Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
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I. Öffentlich-rechtliche Abteilung, Beschwerde in öffentlich-rechtlichen Angelegenheiten 1C.189/2007
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1C_189/2007

Arrêt du 12 février 2008
Ire Cour de droit public

MM. les Juges Féraud, Président, Aeschlimann et Fonjallaz.
Greffier: M. Rittener.

la société A.________ et
B.________,
recourants,
tous deux représentés par Me François Bellanger, avocat,

contre

C.________ et D.________,
intimés,
Département des constructions et des technologies de l'information du canton
de Genève, case postale 22, 1211 Genève 8.

ordre de démolition,

recours contre l'arrêt du Tribunal administratif du canton de Genève du
22 mai 2007.

Faits:

A.
Sur les parcelles n° 2555 et 2556 du registre foncier de Chêne-Bougeries (GE)
se trouve une maison d'habitation, sise à cheval sur les deux bien-fonds.
C.________ occupe avec son époux D.________ la partie de la maison sise sur
la parcelle n° 2555, dont elle est propriétaire. L'autre partie de la maison
- sise sur la parcelle n° 2556 - est occupée par B.________, administrateur
et actionnaire unique de la société A.________, celle-ci étant propriétaire
de la parcelle en question. L'accès à la partie de la maison occupée par
B.________ se fait par une allée sise sur la parcelle no 2557, également
propriété de la société susmentionnée. La propriété de C.________ est grevée
d'une servitude de passage en faveur de cette dernière parcelle.

B.
Le 10 septembre 2004, C.________ a déposé une demande de permis de
construire, en bordure de la parcelle n° 2557, un abri de jardin et un muret
d'une hauteur de 1 m et d'une longueur de 10 mètres. Par décision du 10
décembre 2004, le Département cantonal des constructions et des technologies
de l'information (ci-après: le département) a délivré l'autorisation requise,
qui n'a fait l'objet d'aucun recours.
En novembre 2005, B.________ a informé le département du fait que les travaux
réalisés n'étaient pas conformes à l'autorisation de construire. Selon les
relevés effectués par un géomètre mandaté par le prénommé, le muret avait une
hauteur de 1,10 m et une longueur de 11,70 m et il empiétait sur la servitude
de passage inscrite en faveur de la parcelle n° 2557. B.________ se plaignait
également du fait que le cabanon de jardin était adossé au muret alors qu'il
aurait dû s'en écarter de 30 cm selon l'autorisation. Par décision du 13
janvier 2006, le département a ordonné la démolition de la partie du muret
qui dépassait la longueur autorisée et la correction de l'implantation du
muret et du cabanon, de sorte qu'ils n'empiètent plus sur la servitude.

C.
C.________ et D.________ ont recouru contre cette décision devant la
Commission cantonale de recours en matière de constructions, qui a transmis
le dossier au Tribunal administratif du canton de Genève comme objet de sa
compétence. Le Tribunal administratif a ordonné l'appel en cause de
B.________ et de sa société A.________ et il a procédé à une inspection
locale. Il a admis le recours par arrêt du 22 mai 2007, considérant que les
conditions n'étaient pas réunies pour ordonner une démolition: l'intérêt
public au rétablissement d'une situation conforme au droit ne prédominait pas
l'intérêt privé des intéressés à garder leur muret en l'état et rien ne
justifiait l'engagement de travaux de démolition coûteux.

D.
Agissant par la voie du recours en matière de droit public, B.________ et la
société A.________ demandent au Tribunal fédéral d'annuler cet arrêt,
d'ordonner la démolition du muret et le déplacement de la cabane de jardin
hors de l'assiette de la servitude, subsidiairement de renvoyer la cause au
Tribunal administratif afin qu'il procède à une instruction complète des
faits, notamment en ce qui concerne le dommage que la démolition causerait
aux intimés. Ils se plaignent d'un établissement inexact des faits, d'une
violation du principe de la proportionnalité, d'arbitraire et d'un déni de
justice formel. Le Tribunal administratif et le département ont renoncé à
formuler des observations. C.________ et D.________ se sont déterminés; ils
concluent au rejet du recours.

Considérant en droit:

1.
Le Tribunal fédéral examine d'office et librement la recevabilité des recours
qui lui sont soumis (ATF 133 I 206 consid. 2 p. 210; 132 I 140 consid. 1.1
p. 142; 130 I 312 consid. 1 p. 317 et les arrêts cités).

1.1 Dirigé contre une décision rendue dans le domaine du droit public des
constructions, le recours est recevable comme recours en matière de droit
public conformément aux art. 82 ss de la loi sur le Tribunal fédéral (LTF; RS
173.110). Aucune des exceptions prévues à l'art. 83 LTF n'est réalisée.

1.2 Selon l'avis publié le 31 août 2007 dans la feuille d'avis officielle du
canton de Genève, les parcelles n° 2556 et 2557 ont été vendues par la
société recourante en date du 22 août 2007, soit après le dépôt du recours en
matière de droit public. La LTF ne contenant pas de prescriptions réglant le
changement de parties, il convient de se référer aux dispositions de la PCF,
applicables par analogie (art. 71 LTF). Conformément à l'art. 21 al. 2 PCF,
l'aliénation en cours d'instance de l'objet du litige ou la cession du droit
litigieux n'influence pas la qualité pour agir ou pour défendre. Il convient
donc de poursuivre la procédure au nom de la société recourante, qui conserve
sa qualité pour agir découlant de son statut de propriétaire directement
touché par la construction litigieuse (cf. arrêt non publié 1C_32/2007 du
18 octobre 2007 consid. 1.1 et les références). Quant à B.________, l'arrêt
attaqué retient qu'il habitait la partie de la maison sise sur la parcelle n°
2556 et qu'il était administrateur de la société précitée, mais on ignore à
quel titre il agit dans la présente procédure et il ne démontre pas avoir un
intérêt digne de protection à obtenir l'annulation de la décision querellée.
La question peut cependant demeurer indécise, dans la mesure où la société
recourante a la qualité pour agir.

1.3 Pour le surplus, interjeté en temps utile et dans les formes requises
contre une décision finale prise en dernière instance cantonale non
susceptible de recours devant le Tribunal administratif fédéral, le recours
est recevable au regard des art. 42, 86 al. 1 let. d, 90 et 100 al. 1 LTF.

2.
Les recourants reprochent au Tribunal administratif d'avoir violé le principe
de la proportionnalité en considérant que celui-ci s'opposait à la démolition
du muret litigieux. Ils se plaignent à cet égard d'une violation grave du
droit fédéral ainsi que d'arbitraire (art. 9 Cst.).
2.1 L'ordre de démolir une construction édifiée sans droit et pour laquelle
une autorisation ne pouvait être accordée n'est en soi pas contraire au
principe de la proportionnalité. L'autorité renonce à une telle mesure si les
dérogations à la règle sont mineures, si l'intérêt public lésé n'est pas de
nature à justifier le dommage que la démolition causerait au maître de
l'ouvrage, si celui-ci pouvait de bonne foi se croire autorisé à construire
ou encore s'il y a des chances sérieuses de faire reconnaître la construction
comme conforme au droit (ATF 123 II 248 consid. 3a/bb p. 252; 111 Ib 213
consid. 6b p. 224s.; 102 Ib 64 consid. 4 p. 69). Selon la jurisprudence,
l'arbitraire, prohibé par l'art. 9 Cst., ne résulte pas du seul fait qu'une
autre solution pourrait entrer en considération ou même qu'elle serait
préférable; le Tribunal fédéral ne s'écarte de la solution retenue en
dernière instance cantonale que si elle est manifestement insoutenable,
méconnaît gravement une norme ou un principe juridique clair et indiscuté ou
si elle heurte de manière choquante le sentiment de la justice ou de
l'équité. Il ne suffit pas que la motivation de la décision soit
insoutenable; encore faut-il qu'elle soit arbitraire dans son résultat (ATF
133 I 149 consid. 3.1 p. 153; 132 I 13 consid. 5.1 p. 17; 131 I 217 consid.
2.1 p. 219; 129 I 173 consid. 3.1 p. 178).

2.2 En l'espèce, il n'est pas contesté que les constructions litigieuses ne
respectent pas l'autorisation de construire. Des dépassements de l'ordre de
10 à 15 % ont été constatés aussi bien en ce qui concerne la  hauteur (1,10 m
au lieu de 1 m) que la longueur du mur (11,70 m au lieu des 10 m autorisés).
De plus, le cabanon de jardin n'est pas exactement à l'emplacement prévu et
le mur n'est pas implanté conformément à l'autorisation précitée, soit en
retrait ou à la limite de l'assiette de la servitude de passage inscrite en
faveur du fonds voisin no 2557. Si cette violation de l'autorisation de
construire n'apparaît pas en soi comme particulièrement importante, il
convient de l'apprécier au regard de l'ensemble des circonstances, en
procédant à une pesée des intérêts complète.

2.3 Il y a d'abord lieu de rappeler qu'il existe un intérêt public au respect
des décisions de l'autorité, en particulier au respect des autorisations de
construire. Cet intérêt public évident - qui est lié à des motifs de sécurité
du droit et d'égalité de traitement - implique que la renonciation au
rétablissement d'une situation conforme doit demeurer exceptionnelle.
De plus, il n'est pas exclu en l'espèce qu'un intérêt public lié à la
sécurité du trafic entre également en considération. En effet, l'assiette de
la servitude de passage subissant l'empiétement avait été déterminée pour
remédier au danger présenté par le débouché sur le chemin de Fossard. Le
département l'a d'ailleurs relevé dans sa détermination du 22 mars 2006 et
son représentant l'a rappelé lors de l'inspection des lieux du 2 octobre
2006. Le Tribunal administratif n'a toutefois retenu que l'appréciation émise
lors de la même inspection par le représentant de l'office cantonal de la
circulation et de la mobilité, selon laquelle "le débouché sur la voie
publique est satisfaisant du point de vue de la sécurité". Or, cette
déclaration n'est pas dénuée d'équivoque, puisque le représentant se réfère
ensuite au croisement des véhicules sur le chemin d'accès et non pas aux
problèmes de visibilité que pourrait entraîner le muret litigieux. Il ressort
enfin du rapport de géomètre déposé par les recourants que le muret semble
restreindre la visibilité à l'approche du chemin de Fossard. Dans ces
circonstances, le Tribunal administratif ne pouvait pas conclure sur la seule
base de l'inspection locale que le respect de l'autorisation de construire ne
répondait pas à un intérêt public lié à la sécurité du trafic. Comme le
relèvent à juste titre les recourants, l'arrêt querellé souffre à tout le
moins d'un défaut de motivation à cet égard. On ignore en effet pour quelles
raisons le Tribunal administratif n'a pas tenu compte du rapport de géomètre
et on ne sait pas sur quels éléments cette autorité se fonde concrètement
pour exclure tout danger, en dépit des motifs ayant déterminé l'assiette de
la servitude et malgré les préoccupations exprimées par le département.

2.4 Compte tenu des intérêts publics susmentionnés, ce n'est que si l'intérêt
privé des propriétaires des constructions non conformes était
particulièrement atteint que l'on pourrait renoncer à la mise en conformité
pour des motifs de proportionnalité. Or, tel ne semble pas être le cas en
l'espèce, dès lors qu'il s'agit seulement de déplacer un cabanon de jardin
amovible de quelques centimètres et de procéder à la correction d'un muret.
S'il est vrai que la démolition d'une partie du muret et sa reconstruction en
conformité avec le permis causeront des frais - dont on ignore d'ailleurs le
montant - ceux-ci doivent être relativisés au regard notamment de la grande
valeur de la propriété des intéressés. De plus, s'il s'avère, comme les
intimés l'affirment, que l'erreur est imputable à l'entreprise qu'ils avaient
mandatée, il n'est pas exclu qu'ils puissent obtenir une réparation de la
part de celle-ci. Quoi qu'il en soit, l'arrêt attaqué souffre également d'un
défaut de motivation quant à l'ampleur du préjudice que la mise en conformité
causerait aux intimés.

2.5 Dans ces circonstances, il y a lieu de constater que la pesée des
intérêts est manifestement lacunaire et par conséquent arbitraire. En effet,
sur le vu du dossier, on ne peut pas exclure en l'état que l'intérêt public
sous ses divers aspects l'emporte sur l'intérêt privé des intimés. Par
ailleurs, dans la mesure où la servitude de passage figure expressément sur
les plans autorisés, les constructeurs ne sauraient se prévaloir de leur
bonne foi. Il n'est enfin pas contesté que les constructions litigieuses ne
peuvent pas être reconnues comme conformes au droit.
En privilégiant sans motif objectif l'intérêt pécuniaire des propriétaires
n'ayant pas respecté l'autorisation de construire, l'arrêt attaqué est
également arbitraire dans son résultat; il doit par conséquent être annulé.
Il y a lieu de renvoyer la cause à l'autorité intimée pour qu'elle procède à
une nouvelle pesée des intérêts en se conformant aux exigences de motivation
découlant de l'art. 29 al. 2 Cst., le cas échéant en complétant l'état de
fait ou en ordonnant des mesures d'instruction supplémentaires si elle
l'estime nécessaire.

3.
Il s'ensuit que le recours en matière de droit public doit être admis et
l'arrêt attaqué annulé, la cause étant renvoyée au Tribunal administratif
pour nouvelle décision dans le sens des considérants. Les intimés, qui
succombent, doivent supporter les frais de la présente procédure (art. 66 al.
1 LTF). Ils verseront en outre une indemnité à titre de dépens aux
recourants, qui obtiennent gain de cause avec l'assistance d'un avocat (art.
68 al. 1 et 2 LTF).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est admis; l'arrêt attaqué est annulé et la cause est renvoyée au
Tribunal administratif du canton de Genève, pour nouvelle décision dans le
sens des considérants.

2.
Les frais judiciaires, arrêtés à 3000 fr., sont mis à la charge des intimés.

3.
Une indemnité globale de 2000 fr. est allouée aux recourants à titre de
dépens, à la charge des intimés.

4.
Le présent arrêt est communiqué aux parties, au Département des constructions
et des technologies de l'information et au Tribunal administratif du canton
de Genève.

Lausanne, le 12 février 2008

Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse

Le Président: Le Greffier:

Féraud Rittener