Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Öffentlich-rechtliche Abteilung, Beschwerde in öffentlich-rechtlichen Angelegenheiten 1C.182/2007
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1C_182/2007

Arrêt du 28 novembre 2007
Ire Cour de droit public

MM. les Juges Féraud, Président,
Reeb et Fonjallaz.
Greffière: Mme Truttmann.

A. ________,
recourant, représenté par Me Michael Anders, avocat,

contre

Instance d'indemnisation de la loi fédérale sur l'aide aux victimes
d'infractions (LAVI) de la République et canton de Genève, c/o Hospice
général, cours de Rive 12, case postale 3360, 1211 Genève 3,
intimée,
Tribunal administratif de la République et canton de Genève, rue du
Mont-Blanc 18, 1201 Genève.

indemnisation pour tort moral,

recours contre l'arrêt du Tribunal administratif de la République et canton
de Genève du 15 mai 2007.

Faits:

A.
Le 7 avril 1999, A.________ a fait l'objet d'une agression à l'arme blanche,
au cours de laquelle il a subi des lésions corporelles graves à la hauteur du
cou. Son nerf facial gauche a été sectionné et le nerf vague gauche lésé. Il
a été hospitalisé du 8 au 16 avril 1999.
Le 7 février 2000, la Cour correctionnelle de la République et canton de
Genève (ci-après: la Cour correctionnelle) a condamné l'agresseur de
A.________ pour lésions corporelles graves et simples aggravées à une peine
d'emprisonnement ainsi qu'au paiement de 20'000 fr. à titre de réparation
morale.

B.
Le 28 juin 2000, A.________ a déposé une requête auprès de l'Instance
d'indemnisation de la loi fédérale sur l'aide aux victimes d'infractions
(LAVI) de la République et canton de Genève (ci-après: Instance LAVI),
concluant au versement d'une somme de 20'000 fr. au titre de réparation
morale pour les atteintes subies à son intégrité psychique.

C.
L'assureur-accident (ci-après: assureur LAA) de A.________ a mandaté un
psychiatre à l'établissement d'une expertise. Ce dernier a posé le diagnostic
d'un état de stress post-traumatique en lien de causalité vraisemblable avec
l'agression.
Par décision du 29 août 2001, l'assureur LAA a alloué à A.________ une
indemnité pour atteinte à l'intégrité (ci-après: IPAI) au sens de la loi
fédérale sur l'assurance-accidents (LAA) d'un montant de 19'440 francs. Il
s'est uniquement fondé sur l'appréciation du médecin des Hôpitaux
Universitaires de Genève (ci-après: HUG), selon laquelle, d'après la Table 17
de l'indemnisation des atteintes à l'intégrité selon la LAA de la SUVA, une
parésie faciale gauche résiduelle, telle que celle présentée par le
recourant, représentait une atteinte à l'intégrité  de 20 %.

D.
Par ordonnance du 3 novembre 2006, l'Instance LAVI a octroyé à A.________ une
somme de 560 fr. au titre de réparation morale. Elle a rappelé que,
conformément au principe de la subsidiarité ancré à l'art. 14 LAVI, les
prestations reçues par la victime à titre de compensation du dommage devaient
être déduites de l'indemnisation, y compris s'agissant de la réparation du
tort moral. Elle a relevé que A.________ n'avait pas jugé utile de recourir
contre la décision LAA pour faire valoir que l'atteinte psychique subie
n'avait pas été prise en compte. L'Instance LAVI en a donc conclu que
A.________ n'avait droit, au titre de la LAVI, qu'à 560 fr., correspondant à
la différence entre la somme allouée par la Cour correctionnelle, considérée
comme équitable et proportionnée, et l'IPAI.

A. ________ a recouru contre cette ordonnance auprès du Tribunal
administratif de la République et canton de Genève (ci-après: le Tribunal
administratif). Par arrêt du 15 mai 2007, cette dernière autorité a rejeté le
recours. Elle a confirmé le raisonnement adopté par l'Instance LAVI.

E.
Agissant par la voie du recours en matière de droit public, A.________
demande au Tribunal fédéral d'annuler l'arrêt cantonal précité et de lui
allouer une indemnité pour tort moral de 20'000 francs. Il se plaint d'une
violation des art. 14 LAVI et 1 OAVI. Il requiert en outre l'assistance
judiciaire.
Le Tribunal administratif s'en rapporte à justice quant à la recevabilité du
recours et se réfère aux considérants et au dispositif de son arrêt.
L'Instance LAVI renvoie aux termes de son ordonnance et conclut au rejet du
recours. L'Office fédéral de la justice, domaine de direction Droit public,
estime que le résultat auquel aboutit l'arrêt attaqué ne paraît pas
contrevenir au droit fédéral. A.________ persiste dans ses conclusions.

Considérant en droit:

1.
La décision attaquée ayant été rendue après le 1er janvier 2007, la loi sur
le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF) est applicable à la présente
procédure de recours (art. 132 al. 1 LTF).

2.
L'arrêt entrepris peut faire l'objet d'un recours en matière de droit public
selon les art. 82 ss LTF. La démarche du recourant tend à l'obtention d'une
indemnité pour tort moral fondée sur la loi fédérale du 4 octobre 1991 sur
l'aide aux victimes d'infractions (LAVI; RS 312.5). Il n'est pas contesté que
cette loi est applicable et que le recourant a la qualité de victime LAVI au
sens de l'art. 2 al. 1 LAVI. Le recourant dispose donc de la qualité pour
recourir (art. 89 al. 1 LTF). Les autres conditions de recevabilité énoncées
aux art. 82 ss LTF étant satisfaites, il y a lieu d'entrer en matière.

3.
Le recourant considère que l'autorité LAVI ne peut déduire de la somme
accordée au titre de réparation morale par les instances pénales, tout ou
partie de l'IPAI, que lorsque cette dernière couvre les souffrances
psychiques subies. Dans le cas contraire, il estime qu'il serait contraire à
l'esprit de la LAVI de contraindre les victimes à contester préalablement la
décision d'IPAI pour pouvoir prétendre à une indemnité pour tort moral sur la
base de la LAVI.

4.
L'art. 12 al. 2 LAVI institue le principe d'une réparation morale, en argent,
en faveur de la victime qui a subi une atteinte grave, dans des circonstances
particulières; pour le surplus, la loi fédérale ne fixe pas de critères quant
à l'estimation de cette indemnité. Selon la jurisprudence, il faut appliquer
par analogie les principes correspondant aux art. 47 et 49 CO, en tenant
compte, cependant, que le système d'indemnisation du dommage et du tort moral
prévu par la loi fédérale répond à l'idée d'une prestation d'assistance, et
non pas à celle d'une responsabilité de l'Etat (arrêt 1A.228/2004 du 3 août
2005 consid. 10.2 non publié à l'ATF 131 II 666; 128 II 49 consid. 4.1 p. 53;
125 II 554 consid. 2a p. 555 s.). Une réduction peut d'ailleurs se justifier
par rapport à l'indemnité allouée en application des règles civiles, lorsque
le juge pénal a pris en considération des éléments subjectifs, liés à
l'auteur (absence particulière de scrupules, par exemple) (arrêts 1A.228/2004
précité consid. 10.2; 1A.235/2000 du 21 février 2001 consid. 3a).

5.
Comme l'a rappelé le Tribunal fédéral à plusieurs reprises, le législateur
n'a pas voulu, en mettant en place le système d'indemnisation prévu par la
LAVI, assurer à la victime une réparation pleine, entière et inconditionnelle
du dommage qu'elle a subi. Ce caractère incomplet est particulièrement marqué
en ce qui concerne la réparation du tort moral, qui se rapproche d'une
allocation "ex aequo et bono" (ATF 129 II 312 consid. 2.3 p. 315).

6.
Selon la jurisprudence, l'autorité LAVI est en principe liée par les faits
établis au pénal, mais non par les considérations de droit ayant conduit au
prononcé civil. L'instance LAVI peut donc, en se fondant sur l'état de fait
arrêté au pénal, déterminer le montant de l'indemnité allouée à la victime
sur la base de considérations juridiques propres. Elle peut, au besoin,
s'écarter du prononcé civil s'il apparaît que celui-ci repose sur une
application erronée du droit. Cela peut certes conduire à une réduction du
montant alloué par le juge pénal, mais peut aussi, dans d'autres cas,
permettre à l'autorité LAVI de s'écarter d'une indemnité manifestement
insuffisante (ATF 129 II 312 consid. 2.8 p. 317).

7.
La fixation de l'indemnité pour tort moral est une question qui relève de
l'appréciation du juge et que le Tribunal fédéral n'examine qu'avec retenue.
Ce dernier n'intervient que lorsque l'autorité cantonale s'écarte sans motifs
des critères fixés par la doctrine et la jurisprudence, prend en
considération des faits sans pertinence ou, au contraire, ignore ceux qu'elle
aurait dû considérer ou encore lorsque, dans son résultat, le montant fixé
apparaît manifestement inéquitable ou choquant (arrêt 1A.228/2004 du 3 août
2005 consid. 11. 2 non publié à l'ATF 131 II 656; 125 II 169 consid. 2b/bb p.
174; 125 III 412 consid. 2a p. 417 s.; 123 III 10 consid. 4c/aa p. 13, 306
consid. 9b p. 315).

8.
La Cour correctionnelle a alloué au recourant une somme de 20'000 fr. à titre
de réparation morale. Elle a retenu que l'atteinte portée à l'intégrité
physique du recourant était grave, que ce dernier subissait encore, à la date
de l'audience, les séquelles des coups de couteau, qu'il ne pouvait toujours
pas manger normalement et qu'il n'avait pas retrouvé un poids suffisant.
L'autorité pénale a également pris en considération les troubles du recourant
sur le plan psychique, qui nécessiteraient vraisemblablement des soins.
Enfin, elle a estimé que l'avenir du recourant, notamment sur le plan
professionnel, était incertain.

9.
Il ressort du dossier les éléments suivants. Selon le rapport du médecin des
HUG, le recourant a été hospitalisé une dizaine de jours. Il a subi une
intervention chirurgicale pour révision d'une plaie pénétrante du cou ayant
sectionné son nerf facial gauche (suture) et lésé son nerf vague gauche. Le
médecin a indiqué que le recourant présentait une parésie faciale gauche
résiduelle (diminution de mobilité de la commissure labiale, de la paupière
et du front à gauche); des cicatrices cervicales et rétro-auriculaires
gauches (calmes, fines); une discrète parésie du voile du palais gauche; et
enfin une discrète parésie pharyngée et hémilaryngée gauche altérant encore
légèrement la déglutition. Les séquelles risquaient d'être permanentes. Seule
la paralysie faciale représentait toutefois une atteinte à l'intégrité,
évaluée à 20 %.
L'expert psychiatre a quant à lui posé le diagnostic d'un état de stress
post-traumatique. Il a relevé que le recourant avait vécu un événement
stressant (agression au couteau) et que l'on assistait à l'apparition de
symptômes qui rappelaient le traumatisme dans les souvenirs, dans les
cauchemars, accompagnés d'un détachement par rapport aux autres, avec
émoussement affectif, trouble de l'humeur et anxiété. Il a cependant conclu
que l'on pouvait s'attendre à une amélioration notable de son état de santé.
Une capacité de travail de 50 % pouvait être assez rapidement recouvrée, et
si l'évolution était bonne, on pouvait espérer une capacité à 100 %. Le
psychiatre a précisé que la guérison du recourant était influencée à plus de
40 % par des facteurs étrangers.

10.
Au vu de ces éléments, l'Instance LAVI a considéré que la somme de 20'000 fr.
allouée par la Cour correctionnelle était de nature à tenir compte de manière
équitable et proportionnée de la nature et de l'importance du traumatisme
subi par le recourant. Ce dernier n'expose pas en quoi l'autorité aurait, ce
faisant, fait preuve d'arbitraire. On discerne du reste mal quelles raisons
l'Instance LAVI aurait pu invoquer pour s'écarter du prononcé civil du
jugement pénal, ce d'autant plus que l'expert psychiatre a largement minimisé
la gravité du stress post-traumatique. Le recourant n'en fait au demeurant
valoir aucune.
Par ailleurs, il sied de souligner que le recourant s'est vu allouer
l'intégralité de ses conclusions civiles. Il avait, à l'appui de ces
dernières, souligné qu'il subissait depuis 10 mois de graves souffrances
morales dues à l'atteinte à son intégrité corporelle, qui avait entraîné de
graves répercussions sur sa santé physique et psychique, ainsi que sur sa vie
sociale.
Il apparaît ainsi, contrairement aux allégations du recourant, que les
souffrances psychiques endurées par ce dernier ont été prises en
considération.

11.
Le principe de la subsidiarité de l'intervention étatique, qui est à la base
du système de la LAVI, est concrétisé à l'art. 14 al. 1 de la loi. Selon
cette disposition, les prestations que la victime a reçues à titre de
réparation du dommage matériel sont déduites du montant de l'indemnité. Les
prestations reçues à titre de tort moral sont déduites de la même manière de
la somme allouée à titre de réparation morale.
La jurisprudence a déduit de ce principe que l'autorité devait tenir compte
d'une éventuelle IPAI qui aurait été versée à la victime selon l'art. 24 de
la loi fédérale du 20 mars 1981 sur l'assurance-accidents (LAA; RS 832.20)
(arrêt 1A.228/2004 du 3 août 2005 consid. 10.2 non publié à l'ATF 131 II 656;
128 II 49 consid. 4.3 p. 55; 125 II 169 consid. 2d p. 176). Le recourant ne
remet pas en question cette jurisprudence.
C'est donc à juste titre que l'Instance LAVI a octroyé au recourant la
différence entre le montant alloué pour tort moral par l'autorité pénale,
considéré comme suffisant, et l'IPAI. Ainsi que mentionné plus haut, le
recourant ne saurait pour le surplus insinuer que ses souffrances psychiques
n'ont pas été prises en compte.

12.
Le recourant fait certes valoir que l'IPAI reçue ne viserait que la
réparation des troubles liés à sa santé physique et non psychique. A cet
égard, l'Instance LAVI objecte qu'il appartenait au recourant, le cas
échéant, de recourir contre la décision d'IPAI.
On ne saurait reprocher à l'Instance LAVI d'avoir observé que le recourant
avait l'obligation de contester la décision de l'assureur LAA s'il
considérait que l'atteinte à son intégrité psychique justifiait le versement
d'une indemnité correspondante en application de l'art. 24 LAA.
En réalité, la problématique du dépôt d'un éventuel recours contre la
décision de l'assureur LAA n'a toutefois pas de réelle pertinence dans le cas
particulier. Il résulte en effet des considérants qui précèdent que
l'Instance LAVI, en fixant l'indemnité pour tort moral, n'a pas ignoré les
souffrances psychiques endurées par le recourant. Elle a cependant jugé, sans
être valablement contredite par ce dernier, qu'un montant de 20'000 fr. était
adéquat pour compenser le tort moral subi dans son ensemble. Selon l'art. 14
al. 1 LAVI, l'autorité devait déduire la prestation reçue à ce titre par le
recourant et il importe peu de savoir quel aspect du tort moral cette
indemnité était destinée à couvrir (cf. Jean-François Aubert/Pascal Mahon,
Petit commentaire de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du
18 avril 1999, Zurich Bâle Genève 2003, n. 4 ad art. 124, p. 993).
L'Instance LAVI n'a par conséquent pas violé la LAVI en n'allouant au
recourant que la somme de 560 francs.

13.
Il s'ensuit que le recours doit être rejeté. Il n'y a pas lieu de percevoir
un émolument judiciaire, la procédure de recours étant gratuite en la matière
(ATF 131 II 121 consid. 3 p. 132; 122 II 211 consid. 4b p. 219). Les
conditions de l'art. 64 LTF étant réunies, il convient de faire droit à la
demande d'assistance judiciaire. Me Michael Anders est désigné comme
défenseur d'office du recourant pour la présente procédure et une indemnité
lui sera versée à titre d'honoraires par la caisse du Tribunal fédéral.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est rejeté.

2.
Il n'est pas perçu de frais judiciaires.

3.
Me Michael Anders est désigné en tant qu'avocat d'office du recourant et une
indemnité de 1'000 fr. lui est allouée à titre d'honoraires, supportée par la
caisse du Tribunal.

4.
Le présent arrêt est communiqué au mandataire du recourant, à l'instance LAVI
et au Tribunal administratif de la République et canton de Genève ainsi qu'à
l'Office fédéral de la justice, Division principale du droit public.

Lausanne, le 28 novembre 2007

Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse

Le Président: La Greffière:

Féraud Truttmann