Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
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Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Öffentlich-rechtliche Abteilung, Beschwerde in Strafsachen 1B.278/2007
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1B_278/2007

Arrêt du 29 janvier 2008
Ire Cour de droit public

MM. les Juges Féraud, Président, Aeschlimann et Reeb.
Greffier: M. Kurz.

A. ________,
recourante, représentée par Me Mireille Loroch, avocate,

contre

Président du Tribunal d'arrondissement de Lausanne, Palais de Justice de
Montbenon,
1014 Lausanne.

LAVI; désignation d'un avocat d'office,

recours contre l'arrêt du Tribunal d'accusation
du Tribunal cantonal du canton de Vaud du 17 octobre 2007.

Faits:

A.
Le 7 décembre 2006, A.________ a déposé une plainte pénale pour contrainte
sexuelle, viol et atteinte à l'intégrité physique. Elle exposait que le 5
novembre 2006, elle avait consenti à un rapport sexuel avec utilisation d'un
préservatif. Toutefois, son partenaire avait retiré le préservatif durant
l'acte. Elle affirmait qu'elle n'aurait jamais accepté un rapport sans
protection.
Le 26 mars 2007, le Juge d'instruction de l'arrondissement du Nord Vaudois
fit savoir qu'il entendait rendre une ordonnance de non-lieu, dans le cadre
de son enquête pour propagation d'une maladie de l'homme. Ni A.________, ni
son partenaire ne s'étaient révélés porteurs du virus HIV ou de l'hépatite.
Répondant aux observations de la plaignante, il ajouta, le 3 avril 2007, que
faute de menace ou de violence, il n'y avait pas d'infraction contre
l'intégrité sexuelle.

B.
Le 14 mai 2007, Me Mireille Loroch, avocate agissant pour la plaignante, a
requis une inculpation; elle relevait que A.________ n'avait pas consenti à
la relation sexuelle telle qu'elle s'était déroulée, et avait éprouvé
d'importantes angoisses. Elle demandait des actes d'instruction, ainsi que sa
désignation en qualité de conseil d'office de la plaignante en application de
la loi fédérale sur l'aide aux victimes d'infractions (LAVI).
Le 5 juin 2007, le Président du Tribunal d'arrondissement de Lausanne
(ci-après: le Président) refusa de désigner un conseil d'office à la
plaignante, considérant que celle-ci n'avait pas la qualité de victime LAVI.
La plaignante ayant renouvelé sa demande le 15 septembre 2007, le Président
prononça un nouveau refus, le 19 septembre 2007, considérant cette fois que
la cause ne présentait pas de difficulté en fait et en droit.
Par arrêt du 17 octobre 2007, le Tribunal d'accusation du Tribunal cantonal
vaudois a confirmé cette dernière décision. La plaignante ne rendait pas
vraisemblable une atteinte directe à son intégrité physique, psychique ou
sexuelle, du fait d'une infraction. Une éventuelle atteinte à la personnalité
relevait du juge civil. La plaignante ne pouvait donc se voir reconnaître la
qualité de victime au sens de la LAVI. Au demeurant, compte tenu des nombreux
courriers qu'elle avait adressés au Juge instructeur, elle paraissait
parfaitement en mesure de se défendre seule.

C.
A.________ forme un recours en matière pénale. Elle conclut à la réforme de
l'arrêt cantonal et à la désignation de son avocate en qualité de conseil
LAVI, subsidiairement au renvoi de la cause à l'autorité intimée pour
nouvelle instruction et nouvelle décision dans le sens des considérants. Elle
demande l'assistance judiciaire pour la procédure devant le Tribunal fédéral.
Le Tribunal d'accusation se réfère à son arrêt. Le Président du Tribunal
d'arrondissement de Lausanne a renoncé à répondre.

Considérant en droit:

1.
Selon l'art. 78 LTF, le recours en matière pénale est ouvert "contre les
décisions rendues en matière pénale" (art. 78 al. 1 LTF). Cette notion
comprend toute décision fondée sur le droit pénal matériel ou sur le droit de
procédure pénale. Elle s'étend aux décisions relatives à l'assistance
judiciaire pénale (arrêt 1B_84/2007 du 11 septembre 2007, destiné à la
publication) ou, comme en l'occurrence, à l'octroi d'un conseil LAVI dans le
cadre d'une instruction pénale.

1.1 L'arrêt attaqué est rendu en dernière instance cantonale (art. 80 al. 1
LTF). La recourante, qui s'est vu dénier la qualité de victime LAVI et,
conséquemment, le droit à l'assistance d'un conseil, a qualité pour agir.

1.2 Le Tribunal d'accusation s'est exprimé de manière définitive sur la
qualité de victime de la recourante. On peut ainsi s'interroger sur la
nature, finale ou incidente, de la décision attaquée. Toutefois, à supposer
qu'elle soit incidente (elle ne met pas fin à la procédure pénale), il y a
lieu de reconnaître qu'elle est susceptible de causer à la recourante un
dommage irréparable au sens de l'art. 93 al. 1 let. a LTF, à l'instar des
décisions rendues en matière d'assistance judiciaire (ATF 129 I 281 consid.
1.1 p. 283; 129 I 129 consid. 1.1 p. 131; 126 I 207 consid. 2a p. 210). Il y
a donc lieu d'entrer en matière.

2.
La recourante s'estime victime d'un viol. Cette infraction serait
caractérisée par une absence de consentement à une relation sexuelle; en
l'occurrence, l'auteur aurait employé la ruse pour obtenir une relation dans
des conditions auxquelles elle avait clairement déclaré ne pas consentir. La
cause serait suffisamment complexe pour justifier l'intervention d'un avocat.
La recourante dit souffrir toujours de difficultés psychologiques en raison
des craintes éprouvées pour sa santé, aggravées par des erreurs de traitement
commises à l'hôpital ainsi que par l'absence de reconnaissance de ses droits
de défense. Le Tribunal d'accusation évoque une réparation fondée sur les
art. 28 ss CC, alors que celle-ci suppose l'existence d'un dommage.

3.
Selon l'art. 2 al. 2 LAVI, est considérée comme victime toute personne qui a
subi, du fait d'une infraction, une atteinte directe à son intégrité
corporelle, sexuelle ou psychique (ATF 129 IV 197 consid. 1.6 p. 201). La
qualité de victime est ainsi reconnue aux personnes ayant subi une infraction
contre la vie et l'intégrité corporelle (y compris les lésions simples ou
graves, voire certains cas de voies de fait; ATF 127 IV 236), ou sexuelle.
Elle peut également être reconnue pour d'autres infractions, dans la mesure
notamment où il en résulte directement pour le lésé une atteinte
objectivement grave à l'intégrité psychique (ATF 131 IV 78; 128 I 218 consid.
1.5 p. 223; 120 I 157 consid. 2d/aa p. 162).

3.1 Les exigences quant à la démonstration de la qualité de victime ne sont
pas les mêmes aux divers stades de la procédure: l'indemnisation au sens de
l'art. 11 LAVI suppose que cette qualité soit établie; en revanche,
s'agissant des droits de victime dans la procédure pénale (art. 5 ss LAVI)
et, plus encore, des prestations liées aux conseils et à l'aide immédiate
(art. 3 LAVI), la qualité de victime doit simplement apparaître vraisemblable
au moment où l'aide est requise (ATF 125 II 265 consid. 2c/aa p. 270). Tant
que les faits ne sont pas définitivement arrêtés, il faut se fonder sur les
allégués de celui qui se prétend lésé pour déterminer s'il est une victime au
sens de l'art. 2 LAVI, pour autant que ces allégués paraissent plausibles
(ATF 125 IV 79 consid. 1c p. 81 s.).
3.2 La victime, au sens défini ci-dessus, a droit selon l'art. 3 al. 4 LAVI,
à la prise en charge de ses frais d'avocat, pour autant que sa situation
personnelle le justifie. Cette prise en charge est subsidiaire par rapport à
l'assistance judiciaire, et peut être accordée à des conditions moins
restrictives (ATF 131 II 121 consid. 2.3 p. 126 s.; 122 II 315 consid. 4c p.
323).
Selon la jurisprudence, l'état de besoin de la victime doit s'analyser comme
un tout (ATF 122 II 315 consid. 4c p. 323). L'élément financier n'est pas à
lui seul décisif, et toutes les circonstances personnelles doivent être
examinées. Parmi les critères qu'il convient de prendre en considération dans
ce cadre, figure en particulier la difficulté des questions de droit ou de
fait de la cause (ATF 123 II 548 consid. 2b p. 551 s.).
3.3 En l'espèce, la recourante a déposé plainte pénale, notamment pour viol
au sens de l'art. 190 CP. Elle ne prétend pas avoir été contrainte à l'acte
sexuel, par la force ou la menace, mais affirme qu'elle n'aurait pas consenti
à un rapport sexuel non protégé. Son partenaire aurait agi par ruse en
retirant le préservatif, à son insu, au cours du rapport. On peut certes
s'interroger sur la réalisation des éléments constitutifs de viol dans ces
circonstances, mais la question ne saurait être qualifiée d'évidente, et il
ne s'agit pas d'un cas bagatelle; la recourante doit être en mesure de
défendre juridiquement son point de vue.
Par ailleurs, la recourante prétend souffrir de troubles psychologiques liés
aux craintes pour sa santé consécutives à un rapport sexuel non protégé. Elle
a notamment produit une attestation médicale faisant état d'un certain suivi
psychologique. La cour cantonale a elle aussi envisagé la possibilité d'une
atteinte à la personnalité, mais a estimé que cela relèverait exclusivement
du juge civil. Elle méconnaît ainsi qu'une atteinte d'ordre psychique peut,
selon les cas, constituer une lésion corporelle au sens des art. 122 ss CP
(ATF 119 IV 25 consid. 2a p. 26 et les arrêts cités; arrêt 6S.710/1999 du 1er
décembre 1999). En l'occurrence, la gravité de l'atteinte alléguée n'a pas
été démontrée, ni la relation de causalité avec l'infraction dénoncée. Il
s'agit toutefois là aussi de questions délicates en fait et en droit, qui
justifient à ce stade l'assistance d'un avocat. Contrairement également à ce
que retient la Chambre d'accusation, les nombreuses lettres adressées par la
recourante au Juge d'instruction ne font pas ressortir d'aptitudes
particulières dans le domaine juridique.

4.
A ce stade de la procédure, le refus définitif de reconnaître à la recourante
la qualité de victime (ce qui la prive de tous les droits attachés à cette
qualité) et de lui accorder l'assistance d'un avocat, viole par conséquent le
droit fédéral. L'arrêt attaqué est annulé et la cause renvoyée au Tribunal
d'accusation afin que l'avocate de la recourante soit désignée comme conseil
LAVI. Conformément à l'art. 66 al. 4 LTF, il n'est pas perçu de frais
judiciaires. Les dépens alloués à la recourante (art. 68 al. 1 LTF) rendent
sans objet sa demande d'assistance judiciaire.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est admis et l'arrêt attaqué est annulé. La cause est renvoyée au
Tribunal d'accusation pour nouvelle décision dans le sens des considérants.

2.
Il n'est pas perçu de frais judiciaires.

3.
L'Etat de Vaud versera à la recourante une indemnité de 1000 fr. à titre de
dépens.

4.
La demande d'assistance judiciaire est sans objet.

5.
Le présent arrêt est communiqué à la mandataire de la recourante, au
Président du Tribunal d'arrondissement de Lausanne et au Tribunal
d'accusation du Tribunal cantonal du canton de Vaud.

Lausanne, le 29 janvier 2008

Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse

Le Président: Le Greffier:

Féraud Kurz