Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
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Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

Sozialrechtliche Abteilungen B 15/2006
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B 15/06

Arrêt du 15 novembre 2007
IIe Cour de droit social

MM. les Juges U. Meyer, Président,
Borella et Kernen.
Greffier: M. Berthoud.

Caisse paritaire de prévoyance de l'industrie et de la construction, rue
Malatrex 14, 1201 Genève, recourante, représentée par Me Jacques-André
Schneider, avocat, rue du Rhône 100, 1204 Genève,

contre

F.________,
intimé, représenté par Me Francine Payot Zen-Ruffinen, avocate, 72, bld
Saint-Georges, 1205 Genève.

Prévoyance professionnelle,

recours de droit administratif contre le jugement du Tribunal cantonal des
assurances sociales de la République et canton de Genève du 16 novembre 2005.

Faits:

A.
F. ________, né en 1959, a travaillé depuis 1989 en qualité de maçon au
service de l'entreprise X.________, laquelle était affiliée à la Caisse
paritaire de prévoyance de l'industrie de la construction (CPPIC).

En 1991, F.________ a souffert de sciatalgies et de lombalgies qui ont
entraîné une incapacité totale de travailler de juillet à octobre. En 1993,
le docteur G.________, spécialiste en neurochirurgie, a attesté que le
patient était en arrêt de travail depuis le 10 mai de cette année-là en
raison de lombalgies chroniques l'empêchant de se baisser; il a ajouté que
ces lombalgies, banales dans le contexte d'une discopathie L4-L5 débutante,
étaient aggravées par la situation psychologique dans laquelle se trouvait
l'intéressé (rapport du 18 octobre 1993). L'incapacité de travail pour cause
de maladie a été confirmée par les docteurs K.________, spécialiste en
médecine interne et en rhumatologie (rapport du 16 mars 1994), et C.________,
spécialiste en psychiatrie et psychothérapie, ce dernier ayant ajouté que le
patient avait présenté un état dépressif réactionnel à partir du mois de
septembre 1992 (rapport du 4 mai 1994). Le 25 février 1994, F.________ s'est
annoncé à l'assurance-invalidité afin de bénéficier d'un reclassement
professionnel. Son employeur a mis un terme aux relations de travail avec
effet au 1er août 1994, en raison de l'état de santé.

Dans un rapport du 8 janvier 1996, les docteurs R.________, spécialiste en
psychiatrie et psychothérapie, et O.________, spécialiste en rhumatologie,
médecins au Centre Y.________, ont posé les diagnostics de sinistrose
compensée proche d'une situation de simulation, actuellement sans état
dépressif franc, ainsi que de lombosciatalgie gauche entrant dans le cadre
d'une somatisation. A leur avis, l'origine du processus devait être
recherchée dans un conflit conjugal. Quant à la capacité de travail, elle
était totale dans une activité ne sollicitant pas trop le dos.

Par décision du 29 mai 1997, l'Office cantonal de l'assurance-invalidité
A.________ (l'office AI) a nié le droit de l'assuré à des mesures de
réadaptation professionnelle ainsi qu'à une rente. L'assuré a déféré cette
décision à la Commission cantonale genevoise de recours en matière d'AVS/AI
qui a admis partiellement son recours par jugement du 15 juillet 1999. Tout
en niant le droit à la rente, la commission a renvoyé la cause à l'office AI
afin qu'il mette en oeuvre des mesures d'ordre professionnel à l'échéance de
la procédure de divorce. Ce jugement n'a pas été attaqué.

A l'occasion d'une visite médicale préliminaire à un stage d'observation
professionnelle, le docteur K.________ a recommandé de mettre en oeuvre une
nouvelle expertise psychiatrique (rapport du 27 septembre 2001). L'office AI
a dès lors confié un mandat d'expertise à la Clinique Z.________,
fonctionnant en qualité de COMAI. Les doctoresses D.________ et B.________,
spécialistes en médecine interne, ont requis des examens spécialisés, tant en
psychiatrie auprès des docteurs E.________ et V.________, qu'en rhumatologie
auprès du professeur S.________. Dans leur rapport du 19 février 2003, elles
ont diagnostiqué un trouble somatoforme douloureux persistant de l'hémicorps
gauche et du rachis ainsi qu'un trouble dépressif récurrent, épisode actuel
sévère sans symptôme psychotique, en indiquant que ces affections avaient une
influence essentielle sur la capacité de travail. Les expertes ont précisé
que leur appréciation s'éloignait complètement de celle des docteurs
U.________ et R.________, qui avaient vu le patient en 1994 et 1996. La
capacité de travail raisonnablement exigible dans une activité de type plutôt
occupationnel s'élevait d'après elles à 30 % au maximum.

Le docteur L.________, médecin au SMR, a retenu un syndrome douloureux
chronique sous-tendu par une comorbidité psychiatrique de trouble dépressif
récurrent sur un terrain de personnalité certainement vulnérable. Il a estimé
qu'on se trouvait en présence d'une maladie de longue durée depuis le mois
d'avril 1993, justifiant une incapacité de travail de 100 % dès ce moment-là
pour raison psychiatrique très probablement définitive (rapport du 10 avril
2003).

Dans un prononcé du 24 avril 2003, l'office AI a fixé le degré d'invalidité à
100 % à partir du 19 avril 1994. Par cinq décisions du 20 novembre 2003, il a
alloué à l'assuré une rente entière d'invalidité avec effet rétroactif au
1er avril 1994.

Le 4 mars 2004, F.________ a demandé à la CPPIC de lui adresser copie des
décisions de la prévoyance professionnelle. Au cours de l'échange de
correspondance qui s'en est suivi, cette institution de prévoyance a fait
savoir qu'elle refusait d'allouer des prestations d'invalidité (cf. écritures
des 17 et 26 mars, 11 mai, 16 juin et 16 juillet 2004).

B.
F.________ a saisi le Tribunal cantonal des assurances sociales du canton de
Genève, le 26 août 2004, en concluant à ce que la CPPIC fût condamnée à lui
verser une rente d'invalidité à partir du 1er avril 1994, avec intérêts.

La CPPIC a conclu au rejet de la demande. En bref, elle a soutenu que la
cause principale de l'invalidité résidait dans la sinistrose qui avait débuté
au plus tôt en octobre 1993 et que la condition de la connexité matérielle
n'était pas réalisée. De plus, elle a déclaré qu'elle n'était pas liée par la
décision de rente de l'AI, notamment parce que celle-ci revenait sur un refus
de rente prononcé en 1997 qui avait été confirmé par le tribunal des
assurances.

Par jugement du 16 novembre 2005, la juridiction cantonale a admis la demande
et condamné en tant que de besoin la CPPIC à verser une rente d'invalidité au
demandeur à compter du 1er avril 1994, sous réserve de surindemnisation.

C.
La CPPIC a interjeté un recours de droit administratif contre ce jugement
dont elle a demandé l'annulation, en concluant au rejet de la demande de
rente du 26 août 2004. Elle ne conteste pas être débitrice de l'indemnité de
dépens de 2'000 fr. fixée au ch. 6 du dispositif du jugement attaqué.

L'intimé a conclu principalement à l'irrecevabilité du recours,
subsidiairement à son rejet, avec suite de dépens. L'Office fédéral des
assurances sociales s'est abstenu de prendre position, à l'issue de son
préavis.

Considérant en droit:

1.
La loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110) est entrée
en vigueur le 1er janvier 2007 (RO 2006 1205, 1242). L'acte attaqué ayant été
rendu avant cette date, la procédure reste régie par l'OJ (art. 132 al. 1
LTF; ATF 132 V 393 consid. 1.2 p. 395).

2.
Le recours est recevable. En particulier, l'acte de recours porte la
signature (art. 108 al. 2 OJ) d'une personne habilitée à agir pour le compte
de l'institution de prévoyance recourante (cf. procuration du 23 janvier
2006).

3.
Le litige porte sur le droit de l'intimé à une rente d'invalidité de la
prévoyance professionnelle, à charge de l'institution de prévoyance
recourante.
Dans la procédure de recours concernant l'octroi ou le refus de prestations
d'assurance, le pouvoir d'examen du Tribunal fédéral n'est pas limité à la
violation du droit fédéral - y compris l'excès et l'abus du pouvoir
d'appréciation - mais s'étend également à l'opportunité de la décision
attaquée. Le tribunal n'est alors pas lié par l'état de fait constaté par la
juridiction inférieure, et il peut s'écarter des conclusions des parties à
l'avantage ou au détriment de celles-ci (art. 132 OJ).

4.
Les premiers juges ont exposé correctement les règles applicables à la
solution du litige. Il suffit ainsi de renvoyer au jugement attaqué, plus
particulièrement aux consid. 5 et 6 qui rappellent les conditions du droit à
la rente (art. 23 LPP, dans sa teneur en vigueur jusqu'au 31 décembre 2004,
et 26 LPP; ATF 130 V 270 consid. 4.1 p. 275 et les références).

5.
5.1 Suivant l'art. 41 al. 1 LPP dans sa teneur en vigueur jusqu'au 31 décembre
2004 (laquelle s'applique au cas d'espèce : ATF 129 V 1 consid. 1.2 p. 4 et
les références), les actions en recouvrement de créances se prescrivent par
cinq ans quand elles portent sur des cotisations ou des prestations
périodiques, par dix ans dans les autres cas. Les art. 129 à 142 du code des
obligations sont applicables. Le Tribunal fédéral des assurances a eu
l'occasion, à plusieurs reprises, de préciser la portée de l'art. 41 al. 1
aLPP. Il a jugé que dans le cas d'une rente d'invalidité, chacun des
arrérages se prescrit par cinq ans, alors que le droit de percevoir les
rentes comme tel se prescrit dans le délai ordinaire de dix ans (ATF 117 V
329 consid. 4 p. 332; RSAS 2004 p. 454, 1997 p. 562 consid. 5b; arrêts F. du
18 avril 2005, B 109/04 et S. du 22 février 2005, B 47/04).

5.2 La recourante se prévaut de la prescription du droit (Stammrecht) à la
rente. Elle allègue que le droit à cette prestation est né en avril 1994, car
c'est à ce moment-là que l'intimé a été reconnu comme invalide par l'AI (cf.
art. 29 al. 1 let. b LAI) et qu'il aurait ainsi pu avoir droit à ses
prestations, en application de l'art. 26 al. 1 LPP. A son avis, la
prescription a été atteinte en avril 2004, de sorte que la demande en
paiement du 26 août 2004 formée devant le Tribunal des assurances n'était
plus susceptible d'interrompre la prescription.

De son côté, l'intimé soutient que la créance n'est devenue exigible qu'en
2003, en vertu de l'art. 130 CO, si bien que le délai de prescription de dix
ans n'a commencé à courir qu'à partir de cette année-là. Il allègue en outre
qu'il avait interrompu la prescription à de nombreuses reprises, conformément
à l'art. 135 ch. 2 CO.

5.3 Soulevée pour la première fois dans le cadre du recours de droit
administratif, l'exception de prescription est recevable, d'autant que le
Tribunal fédéral jouit en l'espèce d'un pouvoir d'examen étendu
(cf. consid. 3, supra).

On ne saurait suivre le raisonnement de l'intimé, car en matière de
prestations périodiques, le délai de prescription court, quant au droit d'en
réclamer le service, dès le jour de l'exigibilité du premier terme demeuré
impayé (art. 131 CO). Avec la recourante, il convient d'admettre que le délai
de prescription de dix ans a commencé à courir dès le mois d'avril 1994, au
moment de la naissance du droit à la rente de l'assurance-invalidité (cf.
art. 26 al. 1 LPP et 29 LAI). L'intimé n'a d'ailleurs fourni aucune preuve
permettant d'admettre qu'il aurait accompli, entre le mois d'avril 1994 et le
26 août 2004, l'un des actes énumérés de façon exhaustive à l'art. 135 ch. 2
CO, susceptibles d'interrompre la prescription en matière de prévoyance
professionnelle (arrêt A. du 30 juillet 2007, K 70/06, destiné à la
publication au Recueil officiel, consid. 4.3.1; arrêt B. du 16 octobre 2006,
B 55/05, SVR 2007 BVG no 18 p. 61, consid. 4.2.3). Les premiers juges ont
certes constaté, au ch. 11 de l'état de fait du jugement attaqué, que
l'intimé avait déposé une demande de prestations auprès de la CPPIC le
24 avril 1995, mais pareille requête - à l'instar des écritures que l'intimé
a adressées à la recourante en 2004 - ne constitue pas un acte interruptif de
prescription selon l'art. 135 ch. 2 CO.

On ajoutera que l'art. 41 al. 1 LPP a été modifié au 1er janvier 2005, en ce
sens que « le droit aux prestations ne se prescrit pas pour autant que les
assurés n'aient pas quitté l'institution de prévoyance lors de la survenance
du cas d'assurance ». La LPP ne prévoit pas de disposition transitoire
relative aux délais de prescription stipulés par l'ancien art. 41 al. 1 LPP.
Cependant, la modification de cette disposition au 1er janvier 2005 n'est de
toute façon pas applicable en l'espèce, dès lors que la prescription pour la
créance que fait valoir l'intimé était déjà acquise conformément à l'ancien
art. 41 al. 1 LPP au moment de l'entrée en vigueur du nouveau droit (cf.
consid. 1.2 de l'arrêt F. du 18 avril 2005, précité).

Comme le droit à la rente était atteint par la prescription, le 26 août 2004,
la juridiction cantonale aurait dû rejeter la demande dont elle était saisie.
Le jugement attaqué sera dès lors réformé en ce sens.

6.
La procédure est gratuite (art. 134 OJ).

La recourante a renoncé expressément à contester le chiffre 6 du dispositif
du jugement attaqué. Ce point du jugement sera dès lors confirmé, la Cour de
céans n'ayant aucune raison de statuer ultra petita.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours de droit administratif est admis. Le jugement du Tribunal cantonal
des assurances sociales du canton de Genève du 16 novembre 2005 est réformé
en ce sens que la demande du 26 août 2004 est rejetée.

2.
Il n'est pas perçu de frais de justice.

3.
Le présent arrêt sera communiqué aux parties, au Tribunal cantonal des
assurances sociales du canton de Genève et à l'Office fédéral des assurances
sociales.

Lucerne, le 15 novembre 2007

Au nom de la IIe Cour de droit social
du Tribunal fédéral suisse

Le Président: Le Greffier:

Meyer Berthoud