Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Öffentlich-rechtliche Abteilung, Beschwerde in Strafsachen 1B.210/2007
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1B_210/2007 /col

Arrêt du 16 octobre 2007
Ire Cour de droit public

MM. les Juges Féraud, Président, Aemisegger, Reeb, Fonjallaz et Eusebio.
Greffier: M. Jomini.

A. ________,
recourante, représentée par Me Pascal Pétroz, avocat,

contre

Procureur général de la République et canton de Genève, case postale 3565,
1211 Genève 3,
Cour de justice de la République et canton de Genève, Chambre d'accusation,
case postale 3108, 1211 Genève 3.

procédure pénale, ordonnance de suspension,

recours en matière pénale contre l'ordonnance de la Chambre d'accusation de
la Cour de justice de la République et canton de Genève, du 18 juillet 2007.

Faits:

A.
La société A.________ est spécialisée dans l'exploitation de restaurants. Le
21 février 2002, elle a conclu avec la société B.________ un contrat de
"joint venture" pour l'exploitation commune d'un restaurant dans un hôtel à
Genève. Les administrateurs de B.________ sont C.________, D.________ et
E.________. Dans ce contexte, B.________ a conclu le 26 février 2002 un bail
à loyer commercial pour obtenir la disposition des locaux nécessaires.

A. ________ détenait intégralement la société X.________, dont la faillite a
été prononcée le 20 février 2006 à Genève. F.________ était l'administrateur
unique de cette société.
Le 20 juin 2006, B.________ a déposé plainte pénale, à Genève, contre
F.________, le tenant pour responsable de la faillite de X.________
(procédure pénale P/9755/2006). Il a été inculpé le 10 octobre 2006 de
gestion fautive et de violation de l'obligation de tenir une comptabilité.
Le 17 octobre 2006, l'Office des faillites a également dénoncé F.________
(procédure pénale P/16655/2006). Le Ministère public a ordonné le 15 novembre
2006 la jonction de cette cause avec la procédure précitée P/9755/2006.
Le 22 novembre 2006, F.________ a dénoncé C.________, D.________ et
E.________, les administrateurs de B.________. Une nouvelle procédure pénale
a été ouverte (P/19062/ 2006). Le 1er décembre 2006, le Procureur général de
la République et canton de Genève a décidé de suspendre cette cause dans
l'attente du résultat de la procédure pendante P/9755/2006. F.________ a
recouru en vain contre cette décision auprès de la Chambre d'accusation de la
Cour de justice (ordonnance du 21 mars 2007).

B.
Le 18 avril 2007, la société A.________ a formé une nouvelle dénonciation à
l'encontre de C.________, pour escroquerie et faux dans les titres, en
reprenant les faits développés dans la dénonciation du 22 novembre 2006
(procédure pénale P/5993/2007). Le 11 mai 2007, le Procureur général a
ordonné la suspension de cette cause dans l'attente du résultat de la
procédure pénale P/9755/2006. A.________ a recouru contre cette décision
auprès de la Chambre d'accusation. Par ordonnance du 18 juillet 2007, cette
juridiction a rejeté le recours et confirmé la décision entreprise. Elle a
retenu en substance que, formellement, les parties aux deux procédures
n'étaient pas identiques (B.________ et F.________ dans la procédure
P/9755/2006; A.________ et C.________ dans la procédure P/5993/2007), mais
que "l'ensemble des actions initiées tant par B.________ contre X.________ ou
son représentant, que par ces derniers, voire la recourante, contre
B.________ ou son représentant, port[aient] toutes sur le même complexe de
fait et découl[aient] toutes du différend survenu entre les deux entités
susnommées concernant la validité et l'exécution du contrat de joint venture
conclu le 21 février 2002 et du contrat de bail du 26 février 2002". La
Chambre d'accusation a invoqué le principe de l'économie de procédure,
tendant à éviter que des actes d'instruction identiques ne soient effectués à
double, et elle a conclu que "si, à l'issue de cette instruction, les
dénonciations de la recourante devaient trouver un fondement suffisant et
devenir susceptibles de tomber sous le coup des dispositions pénales
invoquées, dont la poursuite a lieu d'office, la présente procédure pourrait
alors être reprise" (consid. 3.2 de l'ordonnance du 18 juillet 2007).

C.
Agissant par la voie du recours en matière pénale, subsidiairement par celle
du recours constitutionnel, A.________ demande au Tribunal fédéral d'annuler
l'ordonnance de la Chambre d'accusation du 18 juillet 2007 et de renvoyer la
cause à l'autorité cantonale pour ouverture d'une information.
Il n'a pas été demandé de réponse au recours. La Chambre d'accusation a
produit son dossier.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
La décision attaquée est une décision rendue en matière pénale, au sens de
l'art. 78 al. 1 LTF. La voie ordinaire du recours en matière pénale (art. 78
ss LTF) est donc ouverte; par conséquent celle du recours constitutionnel
subsidiaire n'entre pas en considération (art. 113 LTF).

2.
Dans la cause pénale (P/5993/2007), la décision attaquée est une décision
incidente, qui ne met pas fin à la procédure.

2.1 Le recours en matière pénale contre une décision incidente n'est
recevable qu'aux conditions de l'art. 93 al. 1 LTF. Une telle décision ne
peut être examinée par le Tribunal fédéral que si elle peut causer un
préjudice irréparable (art. 93 al. 1 let. a LTF), ou si l'admission du
recours peut conduire immédiatement à une décision finale qui permet d'éviter
une procédure probatoire longue et coûteuse (art. 93 al. 1 let. b LTF). Il
est manifeste que la seconde hypothèse n'entre pas en considération ici, de
sorte qu'il convient uniquement d'examiner si le recours est recevable au
regard de l'art. 93 al. 1 let. a LTF. D'après la jurisprudence récente du
Tribunal fédéral, dans la procédure de recours en matière pénale, la notion
de préjudice irréparable (art. 93 al. 1 let. a LTF) correspond à celle de
l'art. 87 al. 2 de l'ancienne loi d'organisation judiciaire (OJ), qui
soumettait à la même condition la recevabilité du recours de droit public
contre de telles décisions incidentes (ATF 133 IV 139 consid. 4 p. 141; arrêt
1B_84/2007 du 11 septembre 2007, destiné à la publication, consid. 4). Selon
la jurisprudence relative à l'art. 87 al. 2 OJ, il doit s'agir d'un dommage
de nature juridique, qui ne puisse pas être réparé ultérieurement par un
jugement final ou une autre décision favorable au recourant (notamment ATF
131 I 57 consid. 1 p. 59; 127 I 92 consid. 1c p. 94 et les arrêts cités).
Cette réglementation est fondée sur des motifs d'économie de procédure; en
tant que cour suprême, le Tribunal fédéral doit en principe ne s'occuper
qu'une seule fois d'un procès, et cela seulement lorsqu'il est certain que le
recourant subit effectivement un dommage définitif.

2.2 Dans le cadre de l'ancien recours de droit public, le Tribunal fédéral
avait considéré, dans un arrêt rendu en 1994, que l'art. 87 OJ n'était pas
applicable au recours formé contre une décision ordonnant la suspension d'une
procédure (ATF 120 III 143 consid. 1b p. 144). Après avoir posé cette règle,
cet arrêt indiquait que la partie demandant en vain une décision pouvait agir
par la voie du recours de droit public pour déni de justice, même si
l'autorité cantonale ne refusait pas expressément de statuer (ibid.). La
jurisprudence constante admet en effet que l'on renonce à l'exigence d'un
préjudice irréparable lorsque le recourant se plaint d'un refus de l'autorité
de statuer, ou d'un retard injustifié à le faire (ATF 120 III 143 consid. 1b
p. 144; 117 Ia 336 consid. 1a p. 337; arrêt 1P.623/2002 du 6 mars 2003, in
Pra 2003 n° 207 p. 1129).

2.3 Lorsque l'on examine la portée d'une décision de suspension et ses effets
pour les parties au procès, il faut en réalité prendre en considération deux
situations différentes: d'une part celle où la partie, estimant que sa cause
n'a pas été jugée dans un délai raisonnable, se plaint d'une violation de
l'art. 29 al. 1 Cst. ou d'une autre garantie correspondante, l'objet du
recours pouvant alors être soit une décision expresse - le cas échéant une
ordonnance de suspension -, soit le silence ou l'inaction de l'autorité;
d'autre part celle où la partie conteste la suspension de la procédure non
pas en invoquant la garantie du jugement dans un délai raisonnable (ou
principe de la célérité) mais en présentant d'autres griefs, par exemple
l'inopportunité de cette mesure compte tenu d'autres procédures ouvertes dans
le même contexte, le risque de disparition de preuves, etc. Dans cette
seconde situation, la suspension n'est pas nécessairement susceptible de
conduire à un retard constitutif de déni de justice formel; à tout le moins,
une telle conséquence peut n'être qu'une simple hypothèse, sans risque
particulier de réalisation, au moment où la suspension est décidée (il en va
de même, par analogie, lorsqu'une expertise ou une commission rogatoire sont
ordonnées). Aussi, pour tenir dans une certaine mesure compte de ces
différentes situations, le Tribunal fédéral a rappelé cette jurisprudence,
dans des arrêts non publiés postérieurs à l'arrêt précité (ATF 120 III 143),
en précisant qu'elle s'appliquait essentiellement aux cas où la suspension de
la procédure était prononcée sine die, pour une durée indéterminée ou lorsque
la reprise de la procédure dépendait d'un événement incertain, sur lequel
l'intéressé n'avait aucune prise (arrêts non publiés 1P.269/2000 du 18 mai
2000, consid. 1b/bb; 1P.536/2004 du 19 novembre 2004, consid. 3).

2.4 Dans le cas présent, la décision attaquée confirme une ordonnance de
suspension de la procédure pénale. Ladite ordonnance a été prise par le
Procureur général dans le mois suivant le dépôt de la dénonciation, et avant
l'ouverture de l'instruction préparatoire (cf. art. 90 let. a CPP/GE). La
Chambre d'accusation a elle-même statué deux mois après l'ordonnance de
suspension. Il est manifeste qu'à la date de la décision attaquée, les
autorités cantonales ne pouvaient pas se voir reprocher une violation de la
garantie du jugement dans un délai raisonnable dans la procédure pénale
P/5993/2007. La recourante ne le prétend du reste pas.
La recourante ne fait pas non plus valoir que la suspension - dont la durée
dépend de l'avancement d'une autre enquête pénale en cours concernant,
d'après la décision attaquée, le même complexe de faits - équivaudrait à un
report sine die des opérations de l'enquête, empêchant nécessairement ou
selon toute probabilité les autorités d'instruction et de jugement de statuer
dans un délai raisonnable. La recourante présente en effet des griefs d'un
autre ordre: elle soutient que les deux procédures pénales concernées
(P/5993/2007 et P/9755/ 2006) ont des objets différents, que les
protagonistes n'ont pas le même rôle dans les deux affaires et, en substance,
que les conditions pour ordonner une suspension, mesure conçue comme
exceptionnelle, ne sont pas réunies.

2.5 Il incombe à la partie qui critique une décision ordonnant la suspension
d'une procédure d'indiquer clairement l'objet de la contestation. Si la
suspension est critiquée parce que la durée de la procédure à ce stade est
déjà excessive, ou parce que cette mesure entraînera nécessairement la
violation du principe de la célérité, cette argumentation doit être exposée
de manière précise, conformément aux exigences de motivation posées aux art.
42 al. 2 et 106 al. 2 LTF (cf. ATF 133 II 249 consid. 1.4.2 p. 254). Le cas
échéant, le Tribunal fédéral pourra considérer que le recours contre la
suspension est recevable nonobstant le caractère incident de l'ordonnance, ce
conformément à la jurisprudence relative à l'art. 87 OJ qu'il y a lieu en
principe de reprendre dans le cadre de l'art. 93 al. 1 LTF (cf. supra,
consid. 2.1 et 2.2).
En revanche, si la suspension critiquée intervient à un stade de la procédure
où il est évident que le principe de la célérité n'a pas été violé, et que la
partie recourante - tenue dans cette situation également de motiver son
recours, conformément aux art. 42 al. 2 et 106 al. 2 LTF - ne prétend pas
être nécessairement exposée au risque, à terme, d'une violation de la
garantie du jugement dans un délai raisonnable (art. 29 al. 1 Cst.), il faut
considérer que la contestation ne porte pas sur l'application de cette
dernière garantie. Autrement dit, le Tribunal fédéral n'est pas en pareil cas
saisi d'un recours pour déni de justice formel, à cause d'un refus de
statuer, mais d'un recours pour violation d'autres garanties
constitutionnelles en relation avec l'application du droit cantonal de
procédure pénale. Dans cette hypothèse, il n'y a aucun motif de renoncer à
soumettre le recours aux conditions de recevabilité de l'art. 93 al. 1 LTF.

2.6 En l'espèce, on se trouve clairement, d'après l'argumentation de la
recourante, dans la seconde situation exposée ci-dessus. Il est manifeste que
la décision incidente attaquée n'est pas susceptible de causer à la
recourante un préjudice juridique irréparable. La condition de l'art. 93 al.
1 let. a LTF n'étant pas satisfaite, les conclusions du recours doivent être
déclarées irrecevables.

3.
La recourante, qui succombe, doit supporter les frais judiciaires (art. 65
al. 1 et art. 66 al. 1 LTF).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est irrecevable.

2.
Les frais judiciaires, arrêtés à 2'000 fr., sont mis à la charge de la
recourante.

3.
Le présent arrêt est communiqué en copie au mandataire de la recourante, au
Procureur général et à la Chambre d'accusation de la Cour de justice de la
République et canton de Genève.

Lausanne, le 16 octobre 2007

Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse

Le président:  Le greffier: