Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Öffentlich-rechtliche Abteilung, Beschwerde in Strafsachen 1B.202/2007
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1B_202/2007

Arrêt du 29 novembre 2007
Ire Cour de droit public

MM. les Juges Féraud, Président,
Aeschlimann et Fonjallaz.
Greffier: M. Rittener.

A. ________ et B.________,
recourants, représentés par Me Freddy Rumo, avocat,

contre

Juge d'instruction de La Chaux-de-Fonds, passage de la Bonne-Fontaine 36,
2304 La Chaux-de-Fonds,
Ministère public du canton de Neuchâtel,
case postale 2672, 2001 Neuchâtel 1,
Chambre d'accusation du Tribunal cantonal du canton de Neuchâtel, rue du
Pommier 1,
2000 Neuchâtel.

séquestre pénal,

recours contre l'arrêt de la Chambre d'accusation du Tribunal cantonal du
canton de Neuchâtel du 9 août 2007.

Faits:

A.
En 2003, une enquête pénale a été ouverte dans le canton de Neuchâtel contre
A.________ et de nombreux autres prévenus. Dans le cadre de cette enquête, la
Juge d'instruction de La Chaux-de-Fonds (ci-après: la Juge d'instruction) a
bloqué provisoirement divers comptes de A.________ . Parmi eux figurait le
compte n° xxx ouvert le 1er juillet 2002 auprès de la banque X.________ et
qui présentait un solde de 6 millions de francs. Par arrêt du 13 août 2004,
la Chambre d'accusation du Tribunal cantonal du canton de Neuchâtel
(ci-après: la Chambre d'accusation) a invité la Juge d'instruction à
maintenir le séquestre sur les comptes de A.________ auprès de la banque
X.________ jusqu'à concurrence de 2'500'000 francs. Par courrier du 7 février
2007, A.________ et son épouse B.________ ont notamment demandé à la Juge
d'instruction de lever le séquestre sur le compte n° xxx. Celle-ci a refusé
par décision du 21 février 2007, au motif qu'elle se considérait liée par
l'arrêt précité de la Chambre d'accusation.

B.
A.________ et B.________ ont recouru contre cette décision devant la Chambre
d'accusation. Ils faisaient valoir, en substance, que le motif principal du
séquestre n'existait plus, que cette mesure leur causait des pertes
importantes et entraînait "la paralysie de leurs affaires", que B.________
était la légitime propriétaire des fonds et que le blocage du compte précité
était sans rapport avec une infraction quelconque. La Chambre d'accusation a
rejeté ce recours par arrêt du 9 août 2007. Elle retenait que l'enquête
s'était développée de manière considérable depuis son arrêt du 13 août 2004
et que le préjudice total que A.________ était soupçonné d'avoir causé par
des actes illicites était largement supérieur aux 2'500'000 fr. séquestrés.
De plus, elle considérait que la mesure litigieuse était un séquestre
conservatoire au sens de l'art. 71 CP et qu'elle pouvait donc porter
également sur des valeurs de provenance licite.

C.
Agissant par la voie du recours en matière pénale, A.________ et B.________
demandent au Tribunal fédéral d'annuler cet arrêt et de lever avec effet
immédiat le séquestre ordonné sur le compte n° xxx auprès de la banque
X.________ à Bienne. Ils se plaignent d'une violation de l'art. 71 al. 3 CP.
Ils invoquent également le principe de proportionnalité (art. 5 al. 2 Cst.),
l'interdiction de l'arbitraire (art. 9 Cst.) et leur droit d'être entendus
(art. 29 al. 2 Cst.). Ils se plaignent en outre d'un défaut de motivation,
d'un déni de justice et d'un établissement inexact des faits (art. 97 LTF).
La Juge d'instruction et le Ministère public du canton de Neuchâtel ont
renoncé à se déterminer. La Chambre d'accusation a présenté des observations,
qui ont été transmises aux recourants.

Considérant en droit:

1.
Le Tribunal fédéral examine d'office et librement la recevabilité des recours
qui lui sont soumis (ATF 133 I 206 consid. 2 p. 210; 132 I 140 consid. 1.1
p. 142; 130 I 312 consid. 1 p. 317 et les arrêts cités).

1.1 Selon l'art. 78 al. 1 LTF, le Tribunal fédéral connaît des recours contre
les décisions rendues en matière pénale. Cette notion comprend toute décision
fondée sur le droit pénal matériel ou sur le droit de procédure pénale. En
d'autres termes, toute décision relative à la poursuite ou au jugement d'une
infraction fondée sur le droit fédéral ou sur le droit cantonal est en
principe susceptible d'un recours en matière pénale (Message concernant la
révision totale de l'organisation judiciaire fédérale du 28 février 2001, FF
2001 p. 4111). Cette voie de recours est dès lors ouverte en l'espèce.

1.2 La décision par laquelle le juge prononce, maintient ou refuse un
séquestre pénal constitue une décision incidente, qui ne met pas fin à la
procédure (ATF 128 I 129 consid. 1 p. 131; 126 I 97 consid. 1b p. 100 et les
références). Conformément à l'art. 93 let. a LTF, une telle décision peut
faire l'objet d'un recours devant le Tribunal fédéral si elle peut causer un
préjudice irréparable. Cette disposition reprend la règle de l'art. 87 al. 2
OJ, qui était applicable en matière de recours de droit public (ATF 133 IV
139 consid. 4 p. 141; Message précité, FF 2001 p. 4131). Il y a donc lieu en
principe de se référer à la jurisprudence rendue en cette matière, selon
laquelle le séquestre conservatoire de valeurs patrimoniales cause un dommage
irréparable, dans la mesure où le détenteur se trouve privé temporairement de
la libre disposition des valeurs saisies (ATF 126 I 97 consid. 1b p. 100;
voir également ATF 128 I 129 consid. 1 p. 131; 89 I 185 consid. 4 p. 187 et
les références).

1.3 Formé en temps utile (art. 100 al. 1 LTF) contre une décision prise en
dernière instance cantonale (art. 80 LTF), le recours est recevable.

2.
Dans des griefs d'ordre formel qu'il convient d'examiner en premier lieu, les
recourants invoquent l'art. 29 al. 2 Cst. pour se plaindre d'un défaut de
motivation et d'une violation de leur droit d'être entendus.

2.1 Le droit d'être entendu, tel qu'il est garanti à l'art. 29 al. 2 Cst.,
confère à toute personne le droit d'exiger, en principe, qu'un jugement ou
une décision défavorable à sa cause soit motivé. Cette garantie tend à donner
à la personne touchée les moyens d'apprécier la portée du prononcé et de le
contester efficacement, s'il y a lieu, devant une instance supérieure.
L'objet et la précision des indications à fournir dépend de la nature de
l'affaire et des circonstances particulières du cas; néanmoins, en règle
générale, il suffit que l'autorité mentionne au moins brièvement les motifs
qui l'ont guidée (ATF 112 Ia 107 consid. 2b p. 109; voir aussi ATF 126 I 97
consid. 2b p. 102, 125 II 369 consid. 2c p. 372, 124 II 146 consid. 2a p.
149). L'autorité n'est pas tenue de discuter de manière détaillée tous les
arguments soulevés par les parties et peut se limiter à l'examen des
questions décisives pour l'issue du litige (ATF 126 I 15 consid. 2a/aa p. 17;
125 II 369 consid. 2c p. 372; 124 II 146 consid. 2a p. 149; 124 V 180 consid.
1a p. 181 et les arrêts cités). Le Tribunal fédéral examine librement si les
exigences posées par l'art. 29 al. 2 Cst. ont été respectées (ATF 124 I 49
consid. 3a p. 51, 122 I 153 consid. 3 p. 158 et les arrêts cités).

2.2 En l'espèce, les recourants reprochent à la Chambre d'accusation d'avoir
maintenu le séquestre au profit de plusieurs hypothétiques lésés, sans
préciser leur nombre exact, sans indiquer de quelles personnes il s'agissait
et sans renvoyer à des éléments du dossier qui fonderaient cette affirmation.
Il est vrai que la motivation de la décision querellée est succinte et
qu'elle ne détaille pas les lésés qui pourraient bénéficier de la mesure de
séquestre litigieuse. Cela étant, s'agissant d'une affaire particulièrement
complexe, on ne saurait exiger des autorités qu'elles rappellent les faits
dans chaque décision incidente. La Chambre d'accusation pouvait donc renvoyer
au dossier - en particulier à une récapitulation des faits de pas moins de
trente-quatre pages - sans pour autant violer son devoir de motivation. De
plus, la décision du 21 février 2007 par laquelle la Juge d'instruction
refuse la levée du séquestre mentionne expressément les plaignants qui
pouvaient être concernés, à savoir B.________, C.________, D.________,
E.________, F.________, G.________, H.________, I.________, J.________,
K.________ et L.________. Les recourants étaient donc en mesure d'identifier
les lésés éventuels au profit desquels le séquestre litigieux était maintenu.
De même, ils pouvaient comprendre les motifs invoqués pour justifier le
maintien du séquestre et ils pouvaient les contester utilement. Pour le
surplus, on ne voit pas en quoi ils auraient été privés de la possibilité de
s'exprimer sur ce sujet. Il s'ensuit que les griefs tirés d'une violation du
droit d'être entendu doivent être rejetés.

3.
Les recourants se plaignent d'un établissement inexact des faits au sens de
l'art. 97 LTF. Dans ce grief, ils reprennent leurs critiques relatives à un
défaut de motivation au sujet des lésés éventuels de cette affaire. Ces
arguments se confondent avec les griefs relatifs au droit d'être entendu déjà
examinés ci-dessus (cf. supra consid. 2), de sorte qu'il n'y a pas lieu d'y
revenir. Il convient en revanche d'examiner l'argument selon lequel la
Chambre d'accusation aurait procédé à une constatation inexacte des faits en
omettant de mentionner que les valeurs patrimoniales séquestrées
appartenaient à B.________ et n'avaient aucun lien avec les infractions
reprochées à son époux.

3.1 Le Tribunal fédéral statue en principe sur la base des faits établis par
l'autorité précédente (art. 105 al. 1 LTF), sous réserve des cas prévus à
l'art. 105 al. 2 LTF. Cette disposition lui donne la faculté de rectifier ou
compléter d'office l'état de fait de l'arrêt attaqué dans la mesure où des
lacunes ou erreurs dans l'établissement de celui-ci lui apparaîtraient
d'emblée comme manifestes. Quant au recourant, il ne peut critiquer la
constatation de faits importants pour le jugement de la cause que si ceux-ci
ont été constatés en violation du droit au sens de l'art. 95 LTF ou de
manière manifestement inexacte (art. 97 al. 1 LTF), c'est-à-dire arbitraire
(cf. Message précité, FF 2001 p. 4135), ce qu'il lui appartient de démontrer
par une argumentation répondant aux exigences de l'art. 42 al. 2 LTF,
respectivement de l'art. 106 al. 2 LTF (arrêt 1C_64/2007 du 2 juillet 2007
consid. 5.1). L'existence de faits constatés de manière inexacte ou en
violation du droit doit en outre être susceptible d'avoir une influence
déterminante sur l'issue de la procédure (art. 97 al. 1 in fine LTF). Selon
la jurisprudence, l'appréciation des preuves ou l'établissement des faits
sont arbitraires (art. 9 Cst.; pour une définition de l'arbitraire cf. ATF
133 I 149 consid.3.1 p. 153) lorsque l'autorité n'a manifestement pas compris
le sens et la portée d'un moyen de preuve, si elle ne prend pas en compte,
sans raison sérieuse, un élément de preuve propre à modifier la décision ou
lorsqu'elle tire des constatations insoutenables des éléments recueillis (ATF
129 I 8 consid. 2.1 p. 9; 127 I 38 consid. 2a p. 41).

3.2 En l'occurrence, il n'apparaît pas d'emblée que des lacunes ou des
erreurs manifestes aient été commises dans l'établissement de l'état de fait
de l'arrêt attaqué et les recourants ne le démontrent aucunement. Ils se
bornent à alléguer que les valeurs séquestrées étaient la propriété de
B.________ et qu'elles provenaient d'une vente d'actions lui appartenant mais
ils ne développent pas à cet égard une argumentation qui satisfasse aux
exigences des art. 42 al. 2 et 106 al. 2 LTF. Le simple renvoi - dans la
partie "faits" de leur écriture - à un précédent recours formé en novembre
2003 devant la Chambre d'accusation ne saurait suffire à démontrer leurs
allégués. Les recourants ne se réfèrent pas non plus à des documents figurant
au dossier et desquels on pourrait déduire que l'autorité intimée aurait dû
constater que la somme séquestrée provenait de la vente d'actions de
B.________ et n'entrait pas dans le patrimoine de A.________ . Pour le
surplus, il n'appartient pas au Tribunal fédéral d'aller rechercher dans le
dossier les éléments susceptibles d'étayer les allégations des recourants.
Dans ces circonstances, dès lors que l'état de faits n'apparaît pas d'emblée
manifestement lacunaire ou erroné et en l'absence d'une démonstration de la
constatation arbitraire des faits, le Tribunal fédéral est lié par les faits
établis par l'autorité précédente. On ne saurait dès lors considérer que
B.________ est propriétaire des avoirs séquestrés et il convient de s'en
tenir à la constatation de faits de l'arrêt attaqué selon laquelle le
titulaire du compte séquestré est A.________ .

4.
Le grief relatif à l'art. 71 al. 3 CP repose sur l'allégation selon laquelle
les avoirs séquestrés appartiennent à B.________ . Sur le vu du considérant
précédent, ce moyen ne peut qu'être rejeté.

5.
Il reste à examiner si, comme le soutiennent les recourants, le séquestre
litigieux viole le principe de la proportionnalité.

5.1 Le principe de la proportionnalité (art. 36 al. 3 Cst.) exige que le
moyen choisi soit apte à atteindre le but visé (règle de l'aptitude) et que
celui-ci ne puisse pas être atteint par une mesure moins incisive (règle de
la nécessité); en outre, il interdit toute limitation allant au-delà du but
visé et il exige un rapport raisonnable entre celui-ci et les intérêts
publics ou privés compromis (principe de la proportionnalité au sens étroit,
impliquant une pesée des intérêts - ATF 130 II 425 consid. 5.2 p. 438; 126 I
219 consid. 2c p. 222 et les arrêts cités).

5.2 En l'occurrence, la Chambre d'accusation a considéré, sans être
contredite sur ce point, que la mesure litigieuse était un séquestre en vue
de l'exécution d'une créance compensatrice au sens de l'art. 71 al. 3 CP. Il
est manifeste que le séquestre de valeurs patrimoniales est apte à atteindre
le but visé, à savoir l'exécution de la créance compensatrice qui pourrait
être ordonnée. De plus, on ne voit pas quelle mesure moins incisive pourrait
remplacer le séquestre, si bien que la règle de la nécessité est également
respectée. S'agissant de la proportionnalité au sens étroit, les recourants
allèguent que le séquestre "conduit à une lésion extrêmement grave", que
toute la fortune de B.________ se trouve "engloutie ou paralysée" et que le
séquestre provoque une perte importante d'intérêts, mais ils ne démontrent
pas ces affirmations; ils n'apportent du reste aucun élément permettant
d'établir leur situation financière. Pour le surplus, les recourants se
bornent à minimiser, voire à nier, le préjudice des éventuels lésés, sans
aucunement démontrer en quoi le montant séquestré serait sans rapport
raisonnable avec le but visé. Ce grief doit donc lui aussi être rejeté.

6.
Il s'ensuit que le recours doit être rejeté, dans la mesure où il est
recevable. Les recourants, qui succombent, doivent supporter les frais de la
présente procédure (art. 66 al. 1 LTF).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est rejeté, dans la mesure où il est recevable.

2.
Les frais judiciaires, arrêtés à 2000 fr., sont mis à la charge des
recourants.

3.
Le présent arrêt est communiqué en copie au mandataire des recourants, à la
Juge d'instruction de La Chaux-de-Fonds, ainsi qu'au Ministère public et à la
Chambre d'accusation du Tribunal cantonal du canton de Neuchâtel.

Lausanne, le 29 novembre 2007

Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse

Le Président: Le Greffier:

Féraud Rittener