Genève (ci-après: Instance LAVI) le versement de 40'000 fr. en
réparation de son tort moral, ainsi que la somme de 33'002 fr. 85
correspondant au montant des honoraires de son avocate, calculés au tarif de
l'assistance juridique.
Par ordonnance du 22 janvier 2007, l'Instance LAVI a retenu les 40'000 fr.
fixés par la Cour d'assises à titre de réparation morale, desquels elle a
déduit les provisions qu'elle avait versées, de même que les sommes reçues en
héritage par A.________ suite au décès de sa fille. S'agissant du dommage
matériel, l'Instance LAVI a alloué à A.________ un montant de 16'226 fr. 75,
dont 5'000 fr. au titre d'honoraires d'avocat. Le montant final octroyé
s'élevait ainsi à 30'234 fr. 05.

C.
A.________ a recouru contre ce prononcé auprès du Tribunal administratif de
la République et canton de Genève (ci-après: le Tribunal administratif). Elle
a conclu à l'annulation de la décision querellée ainsi qu'à l'allocation de
40'000 fr. pour tort moral et de 37'671 fr. 75 à titre de réparation de son
préjudice matériel.
Par arrêt du 12 juin 2007, le Tribunal administratif a admis le recours. Il a
annulé l'ordonnance rendue par l'Instance LAVI le 22 janvier 2007 et a alloué
à A.________ une indemnité de 37'671 fr. 75 pour le dommage matériel ainsi
que 40'000 fr. à titre de réparation morale. Le Tribunal administratif a jugé
que l'Instance LAVI avait limité à tort le montant des honoraires aux dépens
fixés par l'autorité pénale. Ceux-ci, calculés au tarif de l'assistance
juridique, s'élevaient à 33'002 fr. 85 et devaient être pris en compte dans
le dommage matériel. Il a par ailleurs renoncé à imputer les sommes reçues en
héritage et a déduit les provisions non pas de l'indemnité pour tort moral
mais pour dommage matériel.

D.
Agissant par la voie du recours en matière de droit public, le Département
fédéral de justice et police (ci-après: le département) demande au Tribunal
fédéral d'annuler l'arrêt du Tribunal administratif et de renvoyer l'affaire
à cette juridiction pour nouvelle décision. Il se plaint d'une violation du
droit fédéral en faisant principalement valoir que les art. 11 ss LAVI ne
permettraient pas d'obtenir le remboursement des frais d'avocat en tant que
poste du dommage lorsque des dépens ont été octroyés dans le cadre de la
procédure pénale.
Le Tribunal administratif a indiqué n'avoir aucune observation à formuler au
sujet du recours. A.________ a conclu à la confirmation de l'arrêt attaqué.
Le département, suite à la publication de l'arrêt 1C_10/2007 du 12 juillet
2007 (ATF 133 II 361), a modifié ses conclusions. Il a estimé que A.________
devait également être mise au bénéfice de l'indemnisation à titre
exceptionnel telle que décidée dans l'arrêt précité. Il a donc conclu à
l'admission du recours et au renvoi de la cause au Tribunal administratif, à
charge pour ce dernier de ne pas octroyer une indemnisation excédant le
montant qui aurait été alloué selon le tarif de l'assistance judiciaire et
d'examiner si l'activité déployée par l'avocate de la victime était
strictement nécessaire.

Considérant en droit:

1.
La décision attaquée ayant été rendue après le 1er janvier 2007, la loi sur
le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF) est applicable à la présente
procédure de recours (art. 132 al. 1 LTF).

2.
L'arrêt entrepris peut faire l'objet d'un recours en matière de droit public
selon les art. 82 ss LTF. Le Département fédéral de justice et police,
compétent en la matière, a qualité pour recourir (art. 89 al. 2 let. a LTF).
Les autres conditions de recevabilité énoncées aux art. 82 ss LTF étant
remplies, il y a lieu d'entrer en matière.

3.
Le département recourant conteste principalement que les frais d'avocat
puissent être remboursés au titre de l'indemnisation selon les art. 11 ss
LAVI. Selon lui, le système de cette loi fédérale exclut que l'indemnisation
LAVI permette d'obtenir la compensation d'un dommage que la victime n'aurait
pas pu obtenir par le biais de la responsabilité civile.

3.1 Aux termes de l'art. 11 al. 1 LAVI, toute victime d'une infraction
commise en Suisse peut demander une indemnisation ou une réparation morale
dans le canton dans lequel l'infraction a été commise. La notion juridique de
dommage, dans cette loi, correspond en principe à celle du droit de la
responsabilité civile (ATF 131 II 121 consid. 2.1 p. 125; 129 II 49 consid.
4.3.2 p. 53 et les références; FF 1990 II 909, 939; Peter Gomm/Dominik
Zehntner, Kommentar zum Opferhilfegesetz, Berne 2005, p. 245; Eva Weishaupt,
Finanzielle Ansprüche nach Opferhilfegesetz in SJZ 98 322, 327). Dans ce
cadre-là, peuvent constituer un élément ou un poste du dommage les frais
engagés par la victime pour la consultation d'un avocat, lorsque celle-ci
était nécessaire et adéquate pour défendre la cause en justice - en
particulier quand la victime agit en tant que partie civile dans la procédure
pénale, contre l'auteur de l'infraction -, pour autant toutefois que ces
frais n'aient pas été inclus dans les dépens (ATF 131 II 121 consid. 2.1 p.
125). Lorsque l'octroi de dépens, même tarifés, permet d'obtenir le
remboursement des frais d'avocat, il n'est alors plus possible de faire
valoir une prétention en remboursement de ces frais par une action ultérieure
en responsabilité civile (arrêt 4C.51/2000 du 7 août 2000 consid. 2 publié in
SJ 2001 I 153; ATF 117 II 101 consid. 5 p. 106; 112 Ib 353 consid. 3a p.
356). Cette solution repose sur des considérations pratiques et la recherche
d'un équilibre entre des intérêts divergents; cet équilibre se trouverait
compromis si la décision sur les dépens ne liquidait pas les prétentions des
parties et laissait la porte ouverte à une action civile ultérieure (ATF 112
Ib 353 consid. 3a p. 357).

3.2 Dans le canton de Genève, l'art. 97 al. 1 du code de procédure pénale
(CPP/GE) met à la charge du condamné les dépens de la partie civile devant
les juridictions de jugement. Ces dépens sont calculés conformément au tarif
établi par le Conseil d'Etat (art. 104 al. 1 CPP/GE). Selon l'art. 12 al. 1
du règlement fixant le tarif des frais et dépens en matière pénale (ci-après:
le règlement), les dépens dus par le condamné comprennent les débours ainsi
qu'une participation aux honoraires d'avocat allant en particulier de 50 à
1'000 fr. devant le Tribunal de police (let. b). Aux termes de l'alinéa 2 de
cette même disposition, l'autorité de jugement peut accorder, à titre
exceptionnel, une participation d'un montant supérieur en raison de
circonstances particulières, notamment les difficultés du procès, la
situation financière des parties, la durée de la procédure ou encore
l'ampleur des débats. Selon l'art. 6 du règlement, les parties, ou s'il est
condamné, le plaignant, peuvent faire opposition à la taxation de l'état de
frais de l'Etat ou à celle des dépens d'une partie auprès de la Cour de
justice qui statue en dernier ressort.
Le Tribunal fédéral a jugé que, en droit cantonal genevois, l'usage de
l'expression "participation aux honoraires d'avocat" ne signifiait pas que
l'indemnité pour les dépens ne correspondait qu'à une quotité déterminée des
honoraires totaux de l'avocat. Les dépens permettaient le dédommagement de
tous les frais d'avocat rendus nécessaires par le procès (arrêt P.367/73 du
29 mars 1973 consid. 4a publié in SJ 1973 p. 337; arrêt P.287/1981 du 17
juillet 1981 consid. 3a publié in SJ 1982 p. 289; arrêt 4C.80/1995 du 28 août
1995 consid. 2 publié in SJ 1996 p. 299; arrêt 4C.51/2000 précité, consid.
3). La partie civile ne dispose donc pas d'une prétention en
dommages-intérêts pour la part non couverte par les dépens (ATF 133 II 361
consid. 4.3 p. 364; arrêt 4C.51/2000 précité, consid. 3).

3.3 S'il est vrai que le Tribunal fédéral a admis que les frais d'avocat
pouvaient constituer un poste du dommage indemnisé sur la base des art. 11 ss
LAVI (ATF 131 II 121), il n'a fait qu'admettre le principe d'une telle
indemnisation dans une affaire où seules étaient litigieuses les questions
concernant les rapports de subsidiarité entre l'assistance judiciaire, l'art.
3 al. 4 LAVI et les art. 11 ss LAVI ainsi que le tarif à appliquer aux
honoraires d'avocat réclamés. On ne saurait dès lors déduire de la
jurisprudence un droit automatique à une indemnisation des frais d'avocat
fondée sur les art. 11 ss LAVI, même si des dépens ont été accordés à la
victime dans le cadre du procès pénal (ATF 133 II 361 consid. 5.2 p. 365). En
effet, la LAVI n'a pas à couvrir des dommages qui vont au-delà de la
responsabilité civile de l'auteur. Il s'ensuit que si une des conditions des
art. 41 ss CO fait défaut, une indemnisation LAVI n'entre pas en
considération (ATF 133 II 361 consid. 5.1 p. 364 s. et les références).
La victime diligente, en cas de refus de l'assistance judiciaire, doit en
principe immédiatement s'adresser au centre de consultation pour requérir
l'aide juridique, afin que la question de l'application de l'art. 3 al. 4
LAVI soit résolue d'emblée. Cela permet à l'autorité d'exercer un contrôle
sur les frais d'avocat et de procédure engagés. Le Tribunal fédéral a certes
concédé que si la victime omettait d'emprunter la voie prévue par l'art. 3
al. 4 LAVI, son droit au remboursement des frais d'avocat dans le cadre des
art. 11 ss LAVI ne se périmait pas. Il a cependant précisé que la victime
prenait ainsi néanmoins le risque d'engager des frais dont elle n'obtiendrait
peut-être pas le remboursement (ATF 131 II 121 consid. 2.4.1 p. 127 s.).
La pratique genevoise qui consiste à renvoyer les victimes LAVI à s'adresser
à l'Instance LAVI pour obtenir le remboursement du montant qui dépasse les
dépens fixés dans le cadre de la procédure pénale ne se concilie pas avec les
principes de la LAVI. Elle est également contraire à l'art. 97 CPP/GE qui
prévoit que les dépens de la partie civile sont à la charge du condamné. Les
victimes LAVI devraient obtenir dans le cadre de la procédure pénale la
condamnation de l'auteur au paiement de l'intégralité des honoraires
d'avocat, sous réserve de leur proportionnalité (ATF 133 II 361 consid. 5.4
p. 365).

3.4 En l'occurrence, l'intimée n'avait pas été mise au bénéfice de
l'assistance judiciaire et le jugement pénal lui a octroyé des dépens qu'elle
n'a pas contestés. Dans ces conditions, il découle de la précision de
jurisprudence susmentionnée (ATF 133 II 361) qu'elle devait se laisser
opposer un refus d'indemnisation. Cela étant, l'ATF 131 II 121 a pu créer une
certaine confusion et la pratique genevoise en la matière a pu l'induire en
erreur. Il se justifie donc, à titre exceptionnel, de renvoyer la cause au
Tribunal administratif pour qu'il statue sur la demande d'indemnisation selon
la portée qui pouvait être donnée à l'arrêt précité.
Le Tribunal administratif a limité à juste titre l'indemnisation au tarif de
l'assistance judiciaire, conformément à la jurisprudence encore appliquée à
titre exceptionnel dans la présente cause (ATF 131 II 121 consid. 2.5.2 p.
131). Il n'a en revanche pas examiné s'il était justifié d'indemniser
l'intégralité des frais annoncés par l'avocate. Or, selon la jurisprudence,
seule l'activité strictement nécessaire à la défense des droits de la victime
peut être indemnisée, à l'exclusion de toutes démarches inutiles ou
superflues. De plus, il n'appartient pas à l'Etat de prendre en charge des
frais qui ne seraient pas dans un rapport raisonnable avec les prétentions
que la victime peut faire valoir (arrêt 1A.169/2001 précité consid. 3.2).
Si la nécessité de recourir aux services d'une avocate ne se discute pas en
l'espèce, le nombre d'heures annoncé par celle-ci paraît particulièrement
important et l'intimée n'explique pas en quoi cette activité était justifiée.
Le Tribunal administratif devra donc examiner cette question et vérifier s'il
n'y a pas lieu de réduire l'indemnité, à concurrence de l'activité
strictement nécessaire à la défense des droits de la victime.

4.
Il s'ensuit que le recours de droit administratif doit être admis et l'arrêt
attaqué annulé, l'affaire étant renvoyée au Tribunal administratif pour
nouvelle décision. Il appartiendra à cette juridiction cantonale de statuer à
nouveau sur l'ensemble des prétentions de l'intimée en relation avec les
frais d'avocat de cette dernière, compte tenu des principes exposés
ci-dessus. Il n'y a pas lieu de percevoir un émolument judiciaire, la
procédure de recours étant gratuite dans ce domaine (ATF 131 II 121 consid. 3
p. 132; 122 II 211 consid. 4b p. 219). Ni l'intimée, qui succombe, ni les
collectivités publiques parties à la procédure n'ont droit à des dépens (art.
68 LTF).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est admis; l'arrêt attaqué est annulé et la cause est renvoyée au
Tribunal administratif de la République et canton de Genève pour nouvelle
décision dans le sens des considérants.

2.
Il n'est pas perçu d'émolument judiciaire.

3.
Il n'est pas alloué de dépens.

4.
Le présent arrêt est communiqué au Département fédéral de justice et police,
à la mandataire de l'intimée ainsi qu'à l'Instance d'indemnisation de la loi
fédérale sur l'aide aux victimes d'infractions (LAVI) et au Tribunal
administratif de la République et canton de Genève.

Lausanne, le 7 janvier 2008

Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse

Le Président: La Greffière:

Féraud Truttmann