Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Öffentlich-rechtliche Abteilung, Beschwerde in Strafsachen 1B.255/2007
Zurück zum Index I. Öffentlich-rechtliche Abteilung, Beschwerde in Strafsachen 2007
Retour à l'indice I. Öffentlich-rechtliche Abteilung, Beschwerde in Strafsachen 2007


1B_255/2007

Arrêt du 24 janvier 2008
Ire Cour de droit public

MM. les Juges Féraud, Président, Reeb et Eusebio.
Greffier: M. Kurz.

A. ________,
B.________, agissant personnellement et comme représentant du Groupe
B.________,
C.________, D.________ et E.________, agissant tous trois personnellement et
en tant que représentants du Groupe C.________,
recourants et représentés par Me Pierre Schifferli, avocat,

contre

Procureur général du canton de Genève,
case postale 3565, 1211 Genève 3,
intimé.

procédure pénale, qualité de partie civile,

recours contre l'ordonnance de la Chambre d'accusation du canton de Genève du
24 octobre 2007.

Faits:

A.
Le 24 février 2003, le Juge d'instruction du canton de Genève a inculpé
F.________ de défaut de vigilance au sens de l'art. 305ter CP. Il lui est
reproché d'avoir, en tant qu'employé de la banque X.________ à Genève, ouvert
des comptes pour les sociétés A.________ et G.________ (Liechtenstein, dont
les actionnaires étaient les frères H.________), destinés à recueillir des
investissements pour des opérations immobilières à Cuba; ces sommes auraient
été détournées par les frères H.________, sans que l'identité des auteurs de
ces transferts n'ait été suffisamment vérifiée.
Le 30 août 2005, le Juge d'instruction notifia une inculpation complémentaire
de complicité d'abus de confiance à F.________, s'agissant de plaintes
pénales déposées par les clients italiens des frères H.________. En revanche,
il refusa un tel complément d'inculpation à propos des investissements
immobiliers à Cuba, ce que confirma la Chambre d'accusation genevoise par
ordonnance du 19 octobre 2005, faute d'indices de participation
intentionnelle aux agissements des frères H.________.

B.
Après communication de la procédure, le 17 février 2006, le Procureur général
a sollicité le renvoi en jugement de F.________ pour défaut de vigilance en
relation avec les investissements immobiliers à Cuba, et pour abus de
confiance concernant les plaignants italiens. Le Procureur général ayant omis
de mentionner dans ses réquisitions A.________ et ses représentants, de même
que les consorts B.________, C.________ et E.________ ainsi que le groupe
C.________ (ci-après: A.________ et consorts), ceux-ci demandèrent à y
figurer en tant que parties civiles.
Par lettre du 23 mai 2007, le Procureur fit savoir que, faute d'inculpation,
la poursuite contre F.________ des chefs de gestion déloyale, abus de
confiance et escroquerie était classée pour les actes en relation avec
A.________ et consorts. L'infraction prévue à l'art. 305ter CP étant un délit
de mise en danger abstraite, on ne pouvait mettre les agissements de
F.________ en relation avec le dommage subi par A.________ et consorts. La
qualité de partie civile pouvait être plaidée jusqu'à l'audience de jugement;
toutefois dans la mesure où une décision formelle était requise du Procureur
général, sa lettre pouvait être considérée comme une décision de refus.
Par décision du 24 octobre 2007, la Chambre d'accusation a déclaré
irrecevable le recours formé par A.________ et consorts. L'art. 190A du code
de procédure pénale genevois (CPP/GE) énonçait quelles décisions du Procureur
général étaient soumises à recours. Le refus de reconnaître une partie civile
n'y figurait pas; il ne pouvait être assimilé à un classement quant aux faits
dénoncés, ceux-ci ayant fait l'objet de réquisitions.

C.
A.________ et consorts forment un recours en matière pénale et un recours
constitutionnel subsidiaire. Ils demandent au Tribunal fédéral d'annuler
l'ordonnance de la Chambre d'accusation, d'admettre leur qualité de partie
civile et de retourner les réquisitions au Parquet afin que celles-ci soient
complétées dans ce sens.
Le Procureur général conclut à l'irrecevabilité, subsidiairement au rejet des
recours.

Considérant en droit:

1.
Selon l'art. 78 LTF, le recours en matière pénale est ouvert "contre les
décisions rendues en matière pénale" (art. 78 al. 1 LTF). Cette notion
comprend toute décision fondée sur le droit pénal matériel ou sur le droit de
procédure pénale; elle s'étend à toute décision relative à la poursuite ou au
jugement d'une infraction, le recours en matière pénale succédant ainsi à la
fois au pourvoi en nullité et, dans cette matière, au recours de droit public
(FF 2001 p. 4111; arrêt 1B_84/2007 du 11 septembre 2007, destiné à la
publication, consid. 2). En l'occurrence, la décision attaquée a été rendue
dans le cadre d'une procédure pénale. Elle est fondée sur les dispositions du
CPP/GE relatives aux recours contre les décisions prises par le Procureur
général, de sorte que seul est ouvert le recours en matière pénale (même
arrêt). Le recours constitutionnel subsidiaire est dès lors irrecevable (art.
113 LTF).

1.1 Les recourants, dont le recours cantonal a été déclaré irrecevable, ont
qualité, au sens de l'art. 81 al. 1 let. a LTF, pour contester ce prononcé.

1.2 On peut se demander si le refus reproché au Procureur général est
définitif, auquel cas la décision attaquée pourrait constituer une décision
finale en ce qui concerne les recourants (art. 90 LTF), ou si cette question
peut encore faire l'objet d'un examen par la suite: il s'agirait alors d'une
décision incidente, attaquable aux conditions restrictives de l'art. 93 al. 1
LTF. Cette question peut demeurer indécise à ce stade: supposé recevable, le
recours devrait de toute façon être rejeté.

1.3 Les recourants estiment que la "décision" du Procureur général du 23 mai
2007 constituerait un refus formel de leur reconnaître la qualité de parties
civiles. Dans sa réponse au recours, le Procureur général relativise la
portée de sa lettre du 23 mai 2007. Selon lui, la perte de la qualité de
partie civile résulterait du refus d'étendre l'inculpation, prononcé par le
Juge d'instruction et confirmé par la Chambre d'accusation et devenu
définitif à partir du soit-communiqué. Le Parquet ne pourrait intégrer dans
ses réquisitions des faits non couverts par l'inculpation, et l'autorité de
jugement ne pourrait en connaître. En refusant de faire figurer les
recourants sur la liste des parties civiles, le Procureur n'aurait fait
qu'expliciter la situation résultant, pour les recourants, d'une inculpation
limitée au seul défaut de vigilance (art. 305ter CP).
Compte tenu de l'issue du recours sur le fond, la nature, décisionnelle ou
non, de l'acte du Procureur général, peut également demeurer indécise.

2.
Sur le fond, les recourants consacrent la majeure partie de leur
argumentation à la question de la reconnaissance de leur qualité de parties
civiles, alors qu'ils ne peuvent, à ce stade, que critiquer le refus d'entrer
en matière sur leur recours cantonal.
A ce sujet, les recourants se plaignent d'une violation de leur droit d'être
entendus, en reprochant à la Chambre d'accusation, d'une part, de ne pas
avoir suffisamment motivé sa décision et, d'autre part, de ne pas avoir tenu
compte de leur situation particulière, notamment de leur participation active
à toute l'instruction et de l'analogie existant avec une décision de
classement. Ils se plaignent également d'arbitraire, en estimant que la
décision d'écarter une partie civile de la procédure pénale - et de la priver
ainsi des droits reconnus aux art. 23, 25 et 190 CPP/GE - devrait pouvoir
être soumise à une autorité cantonale de recours.

2.1 Le droit d'être entendu (art. 29 al. 2 Cst.) comporte notamment
l'obligation pour le juge de motiver sa décision, afin que ses destinataires
et toutes les personnes intéressées puissent la comprendre et l'attaquer
utilement en connaissance de cause s'il y a lieu, et que l'instance de
recours soit en mesure, si elle est saisie, d'exercer pleinement son contrôle
(cf. ATF 126 I 15 consid. 2a/aa, 97 consid. 2b; 125 II 369 consid. 2c; 124 II
146 consid. 2a; 124 V 181 consid. 1a).
Cette exigence est pleinement réalisée en l'espèce. L'irrecevabilité du
recours cantonal est en effet motivée par la référence à l'art. 190A CPP/GE,
qui énumère de manière exhaustive les cas de recours à la Chambre
d'accusation, et par la considération que les décisions du Procureur général
sur la reconnaissance de la qualité de partie civile ne font pas partie de
cette énumération. La cour cantonale a encore retenu que la décision du
Procureur général ne pouvait être assimilée à un classement, dans la mesure
où des réquisitions avaient été déposées. Cette motivation permet de
connaître les raisons ayant conduit au prononcé attaqué et d'en contester le
bien-fondé. Les autres arguments liés à la situation particulière des
recourants et aux prérogatives attachées à la qualité de partie civile, sont
manifestement sans pertinence dans le cadre de l'application de l'art. 190A
CPP/GE, de sorte qu'ils ne nécessitaient pas de motivation particulière. Les
griefs d'ordre formel doivent donc être écartés.

2.2 Selon la jurisprudence, il y a arbitraire, prohibé par l'art. 9 Cst.,
lorsque la décision attaquée viole gravement une règle ou un principe
juridique clair et indiscuté ou lorsqu'elle contredit d'une manière choquante
le sentiment de la justice ou de l'équité. Le Tribunal fédéral ne s'écarte de
la solution retenue par l'autorité cantonale de dernière instance que si elle
est insoutenable ou en contradiction évidente avec la situation de fait, si
elle a été adoptée sans motif objectif ou en violation d'un droit certain.
Par ailleurs, il ne suffit pas que les motifs de la décision attaquée soient
insoutenables, encore faut-il que celle-ci soit arbitraire dans son résultat
(ATF 131 I 57 consid. 2 p. 61 et la jurisprudence citée), ce qu'il appartient
au recourant de démontrer en vertu de l'art. 106 al. 2 LTF (ATF 133 I 149
consid. 3.1 p. 153 et la jurisprudence citée).
Selon l'art. 190A CPP/GE, les parties peuvent recourir à la Chambre
d'accusation contre les décisions du Procureur général fondées sur les art.
32 (mandat d'amener), 90 (suspension de la poursuite), 96 (frais et dépens en
cas de classement), 110 al. 1 (prélèvement, prise de sang et examens
médicaux), 112A (autopsie), 114B (décision sur plaintes concernant les
interventions de la police), 115A (saisie et ordre de production), 116 et 198
(classement), 161ss (sûretés), 179 al. 3 et 182 (perquisition et saisie).
Aucune de ces dispositions ne concerne la reconnaissance ou l'exclusion d'une
partie à la procédure. Il est d'ailleurs douteux que le Procureur général,
lui-même partie à la procédure (art. 24 CPP/GE; Poncet, Le nouveau code de
procédure pénal genevois annoté, Genève 1978, p. 269), ait la compétence pour
rendre des décisions séparées sur ce point, quand bien même sa lettre du 23
mai 2007 pouvait prêter à confusion. Conforme à la lettre de la loi (qui
énumère limitativement les cas de recours), la décision attaquée n'est pas
arbitraire dans ses motifs.
Les recourants ne sauraient se plaindre de l'absence de tout contrôle
judiciaire. Leur éviction en tant que parties civiles n'est en effet que la
conséquence des décisions par lesquelles le Juge d'instruction a tout d'abord
refusé d'étendre l'inculpation (décision confirmée par la Chambre
d'accusation), puis communiqué la procédure sans nouvelles inculpations
(décision contre laquelle le recours était également ouvert en vertu de
l'art. 190 al. 1 CPP/GE). Comme le relève le Procureur général, la qualité de
parties civiles pourra d'ailleurs encore être discutée à l'occasion du
renvoi, puis, le cas échéant, devant la juridiction de jugement. La décision
attaquée n'est donc pas arbitraire dans son résultat.

3.
Il en résulte que le recours en matière de droit pénal doit être rejeté, en
tant qu'il est recevable. Conformément à l'art. 66 al. 1 LTF, les frais
judiciaires sont mis à la charge des recourants, qui succombent. Il n'est pas
alloué de dépens.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours constitutionnel subsidiaire est irrecevable.

2.
Le recours en matière pénale est rejeté.

3.
Les frais judiciaires, arrêtés à 2000 fr., sont mis à la charge des
recourants.

4.
Le présent arrêt est communiqué au mandataire des recourants, au Procureur
général et à la Chambre d'accusation du canton de Genève.

Lausanne, le 24 janvier 2008

Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse

Le Président: Le Greffier:

Féraud Kurz