Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Öffentlich-rechtliche Abteilung, Beschwerde in Zivilsachen 1A.10/2007
Zurück zum Index I. Öffentlich-rechtliche Abteilung, Beschwerde in Zivilsachen 2007
Retour à l'indice I. Öffentlich-rechtliche Abteilung, Beschwerde in Zivilsachen 2007


1A.10/2007
1A.12/2007 /col

Arrêt du 3 juillet 2007
Ire Cour de droit public

MM. les Juges Féraud, Président,
Aemisegger et Reeb.
Greffier: M. Kurz.

A. ________,
B.________,
C.________,
D.________,
recourants, représentés par Me Pierre Schifferli, avocat,

contre

Ministère public de la Confédération,
Taubenstrasse 16, 3003 Berne.

Entraide judiciaire à la Fédération de Russie,

recours de droit administratif contre les décisions du Ministère public de la
Confédération du 8 décembre 2006.

Faits:

A.
Le 12 décembre 2005, le Parquet général de la Fédération de Russie a adressé
à la Suisse une demande d'entraide judiciaire, dans le cadre d'une enquête
pénale dirigée contre D.________ et E.________, des chefs d'escroquerie et
d'abus de confiance en raison des faits suivants.
La société F.________, dont l'actionnaire est l'Etat Russe, s'occupe de
transport maritime et de construction de navires. Elle compte, parmi ses
nombreuses filiales, les sociétés G.________, H.________, dont E.________
était le directeur jusqu'en mars 2005, date à laquelle il a été destitué avec
d'autres directeurs de filiales. Il est apparu qu'en 2002, E.________ avait
conclu, avec la société I.________ (société des Iles Vierges Britanniques
détenue par D.________), des contrats d'affrètement sans personnel (Bareboat
Charter) portant sur huit navires, pour une durée de 3 à 5 ans au terme de
laquelle les filiales s'engageaient à racheter les navires pour leur valeur
résiduelle. Les navires avaient été vendus par I.________ à une société
grecque, au mois de juillet 2004, pour plus de 170 millions d'US dollars
(soit un gain de 50 millions d'USD pour I.________), ce qui avait entraîné
l'annulation des contrats d'affrètement et le versement de 20 millions d'USD
d'indemnités.
En décembre 2002 et mai 2003, des filiales de F.________ - toujours
représentées par E.________ - avaient conclu des contrats de "Time-Charter"
avec les sociétés A.________ et B.________ (contrôlées par D.________),
portant sur deux navires pour un prix de 19'000 USD par 24 heures, alors que
le prix du marché était de 25'000 USD. Les contrats avaient été poursuivis
pour le compte de A.________ et de B.________, mais pour un prix de 32'500
USD et 41'500 USD. Le même genre d'opération avait été réalisé avec trois
navires affrétés à la société C.________ (elle aussi contrôlée par
D.________), et il en était résulté un manque à gagner de plus de 50 millions
d'USD pour F.________. Dans le cadre d'une procédure civile opposant la
direction de F.________ à E.________, de la documentation avait été saisie et
il était apparu que E.________, D.________ et leurs sociétés disposaient de
comptes bancaires en Suisse qui auraient pu servir au recyclage du produit de
leurs activités. L'autorité requérante désirait être renseignée à ce sujet.
Dans un complément du 21 avril 2006, l'autorité requérante expose notamment
qu'une activité de blanchiment d'argent aurait été commise entre février 2001
et février 2005.

B.
Par ordonnance du 6 avril 2006, le Ministère public de la confédération
(MPC), chargé d'exécuter cette demande, est entré en matière. A la suite
d'une ordonnance de renseignements bancaires du 28 avril 2006, il est
notamment apparu que B.________ était titulaire de deux comptes auprès de la
banque X.________ de Zurich (dont l'un avait été clôturé avant le 28 février
2001) et que A.________ était titulaire d'un compte auprès de la même banque.
Par ordonnances de clôture du 8 décembre 2006, le MPC a décidé de transmettre
à l'autorité requérante les documents d'ouverture, les relevés et la
correspondance relative aux comptes xxx détenu par A.________ et yyy détenu
par B.________. Le MPC a considéré que la condition de la double
incrimination était réalisée, les faits décrits dans la demande étant
constitutifs en droit suisse d'abus de confiance, escroquerie, gestion
déloyale et blanchiment d'argent. Les comptes étaient contrôlés par
D.________, et de nombreux versements avaient eu lieu en faveur de sociétés
lui appartenant, notamment la société J.________, société gérant l'un des
navires ayant fait l'objet d'un contrat de "Time-Charter".

C.
Par acte du 10 janvier 2007, A.________, B.________, C.________  et
D.________ forment un recours de droit administratif contre ces deux
décisions. Ils en demandent l'annulation, ainsi que le refus de l'entraide
judiciaire.
Le MPC conclut au rejet du recours en tant qu'il est formé par les sociétés
titulaires de comptes, et à son irrecevabilité en tant qu'il est formé par
d'autres personnes. L'Office fédéral de la justice conclut au rejet du
recours, dans la mesure où il est recevable, en se référant à sa prise de
position dans le cadre du recours de droit administratif formé par D.________
(cause 1A.7/2007) dans le cadre de la même procédure d'entraide judiciaire.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
Formé à l'encontre de deux décisions de clôture distinctes, le recours a
donné lieu à l'ouverture de deux dossiers. Les causes peuvent être jointes
afin qu'il soit statué à leur sujet par un seul arrêt.

1.1 Conformément aux art. 132 al. 1 LTF et 110b EIMP, les procédures de
recours contre des décisions rendues, comme en l'espèce, avant l'entrée en
vigueur de la nouvelle réglementation sont soumises à l'ancien droit.

1.2 La Confédération suisse et la Fédération de Russie sont toutes deux
parties à la CEEJ. Peut également s'appliquer en l'occurrence la Convention
européenne relative au blanchiment, au dépistage, à la saisie et à la
confiscation des produits du crime (CBl; RS 0.311.53), entrée en vigueur le
1er septembre 1993 pour la Suisse et le 1er décembre 2001 pour la Russie. Les
dispositions de ces traités l'emportent sur le droit interne régissant la
matière, soit l'EIMP et son ordonnance d'exécution (OEIMP; RS 351.11), qui
restent cependant applicables aux questions non réglées, explicitement ou
implicitement, par le droit conventionnel, et lorsque le droit interne est
plus favorable à l'entraide (ATF 123 II 134 consid. 1a p. 136; 122 II 140
consid. 2 p. 142; 120 Ib 120 consid. 1a p. 122/123, 189 consid. 2a p.191/192;
118 Ib 269 consid. 1a p. 271, et les arrêts cités).

1.3 Selon l'art. 80h let. b EIMP, a qualité pour agir quiconque est touché
personnellement et directement par une mesure d'entraide et a un intérêt
digne de protection à ce qu'elle soit annulée ou modifiée. La personne visée
par la procédure pénale étrangère peut recourir aux mêmes conditions (art. 21
al. 3 EIMP). La qualité pour agir est ainsi reconnue au titulaire d'un compte
bancaire dont les pièces sont saisies (art. 9a let. a OEIMP; ATF 130 II 162
consid. 1.1 p. 164; 127 II 198 consid. 2d p. 205; 126 II 258 consid. 2d/aa p.
260, et les arrêts cités), mais la dénie à l'ayant droit économique de ce
compte (ATF 130 II 162 consid. 1.1 p. 164; 122 II 130 consid. 2b p. 132/133),
ainsi qu'à l'auteur de documents saisis en mains de tiers (ATF 130 II 262
consid. 1.1 p. 164; 116 Ib 106 consid. 2a/aa p. 110), et cela même si la
transmission de renseignements demandés entraîne la révélation de son
identité (ATF 130 II 162 consid. 1.1 p. 164).
Sur le vu de ces principes, A.________ et B.________ ont chacune
indubitablement qualité pour recourir contre l'ordonnance portant sur la
transmission de documents relatifs au compte dont elles sont respectivement
titulaires. En revanche, ni sa qualité de personne poursuivie, ni son statut
d'ayant droit économique ne confèrent à  D.________ le droit de recourir,
quels que soient ses griefs à l'encontre de la procédure étrangère. Quant à
la société C.________  elle n'indique pas à quel titre elle entend intervenir
et, à défaut d'être titulaire de l'une des relations bancaires concernées,
son recours doit également être déclaré irrecevable.

2.
Sur le fond, les recourantes estiment que la transmission des documents
bancaires (qu'elles qualifient à tort de "simplifiée", puisque le MPC a
procédé selon l'art. 80d EIMP et non selon l'art. 80c EIMP) violerait les
principes de la proportionnalité, de l'ordre public suisse, de la spécialité
et de la double incrimination.

2.1 Elles estiment en premier lieu que de nombreuses pièces produites par
l'Etat requérant auraient été obtenues illégalement par des agents publics ou
privés; en particulier, les procureurs et policiers de Saint-Pétersbourg
auraient procédé à une fouille et menacé diverses personnes; des activités
d'espionnage illicite auraient aussi eu lieu sur sol helvétique, dont
proviendraient certaines pièces annexées à la demande d'entraide. Un agent
aurait tenté de se faire passer pour  D.________ afin d'obtenir des
renseignements auprès d'un établissement bancaire. Le MPC aurait dû prendre
ces faits au sérieux et interpeller l'autorité requérante.

2.2 Les recourantes se fondent sur de simples allégations; elles ne
démontrent pas, en particulier, que les activités de renseignement dont elles
se plaignent seraient le fait de l'Etat requérant ou de ses autorités. On
ignore tout notamment de l'identité de celui qui se serait fait passer pour
D.________. Il n'existe dès lors aucun indice concret permettant de suspecter
l'Etat étranger de se livrer à des mesures d'investigations illicites sur le
territoire helvétique. Pour le surplus, l'autorité suisse d'entraide n'a pas,
sous l'angle de l'art. 2 CEEJ, à s'interroger sur la validité des preuves
recueillies dans l'Etat requérant. Ces preuves ne doivent d'ailleurs pas
obligatoirement être produites à l'appui de la demande d'entraide. Supposé
recevable de la part de personnes morales (ATF 130 II 217 consid. 8.2 p.
227), le grief apparaît manifestement mal fondé.

2.3 Par ailleurs, contrairement à ce que soutiennent les recourantes,
l'affaire pénale pour laquelle l'entraide est requise ne présente aucun
caractère politique. L'existence d'un procès civil parallèlement à la
procédure pénale ne constitue pas non plus une circonstance particulière qui
imposerait une attitude restrictive de la part de l'autorité suisse
d'entraide.

3.
Les recourantes estiment ensuite que la demande d'entraide serait
insuffisamment motivée. L'autorité requérante aurait omis de produire les
documents contractuels dûment signés par les dirigeants de F.________, et
d'indiquer en quoi consistait le dommage subi par cette dernière. L'état de
fait de l'autorité requérante serait insuffisant pour déterminer la nature
des infractions poursuivies.

3.1 Selon l'art. 14 CEEJ, la demande d'entraide doit notamment indiquer son
objet et son but (ch. 1 let. b), ainsi que l'inculpation et un exposé
sommaire des faits (ch. 2). Ces indications doivent permettre à l'autorité
requise de s'assurer que l'acte pour lequel l'entraide est demandée est
punissable selon le droit des Parties requérante et requise (art. 5 ch. 1
let. a CEEJ), qu'il ne constitue pas un délit politique ou fiscal (art. 2 al.
1 let. a CEEJ), que l'exécution de la demande n'est pas de nature à porter
atteinte à la souveraineté, à la sécurité, à l'ordre public ou à d'autres
intérêts essentiels du pays (art. 2 let. b CEEJ), et que le principe de la
proportionnalité est respecté (ATF 118 Ib 111 consid. 4b et les arrêts
cités). Le droit interne (art. 28 EIMP) pose des exigences équivalentes, que
l'OEIMP précise en exigeant l'indication du lieu, de la date et du mode de
commission des infractions (art. 10 OEIMP).

3.2 Même si elle n'est pas des plus claires, la commission rogatoire contient
suffisamment d'informations pour juger de son admissibilité. Les inculpés se
voient reprocher deux complexes de faits. Dans le premier, des filiales de
F.________ ont conclu avec I.________ des contrats de "Sale and Leaseback"
portant sur huit navires. Ceux-ci ont ensuite été vendus par I.________,
privant ainsi F.________ d'un gain de 50 millions d'USD qu'elle aurait
réalisé en procédant elle-même à la vente, et lui causant simultanément un
dommage de 20 millions d'USD en raison de l'annulation des contrats de
Charter. Le second complexe de faits porte sur des contrats de "Time-Charter"
accordés pour un montant nettement inférieur au prix du marché (19'000 USD au
lieu de 25'000), ce qui aurait permis aux sociétés A.________, B.________ et
C.________, par l'intermédiaire de G.________, de réaliser un gain important
en concluant elles-mêmes les contrats du même type pour des montants
nettement supérieurs, et aurait causé à F.________ un manque à gagner de 50
millions d'USD. L'autorité requérante précise encore qu'au mois d'août 2004,
D.________ se serait adressé au directeur de G.________ afin d'obtenir la
remise ou la destruction de documents relatifs aux affaires de F.________.
Dans les deux cas, les sociétés du groupe F.________ étaient représentées par
E.________, et les sociétés ayant bénéficié des opérations appartenaient à
D.________, les deux hommes étant intervenus auprès de la direction générale
de F.________ afin d'obtenir la conclusion de contrats qui se sont révélés
contraires aux intérêts du groupe. Ces indications permettent de définir les
auteurs, les dates et les montants des infractions, ainsi que, dans une
mesure suffisante, le mode opératoire. Cela satisfait aux conditions de
l'art. 14 CEEJ, et l'autorité suisse d'entraide n'a pas à exiger de preuves
de la part de l'Etat requérant, ni à examiner l'argumentation à décharge qui
lui est soumise par les recourantes.

4.
L'exposé de l'autorité requérante permet ainsi également de se déterminer
sous l'angle de la double incrimination. Celle-ci s'examine en effet "prima
facie", sur la seule base des faits allégués (ATF 124 II 184 consid. 4b/cc p.
188).
Or, il apparaît que l'intervention de E.________ auprès de la direction de
F.________ afin que celle-ci consente à conclure des marchés défavorables en
faveur des sociétés contrôlées par D.________, suffit à admettre l'infraction
de gestion déloyale avec un dessein d'enrichissement illégitime (art. 158 al.
1 ch. 3 CP). Tel est le cas des contrats de "Time-Charter" avec les sociétés
A.________, B.________ et C.________, qui ont permis à ces dernières de
réaliser des gains importants au détriment du groupe F.________. Tel peut
également être le cas des contrats de "Bareboat-Charter", dans la mesure où
le but visé était de permettre la vente des navires, causant un préjudice de
20 millions de francs (indemnités d'annulation des contrats) et un manque à
gagner de 50 millions d'USD (bénéfice de la vente des navires que F.________
aurait pu réaliser directement). En outre, l'autorité requérante mentionne
une tentative de suppression de titres, également punissable en droit suisse
(art. 254 CP). Enfin, le soupçon de blanchiment d'argent est allégué de
manière suffisante, et l'infraction serait aussi punissable en droit suisse
(art 305bis CP) dans la mesure où l'infraction de base constitue, comme en
l'espèce, un crime.

5.
Les recourantes estiment que la procédure serait exclusivement de caractère
civil, et redoutent que les renseignements recueillis en Suisse ne soient
utilisés dans la procédure civile pendante à Londres entre D.________ et
F.________, en violation du principe de la spécialité.

5.1 Comme cela est relevé ci-dessus, les faits décrits par l'autorité
requérante et la procédure dirigée contre les deux inculpés, soit E.________
et D.________, revêtent un caractère pénal indéniable, et rien ne permet de
mettre en doute l'intention de l'autorité requérante sur ce point.

5.2 Quant au principe de la spécialité (art. 67 EIMP), il est rappelé dans le
détail dans les décisions attaquées. En outre, l'autorité requérante a
précisé dans sa demande qu'elle n'utiliserait les renseignements recueillis
que pour les besoins de la procédure pénale (demande, p. 16), ce qui démontre
qu'elle connaît les réserves de la Suisse à cet égard et qu'elle est d'ores
et déjà prête à en assurer le respect. Les craintes des recourantes sur ce
point apparaissent sans fondement.

6.
Sur le vu de ce qui précède, le recours est irrecevable en tant qu'il émane
de D.________ et de C.________. Il est rejeté dans la mesure où il est formé
par A.________ et B.________. Conformément à l'art. 156 al. 1 OJ, un
émolument judiciaire global (soit 4000 fr. pour chaque cause) est mis à la
charge des recourants.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est irrecevable en tant qu'il est formé par D.________ et
C.________. Le recours est rejeté en tant qu'il est formé par A.________ et
par B.________.

2.
Un émolument judiciaire de 8000 fr. est mis à la charge des recourants.

3.
Le présent arrêt est communiqué en copie au mandataire des recourants et au
Ministère public de la Confédération ainsi qu'à l'Office fédéral de la
justice (B 203 143).

Lausanne, le 3 juillet 2007

Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse

Le président:  Le greffier: