Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Öffentlich-rechtliche Abteilung, Beschwerde in öffentlich-rechtlichen Angelegenheiten 1C.10/2007
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1C_10/2007 /col

Arrêt du 12 juillet 2007
Ire Cour de droit public

MM. les Juges Féraud, Président, Aemisegger, Reeb,
Fonjallaz et Eusebio.
Greffière: Mme Truttmann.

Département fédéral de justice et police, 3003 Berne,
recourant,

contre

A.________,
intimée, représentée par Me Jean-Luc Marsano,
Instance d'indemnisation de la loi fédérale sur l'aide aux victimes
d'infractions (LAVI) de la République et canton de Genève, c/o Hospice
général, cours de Rive 12, case postale 3360, 1211 Genève 3,
Tribunal administratif de la République et canton de Genève, case postale
1956, 1211 Genève 1.

prise en charge des honoraires d'avocat selon la LAVI,

recours en matière de droit public contre l'arrêt du Tribunal administratif
de la République et canton de Genève du 16 janvier 2007.

Faits:

A.
A. ________ a été victime d'harcèlement entre juin 2000 et début septembre
2002.
Par jugement du 2 février 2004, le Tribunal de police de la République et
canton de Genève (ci-après: le Tribunal de police) a reconnu le prévenu
coupable de lésions corporelles simples et d'utilisation abusive d'une
installation de télécommunication. Il l'a condamné à une peine
d'emprisonnement ainsi qu'au versement, en faveur de la victime, d'un montant
global de 6'301 fr. composé de la manière suivante: 2'310 fr. à titre de
réparation du dommage matériel, 2'500 fr. à titre d'indemnité pour tort moral
et 1'500 fr. à titre de participation aux honoraires d'avocat.

B.
Le 7 février 2004, A.________ a saisi l'Instance d'indemnisation de la loi
fédérale sur l'aide aux victimes d'infractions de la République et canton de
Genève (ci-après: l'Instance LAVI) d'une requête en indemnisation pour le
dommage matériel et le tort moral subis. Elle a conclu à ce que lui soient
versés 2'500 fr. à titre de réparation du tort moral, 22'007 fr. 25 à titre
de frais d'avocat et 2'503 fr. à titre de frais de justice.
Le 24 mars 2006, A.________ a informé l'Instance LAVI que le condamné lui
avait versé le montant de 6'301 fr. fixé par le Tribunal de police. Elle a
alors renoncé à ses conclusions visant au paiement d'une indemnité pour tort
moral ainsi qu'au remboursement des frais de justice. Elle a néanmoins
persisté à réclamer l'indemnisation de ses frais d'avocats, à savoir 22'007
fr. 25 et 3'001 fr. 70, selon les notes d'honoraires des 7 février 2004 et 24
mars 2006, soit au total 25'008 fr. 95, sous déduction des 1'500 fr. payés
par le condamné.

C.
Par ordonnance du 11 juillet 2006, l'Instance LAVI a rejeté la requête de
A.________, au motif que l'agresseur s'était acquitté des dépens fixés par le
Tribunal de police.
Par arrêt du 16 janvier 2007, le Tribunal administratif a annulé cette
ordonnance. Appliquant le tarif de l'assistance juridique, il a notamment
alloué à A.________, une indemnisation LAVI de 14'514 fr. 55 au titre des
frais d'avocat encourus dans la procédure pénale, sous déduction des 1'500
fr. déjà reçus.

D.
Agissant par la voie du recours en matière de droit public, le Département
fédéral de justice et police (DFJP) demande au Tribunal fédéral d'annuler
l'arrêt rendu par le Tribunal administratif le 16 janvier 2007 et de renvoyer
la cause à cette autorité pour nouvelle décision dans le sens des
considérants. Il se plaint d'une violation de la loi fédérale sur l'aide aux
victimes d'infractions (LAVI).
Le Tribunal administratif s'en rapporte à justice quant à la recevabilité du
recours et persiste dans les considérants et le dispositif de son arrêt.
A.________ conclut au rejet du recours.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
La décision attaquée ayant été rendue après le 1er janvier 2007, la loi sur
le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF) est applicable à la présente
procédure de recours (art. 132 al. 1 LTF).

2.
L'arrêt entrepris peut faire l'objet d'un recours en matière de droit public
selon les art. 82 ss LTF. Le Département fédéral de justice et police,
compétent en la matière, a qualité pour recourir (art. 89 al. 2 let. a LTF).
Les autres conditions de recevabilité énoncées aux art. 82 ss LTF étant
satisfaites, il y a lieu d'entrer en matière.

3.
Le DFJP soutient qu'en jugeant que l'intimée avait droit à une indemnisation
en vertu des art. 11 ss de la loi fédérale du 4 octobre 1991 sur l'aide aux
victimes d'infractions (LAVI; RS 312.5), alors que l'auteur de l'infraction
avait versé l'intégralité des sommes qu'il devait selon le jugement du
Tribunal de police, le Tribunal administratif a violé les règles applicables
en matière de LAVI.
Il s'agit dès lors uniquement d'examiner en l'espèce si, lorsque les dépens
alloués à la victime par le juge pénal incluent la couverture des frais
d'avocat, cette dernière est encore légitimée à réclamer une indemnisation
LAVI pour les honoraires d'avocat qui vont au-delà de cette somme.

4.
En matière de LAVI, la notion de dommage correspond en principe à celle du
droit de la responsabilité civile (ATF 131 II 121 consid. 2.1 p. 125; FF 1990
II 909, 939; Peter Gomm/Dominik Zehntner, Kommentar zum Opferhilfegesetz,
Berne 2005, p. 245; Eva Weishaupt, Finanzielle Ansprüche nach
Opferhilfegesetz in SJZ 98 322, 327).

4.1 En droit de la responsabilité civile, les frais engagés par la victime
pour la consultation d'un avocat avant l'ouverture du procès civil, lorsque
cette démarche était nécessaire et adéquate, peuvent constituer un élément du
dommage, pour autant que ces frais n'aient pas été inclus dans les dépens. Il
en va de même pour les frais engagés dans une autre procédure, comme une
procédure pénale par exemple. Si cette procédure permet d'obtenir des dépens,
même tarifés, il n'est alors plus possible de faire valoir une prétention en
remboursement des frais de défense par une action ultérieure en
responsabilité civile (arrêt 4C.51/2000 du 7 août 2000 consid. 2 publié in SJ
2001 I 153; ATF 117 II 101 consid. 5 p. 106; 112 Ib 353 consid. 3a p. 356).
Cette réglementation repose sur des considérations pratiques et la recherche
d'un équilibre entre des intérêts divergents; cet équilibre se trouverait
compromis si la décision sur les dépens ne liquidait pas les prétentions des
parties et laissait la porte ouverte à une action civile ultérieure (ATF 112
Ib 353 consid. 3a p. 357).

4.2 Dans le canton de Genève, l'art. 97 al. 1 du code de procédure pénale
(CPP/GE) met à la charge du condamné les dépens de la partie civile devant
les juridictions de jugement. Ces dépens sont calculés conformément au tarif
établi par le Conseil d'Etat (art. 104 al. 1 CPP/GE). Selon l'art. 12 al. 1
du règlement fixant le tarif des frais et dépens en matière pénale (ci-après:
le règlement), les dépens dus par le condamné comprennent les débours ainsi
qu'une participation aux honoraires d'avocat allant en particulier de 50 à
1'000 fr. devant le Tribunal de police (let. b). Aux termes de l'alinéa 2 de
cette même disposition, l'autorité de jugement peut accorder, à titre
exceptionnel, une participation d'un montant supérieur en raison de
circonstances particulières, notamment les difficultés du procès, la
situation financière des parties, la durée de la procédure ou encore
l'ampleur des débats.

4.3 Le Tribunal fédéral a jugé que, en droit cantonal genevois, l'usage de
l'expression "participation aux honoraires d'avocat" ne signifiait pas que
l'indemnité pour les dépens ne correspondait qu'à une quotité déterminée des
honoraires totaux de l'avocat. Les dépens permettaient le dédommagement de
tous les frais d'avocat rendus nécessaires par le procès (arrêt P.367/73 du
29 mars 1973 consid. 4a publié in SJ 1973 337; arrêt P.287/1981 du 17 juillet
1981 consid. 3a publié in SJ 1982 289; arrêt 4C.80/1995 du 28 août 1995
consid. 2 publié in SJ 1996 299; arrêt 4C.51/2000 précité, consid. 3). La
partie civile ne dispose donc pas d'une prétention en dommages-intérêts pour
la part non couverte par les dépens (arrêt 4C.51/2000 précité, consid. 3).

4.4 Selon l'art. 6 du règlement, les parties, ou s'il est condamné, le
plaignant, peuvent faire opposition à la taxation de l'état de frais de
l'Etat ou à celle des dépens d'une partie auprès de la Cour de justice qui
statue en dernier ressort.

5.
5.1 Le législateur n'a certes pas choisi de reprendre en tous points, dans le
système des art. 11 ss LAVI, le régime du droit de la responsabilité civile.
Des solutions spécifiques sont donc possibles (ATF 131 II 121 consid. 2.2 p.
125 s.).
En matière de détermination du dommage, des différences ne se justifient
cependant qu'exceptionnellement (cf. p. ex. art. 13 al. 2 LAVI). En effet, la
LAVI n'a pas à couvrir des dommages qui vont au-delà de la responsabilité
civile de l'auteur. Si une des conditions des art. 41 ss CO fait défaut, une
indemnisation LAVI n'entre dès lors pas en considération (Eva Weishaupt, op.
cit., p. 325).
Le Tribunal fédéral a d'ailleurs lui-même souligné que la victime devait être
admise à faire valoir, dans le cadre des art. 11 ss LAVI, des prétentions
pour les différents postes du dommage qui entreraient en considération selon
l'art. 41 CO (ATF 131 II 121 consid. 2.4.4 p. 129). Il n'y a dès lors pas de
raison d'admettre que la victime LAVI puisse être indemnisée pour un dommage
dont elle ne pourrait pas obtenir réparation selon les règles du droit de la
responsabilité civile. De plus, la victime a l'obligation de limiter le
dommage qu'elle subit dans toute la mesure du possible (arrêt 1A.169/2001 du
7 février 2002 consid. 3.2).
5.2 Le Tribunal fédéral a, il est vrai, admis que les frais d'avocat
pouvaient constituer un poste du dommage indemnisé sur la base des art. 11 ss
LAVI (ATF 131 II 121). Il n'a cependant fait qu'admettre le principe d'une
telle indemnisation (cf. ATF 131 II 121 consid. 2.4.4 dernier paragraphe p.
129). En effet, seules étaient alors litigieuses les questions concernant les
rapports de subsidiarité entre l'assistance judiciaire, l'art. 3 al. 4 LAVI
et les art. 11 ss LAVI ainsi que le tarif à appliquer aux honoraires d'avocat
réclamés. Le Tribunal fédéral n'a donc pas été amené à examiner dans ce cadre
la question particulière du sort des dépens alloués à la victime par le juge
pénal.
On ne saurait dès lors déduire de la jurisprudence un droit automatique à une
indemnisation des frais d'avocat fondée sur les art. 11 ss LAVI, même si des
dépens ont été accordés à la victime dans le cadre du procès pénal.

5.3 La victime diligente, en cas de refus de l'assistance judiciaire, doit en
principe immédiatement s'adresser au centre de consultation pour requérir
l'aide juridique, afin que la question de l'application de l'art. 3 al. 4
LAVI soit résolue d'emblée. Cela permet à l'autorité d'exercer un contrôle
sur les frais d'avocat et de procédure engagés. Le Tribunal fédéral a certes
concédé que si la victime omettait d'emprunter la voie prévue par l'art. 3
al. 4 LAVI, son droit au remboursement des frais d'avocat dans le cadre des
art. 11 ss LAVI ne se périmait pas. Il a cependant précisé que la victime
prenait ainsi néanmoins le risque d'engager des frais dont elle n'obtiendrait
peut-être pas le remboursement (ATF 131 II 121 consid. 2.4.1 p. 127 s.).
5.4 La pratique genevoise qui consiste à renvoyer les victimes LAVI à
s'adresser à l'Instance LAVI pour obtenir le remboursement du montant qui
dépasse les dépens fixés dans le cadre de la procédure pénale ne se concilie
pas avec les principes de la LAVI (cf. consid. 5.2). Elle est également
contraire à l'art. 97 CPP/GE qui prévoit que les dépens de la partie civile
sont à la charge du condamné.
Les victimes LAVI devraient obtenir dans le cadre de la procédure pénale la
condamnation de l'auteur au paiement de l'intégralité des honoraires
d'avocat, sous réserve de leur proportionnalité (cf. consid. 6.3).
En l'espèce, la victime n'a pas requis l'assistance judiciaire ordinaire,
elle n'a pas non plus sollicité l'aide juridique du Centre de consultation
LAVI et elle n'a pas contesté le montant des dépens qui lui ont été alloués
par le juge pénal. Ce comportement, ajouté à la pratique genevoise en matière
de dépens, a pour effet que, selon la jurisprudence rappelée plus haut
(consid. 4.1), l'auteur de l'infraction ne peut être recherché pour le
remboursement des frais de la victime, ce qui est contraire au principe de
subsidiarité qui est à la base du système LAVI (art. 14 LAVI et 4 nLAVI).
Dans ces conditions, la victime doit se laisser opposer un refus
d'indemnisation.

6.
Ces considérants précisent l'ATF 131 II 121 qui a pu créer une certaine
confusion. En outre, la pratique genevoise a pu induire en erreur l'intimée.
Il se justifie dès lors à titre exceptionnel, à la suite de cette précision
de la jurisprudence, de renvoyer la cause au Tribunal administratif pour
qu'il statue sur la demande d'indemnisation selon la portée qui pouvait être
donnée à l'arrêt précité.

6.1 Le Tribunal administratif devra examiner si les conditions de limites de
revenu de la victime (art. 13 LAVI) pour prétendre à une indemnisation sont
réalisées, puisque cette question a été négligée jusqu'ici.

6.2 Par ailleurs, il sera rappelé que l'indemnisation ne pourra pas excéder
le montant qui aurait été alloué en application du tarif de l'assistance
judiciaire en vertu de la jurisprudence encore appliquée à titre exceptionnel
dans la présente cause (ATF 131 II 121 consid. 2.5.2 p. 131).

6.3 Enfin, seule l'activité strictement nécessaire à la défense des droits de
la victime peut être indemnisée, à l'exclusion de toutes démarches inutiles
ou superflues. Il n'appartient pas à l'Etat de prendre en charge des frais
qui ne seraient pas dans un rapport raisonnable avec les prétentions que la
victime peut faire valoir (arrêt 1A.169/2001 précité consid. 3.2). Dans la
mesure où cette question n'a pas davantage été traitée, le Tribunal
administratif devra donc examiner l'activité déployée par l'avocat et
vérifier s'il n'y a pas lieu de réduire l'indemnité à ce titre également.

7.
Il s'ensuit que le recours doit être admis et l'arrêt attaqué annulé,
l'affaire étant renvoyée au Tribunal administratif pour nouvelle décision.
Il n'y a pas lieu de percevoir un émolument judiciaire, la procédure de
recours étant gratuite en la matière (ATF 131 II 121 consid. 3 p. 132; 122 II
211 consid. 4b p. 219). Ni l'intimée, qui succombe, ni les collectivités
publiques parties à la procédure, n'ont droit à des dépens (art. 68 LTF).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est admis, l'arrêt attaqué est annulé et la cause est renvoyée au
Tribunal administratif pour nouvelle décision dans le sens des considérants.

2.
Il n'est pas perçu de frais judiciaires.

3.
Il n'est pas alloué de dépens.

4.
Le présent arrêt est communiqué en copie au Département fédéral de justice et
police (Office fédéral de la justice), au mandataire de l'intimée, à
l'instance d'indemnisation LAVI et au Tribunal administratif de la République
et canton de Genève.

Lausanne, le 12 juillet 2007

Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse

Le président:  La greffière: