Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Öffentlich-rechtliche Abteilung, Beschwerde in Strafsachen 1B.273/2007
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1B_273/2007

Arrêt du 6 février 2008
Ire Cour de droit public

MM. les Juges Féraud, Président, Reeb et Fonjallaz.
Greffier: M. Kurz.

A. ________,
recourante, représentée par Me Patrick Schellenberg, avocat,

contre

B.________,
C.________,
D.________,
E.________,
intimés, représentés par Me Gérald Page, avocat, 35,
F.________,
intimé, représenté par Me Eric Alves de Souza, avocat,
Procureur général du canton de Genève,
case postale 3565, 1211 Genève 3.

Suspension d'une procédure pénale,

recours contre l'ordonnance de la Chambre d'accusation du canton de Genève du
31 octobre 2007.

Faits:

A.
Le 8 septembre 2006, A.________, à Montréal, a déposé plainte pénale à Genève
contre quatre anciens employés et une société fondée par certains d'entre
eux, pour violation du secret de fabrication ou commercial, violation du
droit d'auteur, concurrence déloyale et soustraction de données. Elle leur
reprochait en substance d'avoir, pour le compte de l'association X.________,
développé un programme d'analyse d'enquêtes de satisfaction des usagers
d'aéroports (ASQ), lequel était très largement repris d'un précédent
programme (AETRA) élaboré conjointement entre A.________ et X.________ sur la
base d'un contrat du 20 octobre 2003.
Le Juge d'instruction du canton de Genève a procédé à des perquisitions, à
des auditions et, le 3 mai 2007, à des inculpations. Le 15 août suivant, il a
ordonné la suspension de la procédure jusqu'à droit jugé dans l'arbitrage
civil opposant A.________ et X.________. Compte tenu de l'aspect civil et
technique du dossier, il apparaissait opportun que le Tribunal arbitral se
prononce d'abord sur la violation, par X.________, du contrat du 20 octobre
2003.
Par ordonnance du 31 octobre 2007, la Chambre d'accusation genevoise a rejeté
le recours formé par A.________ et confirmé la décision de suspension. La
procédure pénale portait sur l'utilisation sans droit des logiciels
développés dans le cadre du programme AETRA. La procédure arbitrale portait
sur la même question. L'interprétation de la convention du 20 octobre 2003,
rédigée en anglais, relevait au premier chef de la justice civile.

B.
A.________ forme un recours en matière pénale et un recours constitutionnel
subsidiaire; elle demande l'annulation de l'ordonnance de la Chambre
d'accusation, ainsi que de la décision de suspension, subsidiairement le
renvoi de la cause à la cour cantonale pour nouvelle décision dans le sens
des considérants.
La Chambre d'accusation se réfère aux considérants de sa décision. Les
intimés B.________, C.________, D.________, E.________ d'une part, et
F.________ d'autre part, concluent à l'irrecevabilité et au rejet des
recours.

Considérant en droit:

1.
L'ordonnance attaquée est une décision rendue en matière pénale, au sens de
l'art. 78 al. 1 LTF. La voie ordinaire du recours en matière pénale est donc
ouverte, et le recours constitutionnel subsidiaire est irrecevable (art. 113
LTF).

1.1 La décision attaquée confirme une suspension de la procédure pénale. Il
s'agit d'une décision incidente, de sorte que la recevabilité du recours est
soumise aux conditions restrictives de l'art. 93 al. 1 LTF. Le Tribunal
fédéral n'entre en matière qu'en présence d'un préjudice irréparable (art. 93
al. 1 let. a LTF), ou si l'admission du recours peut conduire immédiatement à
une décision finale qui permet d'éviter une procédure probatoire longue et
coûteuse (art. 93 al. 1 let. b LTF). Cette seconde hypothèse n'entre pas en
considération ici (l'admission du recours ne pourrait avoir pour effet que la
reprise de l'instruction pénale), de sorte qu'il convient uniquement
d'examiner l'existence d'un préjudice irréparable. Selon la jurisprudence
récente du Tribunal fédéral, dans la procédure de recours en matière pénale,
cette notion correspond à celle de l'art. 87 al. 2 de l'ancienne loi fédérale
d'organisation judiciaire (ATF 133 IV 139 consid. 4 p. 141, 335 consid. 4
p. 338).

1.2 Sous l'empire de l'art. 87 OJ, le Tribunal fédéral avait considéré que
cette disposition ne s'appliquait pas au recours formé contre une décision
ordonnant la suspension d'une procédure (ATF 120 III 143 consid. 1b p. 144)
lorsque le recourant se plaignait d'un refus de l'autorité de statuer, ou
d'un retard injustifié à le faire (ATF 120 III 143 consid. 1b p. 144; 117 Ia
336 consid. 1a p. 337).

1.3 La recevabilité du recours en matière pénale contre une décision de
suspension a été récemment examinée par le Tribunal fédéral (ATF 134 IV 43).
Cet arrêt distingue, comme le fait la jurisprudence postérieure à l'ATF 120
III 143, les cas où le recourant fait valoir une violation du principe de
célérité, des autres cas où la mesure de suspension est critiquée pour
elle-même. Il retient que la renonciation à l'exigence d'un préjudice
irréparable s'applique essentiellement aux cas où la suspension de la
procédure est prononcée sine die, pour une durée indéterminée ou lorsque la
reprise de la procédure dépend d'un événement incertain, sur lequel
l'intéressé n'a aucune prise (arrêts non publiés 1P.269/2000 du 18 mai 2000,
consid. 1b/bb; 1P.536/2004 du 19 novembre 2004, consid. 3). Ainsi, si la
suspension est critiquée parce que la durée de la procédure à ce stade est
déjà excessive, ou parce que cette mesure entraînera nécessairement la
violation du principe de célérité, le Tribunal fédéral considère que le
recours contre la suspension est recevable nonobstant son caractère incident,
conformément à la jurisprudence relative à l'art. 87 OJ, reprise dans le
cadre de l'art. 93 al. 1 let. a LTF (ATF 134 IV 43 consid. 2.2-2.4).
1.4 Selon les exigences de motivation posées aux art. 42 al. 2 et 106 al. 2
LTF (cf. ATF 133 II 249 consid. 1.4.2 p. 254), il incombe à la partie qui
critique une décision de suspension d'indiquer clairement et précisément
l'objet de la contestation et les raisons de son opposition (ATF 134 IV 43
consid. 2.5). Si la suspension critiquée intervient à un stade de la
procédure où il est évident que le principe de célérité n'a pas été violé, et
que la partie recourante ne prétend pas être nécessairement exposée au
risque, à terme, d'une violation de la garantie du jugement dans un délai
raisonnable (art. 29 al. 1 Cst.), il faut considérer que la contestation ne
porte pas sur l'application de cette dernière garantie. Autrement dit, le
Tribunal fédéral n'est pas en pareil cas saisi d'un recours pour déni de
justice formel, mais d'un recours pour violation d'autres garanties
constitutionnelles en relation avec l'application du droit cantonal de
procédure pénale. Dans cette hypothèse, il n'y a aucun motif de renoncer à
soumettre le recours aux conditions de recevabilité de l'art. 93 al. 1 LTF.

1.5 En l'espèce, la recourante fait valoir que la suspension de
l'instruction, en attente de l'issue d'une procédure arbitrale, ne serait pas
possible en vertu de l'art. 87 al. 2 CPP/GE (elle reproche aussi à la Chambre
d'accusation de ne pas avoir examiné la question), qu'il n'y aurait pas de
connexité suffisante entre les procédures, le contrat étant clair quant à
l'utilisation du matériel AETRA, et que la suspension équivaudrait à un
classement déguisé.
La recourante invoque également le principe de célérité, en relevant que la
requête d'arbitrage a été déposée en décembre 2006; X.________ ayant refusé
d'effectuer son avance de frais, il appartiendra à A.________ de décider si
elle entend effectuer elle-même ce paiement; la procédure pourrait durer
encore plusieurs années. La recourante ne soutient toutefois pas que le
principe de célérité dans la procédure pénale serait d'ores et déjà violé du
simple fait de la décision de suspension. Le Juge d'instruction n'est en
effet pas resté inactif après le dépôt de la plainte pénale, le 8 septembre
2006: il a procédé à des perquisitions en octobre 2006, et a fait entendre
les personnes mises en cause. Au mois de mars 2007, il a fait comparer des
données informatiques, puis a procédé à des inculpations le 3 mai 2007. La
recourante estime que la procédure d'arbitrage pourrait se prolonger,
notamment en raison de l'incident relatif au paiement de l'avance de frais.
Comme elle le relève, elle pourrait toutefois décider d'effectuer elle-même
ce paiement, ou de retirer sa demande.
Quoi qu'il en soit, on ne se trouve pas dans un cas où la reprise de la
procédure pénale dépend de l'issue d'une procédure sur laquelle la recourante
n'a aucune prise. La recourante est partie à la procédure arbitrale et
dispose ainsi de moyens de la faire avancer, voire d'y mettre fin. En l'état
actuel, la recourante ne démontre pas qu'il y aurait violation du principe de
célérité dans la procédure pénale. Si tel devait être ultérieurement le cas,
compte tenu de l'évolution de la procédure arbitrale, la recourante pourrait
encore saisir le Juge d'instruction d'une demande de reprise de la procédure.

2.
La condition de l'art. 93 al. 1 let. a LTF n'étant pas satisfaite, le recours
en matière pénale est irrecevable. La recourante, qui succombe, doit
supporter les frais judiciaires (art. 66 al. 1 LTF), de même que les
indemnités de dépens allouées aux intimés (art. 68 al. 1 LTF).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours constitutionnel subsidiaire est irrecevable.

2.
Le recours en matière pénale est irrecevable.

3.
Les frais judiciaires, arrêtés à 2000 fr., sont mis à la charge de la
recourante.

4.
Les indemnités de dépens suivantes sont mises à la charge de la recourante:
4.11000 fr. en faveur de B.________, C.________, D.________ et E.________;
4.21000 fr. en faveur de F.________;

5.
Le présent arrêt est communiqué aux mandataires des parties, au Procureur
général et à la Chambre d'accusation du canton de Genève.

Lausanne, le 6 février 2008

Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse

Le Président: Le Greffier:

Féraud Kurz