Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Öffentlich-rechtliche Abteilung, Beschwerde in Strafsachen 1B.93/2007
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1B_93/2007 /col

Arrêt du 10 août 2007
Ire Cour de droit public

MM. les Juges Féraud, Président,
Aeschlimann et Fonjallaz
Greffier: M. Rittener.

A. ________,
recourant, représenté par Me Jean-Luc Maradan, avocat,

contre

Ministère public du canton de Fribourg,
rue de Zaehringen 1, 1700 Fribourg,
Juge d'instruction du canton de Fribourg,
case postale 156, 1702 Fribourg,
Tribunal cantonal de l'Etat de Fribourg,
Chambre pénale, case postale 56, 1702 Fribourg.

procédure pénale, séquestre,

recours en matière pénale contre l'arrêt du Tribunal cantonal de l'Etat de
Fribourg, Chambre pénale, du 2 avril 2007.

Faits:

A.
A la suite d'une plainte et dénonciation déposée le 7 septembre 2005 par
B.________, la Juge d'instruction du canton de Fribourg (ci-après: la juge
d'instruction) a dirigé une enquête contre A.________, administrateur de la
société exploitant le cabaret qui employait la prénommée, pour contrainte et
appropriation illégitime. L'enquête a ensuite été étendue à d'autres chefs de
prévention et est actuellement instruite pour encouragement à la
prostitution, appropriation illégitime, contrainte, escroquerie par métier,
faux dans les titres, escroquerie fiscale, infraction à la loi fédérale sur
le séjour et l'établissement des étrangers (LSEE; RS 142.20), infraction à la
loi fédérale sur l'assurance-vieillesse et survivants (LAVS; RS 831.10),
détournement de retenues sur les salaires, éventuellement usure.
En septembre 2005, la juge d'instruction a ordonné le séquestre d'une
centaine de classeurs fédéraux contenant des "contrats d'artistes" et divers
documents, notamment des relevés bancaires et des pièces comptables.
A.________ a demandé à plusieurs reprises à la juge d'instruction de lui
accorder un accès au dossier et de lui remettre les pièces comptables
saisies. Il a encore demandé la levée du séquestre par courriers des 27
juillet et 9 août 2006.

B.
Le 11 octobre 2006, A.________ a déposé un recours devant la Chambre pénale
du Tribunal cantonal de l'Etat de Fribourg (ci-après: la Chambre pénale),
pour déni de justice et retard injustifié. Il se plaignait notamment du fait
que la juge d'instruction n'avait pas donné suite à ses demandes de levée du
séquestre. Par décisions des 26 octobre 2005 et 7 novembre 2006, le séquestre
de la majorité des documents saisis en septembre 2005 a été levé. Il a été
maintenu sur les contrats d'artistes, la juge d'instruction considérant ces
documents comme des pièces à conviction. Par la suite, la juge d'instruction
a ordonné le séquestre d'autres classeurs appartenant à A.________, soit une
septantaine en novembre 2006 et une soixantaine en mars 2007.
Par arrêt du 2 avril 2007, la Chambre pénale a déclaré le recours
partiellement sans objet et l'a rejeté pour le surplus. Constatant que le
séquestre de septembre 2005 avait été levé sur la plus grande partie des
documents, elle a considéré que les contrats d'artistes pouvaient être
conservés à titre de pièces à conviction et que A.________ pouvait en faire
des photocopies s'il en avait besoin pour la marche de ses affaires.

C.
Agissant par la voie du recours constitutionnel subsidiaire (art. 113 ss
LTF), A.________ demande au Tribunal fédéral d'annuler cet arrêt et
d'ordonner au magistrat instructeur de procéder à la levée du séquestre sur
l'intégralité des pièces saisies le 16 septembre 2005, subsidiairement de
renvoyer l'affaire à l'autorité intimée pour nouvelle décision. Il invoque
l'interdiction de l'arbitraire (art. 9 Cst.) et se plaint de violations de la
garantie de la propriété (art. 26 Cst.) et de la liberté économique (art. 27
Cst.). Il se prévaut également du droit à un procès équitable (art. 29 Cst.
et 6 CEDH). La Chambre pénale et le Ministère public du canton de Fribourg
ont renoncé à se déterminer. La juge d'instruction a déclaré renoncer à
déposer une réponse mais a néanmoins formulé des observations, qui ont été
communiquées au recourant.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
Le Tribunal fédéral examine d'office et librement la recevabilité des recours
qui lui sont soumis (ATF 132 I 140 consid. 1.1 p. 142; 131 II 571 consid. 1
p. 573; 130 I 312 consid. 1 p. 317 et les arrêts cités).

2.
Le recours constitutionnel subsidiaire n'est ouvert que si un recours
ordinaire est exclu (art. 113 LTF). Non prévu par le projet de révision
totale de l'organisation judiciaire soumis par le Conseil fédéral aux
Chambres fédérales, il a été introduit par ces dernières au stade des débats
parlementaires, afin notamment de pallier à d'éventuelles lacunes dans la
protection des droits fondamentaux. Il n'entrera guère en considération en
matière pénale. En ce domaine, le recours en matière pénale (art. 78 ss LTF)
sera presque toujours ouvert, ce principe n'étant toutefois pas absolu (arrêt
non publié 6B_99/2007 du 30 mai 2007, consid. 1.1).
Selon l'art. 78 al. 1 LTF, le Tribunal fédéral connaît des recours contre les
décisions rendues en matière pénale. Cette notion comprend toute décision
fondée sur le droit pénal matériel ou sur le droit de procédure pénale. En
d'autres termes, toute décision relative à la poursuite ou au jugement d'une
infraction fondée sur le droit fédéral ou sur le droit cantonal est en
principe susceptible d'un recours en matière pénale (Message concernant la
révision totale de l'organisation judiciaire fédérale du 28 février 2001, FF
2001 p. 4111). La voie ordinaire du recours en matière pénale est dès lors
ouverte en l'espèce, de sorte que le recours constitutionnel subsidiaire est
exclu. A lui seul, l'intitulé erroné d'un recours ne nuit pas à son auteur,
pour autant que les conditions d'une conversion en la voie de droit adéquate
soient réunies (ATF 126 II 506 consid. 1b p. 509 et les arrêts cités). Tel
est en l'occurrence le cas, si bien qu'il y a lieu de traiter le présent
recours comme un recours en matière pénale.

3.
La décision par laquelle le juge prononce, maintient ou refuse un séquestre
pénal constitue une décision incidente, qui ne met pas fin à la procédure
(ATF 128 I 129 consid. 1 p. 131; 126 I 97 consid. 1b p. 100 et les
références). Conformément à l'art. 93 LTF, une telle décision ne peut faire
l'objet d'un recours devant le Tribunal fédéral que si elle est peut causer
un préjudice irréparable (let. a) ou si l'admission du recours peut conduire
immédiatement à une décision finale qui permet d'éviter une procédure
probatoire longue et coûteuse (let. b). Dès lors que la levée du séquestre ne
conduirait pas immédiatement à une décision finale, seule la première de ces
conditions est susceptible d'être réalisée en l'espèce.

3.1 L'art. 93 let. a LTF reprend la règle de l'art. 87 al. 2 OJ, qui était
applicable en matière de recours de droit public (Message précité, FF 2001 p.
4131). Il y a donc lieu en principe de se référer à la jurisprudence rendue
en cette matière, selon laquelle un préjudice irréparable s'entend
exclusivement d'un dommage juridique qui ne peut pas être réparé
ultérieurement, notamment par le jugement final; il en va ainsi lorsqu'une
décision finale, même favorable au recourant, ne ferait pas disparaître
entièrement ce préjudice, en particulier quand la décision incidente
contestée ne peut plus être attaquée avec la décision finale, rendant ainsi
impossible le contrôle constitutionnel par le Tribunal fédéral (ATF 133 IV
139 consid. 4; 131 I 57 consid. 1 p. 59; 118 II 369 consid. 1 p. 371; 117 Ia
396 consid. 1 p. 398; 116 Ia 442 consid. 1c p. 446 et les références). Un
dommage de pur fait, tel que la prolongation de la procédure ou un
accroissement des frais de celle-ci, n'est pas considéré comme un dommage
irréparable de ce point de vue (ATF 127 I 92 consid. 1c p. 94; 123 I 325
consid. 3c p. 328; 117 Ia 251 consid. 1b p. 253 s. et les arrêts cités).

3.2 En matière de séquestre pénal, il a été jugé que le séquestre probatoire
causait toujours un préjudice irréparable à la personne privée temporairement
de la libre disposition des objets saisis (ATF 126 I 97 consid. 1b p. 101;
voir aussi ATF 128 I 129 consid. 1 p. 131; 89 I 185 consid. 4 p. 187; arrêts
) et que ce préjudice était de nature juridique (arrêts 1P.647/1994 du 10
février 1995 publié in RDAT 1995 II 21 p. 60; 1P.497/1993 du 9 février 1994
publié in Rep 1994 p. 268). Le recours est dès lors recevable de ce point de
vue. Les autres exigences formelles étant satisfaites, il y a lieu d'entrer
en matière.

4.
La décision attaquée confirme le séquestre de divers documents appartenant au
recourant. L'autorité intimée a considéré que ces documents pouvaient être
conservés au dossier à titre de pièces à conviction et elle a estimé que le
recourant pouvait toujours en faire des photocopies s'il en avait besoin pour
la marche de ses affaires. Le recourant estime que cette décision, qui
"renverse le fardeau des photocopies", l'oblige à copier des milliers de
pages sur une photocopieuse obsolète, dans laquelle chacune d'entre elles
doit être introduite séparément et manuellement et qui ne fonctionne qu'avec
de la monnaie, au prix de 30 centimes la copie. Il lui faudrait donc
"plusieurs jours de travail et quelques milliers de francs", dans la mesure
où il devrait vraisemblablement agir par le biais de son mandataire. Le
recourant invoque à cet égard la garantie de la propriété ainsi que la
liberté économique et il se plaint d'arbitraire et d'atteinte au droit à un
procès équitable, sous l'angle du principe de l'égalité des armes.

4.1 Il y a d'abord lieu de relever que l'objet du présent litige se limite au
séquestre ordonné en septembre 2005, qui ne subsiste que pour les "contrats
d'artistes" retenus comme pièces à conviction. Il ne porte pas sur les
documents saisis en novembre 2006 et en mars 2007, lesquels font l'objet,
selon le recourant, de procédures distinctes actuellement pendantes devant la
Chambre pénale. Contrairement à ce que le recourant soutient, le présent
litige ne concerne donc pas en l'état des "milliers de pièces" ou "200
classeurs fédéraux".
De plus, ce n'est pas tant l'atteinte à la propriété du recourant qui est en
jeu en l'espèce que l'inconvénient de procéder à des photocopies dans des
conditions prétendument difficiles. L'élément "atteinte à la propriété" est
en effet secondaire, dans la mesure où la valeur des objets séquestrés se
limite aux informations contenues dans les documents concernés par la mesure
litigieuse et dès lors que le préjudice allégué par le recourant serait
entièrement réparé s'il obtenait des copies en lieu et place des originaux.
Quant à la liberté économique, elle est simplement invoquée par le recourant,
sans que celui-ci ne démontre en aucune manière, conformément aux exigences
de  motivation de l'art. 106 al. 2 LTF, en quoi la saisie des "contrats
d'artistes" litigieux serait susceptible de porter atteinte à cette liberté
dans une mesure significative. Dans ces conditions, la seule question à
résoudre en l'espèce est celle de savoir si le fait d'exiger du recourant
qu'il procède lui-même aux travaux de photocopie des documents séquestrés est
arbitraire et si cette décision porte atteinte au droit à un procès
équitable.

4.2 Selon la jurisprudence, l'arbitraire, prohibé par l'art. 9 Cst., ne
résulte pas du seul fait qu'une autre solution pourrait entrer en
considération ou même qu'elle serait préférable; le Tribunal fédéral ne
s'écarte de la solution retenue en dernière instance cantonale que si elle
est manifestement insoutenable, méconnaît gravement une norme ou un principe
juridique clair et indiscuté ou si elle heurte de manière choquante le
sentiment de la justice ou de l'équité. Il ne suffit pas que la motivation de
la décision soit insoutenable; encore faut-il qu'elle soit arbitraire dans
son résultat (ATF 132 I 13 consid. 5.1 p. 17; 131 I 217 consid. 2.1 p. 219,
57 consid. 2 p. 61; 129 I 173 consid. 3.1 p. 178).
En l'occurrence, même si l'on peut concevoir qu'il est plus simple et plus
rationnel que l'autorité ayant séquestré les documents procède elle-même aux
copies, la solution contraire n'est pas manifestement insoutenable et ne
heurte pas le sentiment de la justice ou de l'équité dans une mesure telle
qu'elle doive être qualifiée d'arbitraire au sens de la jurisprudence
précitée. Le recourant se plaint également d'arbitraire en raison du fait que
la possibilité de faire des copies des documents séquestrés aurait été
évoquée pour la première fois dans l'arrêt litigieux, mais il ne saurait être
suivi sur ce point, puisqu'il ressort du dossier que la juge d'instruction
l'avait informé de cette possibilité par courrier du 26 octobre 2006 déjà.
L'arrêt attaqué n'est pas non plus arbitraire dans son résultat, dans la
mesure où il n'est pas exclu que le recourant soit dédommagé pour ses frais
de copies si la procédure devait se terminer par une décision finale qui lui
serait favorable.

4.3 L'inconvénient allégué par le recourant n'a pas trait à la défense pénale
en tant que telle; il s'agit uniquement pour lui de copier des documents dont
il aurait besoin pour des motifs étrangers à la procédure. Par ailleurs, il
n'apparaît pas indispensable que ce soit l'avocat du recourant qui procède
aux photocopies et, même si c'était le cas, on ne voit pas en quoi cela
serait préjudiciable à la défense de ses intérêts dans la procédure pénale.
Ainsi, la mesure litigieuse n'est pas de nature à entraver le recourant dans
sa défense, de sorte que le grief fondé sur le droit à un procès équitable
doit lui aussi être rejeté.

5.
Il s'ensuit que le recours doit être rejeté. Le recourant, qui succombe, doit
supporter les frais de la présente procédure.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est rejeté.

2.
Les frais judiciaires, arrêtés à 2000 fr., sont mis à la charge du recourant.

3.
Le présent arrêt est communiqué en copie au mandataire du recourant, au
Ministère public et au Juge d'instruction du canton de Fribourg, ainsi qu'à
la Chambre pénale du Tribunal cantonal de l'Etat de Fribourg.

Lausanne, le 10 août 2007

Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse

Le président:  Le greffier: