Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

Sozialrechtliche Abteilungen U 249/2006
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U 249/06

Arrêt du 16 juillet 2007
Ire Cour de droit social

MM. et Mmes les Juges Ursprung, Président, Widmer, Schön, Leuzinger et
Frésard.
Greffier: M. Métral.

Hoirs de L.________, ,
recourants, représentés par Me Jean-Marie Agier, avocat, Service juridique
d'Intégration handicap, place du Grand-Saint-Jean 1, 1003 Lausanne,

contre

Caisse nationale suisse d'assurance en cas d'accidents, Fluhmattstrasse 1,
6004 Lucerne,
intimée,

concernant L.________, décédé.

Assurance-accidents,

recours de droit administratif contre le jugement du Tribunal des assurances
du canton de Vaud du 1er février 2006.

Faits:

A.
L. ________, né en 1933, a travaillé pour le compte de l'entreprise
E.________ SA, de 1968 à 1995. A ce titre, il était assuré contre les
accidents professionnels et non professionnels, et contre les maladies
professionnelles, par la Caisse nationale suisse d'assurance en cas
d'accidents (ci-après : CNA).

Dans le cadre de son activité professionnelle, L.________ a été en contact
avec des fibres d'amiantes (amiante-ciment). Du 1er novembre 1968 au 1er mars
1985, il était contremaître au dépôt de matières premières de l'usine. Il a
ensuite été muté au poste de magasinier, moins exposé aux fibres d'amiantes.
Dès 1976, il a été soumis à des contrôles médicaux préventifs réguliers lors
desquels le diagnostic de syndrome pulmonaire restrictif et obstructif a été
posé.

Le 16 juin 1991, le docteur T.________, médecin rattaché à la Division de
médecine du travail de la CNA, a examiné l'assuré et constaté un important
syndrome obstructif. Il a en revanche nié l'existence d'un syndrome
restrictif ou d'une atteinte radiologique typique permettant d'évoquer une
asbestose. L'atteinte respiratoire était, pour le docteur T.________,
caractéristique d'une bronchite chronique d'origine tabagique. Le 28 juin
1995, L.________ a consulté le docteur S.________, spécialiste en médecine
interne et pneumologie, en raison de ses difficultés respiratoires. Ce
médecin a confirmé le diagnostic de syndrome obstructif sévère, avec
probablement un emphysème, et a prescrit une oxygénothérapie à domicile. Il a
attesté une incapacité de travail totale.

En août 2002, des radiographies du thorax ont conduit les médecins à
suspecter un cancer dans la zone supérieure du hile droit. L'assuré a été
hospitalisé dès le 14 juillet 2003 à l'Hôpital X.________ en raison d'une
néoplasie pulmonaire droite en progression (probable carcinome épidermoïde
kératinisant). Il est décédé le 3 décembre suivant.

Les docteurs B.________, R.________ et O.________, médecins à l'Hôpital
Y.________, ont pratiqué une autopsie, le jour du décès. Ils ont constaté
l'existence d'un carcinome épidermoïde moyennement et peu différencié de la
bronche souche droite, des bronchiectasies surinfectées et foyers multiples
de bronchopneumonie en partie micro-abcédante intéressant les lobes moyen et
inférieur droits, ainsi qu'un emphysème diffus, en partie bulleux, du poumon
gauche. Selon ces médecins, le décès était secondaire à une insuffisance
respiratoire dans un contexte d'emphysème pulmonaire et atélectasie chez un
patient porteur d'un carcinome épidermoïde, à point de départ bronchique,
avec extension massive dans le parenchyme pulmonaire avoisinant et dans la
région para-hilaire droite. L'examen histologique des prélèvements effectués
dans les poumons n'avait pas mis en évidence de pathologie pouvant clairement
être attribuée à l'exposition à l'amiante, notamment pas de corps
asbestosiques, pas de foyer de fibrose du parenchyme pulmonaire ni
d'épaississement pleural (rapport du 24 décembre 2003). Par la suite,
l'Hôpital Y.________ a envoyé des prélèvements de tissu pulmonaire au docteur
V.________, médecin à l'Institut de pathologie de l'Hôpital Z.________.
L'analyse a révélé des traces d'amphiloasbeste (rapport du 17 juin 2004), qui
ne permettaient toutefois pas de revoir le diagnostic anatomo-pathologique
posé précédemment, selon le docteur O.________ (rapport complémentaire du 18
juin 2004).

Entre-temps, la CNA a nié que le décès de L.________ fût la conséquence d'une
maladie professionnelle et a refusé d'allouer des prestations d'assurance,
par décision du 7 mai 2004. Elle se fondait notamment sur un rapport du 4 mai
2004 du docteur T.________, d'après lequel l'exposition professionnelle de
l'assuré à l'amiante ne constituait pas la cause exclusive ni prépondérante
de son décès. Le docteur T.________ relevait que l'assuré avait fumé 25
cigarettes par jour en moyenne entre 1953 et 1995, de sorte que le tabagisme
constituait une cause plus vraisemblable du développement d'un cancer.

La veuve et les enfants de l'assuré, F.________, D.________ et C.________
L.________, ont formé opposition contre la décision du 7 mai 2004. Ils ont
produit un rapport établi le 1er juillet 2004 par le docteur P.________,
toxicologue, d'après lequel le décès de L.________ était imputable à une
exposition professionnelle à l'amiante. Le docteur T.________ a pris position
sur ce document (rapport du 7 décembre 2004).

Par décision sur opposition du 1er février 2005, la CNA a maintenu son refus
de prester.

B.
F.________, C.________ et D.________ L.________ ont déféré la cause au
Tribunal des assurances du canton de Vaud, en produisant un rapport
complémentaire établi par le docteur P.________ le 26 avril 2005. La CNA a
pour sa part produit une nouvelle détermination du docteur T.________
(rapport du 15 juin 2005).

La juridiction cantonale a rejeté le recours, par jugement du 1er février
2006.

C.
F.________, C.________ et D.________ L.________ interjettent un recours
contre ce jugement, dont ils demandent l'annulation. Ils concluent, sous
suite de dépens, à ce que soit reconnu le caractère professionnel de la
maladie ayant causé le décès de L.________ et au renvoi de la cause à
l'intimée pour nouvelle décision sur le droit aux prestations. A titre
subsidiaire, ils concluent au renvoi de la cause à la juridiction cantonale
pour complément d'instruction et nouveau jugement.

L'intimée conclut au rejet du recours, alors que l'Office fédéral de la santé
publique a renoncé à se déterminer.

Considérant en droit:

1.
La loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110) est
entrée en vigueur le 1er janvier 2007 (RO 2006 1205, 1242). L'acte attaqué
ayant été rendu avant cette date, la procédure reste régie par l'OJ (art. 132
al. 1 LTF; ATF 132 V 393 consid. 1.2 p. 395).

2.
Le litige porte sur le droit à des prestations d'assurance. Le pouvoir
d'examen du Tribunal fédéral n'est donc pas limité à la violation du droit
fédéral - y compris l'excès et l'abus du pouvoir d'appréciation - mais
s'étend à l'opportunité de la décision attaquée. Le tribunal n'est pas lié
par l'état de fait constaté par la juridiction inférieure et peut s'écarter
des conclusions des parties à l'avantage ou au détriment de celles-ci
(art. 132 OJ).

3.
Reprenant pour l'essentiel l'argumentation développée par le docteur
T.________, les premiers juges ont considéré qu'il n'était pas établi que
l'exposition aux fibres d'amiante subie par L.________ pendant sa carrière
professionnelle fût la cause prépondérante du cancer broncho-pulmonaire qui
avait entraîné son décès. Les recourants contestent ce point de vue. Ils
soutiennent notamment que selon la législation française, l'origine
professionnelle d'un cancer broncho-pulmonaire ne fait aucun doute lorsque
cette maladie se développe après une exposition à des poussières d'amiante
pendant 10 ans au moins, lors de travaux directement associés à la production
des matériaux contenant de l'amiante. Il conviendrait nécessairement d'en
conclure que le cancer développé par L.________, qui a exercé une profession
directement associée à la production de matériaux contenant de l'amiante,
pendant près de 22 ans, est une maladie professionnelle. Les recourants
s'appuient par ailleurs sur les rapports établis par le docteur P.________.

4.
4.1 Aux termes de l'art. 6 al. 1 LAA, les prestations d'assurance sont en
principe allouées en cas d'accident professionnel, d'accident non
professionnel et de maladie professionnelle. Sont réputées maladies
professionnelles les maladies dues exclusivement ou de manière prépondérante,
dans l'exercice de l'activité professionnelle, à des substances nocives ou à
certains travaux. Le Conseil fédéral établit la liste de ces substances ainsi
que celle de ces travaux et des affections qu'ils provoquent (art. 9 al. 1
LAA). Se fondant sur cette délégation de compétence, ainsi que sur
l'art. 14 OLAA, le Conseil fédéral a dressé à l'annexe I de l'OLAA la liste
des substances nocives, d'une part, et la liste de certaines affections,
ainsi que des travaux qui les provoquent, d'autre part. Selon la
jurisprudence, l'exigence d'une relation prépondérante est réalisée lorsque
la maladie est due pour plus de 50 % à l'action d'une substance nocive
mentionnée à l'annexe I de l'OLAA (ATF 119 V 200 consid. 2a et la référence;
RAMA 2006 no U 578 p. 174 [U 245/05] consid. 3.2). Les poussières d'amiante
font l'objet d'une telle mention.

4.2 La législation française prévoit que l'origine professionnelle d'un
cancer broncho-pulmonaire est présumée lorsque celui-ci se développe après
une exposition à des poussières d'amiante pendant 10 ans au moins, lors de
travaux directement associés à la production des matériaux contenant de
l'amiante (Tableau 30 bis des maladies professionnelles liées à l'amiante,
établi par le Décret no 96-445 du 22 mai 1996, en relation avec l'art. L.
461-1 du Code de la sécurité sociale). Cette présomption repose sur un choix
de politique sociale et législative, étroitement lié au système
d'indemnisation des victimes de maladies professionnelles en France. En
Suisse, ce système est fondé, en ce qui concerne les personnes qui ont été
exposées à des poussières d'amiante, sur les art. 9 al. 1 LAA, 14 OLAA ainsi
que sur l'annexe 1 de cette ordonnance. Il implique, pour l'ouverture du
droit aux prestations, d'établir que la maladie est due pour plus de 50 % à
l'action de l'amiante. En l'absence de base légale idoine, on ne saurait le
présumer au motif que les conditions posées, en France, par le Tableau 30 bis
des maladies professionnelles liées à l'amiante sont réunies.

5.
5.1 Les principaux risques pour la santé associés à l'exposition à l'amiante
sont le développement de fibroses (asbestose, lésions pleurales) et de
cancers (essentiellement carcinome bronchique et mésothéliome). Le risque de
développement d'une maladie en raison d'une exposition à l'amiante dépend en
particulier de l'intensité et de la durée d'exposition. Le temps de latence
avant l'apparition de la maladie est important (jusqu'à 40 ans, voire plus,
pour les cancers; Schönberger, Mehrtens, Valentin, Arbeitsunfall und
Berufskrankheit, Rechtliche und medizinische Grundlagen für Gutachter,
Sozialverwaltung, Berater und Gerichte, 7ème éd., Berlin 2003, p. 1167;
Triebig, Kentner, Schiele, Arbeitsmedizin, Handbuch für Theorie und Praxis,
Stuttgart 2003, p. 397 sv.).

Le carcinome bronchique est une atteinte répandue même dans une population
qui n'a pas été exposée à des poussières d'amiante. L'étiologie est
multifactorielle et il n'existe pas de critère clinique ou
anatomo-pathologique permettant d'isoler de façon certaine les cas de cancer
du poumon dus aux expositions professionnelles à l'amiante (Expertise
collective «Effets sur la santé des principaux types d'exposition à
l'amiante», réalisée en 1996 sous l'autorité de l'Institut national français
de la santé et de la recherche médicale [ci-après : expertise collective
Inserm], p. 250 ss, p. 411; Consensus report Asbestos, asbestosis and cancer
: the Helsinki criteria for diagnosis and attribution, Scandinavian Journal
of Work, Environment & Health, 23/1997 [4] p. 311 ss [ci-après : Consensus
report Asbestos, asbestosis and cancer]). Dans de tels cas de figure, la
jurisprudence admet néanmoins de reconnaître l'origine essentiellement
professionnelle d'une maladie lorsque l'on peut considérer, sur la base de
données épidémiologiques, que l'exposition professionnelle à la substance
nocive entraîne pour les personnes concernées un risque deux fois plus
important de contracter la maladie (SVR 2000 UV no 22 p. 75 [U 293/99]
consid. 4b; cf. également ATF 116 V 136 consid. 5c p. 143, RAMA 1997 no U 273
p. 176 consid. 3a).

5.2
5.2.1 Dans le rapport médical du 4 mai 2004, le docteur T.________ a exposé
que le risque de carcinome bronchique est multiplié par plus de 20 pour une
consommation de tabac même inférieure à celle de l'assuré. Pour l'amiante, un
doublement de la fréquence du carcinome bronchique n'est observé qu'à des
niveaux d'exposition relativement élevés qui s'accompagnent de modifications
anatomo-pathologiques typiques se traduisant par la présence de corps
asbestosiques, de foyers de fibrose pulmonaire ou de plaques pleurales. De
telles modifications n'ont pas été mises en évidence chez l'assuré, dont le
docteur T.________ attribue le décès essentiellement au tabagisme.

5.2.2 La consommation de tabac et l'exposition à l'amiante contribuent l'une
et l'autre à l'augmentation du risque de carcinome bronchique. Lorsqu'elles
sont cumulées, le risque relatif d'être atteint de cette maladie augmente
d'un facteur supérieur à la simple addition des risques découlant du
tabagisme ou de l'exposition à l'amiante seuls (Martin Rüegger, Pratique
actuelle en matière de reconnaissance des maladies professionnelles causées
par l'amiante, in : Informations médicales de la CNA no 76/2005, p. 91). Cela
étant, dans une population de fumeurs et dans une population de non-fumeurs,
l'augmentation du risque relatif de développer un cancer broncho-pulmonaire
ensuite d'une exposition à des poussières d'amiante est proportionnellement
identique, comme l'illustre le tableau suivant :

Amiante
non exposé
exposé
Tabac
non exposé
exposé
1
5,17
10,85
53,24

Autrement dit, si dans une population de fumeurs, les personnes ayant été
fortement exposées à des poussières d'amiante encourent un risque cinq fois
plus élevé que les autres de développer un carcinome bronchique, cette
augmentation du risque relatif est la même dans une population de non-fumeurs
(Schönberger, Mehrtens, Valentin, op. cit., p. 1174 sv.; Meyer, Le Bâcle,
Affections professionnelles liées à l'amiante, Situation en France, in :
Institut national français de recherche scientifique, Documents pour le
médecin du travail no 78/1999 p. 116;  cf. également Expertise collective
Inserm, p. 251 sv., p. 411 sv.).

On ne saurait donc exclure d'emblée que l'exposition à des poussières
d'amiante puisse constituer la cause prépondérante du développement d'un
carcinome bronchique chez l'assuré, pour le seul motif qu'il encourait déjà
un risque supérieur à la moyenne de développer cette maladie en raison de sa
forte consommation de cigarettes jusqu'en 1995.

6.
Le docteur P.________ accorde une importance déterminante au fait que le
docteur A.________, pneumologue, avait posé le diagnostic de syndrome
restrictif en 1977 déjà, puis de syndrome restrictif et obstructif dès 1979,
dans le contexte des contrôles préventifs périodiques ordonnés par la CNA. Il
expose que l'asbestose et la fibrose pleurale entraînent un syndrome
restrictif, alors que la fibrose des bronches entraîne plutôt, en se
combinant aux effets du tabagisme, un syndrome obstructif. Toujours d'après
le docteur P.________, le syndrome restrictif ne peut être attribué qu'à une
fibrose due à l'amiante, le syndrome obstructif laissant par ailleurs lui
aussi suspecter fortement une telle fibrose. Il relève encore divers indices
d'une asbestose dans les différents rapports médicaux établis en 2002. Le
docteur T.________ objecte pour sa part qu'il a nié, dès 1991, l'existence
d'un syndrome restrictif et que le syndrome obstructif doit être attribué aux
effets du tabagisme plutôt qu'à une asbestose. Il se réfère sur cette
question aux examens histologiques effectués à l'Hôpital Y.________ et à
l'Institut de pathologie de l'Hôpital Z.________, dont il déduit que le
développement d'une fibrose due à l'amiante est exclu.

Face à des avis médicaux aussi contradictoires, une expertise médicale est
nécessaire en vue de se prononcer sur le caractère professionnel du carcinome
bronchique dont l'assuré est décédé. Il appartiendra notamment à l'expert de
déterminer si les analyses histologiques et les constatations médicales
effectuées lors des examens de contrôle permettent effectivement d'établir
l'existence d'une fibrose dont on pourrait déduire, conformément à la
pratique de la CNA (Rüegger, loc. cit.), que l'exposition à l'amiante subie
par l'assuré a entraîné pour lui un doublement du risque de développer un
cancer pulmonaire. La cause sera donc renvoyée à l'intimée pour instruction
complémentaire et nouvelle décision.

7.
7.1 Plusieurs études épidémiologiques ont démontré qu'après une exposition
importante à des poussières d'amiante, le risque relatif d'être atteint d'un
carcinome bronchique peut être doublé sans qu'existe nécessairement une
asbestose concomitante. L'intimée admet que le risque relatif est doublé à
partir d'une exposition cumulative de 25 «fibres/années», l'exposition
cumulative en «fibres années» correspondant à la concentration moyenne de
fibres d'amiante respirable par cm3 d'air, multipliée par le nombre d'années
de travail (48 semaines par an, cinq jours par semaine et 8 heures par jour;
Rüegger, loc. cit., qui se réfère à Consensus report Asbestos, asbestosis and
cancer; cf. également Hans-Joachim Woitowitz, Aspects relatifs à la médecine
du travail et situation des maladies professionnelles,
www.asbestkonferenz2003.de, sous Actes de conférence, p. 13 ss).

Les recourants contestent ce seuil d'exposition de 25 «fibres/années». On
relèvera cependant que l'expertise collective réalisée sous l'autorité de
l'Inserm, et à laquelle le docteur P.________ a participé, ne permet pas de
retenir un seuil moins élevé. Cette étude fait en effet état d'un coefficient
d'accroissement du risque relatif de mortalité par cancer du poumon égal à 1
% pour une exposition à 1 fibre/année supplémentaire (Expertise collective
Inserm, p. 410); sur ce point, l'étude à laquelle se réfère l'intimée lui est
statistiquement moins favorable, puisqu'elle se fonde sur un coefficient
d'accroissement supérieur à 1 % (Consensus report Asbestos, asbestosis and
cancer). Quoi qu'il en soit, il est prématuré, en l'état du dossier, de
trancher définitivement la question du seuil d'exposition à partir duquel il
faut considérer, même en l'absence de modifications anatomo-pathologiques
typiques telles que l'asbestose, que le risque relatif de cancer
broncho-pulmonaire a été multiplié par deux. Il appartiendra à l'intimée
d'inviter l'expert qu'elle mandatera à préciser si les développements
scientifiques récents mettent en cause le seuil de 25 «fibres/années» ou, au
contraire, tendent à le confirmer.

7.2
7.2.1 En réponse à une demande de renseignements du docteur T.________,
l'ancien employeur de l'assuré a exposé que ce dernier avait travaillé du 1er
novembre 1968 au 1er mars 1985 en tant que responsable des matières
premières, et qu'il avait passé environ un tiers de son temps de travail en
dehors de la halle d'entreposage des matières premières, et deux tiers de son
temps «dans la halle principale et dans les locaux de préparation». Cela
correspond à environ 1300 heures par an à des postes de travail (no 2, 3, 4
et 5) auxquels la firme Amiantus a mesuré entre 0,25 et 0.80 fibres d'amiante
par cm3 d'air  (lettre du 3 décembre 2004 de l'entreprise E.________ SA au
docteur T.________ et rapport du 8 décembre 1976 de l'entreprise Amiantus,
annexé à cette lettre). Dans son rapport du 7 décembre 2004, le docteur
T.________ déduit de ces renseignements que l'assuré avait été soumis à une
exposition moyenne de 0,55 fibre/cm3 pendant quinze ans et quatre mois, à
raison de 2/3 de son temps de travail, ce qui représente une exposition
cumulée de 5,62 «fibres/années». Il précise que de mars 1985 jusqu'à la fin
de son activité pour E.________ SA, l'assuré avait oeuvré comme magasinier
dans le secteur des produits finis; l'exposition à l'amiante y était très
réduite et n'était pas de nature à entraîner une modification notable du
chiffre de 5,62 «fibres/années».

7.2.2 Les conclusions du docteur T.________ reposent sur des renseignements
insuffisamment précis fournis par l'ancien employeur de l'assuré. Le rapport
de la firme Amiantus indique par exemple que pour les postes de travail deux
et trois, les valeurs mesurées doivent être doublées pour un employé occupé
aux deux postes simultanément (ce qui porte la concentration mesurée à 1,6
fibre/cm3 au lieu de 0,80). Il y a donc une grande différence selon que
l'assuré a travaillé à ces deux postes de travail simultanément ou
alternativement, et selon qu'il a été affecté essentiellement à ces postes de
travail ou à d'autres moins exposés. A cela s'ajoute qu'Amiantus a précisé
avoir réalisé des mesures ponctuelles en octobre 1976, devant être répétées
pour acquérir une véritable valeur statistique. Or, on ignore si d'autres
mesures ont été réalisées dans les locaux d'E.________ SA, voire dans
d'autres entreprises semblables. Enfin, le rapport du 8 décembre 1976 indique
que les postes de travail deux et trois étaient équipés d'un système
d'aspiration des poussières très efficace. Il va de soi que si ce système de
ventilation n'a été installé que peu avant les mesures effectuées par
Amiantus - ce qui n'a pas été vérifié par l'intimée -, une référence à ces
mesures conduirait à sous-estimer notablement l'exposition à laquelle a été
soumis l'assuré depuis 1968.

Dans ces conditions, il appartiendra au besoin à la CNA, selon les résultats
de l'expertise médicale à mettre en oeuvre (cf. consid. 6 supra), de
compléter les renseignements figurant au dossier concernant l'exposition à
l'amiante à laquelle l'assuré a vraisemblablement été exposé. Il conviendra
en particulier de rechercher autant que possible la manière dont les postes
de travail étaient pourvus, quelle était l'occupation principale de l'assuré
dans le cadre de la réception des matières premières et quelles étaient les
concentrations de fibres d'amiante dans l'air aux différents postes de
travail. Le cas échéant, en l'absence de mesures fiables à l'usine E.________
SA, l'intimée devra se référer à des valeurs relevées dans d'autres
entreprises pour des postes comparables à ceux occupés par l'assuré.

8.
Le recourant obtient le renvoi de la cause à l'intimée pour instruction
complémentaire et nouvelle décision. Il peut donc prétendre des dépens à la
charge de l'intimée (art. 159 OJ), la procédure étant par ailleurs gratuite
(art. 134 OJ).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est partiellement admis. Le jugement du Tribunal des assurances du
canton de Vaud du 1er février 2006 et la décision sur opposition de la Caisse
nationale suisse d'assurance en cas d'accidents du 1er février 2005 sont
annulés, la cause étant renvoyée à l'intimée pour instruction complémentaire
et nouvelle décision. Le recours est rejeté pour le surplus.

2.
Il n'est pas perçu de frais de justice.

3.
L'intimée versera aux recourants la somme de 2500 fr. (y compris la taxe à la
valeur ajoutée) à titre de dépens pour l'instance fédérale.

4.
Le Tribunal des assurances du canton de Vaud statuera sur les dépens pour la
procédure de première instance, au regard de l'issue du procès de dernière
instance.

5.
Le présent arrêt sera communiqué aux parties, au Tribunal des assurances du
canton de Vaud et à l'Office fédéral de la santé publique.

Lucerne, le 16 juillet 2007

Au nom de la Ire Cour de droit social
du Tribunal fédéral suisse

Le Président: Le Greffier: