Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Öffentlich-rechtliche Abteilung, Beschwerde in Strafsachen 1B.157/2007
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1B_157/2007 /col

Arrêt du 25 octobre 2007
Ire Cour de droit public

MM. les Juges Féraud, Président, Aemisegger,
Aeschlimann, Reeb et Eusebio.
Greffier: M. Kurz.

A.________,
recourant, représenté par Me Nicolas Saviaux, avocat,

contre

Ministère public du canton de Vaud,
case postale, 1014 Lausanne,
Tribunal d'accusation du Tribunal cantonal du canton de Vaud, route du Signal
8, 1014 Lausanne.

séquestre pénal,

recours en matière pénale contre l'arrêt du Tribunal d'accusation du Tribunal
cantonal du canton de Vaud du 18 juin 2007.

Faits:

A.
A. ________ se trouve en détention préventive depuis le 2 février 2006, sous
la prévention d'assassinat. Il lui est reproché d'être à l'origine de la mort
de sa mère B.________ et de l'amie de celle-ci, le 24 décembre 2005, et
d'avoir fait disparaître sa soeur C.________.
Le 18 avril 2007, le Juge d'instruction de l'arrondissement de l'est vaudois
a, sur requête du Ministère public, ordonné le séquestre du compte ouvert
pour le compte de A.________, par son avocat, auprès de la banque X.________,
ainsi que de tous les revenus des parts de copropriété appartenant à
A.________ en main d'une régie, sous déduction des montants nécessaires à
l'entretien et au maintien de la valeur des immeubles ainsi que de la
rémunération des gérants. La mort de sa mère avait permis au prévenu
d'améliorer notablement sa situation financière: la régie avait versé sur le
compte X.________ 615'000 fr. depuis le début 2006, provenant des immeubles
dont A.________ (auparavant nu-propriétaire) était devenu copropriétaire.
Par arrêt du 18 juin 2007, le Tribunal d'accusation du Tribunal cantonal
vaudois a confirmé cette ordonnance. Les sommes séquestrées étaient en lien
de connexité avec le comportement vraisemblablement délictuel de A.________.
L'art. 653 al. 3 CC n'empêchait pas le séquestre, civil ou pénal, d'une
quote-part ou de ses revenus. La possibilité que B.________ renonce à son
usufruit, et les expectatives successorales de l'inculpé n'enlevaient rien au
fait que les immeubles et leurs fruits étaient le résultat d'une infraction.
Les responsabilités civiles et fiscales que devait assumer le propriétaire
n'empêchaient pas le séquestre, pas plus que la situation économique
prétendument catastrophique du prévenu. La présomption d'innocence n'était
pas violée - le séquestre étant fondé sur une simple vraisemblance -, ni le
droit de l'intéressé à un avocat de choix, celui-ci disposant d'autres
éléments de fortune, et ayant notamment versé 216'937 fr., respectivement
100'000 fr. à ses deux avocats de choix.

B.
Par acte du 25 juillet 2007, A.________ forme un recours en matière pénale
contre ce dernier arrêt; il en demande principalement la réforme en ce sens
que son recours cantonal est admis et que l'ordonnance de séquestre est
annulée. Subsidiairement, il conclut à l'annulation de l'arrêt attaqué.
Le Tribunal d'accusation se réfère aux considérants de son arrêt. Le
Ministère public se réfère à sa requête initiale.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
L'arrêt attaqué, qui confirme un séquestre provisoire, est une décision
rendue en matière pénale au sens de l'art. 78 al. 1 LTF. Il émane d'une
autorité cantonale de dernière instance (art. 80 al. 1 LTF). Le recours est
formé par l'accusé (art. 81 al. 1 let. b ch. 1 LTF), dans le délai prévu à
l'art. 100 al. 1 LTF.
Le séquestre ordonné par le Juge d'instruction constitue une décision
incidente au sens de l'art. 93 LTF, puisqu'il ne met pas un terme à la
procédure pénale (ATF 128 I 129 consid. 1 p. 131; 126 I 97 consid. 1b p. 100)
et qu'il n'a pas été prononcé dans le cadre d'une procédure spécifique dont
il pourrait constituer l'aboutissement. L'art. 93 al. 1 let. b LTF est
manifestement inapplicable, car le sort de la mesure provisoire est sans
effet sur la procédure au fond. Il y a donc lieu d'examiner si le recours est
recevable en application de l'art. 93 al. 1 let. a LTF.

1.1 Selon cette disposition, le recours est recevable lorsque la décision
attaquée est susceptible de causer un préjudice irréparable.
La notion de préjudice irréparable a été reprise de l'ancien art. 87 al. 2
OJ. Selon la jurisprudence relative à cette disposition, un tel préjudice
s'entend du dommage juridique qui ne peut pas être réparé ultérieurement,
notamment par la décision finale (ATF 131 I 57 consid. 1 p. 59; 127 I 92
consid. 1c p. 94; 126 I 207 consid. 2 p. 210 et les arrêts cités). Il en va
ainsi lorsqu'une décision finale, même favorable au recourant, ne ferait pas
disparaître entièrement ce préjudice, en particulier quand la décision
incidente contestée ne peut plus être attaquée avec la décision finale,
rendant ainsi impossible le contrôle constitutionnel par le Tribunal fédéral
(ATF 127 I 92 consid. 1c p. 94). Le fait d'avoir à subir une procédure pénale
et les inconvénients qui y sont liés ne constituent pas un préjudice
irréparable (ATF 133 IV 139 consid. 4 p. 141 et les arrêts cités).

1.2 La jurisprudence constante relative à l'art. 87 OJ considère que le
séquestre probatoire ou conservatoire de valeurs patrimoniales cause un
dommage irréparable, dans la mesure où le détenteur se trouve privé
temporairement de la libre disposition des valeurs saisies (ATF 89 I 185
consid. 4 p. 187; cf. aussi ATF 126 I 97 consid. 1b p. 101; 118 II 369
consid. 1 p. 371; 108 II 69 consid. 1 p. 71, et les arrêts cités).
Il en va de même en application de l'art. 93 let. a LTF, puisque le
législateur n'a pas entendu modifier sur ce point la pratique poursuivie
jusque-là (ATF 133 IV 139 consid. 4 p. 141; Message LTF, FF 2001 4131;
Spühler/Dolge/Vock, BGG-Komm., art. 93 n. 4; Schmid, Die
Strafrechtsbeschwerde nach dem Bundesgesetz über das Bundesgericht - eine
erste Auslegeordnung, in RPS 2006, pp. 160 ss, 175; Bommer, Auswegählte
Fragen der Strafrechtspflege nach Bundesgerichtsgesetz, in Tschannen (éd.),
Neue Bundesrechtspflege, Berne 2007, p. 165/166; Seiler/Von Werdt/Güngerich,
Bundesgerichtsgesetz, Berne 2007 p. 389). Il y a lieu, par conséquent,
d'entrer en matière.

2.
Le recourant reproche au Tribunal d'accusation d'avoir fondé son raisonnement
sur l'existence d'indices suffisants de culpabilité, comme en matière de
détention préventive, alors que le critère déterminant serait la possibilité
d'une confiscation. La question de la proportionnalité n'aurait en revanche
pas été examinée. Dans un grief distinct, mais qu'il convient d'examiner
simultanément, le recourant se plaint d'une violation des art. 69 et 70 CP,
et 223 du code de procédure pénale vaudois (CPP/VD). Il estime qu'une
confiscation serait exclue en l'occurrence, faute d'objet d'une infraction:
les immeubles étaient déjà sa (co-)propriété depuis 1993, et ils ne seraient
pas le produit d'une infraction. Les fruits de ces immeubles, soit les
revenus locatifs, ne seraient pas non plus le produit d'une infraction, le
Tribunal d'accusation reconnaissant lui-même qu'il n'y a qu'un lien
"indirect" entre l'infraction poursuivie et les valeurs bloquées.

2.1 Dans le cas d'un recours dirigé, comme en l'espèce, contre une mesure
provisionnelle, seule peut être invoquée la violation de droits fondamentaux
(art. 98 LTF). Conformément à l'art. 106 al. 2 LTF, les griefs soulevés à cet
égard doivent être suffisamment motivés (ATF 133 III 393 consid. 6 p. 397).
S'agissant de l'établissement des faits, le pouvoir d'examen du Tribunal
fédéral est limité, pratiquement, à l'arbitraire (art. 97 al. 1 LTF; même
arrêt, consid. 7.1). Il en va de même de l'application du droit cantonal de
procédure (Aemisegger, Der Beschwerdegang in öffentlich-rechtlichen
Angelegenheiten, in: Ehrenzeller/ Schweizer (éd.), Die Reorganisation der
Bundesrechtspflege - Neuerungen und Auswirkungen in der Praxis, St.-Gall
2006, pp. 167/168; Foex/Hottelier/Jeandin, Les recours au Tribunal fédéral,
Genève 2007, p. 123/124).

2.2 Le séquestre pénal ordonné par une autorité d'instruction est une mesure
conservatoire provisoire destinée à préserver les objets ou valeurs que le
juge du fond pourrait être amené à confisquer ou qui pourraient servir à
l'exécution d'une créance compensatrice. En l'espèce, la décision du juge
d'instruction est fondée sur l'art. 223 CPP/VD, disposition selon laquelle le
juge a le droit de séquestrer tout ce qui peut avoir servi ou avoir été
destiné à commettre l'infraction, tout ce qui paraît en avoir été le produit
ainsi que tout ce qui peut concourir à la manifestation de la vérité. En
l'occurrence, il s'agit de la saisie conservatoire du produit présumé de
l'infraction (producta sceleris). Comme cela ressort du texte de l'art. 223
CPP/VD, une telle mesure est fondée sur la vraisemblance; elle porte sur des
objets dont on peut admettre, prima facie, qu'ils pourront être confisqués en
application du droit pénal fédéral (ATF 126 I 97 consid. 3d/aa p. 107;
Piquerez, Commentaire du Code de procédure pénale jurassien p. 555; voir
aussi SJ 1990 p. 443). Tant que l'instruction n'est pas achevée, et notamment
en début d'enquête, une simple probabilité suffit car, à l'instar de toute
mesure provisionnelle, la saisie se rapporte à des prétentions encore
incertaines; en outre, le juge doit pouvoir décider rapidement du séquestre
provisoire, ce qui exclut qu'il résolve des questions juridiques complexes ou
qu'il attende d'être renseigné de manière exacte et complète sur les faits
avant d'agir (ATF 116 Ib 96 consid. 3a p. 99; 103 Ia 8 consid. III/1c p. 13;
101 Ia 325 consid. 2c p. 327). Le séquestre pénal se justifie aussi longtemps
que subsiste une probabilité de confiscation (SJ 1994 p. 90 et 102); dans ces
conditions, le séquestre ne constitue en principe pas une atteinte
inadmissible à la garantie de la propriété, voire à la liberté contractuelle
dont se prévaut le recourant.

2.3 En l'occurrence, il est reproché au recourant d'avoir provoqué la mort de
sa mère afin de pouvoir disposer des revenus d'immeubles dont il n'était
jusqu'alors que le nu-propriétaire. Certes, l'obtention des revenus des
immeubles n'apparaît pas être un élément objectif ou subjectif de
l'infraction reprochée; toutefois, il existe également un lien suffisant
entre l'infraction et les valeurs à confisquer lorsque ces dernières
constituent un avantage direct et immédiat découlant de l'infraction (arrêt
6S.819/1998 publié in SJ 1999 I p. 417). Or, il apparaît que l'infraction
reprochée au recourant serait la cause essentielle et adéquate de l'obtention
des revenus dont le recourant était frustré jusque-là, en qualité de
nu-propriétaire; cela suffit, sous l'angle de la vraisemblance, pour
envisager une application de l'art. 70 CP (art. 59 aCP).

2.4 L'arrêt attaqué se prononce sur l'existence de charges suffisantes à
l'encontre du recourant. Ces considérants sont pertinentes, dans la
perspective de l'application de l'art. 223 CPP/VD. Elles ne violent pas le
principe de la présomption d'innocence puisque la cour cantonale n'a pas
entendu s'exprimer de manière définitive sur la culpabilité du recourant,
mais seulement sur l'existence d'indices suffisants propres à asseoir une
décision de confiscation. La simple lecture de l'arrêt attaqué le fait
clairement ressortir, et rien ne permet d'y voir une déclaration prématurée
de culpabilité susceptible d'influer sur les juges du fond. Contrairement à
ce que soutient le recourant, on ne discerne pas en quoi la situation
financière précaire résultant de la décision attaquée pourrait influencer
l'autorité de jugement.

2.5 Le recourant invoque également le principe de la bonne foi, en relevant
que le séquestre n'a été prononcé qu'après quinze ou seize mois
d'instruction, et après que le juge d'instruction ait, dans un premier temps,
exclu une telle mesure. Le recourant ne prétend toutefois pas avoir été mis
au bénéfice d'une quelconque assurance de la part du magistrat instructeur;
celui-ci a manifestement attendu certains développements de son enquête avant
de prendre la décision attaquée. Le grief est donc manifestement mal fondé.

2.6 Sous l'angle de la proportionnalité, l'arrêt attaqué ne prête pas non
plus le flanc à la critique. Le recourant se dit exposé à des actes de
poursuite, voir à la réalisation des biens en propriété commune, sans
toutefois prétendre que des poursuites seraient déjà en cours. Le recourant
ne semble pas privé de moyens au point de ne pouvoir faire face aux dépenses
les plus urgentes. L'entretien et la gestion des immeubles sont en
particulier assurés. Au demeurant, s'agissant d'un séquestre provisoire, le
respect du principe de la proportionnalité se limite pour l'essentiel à la
garantie du minimum vital (arrêt 1P.21/2007 du 2 mai 2007; ATF 106 III 107).
Quant aux droits de la défense, ils ne sont pas en l'état menacés compte tenu
des provisions versées jusqu'ici aux avocats du recourant. Aucune des
dispositions constitutionnelles et conventionnelles citées par le recourant
ne garantissent d'ailleurs le droit absolu à un ou plusieurs avocats de
choix.

3.
Sur le vu de ce qui précède, le recours doit être rejeté, en tant qu'il est
recevable. Le recourant a demandé l'assistance judiciaire, mais la condition
d'indigence n'est pas remplie, compte tenu des biens dont il paraît disposer.
Le recourant n'a d'ailleurs pas requis l'assistance judiciaire pour
l'instance précédente. Conformément à l'art. 66 al. 1 LTF, les frais
judiciaires sont mis à la charge du recourant. Il n'est pas alloué de dépens.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est rejeté.

2.
La demande d'assistance judiciaire est rejetée.

3.
Les frais judiciaires, arrêtés à 2000 fr., sont mis à la charge du recourant.

4.
Le présent arrêt est communiqué en copie au mandataire du recourant, au
Ministère public et au Tribunal d'accusation du Tribunal cantonal du canton
de Vaud.

Lausanne, le 25 octobre 2007

Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse

Le président:  Le greffier: