Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
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Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Öffentlich-rechtliche Abteilung, Beschwerde in Strafsachen 1B.84/2007
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1B_84/2007 /col

Arrêt du 11 septembre 2007
Ire Cour de droit public

MM. les Juges Féraud, Président, Aemisegger, Aeschlimann, Reeb et Fonjallaz.
Greffier: M. Jomini.

A. ________, représentée par Me B.________, avocat,
Me B.________,
recourants,

contre

Président de la Chambre pénale du Tribunal cantonal de l'Etat de Fribourg,
case postale 56, 1702 Fribourg.

procédure pénale, avocat d'office,

recours en matière pénale contre l'arrêt du Président de la Chambre pénale du
Tribunal cantonal de l'Etat de Fribourg du 26 mars 2007.

Faits:

A.
A. ________ a déposé une plainte pénale contre son époux pour lésions
corporelles, voies de fait, injures, menaces, séquestration, contrainte et
viol. Une enquête pénale a été ouverte dans le canton de Fribourg. A la
requête de la victime, un défenseur d'office lui a été désigné le 15 février
2007 par le Président de la Chambre pénale du Tribunal cantonal, en la
personne de Me B.________, avocat à Fribourg.

B.
Le 23 mars 2007, le Juge d'instruction en charge de l'enquête a écrit au
Président de la Chambre pénale. Il a expliqué qu'il y avait "manifestement un
conflit d'intérêt dans le cadre de la défense de A.________ par Me
B.________" puis il lui a demandé "de bien vouloir décharger Me B.________ de
la défense de A.________ et de désigner un nouveau défenseur à celle-ci". Le
juge d'instruction se référait à une plainte pénale déposée le 21 février
2007 par le mari de la victime contre cette dernière et son avocat d'office,
pour diffamation et/ou calomnie.
Le 26 mars 2007, le Président de la Chambre pénale a rendu un arrêt
déchargeant Me B.________ de son mandat de défenseur d'office (ch. I) et
désignant désormais Me C.________, avocate à Fribourg, en qualité de
défenseur d'office de A.________ pour la procédure pénale qui l'oppose à son
époux (ch. II). Les motifs de cette décision retiennent l'existence d'un
conflit d'intérêts manifeste.

C.
A.________ et Me B.________ ont déposé ensemble un recours constitutionnel
(art. 113 ss LTF) contre l'arrêt du Président de la Chambre pénale. Ils
prennent des conclusions tendant principalement à ce que le Tribunal fédéral
annule la décision du Président de la Chambre pénale et rétablisse Me
B.________ dans sa fonction de défenseur d'office de la lésée. Cette dernière
requiert l'octroi de l'assistance judiciaire ainsi que la désignation de Me
B.________ comme avocat d'office pour la procédure de recours.
Invité à répondre, le Président de la Chambre pénale a renoncé à déposer des
observations. Il a produit son dossier.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
Alors que le recours a été déposé en allemand, le présent arrêt doit être
rédigé en français, langue de la décision attaquée (art. 54 al. 1 LTF).

2.
La décision attaquée a été rendue dans le cadre d'une procédure pénale. Elle
est fondée sur les dispositions du code de procédure pénale (CPP/FR)
relatives à la désignation d'un défenseur d'office du lésé (art. 35 ss,
notamment 40 CPP/FR). La nouvelle loi sur le Tribunal fédéral (LTF) institue
la voie du recours en matière pénale "contre les décisions rendues en matière
pénale" (art. 78 al. 1 LTF). Selon le message du Conseil fédéral (Message
concernant la révision totale de l'organisation judiciaire fédérale, FF 2001
p. 4000 ss), la notion de "décision rendue en matière pénale" comprend toute
décision fondée sur le droit pénal matériel ou sur le droit de procédure
pénale; en d'autres termes, elle vise toute décision relative à la poursuite
ou au jugement d'une infraction, le recours en matière pénale succédant ainsi
à la fois au pourvoi en nullité selon les art. 220 ss et 268 ss PPF et, dans
cette matière, au recours de droit public selon les art. 88 ss OJ (FF 2001 p.
4111).
Pour la lésée, partie à la procédure pénale, il est évident que l'arrêt
attaqué est une décision rendue en matière pénale. Cette qualification est
aussi valable en tant que cette décision a pour destinataire le défenseur
d'office. Certes ce dernier, après avoir été désigné en application de l'art.
40 CPP/FR, se trouve avec l'Etat dans une relation régie par le droit public
cantonal (cf. ATF 132 I 201 consid. 7.1 p. 205; 131 I 217 consid. 2.4 p.
220). L'acte par lequel cette mission lui est confiée ou retirée est
toutefois une décision fondée, d'après la loi cantonale, sur le droit de
procédure pénale, en rapport étroit avec l'instruction pénale en cours. Aussi
la voie du recours en matière pénale (art. 78 ss LTF) est-elle ouverte en
l'espèce. Le présent recours, nonobstant son intitulé comme "recours
constitutionnel" (art. 113 ss LTF), doit être traité comme un recours en
matière pénale.

3.
La décision attaquée a été prise en dernière instance cantonale, le recours à
la Chambre pénale n'étant pas ouvert contre les décisions de son président
(art. 202 al. 1 CPP/FR; cf. également art. 26 de la loi cantonale sur
l'assistance judiciaire, qui prévoit un recours uniquement contre la décision
fixant l'indemnité du défenseur d'office). L'exigence de l'épuisement des
instances cantonales, découlant de l'art. 80 al. 1 LTF, est donc satisfaite.

4.
Il convient d'examiner séparément et en premier lieu la recevabilité des
conclusions prises par la lésée (la première recourante), qui conteste le
changement d'avocat d'office.
Pour la partie à la procédure pénale (prévenu ou lésé), la décision ordonnant
un changement d'avocat d'office est une décision incidente contre laquelle le
recours en matière pénale n'est recevable qu'aux conditions de l'art. 93 al.
1 LTF. Il faut donc que cette décision puisse causer un préjudice irréparable
à la partie recourante (art. 93 al. 1 let. a LTF - la seconde hypothèse de
l'art. 93 al. 1 LTF n'entre manifestement pas en considération ici). Dans la
procédure de recours en matière pénale, la notion de préjudice irréparable
correspond à celle de l'ancien art. 87 al. 2 OJ, qui soumettait à la même
condition la recevabilité du recours de droit public contre de telles
décisions incidentes: il doit s'agir d'un dommage de nature juridique, qui ne
puisse pas être réparé ultérieurement par un jugement final ou une autre
décision favorable au recourant (ATF 133 IV 139 consid. 4 p. 141; cf. aussi
ATF 133 IV 137 consid. 2.3 p. 139).
D'après la jurisprudence, le refus de l'assistance judiciaire dans une cause
pénale, soit le refus de désigner un avocat d'office au prévenu, peut causer
un préjudice irréparable car, si ce refus est annulé par l'autorité de
recours à la fin de la procédure, on conçoit mal qu'après la reprise de
l'instruction le prévenu puisse se trouver dans la même situation que s'il
avait été d'emblée assisté, par exemple pour l'audition de témoins ou
l'administration d'autres preuves (ATF 129 I 281 consid. 1.1 p. 283; 129 I
129 consid. 1.1 p. 131; 126 I 207 consid. 2a p. 210). En l'occurrence, la
décision attaquée ne prive pas la recourante de l'assistance d'un défenseur
d'office, puisqu'une nouvelle avocate a été immédiatement désignée.
Sous l'angle de l'art. 93 al. 1 LTF (ou de l'ancien art. 87 al. 2 OJ), une
décision relative à une demande de changement d'avocat d'office n'est en
revanche pas toujours susceptible de causer un préjudice irréparable. Lorsque
l'autorité compétente refuse une requête de la partie assistée tendant à ce
qu'il soit mis fin à la mission du défenseur d'office (et éventuellement à ce
qu'un nouveau défenseur soit désigné), cette partie conserve son avocat. Sauf
circonstances spéciales, l'atteinte à la relation de confiance n'empêche pas
dans une telle situation une défense efficace; c'est pourquoi la partie ne
subit pas un dommage de nature juridique (ATF 126 I 207 consid. 2b p. 211).
La question se pose différemment lorsque le changement d'avocat d'office
n'est pas requis par la partie assistée mais qu'il est, comme en l'espèce,
ordonné par l'autorité compétente en matière d'assistance judiciaire contre
le gré des intéressés, soit la partie et le défenseur d'office, et quand
cette décision intervient à la suite d'une démarche de la partie adverse
durant la procédure (en l'occurrence une plainte pénale pour atteinte à
l'honneur visant la partie et le défenseur d'office, qui aurait pour effet de
créer un conflit d'intérêts). Il est nécessaire d'assurer un contrôle
judiciaire immédiat de telles décisions imposant un changement d'avocat
d'office car on voit mal comment en supprimer les conséquences en cas
d'annulation de la décision au terme de la procédure pénale. En outre, une
absence de recours immédiat pourrait favoriser les manoeuvres d'une partie
cherchant à créer les conditions d'un conflit d'intérêts afin de priver la
partie adverse de l'assistance d'un avocat d'office efficace. C'est pourquoi,
dans le cas particulier, il faut admettre le risque d'un préjudice
irréparable au sens de l'art. 93 al. 1 let. a LTF et considérer que le
recours contre la décision incidente est recevable. La première recourante a
en outre qualité pour recourir au sens de l'art. 81 al. 1 let. b ch. 5 LTF
(cf. également à ce propos infra, consid. 5).

5.
Pour le second recourant - l'avocat d'office relevé de sa mission -, la
décision attaquée a pour effet de le priver de toute possibilité de
participer à la procédure pénale en cours; elle a dans cette mesure un
caractère final. Il s'agit néanmoins, au sens du code de procédure pénale,
d'une décision incidente (supra, consid. 2) et la personne assistée par
l'avocat n'est elle-même pas écartée de la procédure ni privée de ses droits
de partie (cf. à ce propos ATF 131 I 57 consid. 1.1 p. 60). Cela étant, vu
les effets de cette décision sur la situation juridique du second recourant,
la condition du préjudice irréparable (art. 93 al. 1 let. a LTF) est
également satisfaite en ce qui le concerne.
En vertu de l'art. 81 al. 1 LTF, a qualité pour former un recours en matière
pénale quiconque a pris part à la procédure devant l'autorité précédente ou a
été privé de la possibilité de le faire (let. a), et a un intérêt juridique à
l'annulation ou à la modification de la décision, soit en particulier
l'accusé, le représentant légal de l'accusé, l'accusateur public,
l'accusateur privé - si, conformément au droit cantonal, il a soutenu
l'accusation sans l'intervention de l'accusateur public -, la victime - si la
décision attaquée peut avoir des effets sur le jugement de ses prétentions
civiles -, et le plaignant - pour autant que la contestation porte sur le
droit de porter plainte - (let. b). Le défenseur d'office de l'accusé ou de
la victime n'est pas mentionné dans la liste de l'art. 81 al. 1 let. b LTF.
Cette liste n'a toutefois pas été conçue comme exhaustive par le législateur
(cf. Message précité, FF 2001 p. 4116) et il faut examiner, dans les cas non
énumérés, si le recourant peut se prévaloir d'un intérêt juridique à
l'annulation ou à la modification de la décision. Dans la procédure de
recours de droit public, un intérêt juridiquement protégé (au sens de l'art.
88 OJ) pouvait être reconnu au défenseur d'office qui, en personne,
contestait une décision de l'autorité cantonale concernant l'exercice du
mandat de droit public qui lui avait été confié dans le cadre d'une procédure
pénale (cf. consid. 1 non publié de l'arrêt 1P.285/2004, ATF 131 I 217; ATF
108 Ia 11; arrêt 1P.713/2005 du 14 février 2006, consid. 1). Comme le recours
en matière pénale a été conçu pour reprendre la fonction du recours de droit
public, lorsque la contestation porte sur l'application du droit cantonal de
procédure pénale (cf. supra, consid. 2), il faut admettre que le défenseur
d'office a qualité pour recourir parce qu'il a un intérêt juridique à
l'annulation de la décision attaquée, conformément à l'art. 81 al. 1 let. b
LTF. Il s'ensuit que, formé par le second recourant, le recours en matière
pénale est recevable, en tant que la contestation porte sur la décharge du
mandat de défenseur d'office (ch. I du dispositif de la décision attaquée);
il y a donc lieu d'entrer en matière dans cette mesure.

6.
Les recourants se plaignent en premier lieu d'une violation du droit d'être
entendu garanti par l'art. 29 al. 2 Cst. Ils font valoir qu'ils n'ont pas été
invités par le Président de la Chambre pénale à s'exprimer au sujet du
conflit d'intérêt allégué, et qu'ils n'ont pas eu connaissance du texte de la
plainte pénale déposée par le mari de la victime. Ce grief est manifestement
fondé. Il ressort en effet du dossier que dès que le juge d'instruction a
signalé ce qui lui paraissait représenter une situation de conflit
d'intérêts, le Président de la Chambre pénale a statué, sans informer le
second recourant du fait qu'il envisageait de mettre fin au mandat de droit
public et sans lui donner l'occasion, ni à la personne qu'il défendait, de
s'exprimer à ce sujet. Cela viole clairement le droit d'être entendu - ce
d'autant plus que, pour garantir le caractère effectif de la défense d'office
prévue à l'art. 29 al. 3 Cst., un changement de défenseur devrait pouvoir
être imposé uniquement dans des circonstances particulières, que les
intéressés devraient donc être autorisés à discuter (au sujet de la portée du
droit d'être entendu selon l'art. 29 al. 2 Cst., cf. notamment ATF 133 I 100
consid. 4.3 à 4.6 p. 102; 129 II 497 consid. 2.2 p. 504 et les arrêts cités).
L'admission de ce grief doit entraîner l'annulation du ch. I du dispositif de
la décision attaquée, qui décharge l'avocat recourant de son mandat de
défenseur d'office. Il n'appartient pas au Tribunal fédéral de statuer
lui-même sur le fond, soit sur la manière dont la défense de la lésée sera
assurée dans la procédure pénale pendante; par conséquent, les conclusions de
la première recourante tendant au rétablissement du second recourant dans sa
fonction d'avocat d'office, et à l'annulation de la désignation d'une
nouvelle avocate d'office, doivent être rejetées. L'affaire doit être
renvoyée au Président de la Chambre pénale pour nouvelle décision, à l'issue
d'une procédure respectant les garanties de l'art. 29 al. 2 Cst.

7.
Le présent arrêt doit être rendu sans frais (art. 66 al. 1 LTF). L'Etat de
Fribourg doit être condamné à verser des dépens à la première recourante.
Cette indemnité étant censée couvrir les honoraires de l'avocat de cette
dernière, il n'y a pas lieu de statuer sur la demande d'assistance judiciaire
qui est sans objet (cf. art. 64 al. 2 LTF). Le second recourant, plaidant en
personne, n'a pas droit à des dépens (art. 68 LTF).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est partiellement admis et le ch. I du dispositif de l'arrêt rendu
le 26 mars 2007 par le Président de la Chambre pénale du Tribunal cantonal de
l'Etat de Fribourg est annulé; l'affaire est renvoyée au Président de ladite
Chambre pour nouvelle décision. Le recours est rejeté pour le surplus.

2.
Il n'est pas perçu de frais judiciaires.

3.
Une indemnité de 2'000 fr., à payer à A.________ à titre de dépens, est mise
à la charge de l'Etat de Fribourg.

4.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux recourants et au Président de la
Chambre pénale du Tribunal cantonal de l'Etat de Fribourg.

Lausanne, le 11 septembre 2007

Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse

Le président:  Le greffier: