Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Öffentlich-rechtliche Abteilung, Beschwerde in Strafsachen 1B.160/2007
Zurück zum Index I. Öffentlich-rechtliche Abteilung, Beschwerde in Strafsachen 2007
Retour à l'indice I. Öffentlich-rechtliche Abteilung, Beschwerde in Strafsachen 2007


1B_160/2007 /col

Arrêt du 1er novembre 2007
Ire Cour de droit public

MM. les Juges Féraud, Président,
Aeschlimann et Reeb.
Greffier: M. Kurz.

A. ________,
recourante, représentée par Me Anne Reiser, avocate,

contre

B.________,
représenté par Me Olivier Wehrli, avocat,
C.________,
représentée par Me Catherine Chirazi, avocate,
intimés,
Juge d'instruction du canton de Genève,
case postale 3344, 1211 Genève 3,
Procureur général du canton de Genève,
case postale 3565, 1211 Genève 3,
Chambre d'accusation du canton de Genève,
case postale 3108, 1211 Genève 3.

séquestre pénal,

recours en matière pénale contre l'ordonnance de la Chambre d'accusation du
canton de Genève du 4 juillet 2007.

Faits:

A.
Le 22 janvier 2007, C.________ (à Londres et Genève) a déposé une plainte
pénale pour abus de confiance contre B.________. Alors qu'il était directeur
marketing auprès de la société A.________, ce dernier avait détourné un prêt
de 250'000 USD accordé à un tiers par l'ayant droit de C.________. Un
remboursement partiel de 50'000 USD était intervenu en 2007.
Le 14 mars 2007, le Juge d'instruction genevois, chargé de la cause, a
ordonné la saisie conservatoire de tous les avoirs détenus par B.________, y
compris ceux du groupe A.________, dont B.________ était actionnaire à 25%.
Le 23 mars 2007, il a saisi les avoirs de prévoyance de B.________, ainsi que
ses 125 actions A.________, d'une valeur estimée à 32'500 fr. Le même jour,
après avoir pris connaissance des montants saisis, il a levé les blocages de
différents comptes détenus par le groupe A.________; il a toutefois maintenu
le blocage de 100'000 USD placés à court terme, et liés à un compte détenu
par A.________ auprès de la banque X.________, ainsi que des certificats
d'actions de B.________.

B.
Par ordonnance du 4 juillet 2007, la Chambre d'accusation genevoise a
confirmé cette décision, sur recours de A.________. Les 100'000 USD n'étaient
certes pas le produit de l'infraction, mais leur séquestre était destiné à
garantir une créance compensatrice, compte tenu des droits que l'inculpé
avait sur les biens de la société dont il était actionnaire pour un quart.

A. ________ forme un recours en matière pénale. Elle demande l'annulation de
l'ordonnance de la Chambre d'accusation, ainsi que de la décision du juge
d'instruction, en tant qu'elle porte sur le blocage du placement de 100'000
USD.
La Chambre d'accusation se réfère à sa décision. Le Juge d'instruction et le
Ministère public concluent au rejet du recours. B.________ s'en rapporte à
justice sur la forme et le fond. C.________ conclut à l'irrecevabilité du
recours, et à son rejet sur le fond.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
L'arrêt attaqué, qui confirme un séquestre provisoire, est une décision
rendue en matière pénale au sens de l'art. 78 al. 1 LTF. Il émane d'une
autorité cantonale de dernière instance (art. 80 al. 1 LTF). Le recours est
formé, dans le délai prévu à l'art. 100 al. 1 LTF, par le tiers saisi qui
dispose d'un intérêt juridique (art. 81 al. 1 let. a et b LTF).
Le séquestre ordonné par le Juge d'instruction constitue une décision
incidente au sens de l'art. 93 LTF, puisqu'il ne met pas un terme à la
procédure pénale (ATF 128 I 129 consid. 1 p. 131; 126 I 97 consid. 1b p. 100)
et qu'il n'a pas été prononcé dans le cadre d'une procédure spécifique dont
il pourrait constituer l'aboutissement. L'art. 93 al. 1 let. b LTF est
manifestement inapplicable, car le sort de la mesure provisoire est sans
effet sur la procédure au fond. Il y a donc lieu d'examiner si le recours est
recevable en application de l'art. 93 al. 1 let. a LTF.

1.1 Selon cette disposition, le recours est recevable lorsque la décision
attaquée est susceptible de causer un préjudice irréparable.
La notion de préjudice irréparable a été reprise de l'ancien art. 87 al. 2
OJ. Selon la jurisprudence relative à cette disposition, un tel préjudice
s'entend du dommage juridique qui ne peut pas être réparé ultérieurement,
notamment par la décision finale (ATF 131 I 57 consid. 1 p. 59; 127 I 92
consid. 1c p. 94; 126 I 207 consid. 2 p. 210 et les arrêts cités). Il en va
ainsi lorsqu'une décision finale, même favorable au recourant, ne ferait pas
disparaître entièrement ce préjudice, en particulier quand la décision
incidente contestée ne peut plus être attaquée avec la décision finale,
rendant ainsi impossible le contrôle constitutionnel par le Tribunal fédéral
(ATF 127 I 92 consid. 1c p. 94). Le fait d'avoir à subir une procédure pénale
et les inconvénients qui y sont liés ne constituent pas un préjudice
irréparable (ATF 133 IV 139 consid. 4 p. 141 et les arrêts cités).

1.2 La jurisprudence constante relative à l'art. 87 OJ considère que le
séquestre probatoire ou conservatoire de valeurs patrimoniales cause un
dommage irréparable, dans la mesure où le détenteur se trouve privé
temporairement de la libre disposition des valeurs saisies (ATF 89 I 185
consid. 4 p. 187; cf. aussi ATF 126 I 97 consid. 1b p. 101; 118 II 369
consid. 1 p. 371; 108 II 69 consid. 1 p. 71, et les arrêts cités).
Il en va de même en application de l'art. 93 let. a LTF, puisque le
législateur n'a pas entendu modifier sur ce point la pratique poursuivie
jusque-là (ATF 133 IV 139 consid. 4 p. 141; Message LTF, FF 2001 4131;
Spühler/Dolge/Vock, BGG-Komm., art. 93 n. 4; Schmid, Die
Strafrechtsbeschwerde nach dem Bundesgesetz über das Bundesgericht - eine
erste Auslegeordnung, in RPS 2006, p. 160 ss, p. 175; Bommer, Auswegählte
Fragen der Strafrechtspflege nach Bundesgerichtsgesetz, in Tschannen (éd.),
Neue Bundesrechtspflege, Berne 2007, p. 165/166; Seiler/Von Werdt/Güngerich,
Bundesgerichtsgesetz, Berne 2007 p. 389). Il y a lieu, par conséquent,
d'entrer en matière, en dépit des objections de l'intimée (arrêt 1B.157/2007
du 25 octobre 2007).

2.
La recourante se plaint d'arbitraire. Les avoirs séquestrés lui appartiennent
et la décision attaquée ferait fi de la dualité entre la société et
l'inculpé. Ce dernier, actionnaire à 25% (et dont les actions ont déjà été
saisies), n'a de pouvoir de disposition ni sur la société, ni sur ses avoirs.
Les avoirs séquestrés ne pouvant faire l'objet d'une créance compensatrice,
la décision attaquée porterait une atteinte disproportionnée à la garantie de
la propriété.

2.1 Dans le cas d'un recours dirigé, comme en l'espèce, contre une mesure
provisionnelle, seule peut être invoquée la violation de droits fondamentaux
(art. 98 LTF). Conformément à l'art. 106 al. 2 LTF, les griefs soulevés à cet
égard doivent être suffisamment motivés (ATF 133 III 393 consid. 6 p. 397).
S'agissant de l'établissement des faits, le pouvoir d'examen du Tribunal
fédéral est limité, pratiquement, à l'arbitraire (art. 97 al. 1 LTF; même
arrêt, consid. 7.1). Il en va de même de l'application du droit cantonal de
procédure (Aemisegger, Der Beschwerdegang in öffentlich-rechtlichen
Angelegenheiten, in: Ehrenzeller/ Schweizer (éd.), Die Reorganisation der
Bundesrechts-pflege - Neuerungen und Auswirkungen in der Praxis, St.-Gall
2006, pp. 167-168; Foex/Hottelier/Jeandin, Les recours au Tribunal fédéral,
Genève 2007, p.123-124).

2.2 L'arbitraire, prohibé par l'art. 9 Cst., ne résulte pas du seul fait
qu'une autre solution pourrait entrer en considération ou même qu'elle serait
préférable; le Tribunal fédéral ne s'écarte de la solution retenue en
dernière instance cantonale que si elle est manifestement insoutenable,
méconnaît gravement une norme ou un principe juridique clair et indiscuté ou
si elle heurte de manière choquante le sentiment de la justice ou de
l'équité. Il ne suffit pas que la motivation de la décision soit
insoutenable; encore faut-il qu'elle soit arbitraire dans son résultat (ATF
132 I 13 consid. 5.1 p. 17; 131 I 217 consid. 2.1 p. 219, 57 consid. 2 p. 61;
129 I 173 consid. 3.1 p. 178).

2.3 Le séquestre pénal ordonné par une autorité d'instruction est une mesure
conservatoire provisoire destinée à préserver les objets ou valeurs que le
juge du fond pourrait être amené à confisquer ou qui pourraient servir à
l'exécution d'une créance compensatrice. En l'espèce, la décision du juge
d'instruction est fondée sur l'art. 181 al. 1 CPP/GE, disposition selon
laquelle le juge saisit les objets et les valeurs susceptibles d'être
confisqués ou réalisés en exécution d'une créance compensatrice. Comme cela
ressort du texte cette disposition, une telle mesure est fondée sur la
vraisemblance; elle porte sur des objets dont on peut admettre, prima facie,
qu'ils pourront être confisqués ou réalisés en application du droit pénal
fédéral (cf. Piquerez, Commentaire du Code de procédure pénale jurassien p.
555; voir aussi SJ 1990 p. 443). Tant que l'instruction n'est pas achevée, et
notamment en début d'enquête, une simple probabilité suffit car, à l'instar
de toute mesure provisionnelle, la saisie se rapporte à des prétentions
encore incertaines; en outre, le juge doit pouvoir décider rapidement du
séquestre provisoire, ce qui exclut qu'il résolve des questions juridiques
complexes ou qu'il attende d'être renseigné de manière exacte et complète sur
les faits avant d'agir (ATF 116 Ib 96 consid. 3a p. 99; 103 Ia 8 consid.
III/1c p. 13; 101 Ia 325 consid. 2c p. 327). Le séquestre pénal se justifie
aussi longtemps que subsiste une probabilité de confiscation (ATF 126 I 97
consid. 3d/aa p. 107; SJ 1994 p. 90 et 102).

2.4 En l'occurrence, la Chambre d'accusation n'a certes pas méconnu la
dualité juridique entre l'actionnaire et la société. Elle ne retient pas, en
effet, que l'on se trouverait dans un cas où il conviendrait de faire
abstraction de cette distinction: l'inculpé n'est pas actionnaire unique ou
majoritaire, il ne participe pas à la gestion de la société et n'a aucun
pouvoir de disposition sur les valeurs saisies. La cour cantonale n'a pas non
plus considéré que l'on se trouverait dans un cas permettant une saisie en
mains d'un tiers. En effet, une créance compensatrice ne peut être prononcé à
l'égard d'un tiers qu'aux conditions de l'art. 71 al. 1 in fine CP, qui
renvoie à l'art. 70 al. 2 CP (Schmid (éd), Kommentar Einziehung,
organisiertes Verbrechen, Geldwäscherei, 2ème éd., tome I Zurich 2007 p.
174); le tiers doit notamment avoir acquis les valeurs en connaissance de
cause. Il n'est pas prétendu que tel serait le cas en l'espèce.
La cour cantonale a en revanche estimé que le séquestre était justifié dans
la mesure où l'inculpé pouvait avoir des droits sur les avoirs détenus par la
société. Cette appréciation n'est pas soutenable. En effet, l'art. 71 al. 3
CP ne permet le prononcé de mesures provisoires qu'à l'égard des "valeurs
patrimoniales appartenant à la personne concernée". S'il est certes possible
de saisir une créance dont dispose l'inculpé, encore faut-il que celle-ci
existe, afin qu'elle puisse être considérée comme un élément du patrimoine de
la personne concernée (cf. ATF 126 I 97 consid, 3d/aa p. 107). Une créance
future, éventuelle ou hypothétique ne saurait suffire à justifier une saisie
provisoire de valeurs appartenant à un tiers. Au demeurant, s'il devait
apparaître que l'inculpé est créancier de la société recourante, une créance
compensatrice pourrait être recouvrée auprès de cette dernière sans qu'il
soit nécessaire de bloquer ses avoirs bancaires à titre provisoire. De ce
point de vue, l'arrêt attaqué apparaît arbitraire, car en contradiction
manifeste avec l'art. 71 al. 3 CP qui détermine les conditions d'application
de l'art. 181 al. 1 CPP/GE.

3.
Le recours est par conséquent admis pour ce motif, et l'arrêt attaqué est
annulé, de  même que la décision du Juge d'instruction du 23 mars 2007 en
tant qu'elle maintient le blocage du placement monétaire à court terme de
100'000 USD lié au compte xxx. Conformément à l'art. 107 al. 2 LTF, qui
permet au Tribunal fédéral de statuer lui-même sur le fond, la mesure de
saisie est levée. Les frais judiciaires (art. 66 al. 1 LTF), ainsi qu'une
indemnité de dépens allouée à la recourante (art. 68 al. 2 LTF) sont mis à la
charge de l'intimée C.________, qui succombe. La cause est renvoyée à la
Chambre d'accusation pour nouvelle décision sur les frais et les éventuels
dépens de l'instance cantonale (art. 68 al. 5 LTF).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est admis; l'ordonnance attaquée est annulée, de même que la
décision du Juge d'instruction du 23 mars 2007 en tant qu'elle maintient le
blocage du placement monétaire à court terme de 100'000 USD lié au compte
xxx. La mesure de blocage est levée.

2.
Les frais judiciaires, arrêtés à 3000 fr., sont mis à la charge de l'intimée
C.________.

3.
Une indemnité de 2000 fr. est allouée à la recourante à titre de dépens, à la
charge de l'intimée C.________.

4.
La cause est renvoyée à la Chambre d'accusation genevoise pour nouvelle
décision sur les frais et dépens de l'instance cantonale.

5.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux parties, au Juge d'instruction,
au Procureur général et à la Chambre d'accusation du canton de Genève.

Lausanne, le 1er novembre 2007

Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse

Le président:  Le greffier: