Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Öffentlich-rechtliche Abteilung, Beschwerde in Zivilsachen 1A.56/2007
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1A.56/2007 /col

Arrêt du 24 septembre 2007
Ire Cour de droit public

MM. les Juges Féraud, Président,
Aemisegger et Reeb.
Greffier: M. Kurz.

F. ________,
recourante, représentée par Maîtres Paul Gully-Hart et Benjamin Borsodi,
avocats,

contre

Juge d'instruction du canton de Genève,
case postale 3344, 1211 Genève 3,
Cour de justice du canton de Genève, Chambre d'accusation, case postale 3108,
1211 Genève 3.

Entraide judiciaire internationale en matière pénale avec la Belgique,

recours de droit administratif contre l'ordonnance de la Chambre d'accusation
du 30 mai 2007.

Faits:

A.
Le 21 septembre 2005, un Juge d'instruction au Tribunal d'Anvers (Belgique) a
adressé à la Suisse une demande d'entraide judiciaire dans le cadre d'une
enquête pénale dirigée notamment contre B.________ et C.________. Ceux-ci
sont soupçonnés d'un trafic de diamants bruts dont le produit contribuerait
au financement des conflits armés en Afrique (diamants de la guerre), et d'un
trafic de diamants taillés introduits frauduleusement sur le territoire
belge. Des sociétés genevoises auraient établi de faux certificats. Au total,
il s'agirait de 561 importations de diamants bruts, d'une valeur de plus de
370 millions d'euros. Ces agissements, constitutifs de "formation d'une
organisation criminelle" en droit belge, correspondraient à une escroquerie
fiscale en droit suisse. L'autorité requérante fournissait une liste des
sociétés impliquées, parmi lesquelles F.________. Celle-ci aurait participé à
huit importations, pour une valeur de plus de 30 millions d'euros. L'autorité
belge demande des perquisitions et la saisie de la documentation (notamment
bancaire) concernant les sociétés impliquées.
Le Juge d'instruction genevois, chargé de l'exécution de cette demande, est
entré en matière le 25 octobre 2005.
Le 15 novembre 2005, l'autorité requérante a présenté un complément faisant
état de comptes bancaires utilisés pour organiser la fraude ou en recueillir
le produit. Le Juge d'instruction a ordonné la production des documents
d'ouverture et de l'état de ces comptes.
Par ordonnance du 19 décembre 2005, le Juge d'instruction a décidé de
transmettre à l'autorité requérante les documents relatifs à diverses
sociétés. Sur recours de celles-ci, la Chambre d'accusation genevoise a
considéré que la demande d'entraide n'était pas suffisamment motivée: elle ne
mentionnait pas l'existence de faux documents, et se bornait à faire état de
certificats "Kimberley" incomplets et de factures émanant de sociétés
suspectes. Il n'était donc pas possible de se prononcer sur la condition de
la double incrimination, ni d'établir un lien entre les agissements
poursuivis et les comptes découverts en Suisse.

B.
Invitée à compléter sa démarche, l'autorité requérante a précisé, le
31 juillet 2006, que B.________ avait mis sur pied une organisation
permettant, par le biais de sociétés de transports et de bureaux
d'expédition, de fournir des diamants et des bijoux au noir à des grossistes
anversois. Arrivée en transit en Belgique, la marchandise était détournée
durant un transfert entre aéroports, et livrée à des diamantaires d'Anvers;
elle était remplacée par de la poudre de diamant de valeur inférieure, à
destination de l'Ile Maurice ou de Dubaï, d'où elle était réexpédiée, via
Genève, à Anvers, sur la base de fausses factures. Dans ce contexte,
F.________ aurait participé à la vente de 12 lots de diamants bruts provenant
d'Israël, d'une valeur totale d'environ 28 millions d'USD. La marchandise
avait été revendue le même jour ou le lendemain à une société diamantaire
d'Anvers, pour près de 30 millions d'USD. F.________ serait une société
"coquille" dont l'intervention serait uniquement destinée à augmenter
fictivement la valeur des diamants, par la production de fausses factures et
de faux certificats "Kimberley". La production de la documentation bancaire
(documents d'ouverture et historique) était jugée essentielle pour la
manifestation de la vérité.

C.
Le 22 décembre 2006, le Juge d'instruction a rendu une nouvelle ordonnance de
clôture portant sur les documents d'ouverture du compte détenu par F.________
auprès de la banque X.________ à Genève, ainsi qu'un lot de poudre de diamant
(recte: de diamants bruts) saisi aux Ports Francs de Genève.
Par ordonnance du 30 mai 2007, la Chambre d'accusation a rejeté le recours
formé par F.________. Le modus operandi et la participation de la société
recourante étaient exposés de manière suffisante dans la demande
complémentaire. Cela permettait d'admettre un cas d'escroquerie fiscale, et
justifiait les investigations de l'autorité requérante concernant l'existence
et l'activité réelle des sociétés impliquées, notamment la recourante.
Celle-ci avait eu l'occasion de s'exprimer sur le tri des documents à
transmettre. Sous l'angle de la proportionnalité, l'autorité requérante
n'avait pas demandé la saisie et la remise du lot de diamants; la décision de
clôture devait être annulée sur ce point. En revanche, les documents
d'ouverture paraissaient pertinents, notamment le "profil client" susceptible
de renseigner l'autorité requérante sur la bonne foi dont se prévalait la
recourante.

D.
F.________ forme un recours de droit administratif contre cette dernière
ordonnance. Elle conclut principalement à l'irrecevabilité ou au rejet de la
demande d'entraide judiciaire et à l'annulation de la décision attaquée;
subsidiairement, elle demande que le "profil client" ne soit pas transmis à
l'autorité requérante.
La Chambre d'accusation se réfère à sa décision. Le Juge d'instruction et
l'Office fédéral de la justice concluent au rejet du recours dans la mesure
où il est recevable. La recourante a répliqué.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
Conformément aux art. 110b EIMP et 132 al. 1 LTF, les procédures de recours
contre une décision de clôture rendue avant l'entrée en vigueur de la
nouvelle réglementation sont régies intégralement (contrairement à ce que
semble retenir la Chambre d'accusation dans son indication des voies de
droit) par l'ancien droit.

1.1 Le recours de droit administratif est interjeté en temps utile contre une
décision confirmée par l'autorité cantonale de dernière instance, relative à
la clôture de la procédure d'entraide judiciaire (art. 80f de la loi fédérale
sur l'entraide internationale en matière pénale - EIMP, RS 351.1). La
recourante a qualité pour agir, en tant que détentrice du compte bancaire
visé par la décision de clôture (art. 80h let. b EIMP et 9a let. b OEIMP).

1.2 La Confédération suisse et le Royaume de Belgique sont tous deux parties
à la Convention européenne d'entraide judiciaire en matière pénale (CEEJ; RS
0.351.1). Les dispositions de ce traité l'emportent sur le droit autonome qui
régit la matière, soit l'EIMP et son ordonnance d'exécution (OEIMP; RS
351.11). Le droit interne reste toutefois applicable aux questions non
réglées, explicitement ou implicitement, par le traité et lorsqu'il est plus
favorable à l'entraide (ATF 129 II 462 consid. 1.1 p. 464; 123 II 134 consid.
1a p. 136; 122 II 140 consid. 2 p. 142 et les arrêts cités).

2.
La recourante estime que les exigences de motivation posées aux art. 14 CEEJ
et 28 EIMP ne seraient toujours pas respectées. Les infractions préalables et
la participation à une organisation criminelle ne feraient l'objet d'aucune
explication, pas plus que les surévaluations fictives de la valeur des
diamants reprochées à la recourante. Celle-ci serait simplement mentionnée
par l'autorité requérante, parmi 28 sociétés, en tant que cliente de
B.________; faute d'indications supplémentaires, il s'agirait d'une recherche
indéterminée de moyens de preuve. Sous l'angle de la double incrimination, la
recourante relève qu'elle n'est pas soupçonnée d'avoir participé aux
carrousels d'importations et d'exportations illicites, mais d'avoir surévalué
fictivement la valeur des lots de diamants. Or, le fait de réclamer un prix
surfait, par le recours à une société canadienne, n'équivaudrait pas à une
escroquerie. Les factures saisies ne seraient pas des faux, et les
certificats "Kimberley" auraient été établis conformément à l'ordonnance
fédérale sur les diamants (RS 946.231.11).

2.1 Selon l'art. 14 CEEJ, la demande d'entraide doit notamment indiquer son
objet et son but (ch. 1 let. b), ainsi que l'inculpation et un exposé
sommaire des faits (ch. 2). Ces indications doivent permettre à l'autorité
requise de s'assurer que l'acte pour lequel l'entraide est demandée est
punissable selon le droit des Parties requérante et requise (art. 5 ch. 1
let. a CEEJ), qu'il ne constitue pas un délit politique ou fiscal (art. 2 al.
1 let. a CEEJ), que l'exécution de la demande n'est pas de nature à porter
atteinte à la souveraineté, à la sécurité, à l'ordre public ou à d'autres
intérêts essentiels du pays (art. 2 let. b CEEJ), et que le principe de la
proportionnalité est respecté (ATF 118 Ib 111 consid. 4b et les arrêts
cités). Le droit interne (art. 28 EIMP) pose des exigences équivalentes, que
l'OEIMP précise en exigeant l'indication du lieu, de la date et du mode de
commission des infractions (art. 10 OEIMP). Lorsque l'acte poursuivi est une
escroquerie fiscale, la jurisprudence n'exige pas non plus une preuve stricte
de l'état de fait; il faut néanmoins des soupçons suffisamment justifiés,
afin d'éviter que l'autorité requérante invoque une telle infraction pour se
procurer des preuves destinées à la poursuite d'autres délits fiscaux pour
lesquels la Suisse n'accorde pas l'entraide (art. 3 al. 3 EIMP, art. 2 let. a
CEEJ; ATF 115 Ib 68 consid. 3b/bb).

2.2 La Suisse n'accorde pas l'entraide pour les délits fiscaux (art. 2 let. a
CEEJ et 3 al. 3, première phrase EIMP), sous la seule réserve de
l'escroquerie fiscale (art. 3 al. 3, deuxième phrase, EIMP; cf. ATF 125 II
250 consid. 2 p. 251/252). Le délit douanier peut prendre la forme du délit
fiscal, lorsque la réduction des taxes et contributions dues à l'Etat
requérant se fait lors de l'importation dans cet Etat de biens déterminés. En
pareil cas, le délit douanier ne donne lieu à l'entraide que s'il équivaut à
une escroquerie fiscale au sens de l'art. 3 al. 3 EIMP. Le délit fiscal est
défini par le droit de l'Etat requis. Il est indifférent à cet égard que le
droit de l'Etat requérant qualifie les faits décrits comme un délit pénal,
douanier ou fiscal ordinaire (ATF 125 II 250 consid. 3b p. 252/253; 115 Ib 68
consid. 3c p. 81 ss; art. 24 al. 2 OEIMP).

2.3 Dans sa demande initiale, l'autorité requérante fait état de deux
complexes de faits. D'une part, des diamants bruts "du conflit" auraient été
frauduleusement importés en Belgique et remis à quelque 75 sociétés
diamantaires en contournant, au moyen de faux certificats de provenance, le
processus de certification de Kimberley mis en place en avril 2003. La
marchandise aurait été vendue par des sociétés sises notamment aux
Etats-Unis, à Hong Kong, à l'Ile Maurice, aux Iles Vierges Britanniques et au
Canada, dont l'existence serait douteuse. Entre le 1er janvier 2003 et le 31
octobre 2004, 561 importations de ce genre auraient eu lieu, pour une valeur
de plus de 370 millions d'euros. D'autre part, des diamants taillés et des
bijoux seraient importés en Belgique depuis Genève et apparemment destinés à
l'Ile Maurice, après un retour à Genève; ces opérations ne paraîtraient pas
commercialement justifiées et pourraient dissimuler des importations au noir
durant le transfert effectué par C.________ entre deux aéroports en Belgique;
les diamantaires et commerçants d'Anvers seraient fournis sans payer les
impôts "de manière structurée".
Dans son complément du 31 juillet 2006, l'autorité requérante ne revient plus
sur le premier complexe de faits (importations de diamants "du conflit").
Elle explique en revanche plus clairement en quoi consistent les carrousels
de marchandises. Les diamants et bijoux arrivaient à l'Aéroport de Deurne
(Anvers), puis étaient transférés par route à l'Aéroport de Zaventem
(Bruxelles). Durant ce transfert, la marchandise était détournée, remise aux
commerçants d'Anvers et remplacée par de la poudre de diamant de moindre
valeur. Les paquets reconditionnés, contenant la poudre, étaient exportés
vers la destination officielle, soit l'Ile Maurice ou Dubaï, d'où ils
revenaient à Genève. La poudre de diamant était enfin renvoyée à Anvers, sous
couvert de fausses factures. Quatre sociétés, dont la recourante, auraient
participé à ces circuits, qui auraient permis de livrer en Belgique de la
marchandise qui ne devait qu'y transiter. Dans son exposé spécifique à la
recourante, l'autorité requérante ne mentionne certes que la surfacturation
de divers lots de diamants, découverte sur la base de factures et de
documents saisis durant l'enquête; cela ne signifie toutefois pas que seule
cette activité lui serait reprochée. La recourante, est également soupçonnée,
à l'instar des trois autres sociétés citées, de s'être prêtée aux agissements
décrits à titre principal dans l'exposé général de cette requête
complémentaire; selon l'autorité requérante, elle ne serait qu'une "société
coquille" utilisée aux fins d'importations frauduleuses, ainsi que pour
surévaluer de façon fictive la valeur des lots de diamants bruts.

2.4 Même si ces faits sont exposés dans une certaine confusion, il en ressort
suffisamment clairement que des commerçants Anversois ont obtenu des diamants
et bijoux en dehors des circuits officiels, ce qui leur permettait de ne pas
payer les impôts directs. Le processus d'importations décrit par l'autorité
requérante comprend de nombreux transferts, des substitutions de marchandise
et l'usage de fausses factures. Il s'agit par conséquent d'un délit douanier
équivalant à une escroquerie fiscale (cf., s'agissant de l'escroquerie
fiscale, ATF 125 II 250 consid. 3b p. 252, consid. 5a p. 257; 115 Ib 68
consid. 3a/bb p. 74 ss.). Dans la mesure où ce premier complexe de faits est
aussi reproché à la recourante, il n'est point besoin de qualifier selon le
droit suisse les actes de surfacturation qui lui sont également imputés. Les
indications apportées dans le complément du 31 juillet 2006 expliquent et
justifient le changement d'appréciation de la cour cantonale sur ce point, de
sorte que l'argument doit être écarté.

3.
La recourante invoque enfin le principe de la proportionnalité. Elle estime
en particulier que le document intitulé "profil de l'ayant droit économique",
soit un document interne de la banque, serait sans utilité pour l'autorité
requérante; les pronostics qui y figurent quant au chiffre d'affaires futur
seraient sans pertinence pour l'enquête étrangère.

3.1 En vertu du principe de la proportionnalité, l'entraide ne peut être
accordée que dans la mesure nécessaire à la découverte de la vérité
recherchée par les autorités pénales de l'Etat requérant. La question de
savoir si les renseignements demandés sont nécessaires ou simplement utiles à
la procédure pénale est en principe laissée à l'appréciation des autorités de
poursuite. La coopération internationale ne peut être refusée que si les
actes requis sont manifestement sans rapport avec l'infraction poursuivie et
impropres à faire progresser l'enquête, de sorte que la demande apparaît
comme le prétexte à une recherche indéterminée de moyens de preuve (ATF 122
II 367 consid. 2c p. 371; 121 II 241 consid. 3a p. 242/243). Le principe de
la proportionnalité empêche aussi l'autorité suisse d'aller au-delà des
requêtes qui lui sont adressées et d'accorder à l'Etat requérant plus qu'il
n'a demandé (ATF 121 II 241 consid. 3a p. 243). Cela n'empêche pas
d'interpréter la demande selon le sens que l'on peut raisonnablement lui
donner. Le cas échéant, une interprétation large est admissible s'il est
établi que toutes les conditions à l'octroi de l'entraide sont remplies; ce
mode de procéder évite aussi une éventuelle demande complémentaire (ATF 121
II 241 consid. 3a p. 243).

3.2 La transmission confirmée par la cour cantonale respecte ces principes.
En effet, selon la demande initiale, les actes requis consistaient notamment
à saisir, dans différents bureaux et domiciles privés, tous les documents
utiles à l'enquête, "y compris les comptes en banques", relatifs aux sociétés
visées. L'autorité requérante indique expressément que la révélation des
comptes bancaires de la recourante (documents d'ouverture et histoire) est
essentielle pour la manifestation de la vérité, en relation avec les
infractions de faux et de blanchiment.
Sur le vu de cette mission, définie de manière raisonnable, il n'est
nullement disproportionné de transmettre à l'autorité requérante les
renseignements propres à révéler l'existence du compte bancaire de la
recourante ainsi que de son ayant droit. Il paraît évident que les détails
figurant dans les documents d'ouverture, en particulier le "profil de l'ayant
droit économique", seront de nature à intéresser l'autorité requérante,
puisqu'ils contiennent notamment quelques renseignements sur l'activité de la
recourante. Les documents bancaires ne renferment au demeurant aucune donnée
précise sur les mouvements de fonds. On ne saurait dès lors reprocher à
l'autorité d'exécution d'être allée au-delà de la requête. La transmission
litigieuse procède d'une bonne compréhension de la demande d'entraide et
respecte ainsi le principe de la proportionnalité.

4.
Le recours de droit administratif doit par conséquent être rejeté, aux frais
de la recourante (art. 156 al. 1 OJ).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est rejeté.

2.
Un émolument judiciaire de 4000 fr. est mis à la charge de la recourante.

3.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires de la recourante, au
Juge d'instruction et à la Chambre d'accusation de la Cour de justice du
canton de Genève, ainsi qu'à l'Office fédéral de la justice (B 200 294).

Lausanne, le 24 septembre 2007

Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse

Le président:  Le greffier: