Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

Sozialrechtliche Abteilungen B 19/2006
Zurück zum Index Sozialrechtliche Abteilungen 2006
Retour à l'indice Sozialrechtliche Abteilungen 2006


B 19/06

Arrêt du 31 mai 2007
IIe Cour de droit social

MM. les Juges U. Meyer, Président,
Borella et Kernen.
Greffier: M. Wagner.

GastroSocial Caisse de pensions, Bahnhofstrasse 86, 5001 Aarau,
recourante, représentée par Me Jacques-André Schneider, avocat, Lachat Harari
& Associés,
rue du Rhône 100, 1204 Genève,

contre

R.________,
intimé.

Prévoyance professionnelle,

recours de droit administratif contre le jugement du Tribunal cantonal des
assurances sociales de la République et canton de Genève du 20 décembre 2005.

Faits:

A.
A.a R.________, né en 1941, a travaillé comme sommelier de manière
discontinue dans différents établissements publics. En dernier lieu, il a été
employé à partir du 4 août 1994 au restaurant X.________; à ce titre, il
était couvert pour les risques vieillesse, invalidité et survivants de la
prévoyance professionnelle auprès de la Fondation PVE Wirte, aujourd'hui,
GastroSocial Caisse de pensions.

Licencié pour le 31 octobre 1994, il s'est retrouvé en incapacité de travail
totale dès le 18 octobre 1994 en raison de douleurs dorsales suite à une
glissade dans sa salle de bain. Il n'a pas repris d'activité professionnelle.
Par jugement du 15 avril 1998, le Tribunal des prud'hommes du canton de
Genève a reporté la fin des rapports de travail au 31 décembre 1994.

A.b Le 20 octobre 1995, R.________ a requis de l'Office AI du canton de
Genève (l'office) le versement d'une rente d'invalidité en raison d'atteintes
au dos, aux articulations, à la nuque et aux épaules. L'office a recueilli
l'avis du docteur B.________, médecin traitant (rapport du 20 avril 1996),
versé au dossier différentes pièces médicales (rapports du docteur C.________
du 8 février 1996, ainsi que des docteurs T.________ et W.________ du 11 mars
1996) et confié à L'Hôpital Y.________ le soin de réaliser une expertise
pluridisciplinaire (mandat du 7 octobre 1996, rapport de synthèse du 25 mars
1997 et rapports annexes). Par décision du 1er juillet 1998, l'office a
reconnu le droit de R.________ à une demi-rente d'invalidité à partir du 1er
octobre 1995.

L'assuré a porté cette décision devant l'instance cantonale de recours; en
cours de procédure de nouvelles pièces médicales ont été versées au dossier,
notamment le rapport du docteur O.________, psychiatre, du 1er février 1999,
médecin traitant de l'assuré depuis le 8 octobre 1998. Par jugement du 1er
novembre 2001, la commission cantonale genevoise de recours en matière
d'AVS/AI a annulé la décision et renvoyé le dossier à l'office pour
complément d'instruction sous la forme d'une expertise, et pour un bilan au
Centre d'observation professionnelle de l'AI (COPAI), si nécessaire.

L'Hôpital Y.________, chargée de procéder à une nouvelle expertise, a adressé
à l'office le rapport du docteur G.________, chef de clinique, du 24 avril
2003, ainsi que les rapports des consultations spécialisées de neurologie,
des 28 avril et 5 mai 2003, de psychiatrie, du 13 mai 2003, et de
rhumatologie, du 30 mai 2003. Le docteur G.________ a précisé ses conclusions
dans un rapport complémentaire du 18 juillet 2003. Par décisions des 4 et
24 novembre 2003, l'office a mis R.________ au bénéfice d'une rente entière
d'invalidité à partir du 1er octobre 1994; le taux d'invalidité était de
100%, la demande était tardive et l'invalidité remontait au 10 juin 1989.

A.c Entre-temps, R.________ s'était adressé à l'institution de prévoyance et
avait requis le versement d'une rente d'invalidité. Le 3 novembre 2003,
celle-ci a rejeté la demande, considérant que R.________ n'appartenait pas au
cercle des personnes assurées par ses soins lorsqu'était survenue
l'incapacité de travail dont la cause était à l'origine de son invalidité.

B.
Le 7 juin 2005, R.________ a ouvert action devant le Tribunal cantonal des
assurances sociales de la République et canton de Genève contre l'institution
de prévoyance et conclu au versement d'une rente d'invalidité à partir du 21
octobre 1994, soit au jour de la demande un montant de 63'673 fr., avec
intérêts à 5 %.

Par jugement du 20 décembre 2005, la juridiction cantonale a admis
partiellement la demande, dit que le demandeur devait être mis au bénéfice
d'une rente d'invalidité par l'institution de prévoyance dès le mois
d'octobre 1995 (ch. 3 du dispositif), constaté que les rentes antérieures à
juin 2000 étaient prescrites (ch. 4 du dispositif), et condamné l'institution
à verser à R.________ les rentes arriérées avec intérêts à 5 % (ch. 5 du
dispositif).

C.
La caisse de pensions a interjeté un recours de droit administratif contre ce
jugement et a conclu à son annulation.

R. ________ a conclu au rejet du recours, tandis que l'Office fédéral des
assurances sociales a renoncé à se déterminer.

Considérant en droit:

1.
La loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110) est
entrée en vigueur le 1er janvier 2007 (RO 2005, 1242). L'acte attaqué ayant
été rendu avant cette date, la procédure reste régie par l'OJ (art. 132 al. 1
LTF; ATF 132 V 393 consid. 1.2 p. 395).

2.
Est litigieux, en l'espèce, le droit de l'intimé à des prestations
d'invalidité, plus particulièrement le point de savoir si l'événement assuré
au titre de la prévoyance professionnelle est survenu pendant la période
courant jusqu'au 30 janvier 1995 durant laquelle celui-ci a été assuré auprès
de la recourante.

En effet, selon le règlement de la recourante en vigueur à l'époque (valable
dès le 1er janvier 1985), toute personne assurée qui est invalide au sens de
l'AI a droit à une rente complémentaire d'invalidité équivalente au 30 % du
salaire assuré (art. 17 al. 1) et il n'est pas contesté que l'intimé est
invalide au sens de cette disposition.

3.
Selon la jurisprudence, l'événement assuré au sens de l'art. 23 LPP est
uniquement la survenance d'une incapacité de travail d'une certaine
importance, indépendamment du point de savoir à partir de quel moment et dans
quelle mesure un droit à une prestation d'invalidité est né. La qualité
d'assuré doit exister au moment de la survenance de l'incapacité de travail,
mais pas nécessairement lors de l'apparition ou de l'aggravation de
l'invalidité. Ces principes sont aussi applicables en matière de prévoyance
plus étendue, à tout le moins en l'absence de dispositions statutaires ou
réglementaires contraires (ATF 123 V 262 consid. 1a et b p. 263 s. et les
références citées). A cet égard, le moment de la survenance de l'incapacité
de travail ne peut faire l'objet d'hypothèses ou de déductions purement
spéculatives, mais doit être établi au degré de la vraisemblance
prépondérante habituel dans le domaine des assurances sociales (TrEx 2002 p.
295, arrêt B 35/00 du 22 février 2002).

Pour que l'institution de prévoyance reste tenue à prestations après la
dissolution du rapport de prévoyance, il faut cependant non seulement que
l'incapacité de travail ait débuté à une époque où l'assuré lui était
affilié, mais encore qu'il existe entre cette incapacité de travail et
l'invalidité une relation d'étroite connexité. La connexité doit être à la
fois matérielle et temporelle (ATF 130 V 270 consid. 4.1 p. 275). Il y a
connexité matérielle si l'affection à l'origine de l'invalidité est la même
que celle qui s'est déjà manifestée durant le rapport de prévoyance (et qui a
entraîné une incapacité de travail). La connexité temporelle implique qu'il
ne se soit pas écoulé une longue interruption de l'incapacité de travail;
elle est rompue si, pendant une certaine période qui peut varier en fonction
des circonstances du cas, l'assuré est à nouveau apte à travailler (ATF 123 V
262 consid. 1c p. 265, 120 V 112 consid. 2c/aa p. 117).

4.
4.1 Les premiers juges ont considéré que la recourante n'était pas liée par la
décision de l'assurance-invalidité. En revanche, ils ont estimé que le
principe et le degré de l'invalidité admis par l'office n'étaient pas
contestables et que le droit à la rente était né en octobre 1995. A cet
égard, ils ont retenu les conclusions de l'expert G.________, lequel avait
fixé le début de l'incapacité totale de travail au mois d'octobre 1994, et
observé que les différentes atteintes à la santé présentées par l'intimé
pendant la période d'assurance étaient en définitive toutes liées; ils ont
considéré que l'essentiel résidait dans la survenance d'une incapacité de
travail durable pendant la période d'assurance, réalisée en l'espèce à partir
du mois d'octobre 1994, et qu'il importait peu que sa cause ou son taux se
fussent modifiés avec le temps. Dès lors, le droit à la rente était né en
octobre 1995; toutefois, vu la demande formée en juin 2005, l'intimé ne
pouvait prétendre au versement des arrérages de la rente qu'à partir du mois
de juin 2000 en raison de la prescription.

4.2 Pour la recourante, ni la décision de l'office, ni la conclusion de
l'expert, selon laquelle l'intimé présentait en 1994 déjà une incapacité de
travail totale au titre de l'atteinte psychique à l'origine de son
invalidité, ne sauraient lui être imposées. La première en raison de la
procédure menée par l'office, la seconde au motif qu'une incapacité de
travail en raison d'une affection psychiatrique n'était pas établie au degré
de la vraisemblance prépondérante pendant la couverture d'assurance. Dans
l'hypothèse où elle devrait néanmoins verser des prestations d'invalidité,
celles-ci ne porteraient intérêt qu'à partir de la date de la demande déposée
devant le tribunal cantonal.

5.
5.1 Les premiers juges ont considéré à juste titre que la décision de
l'office ne liait pas la recourante. D'une part, l'office ne l'avait pas
associée à la procédure l'ayant amené à reconnaître le droit de l'intimé à
des prestations d'invalidité; de l'autre, il avait reconnu que ce dernier
présentait une incapacité de travail totale depuis le 10 juin 1988 de manière
manifestement erronée au regard du compte individuel AVS  de l'intimé.

5.2 L'invalidité de l'intimé est indiscutablement due à une affection
psychique. En effet, au terme d'examens et consultations spécialisés, le
docteur G.________, spécialiste FMH en médecine interne, chef de clinique au
département de médecine communautaire de l'Hôpital Y.________, a retenu dans
son rapport de synthèse du 24 avril 2003 un état dépressif, une somatisation
probable et une fibromyalgie comme diagnostics ayant une répercussion sur la
capacité de travail. L'intimé présentait un état dépressif moyen associé à un
probable trouble somatoforme douloureux en relation partielle avec
l'infarctus de 1988 et à un isolement social de longue date chez un patient
ne possédant que très peu de ressources personnelles pour gérer le stress
entraîné par la maladie cardiaque. L'évolution de la symptomatologie
douloureuse associée aux points corrélatifs permettaient de poser le
diagnostic de fibromyalgie, laquelle faisait partie de la pathologie
psychiatrique (rapport complémentaire du 18 juillet 2003). Au plan physique,
il n'y avait aucune incidence de limitation objective tant du point de vue
cardiaque que du point de vue neurologique; cependant la fibromyalgie pouvait
expliquer la symptomatologie douloureuse et entraver la capacité de travail.
Au plan psychique et mental, les limitations étaient majeures et d'un
pronostic réservé; elles étaient responsables d'une fatigabilité importante,
d'une démotivation et de douleurs articulaires multiples. Au plan social, le
patient possédait un tissu extrêmement restreint, apparaissait peu intégré et
était sans ressource familiale. En l'état actuel, il n'y avait aucune
capacité de travail résiduelle en tant que serveur; le rendement du patient
était fortement diminué en raison des arthralgies multiples et de la
fatigabilité, correspondant à une capacité de travail nulle.

5.3 Il convient dès lors de déterminer à quel moment l'atteinte à la santé
psychique à l'origine de l'invalidité de l'intimé a entraîné une incapacité
de travail d'une certaine importance.

5.3.1 Selon l'expert G.________, l'intimé ressentait une fatigue, une
fatigabilité, des douleurs articulaires multiples et une thymie dépressive
depuis 1988 au moins; l'incapacité de travail (d'au moins 20 %) remontait à
1982 environ; elle était restée stable jusqu'en 1988, où elle était devenue
de plus en plus irrégulière, puis était devenue totale en octobre 1994.
L'état de santé de l'intimé s'était modifié de façon notable depuis
l'expertise de 1997, dont les conclusions relatives à l'incapacité de travail
étaient en désaccord avec les siennes; en effet, l'intimé mentionnait
clairement depuis 1994 des symptômes d'état dépressif entraînant une fatigue
ainsi qu'une fatigabilité probablement sous évaluées lors de la première
expertise.

5.3.2 Sur certains points, les conclusions de l'expert paraissent
péremptoires au regard du dossier. Ainsi, l'appréciation selon laquelle une
incapacité de travail de 20 % au moins s'était déjà manifestée en 1982 n'est
corroborée par aucune pièce médicale de l'époque et repose ainsi sur les
seuls éléments recueillis lors de l'anamnèse. De même, s'il est vrai que la
documentation médicale recueillie en procédure évoque de manière
circonstanciée l'infarctus du myocarde transmural circonférentiel de juin
1988 et ses suites, les certificats d'incapacités de travail relatifs à ces
événements et aux problèmes de dos consécutifs sont limités au 2 juillet
1989. Toutefois, ces éléments ne sont pas déterminants et peuvent rester
indécis sous l'angle de la prévoyance professionnelle. En effet, il ressort
du dossier qu'entre 1982 et fin 1993 l'intimé a travaillé dans différents
établissements publics en plein et pendant des périodes suffisamment longues
(« Z.________ » d'avril à décembre 1984; « A.________ » de janvier à novembre
1991); dès lors, un éventuel lien de connexité matérielle entre les
incapacités de travail présentées pendant cette période et l'invalidité
établie ultérieurement aurait été rompu au point de vue temporel.

5.3.3 En revanche, pour la période courant à partir de 1994, les conclusions
de l'expert - dont le rôle est de mettre ses connaissances spécifiques à
disposition de l'administration ou du juge (ATF 125 V 351 consid. 3b/aa p.
352 s.) - recoupées avec les autres éléments du dossier permettent de retenir
que l'atteinte à la santé psychique a eu des effets sensibles sur la capacité
de travail de l'intimé dans sa dernière activité et les 30 jours qui ont
suivi (août 1994 au 30 janvier 1995) et que l'incapacité de travail
déterminante a débuté à un moment où ce dernier bénéficiait de la couverture
du risque d'invalidité de la recourante. L'intimé avait été victime d'un
accident le 18 octobre 1994 et avait bénéficié, selon le dossier,
d'indemnités journalières perte de gain accident jusqu'au 30 novembre.
Cependant, selon le docteur B.________, l'intimé s'était trouvé en incapacité
de travail totale à partir du 18 octobre 1994 et présentait toujours une
telle incapacité, d'une durée indéterminée, le 20 avril 1996; le patient
souffrait de sciatalgie sur discopathie et présentait deux facteurs de risque
cardiovasculaire. Même si la présence d'une affection psychique n'a pas été
retenue à l'origine, on constate, sur la base des explications fournies par
l'expert, que l'incapacité de travail, attribuée à l'origine aux troubles
orthopédiques et cardiovasculaires par le docteur B.________ était en réalité
imputable à l'affection psychique diagnostiquée ultérieurement. La
caractéristique du trouble de somatisation est un ensemble de plaintes
somatiques récurrentes, multiples et cliniquement significatives (Manuel
diagnostique et statistique des troubles mentaux [DSM-IV-TR], 4ème éd., Paris
2003, p. 562) et il n'est pas surprenant que les médecins aient, dans un
premier temps, concentré leurs investigations sur la présence éventuelle
d'atteintes à la santé physique. On relèvera cependant que la plupart des
médecins qui ont examiné l'intimé ont relevé le stress, l'angoisse et
l'anxiété de ce dernier, tous éléments retenus dans la discussion lors de
l'évaluation psychiatrique en lien avec la fatigue et les douleurs multiples.
On retiendra donc que l'incapacité de travail déterminante a débuté pendant
la période de couverture de la recourante. A cet égard, le fait que l'intimé
se soit présenté à son  employeur le 1er ou le 10 décembre 1994 n'est pas
significative, les troubles présentés par l'intimé étant caractérisés par
leur nature chronique et fluctuante (Manuel cité, p. 564) et aucune reprise
du travail n'ayant eu lieu à ce moment ou par la suite.

5.3.4 En outre, on relèvera que l'assurance-invalidité, sur la base des
pièces dont elle disposait en juillet 1998, lesquelles n'attribuaient pas au
volet pathologique psychiatrique une incidence déterminante sur la capacité
de travail, reconnaissait déjà par sa décision du 1er juillet 1998 le droit
de l'intimé à une demi-rente d'invalidité à partir du 1er octobre 1995,
rapportant ainsi la survenance de l'incapacité de travail corrélative à une
époque où l'intimé était affilié à la recourante.

6.
Conformément à la jurisprudence, la recourante n'est tenue de verser un
intérêt moratoire de 5 % sur les prestations qui sont dues à l'intimé  qu'à
partir du 7 juin 2005, date de la demande en justice (cf. ATF 119 V 131; RSAS
1997 p. 470 consid. 4 [B 11/95]). Sur ce dernier point, le recours se révèle
être bien fondé.

7.
Vu la nature du litige, la procédure est gratuite (art. 134 OJ).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est admis très partiellement. Le chiffre 5 du dispositif du
jugement du Tribunal cantonal des assurances sociales de la République et
canton de Genève, du 20 décembre 2005, est modifié en ce sens que les
prestations dues à l'intimé portent intérêts à 5 % l'an dès le 7 juin 2005.

2.
Il n'est pas perçu de frais de justice.

3.
Le présent arrêt sera communiqué aux parties, au Tribunal cantonal des
assurances sociales de la République et canton de Genève et à l'Office
fédéral des assurances sociales.

Lucerne, le 31 mai 2007

Au nom de la IIe Cour de droit social
du Tribunal fédéral suisse

Le Président: p. le Greffier: