Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
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Kassationshof in Strafsachen 6S.361/2006
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{T 0/2}
6S.361/2006 /rod

Arrêt du 15 novembre 2006
Cour de cassation pénale

MM. les Juges Schneider, Président,
Kolly et Zünd.
Greffière: Mme Kistler.

Procureur général du canton de Genève,
1211 Genève 3,
recourant,

contre

X.________,
intimé, représenté par Me Yves Bertossa, avocat,

Internement (art. 43 ch. 1 al. 2 CP),

pourvoi en nullité contre l'arrêt de la Cour de cassation du canton de Genève
du 21 juillet 2006.

Faits:

A.
Par arrêt du 12 octobre 2005, la Cour d'assises du canton de Genève a
condamné X.________, à la peine de deux ans et demi de réclusion, pour viol
de Y.________ et pour contrainte sexuelle et contrainte sur la personne de
Z.________. Cette peine était complémentaire à celle de dix ans de réclusion
et quinze ans d'expulsion du territoire suisse prononcée le 13 mai 2003 par
la Cour d'assises, notamment, pour délit manqué de meurtre.

A.a  La condamnation prononcée le 12 octobre 2005 repose sur les faits
suivants:

X.________ a fait la connaissance de Y.________, née le 1er juin 1980, au
bord du lac, dans le courant du printemps 2000. En mars 2000, il l'a invitée
chez lui pour manger avec des amis. La jeune fille s'est toutefois retrouvée
seule avec X.________, qui s'est soudain montré agressif et violent. Celui-ci
l'a frappée, l'a fait tomber à terre et l'a déshabillée. Passant outre le
fait qu'elle n'était pas consentante, il a tenté de la sodomiser, sans y
parvenir, puis l'a pénétrée vaginalement et a éjaculé, tout en l'injuriant.

Au début du mois d'avril 2003, alors qu'il était incarcéré à la prison de
Champ-Dollon, X.________ a demandé à Z.________ qui partageait sa cellule de
lui faire des massages sur le dos et les jambes, puis de le masturber, ce que
Z.________, terrorisé par le comportement et les menaces de X.________, n'a
pas osé refuser.

A.b  En cours d'enquête, X.________ a été soumis à une expertise
psychiatrique. L'expert a déposé son rapport le 11 janvier 2005. Se fondant
principalement sur les dossiers médicaux de X.________ dès lors que celui-ci
a refusé d'être entendu, il a constaté que l'expertisé souffrait d'un trouble
grave de la personnalité, non spécifique, regroupant un certain nombre de
traits de personnalité du registre paranoïaque, antisocial, impulsif. Il a
assimilé ce trouble de la personnalité à un développement mental incomplet.
Selon l'expert, cette pathologie relationnelle, aggravée par l'usage de
produits illicites, présente un potentiel de violence et de dangerosité non
négligeable.

Répondant à la question de savoir si un traitement médical ou des soins
spéciaux étaient nécessaires pour limiter ou atténuer le danger de voir
l'intéressé commettre d'autres actes punissables (art. 43 ch. 1 al. 1 CP),
l'expert a déclaré qu'un traitement psychiatrique serait probablement voué à
l'échec en raison de l'état mental de l'intéressé et du peu de motivation
montré à ce jour pour un traitement psychothérapeutique. Selon l'expert,
l'expertisé devait continuer de bénéficier d'une approche sociothérapeutique
dans le but d'éliminer ou d'atténuer le danger de le voir commettre d'autres
actes punissables.

En ce qui concerne l'opportunité d'un internement (art. 43 ch. 1 al. 2 CP),
l'expert a répondu qu'en raison de son état mental et en l'absence de prise
en charge thérapeutique, l'expertisé compromettait aujourd'hui gravement la
sécurité publique et qu'un internement serait justifié. Compte tenu du nombre
d'années d'incarcération qui pourraient lui être infligées, il n'était pas en
mesure de se prononcer sur le potentiel de dangerosité de l'expertisé au
terme de sa peine. Ce potentiel de dangerosité devrait être réévalué.

Lors de l'audience chez le juge d'instruction, l'expert a confirmé son
rapport, déclarant que "l'expertisé compromettait gravement la sécurité
publique et qu'un internement était justifié". Il a précisé qu'il avait
utilisé dans son rapport le conditionnel, dès lors que la certitude absolue
n'existait pas en médecine. Il a ajouté que l'expertisé n'avait montré
jusqu'à ce jour que peu de motivation pour une relation psychothérapeutique.

X. ________ suivait certes un traitement sociothérapeutique, mais c'était
insuffisant pour répondre à la question de la dangerosité. L'expert a conclu
que la dangerosité de l'intéressé devrait être réexaminée à l'avenir, en
particulier au terme de sa peine.

A.c  La Cour d'assises genevoise a renoncé à prononcer l'internement de
X.________ pour les motifs suivants:
"S'agissant d'une ultima ratio, il y a lieu de pouvoir s'appuyer sur une base
autrement plus solide et étayée. Or, l'expertise (...) ne conclut à
l'internement qu'au conditionnel, avec la précision que la dangerosité de
l'expertisé n'est pas en état d'être appréciée par ses soins compte tenu des
circonstances, étant observé qu'il n'a pu rencontrer l'expertisé. L'expert
dit lui-même que la dangerosité devra faire l'objet d'une nouvelle évaluation
au terme du parcours carcéral de l'accusé, lequel peut modifier les données
du problème. Ce sont là autant d'obstacles à une décision grave que rien ne
justifie en l'état."

"(...) La continuation de l'approche socio-thérapeutique préconisée par
l'expert constitue une mesure adéquate et adaptée aux besoins de l'accusé.
Cette prise en charge dans l'Unité de "La Pâquerette" s'inscrit dans la
continuité de ce qui existe depuis septembre 2004, l'accusé ayant d'ailleurs
fait savoir qu'il était d'accord de suivre un tel traitement, lequel semble
porter des fruits prometteurs si l'on en croit l'appréciation produite ce
jour et l'attestation du [médecin responsable]." (arrêt de la Cour d'assises,
p. 15/16).

B.
Par arrêt du 21 juillet 2006, la Cour de cassation genevoise a rejeté les
pourvois de X.________ et du Procureur général genevois.

En ce qui concerne l'internement, elle a déclaré qu'"il n'était pas démontré
que l'internement qui, en l'absence regrettable d'un établissement
spécialisé, sera exécuté dans un établissement pénitentiaire, sera plus
efficace, pour contenir la dangerosité du délinquant, que l'exécution d'une
peine dans le même établissement, celle-ci offrant par ailleurs, en l'espèce,
la possibilité pour le détenu de poursuivre la sociothérapie actuellement en
cours." Rappelant que la mesure d'internement devait rester l'ultima ratio,
elle a conclu que "l'exécution des deux peines de réclusion, lesquelles
représentent un total de douze ans et demi, apparaît aujourd'hui comme étant
suffisante à écarter la dangerosité que celui-ci présente pour autrui ainsi
que le risque de récidive, ce d'autant que X.________, qui apparaît comme
étant un véritable psychopathe, n'est pas réceptif à des soins psychiatriques
et que sa responsabilité pénale a été admise comme étant pleine et entière."
(arrêt de la Cour de cassation genevoise, p. 14/15)

C.
Contre cet arrêt cantonal, le Procureur général de Genève dépose un pourvoi
en nullité devant le Tribunal fédéral. Il conclut à l'annulation de l'arrêt
attaqué, faisant valoir que la Cour de cassation aurait dû ordonner, en
conformité avec l'expertise psychiatrique, une mesure d'internement au sens
de l'art. 43 ch. 1 al. 2 CP.

L'intimé conclut au rejet du pourvoi, avec suite de dépens.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
1.1  Lorsque l'état mental d'un délinquant ayant commis, en rapport avec cet
état, un crime ou un délit, exige un traitement médical ou des soins spéciaux
et à l'effet d'éliminer ou d'atténuer le danger de voir le délinquant
commettre d'autres actes punissables, le juge peut ordonner le renvoi dans un
hôpital ou un hospice (art. 43 ch. 1 al. 1 CP). Il peut ordonner un
traitement ambulatoire si le délinquant n'est pas dangereux pour autrui (art.
43 ch. 1 al. 1 in fine CP). Si, en raison de son état mental, le délinquant
compromet gravement la sécurité publique et si cette mesure est nécessaire
pour prévenir la mise en danger d'autrui, le juge ordonne l'internement (art.
43 ch. 1 al. 2 CP). Avant de prononcer l'une des mesures prévues par l'art.
43 CP, le juge doit ordonner une expertise sur l'état physique et mental du
délinquant, ainsi que sur la nécessité d'un internement, d'un traitement ou
de soins (art. 43 ch. 1 al. 3 CP).

1.2  L'internement au sens de cette disposition vise deux catégories de
délinquants. D'une part, il s'applique aux auteurs particulièrement dangereux
qui ne sont accessibles à aucun traitement. D'autre part, il est destiné aux
délinquants qui nécessitent un traitement et sont aptes à être traités, mais
dont on peut craindre qu'ils ne commettent de graves infractions également
pendant un traitement ambulatoire ou alors qu'ils sont soignés dans un
hôpital ou un hospice au sens de l'art. 43 ch. 1 al. 1 CP. Il s'agit, dans
cette seconde hypothèse, de délinquants qui, en dépit d'un traitement ou de
soins, risquent sérieusement de commettre des infractions graves, surtout des
infractions de violence, que ce soit dans l'établissement hospitalier ou en
dehors de celui-ci. Les chances de guérison de cette catégorie de délinquants
sont incertaines à moyen et à court terme, de sorte que de graves délits sont
à craindre pendant le traitement (ATF 127 IV 1 consid. 2a p. 4).

Lors de l'examen du risque de récidive, il convient de tenir compte de
l'imminence et de la gravité du danger, mais aussi de la nature et de
l'importance du bien juridique menacé. Lorsque des biens juridiques
importants, tels que la vie ou l'intégrité corporelle, sont mis en péril, il
faut se montrer moins exigeant quant à l'imminence et à la gravité du danger
que lorsque des biens de moindre valeur, tels que la propriété ou le
patrimoine, sont menacés (ATF 127 IV 1 consid. 2a p. 5). Déterminer si le
délinquant compromet la sécurité publique et si la mesure d'internement est
nécessaire pour prévenir la mise en danger d'autrui est une question de droit
(ATF 127 IV 1 consid. 2a p. 5).

1.3  L'art. 43 ch. 1 al. 2 CP exige que l'internement soit nécessaire pour
prévenir la mise en danger d'autrui. Au vu de la gravité de l'atteinte à la
liberté personnelle que constitue l'internement, il ne doit être ordonné qu'à
titre d'ultima ratio lorsque la dangerosité existante ne peut être écartée
autrement. Il constitue ainsi une mesure subsidiaire, notamment par rapport à
la mesure curative de l'art. 43 ch. 1 al. 1 CP (ATF 118 IV 108 consid. 2a
p. 113; Stratenwerth, Schweizerisches Strafrecht, Allgemeiner Teil: Strafen
und Massnahmen, Berne 1989, § 11, n. 133).

La question de la délimitation entre la peine, assortie d'un éventuel
traitement ambulatoire, et l'internement est délicate. Selon la doctrine et
la jurisprudence, il est peu satisfaisant d'admettre, de manière générale,
que l'internement est subsidiaire à la peine. En effet, une peine infligée
pour une durée déterminée ne permet pas de tenir compte de manière adéquate
de l'évolution incertaine du condamné, que ce soit en sa faveur ou dans
l'intérêt de la sécurité publique. Ainsi, à supposer que le délinquant reste
dangereux ou devienne plus dangereux, les autorités pourront maintenir la
mesure d'internement qui pourra se prolonger au-delà de la durée de la peine.
En revanche, en cas de guérison, l'interné pourra être libéré avant les 2/3
de la durée de la peine (Stratenwerth, op. cit., § 9, n. 56; Heer, Basler
Kommentar, Strafgesetzbuch I, art. 43, n. 199; Rehberg, Strafrecht II,
Strafen und Massnahmen, Jugendstrafrecht, 7e éd., Zurich 2001, p. 142; arrêt,
non publié, du Tribunal fédéral du 2 novembre 1999, 6S.492/1999, consid. 5).

En conséquence, le juge doit examiner, dans chaque cas particulier, si la
peine infligée en raison de la faute suffit concrètement pour couvrir les
besoins de prévention spéciale, en particulier sous l'angle de la sécurité
publique. Le juge comparera les effets de la mesure avec ceux de la peine, en
tenant compte d'un éventuel traitement ambulatoire (Heer, op. cit., art. 43,
n. 199). Si l'auteur peut être traité, à court ou à moyen terme, avec une
certitude suffisante et qu'il a été condamné à une longue peine privative de
liberté, la peine, assortie d'un traitement ambulatoire, doit l'emporter sur
l'internement. Au moment du prononcé du jugement, le juge doit donc se
demander avec quelle certitude l'on peut attendre de la thérapie des
résultats positifs (Heer, op. cit., art. 43, n. 201).

1.4  L'internement doit être exécuté dans un établissement approprié, qui ne
doit pas forcément être dirigé par un médecin, mais qui peut être un
établissement pénitentiaire (ATF 125 IV 118 consid. 5b/bb p. 121). Des soins
médicaux et thérapeutiques doivent être dispensés au délinquant en cas
d'internement (ATF 121 IV 297 consid. 2b p. 302; arrêt, non publié, du
Tribunal fédéral, du 26 octobre 2005, 6S.367/2004 consid. 3.3). Il peut
s'agir de toutes formes de thérapies différentes (et non pas nécessairement
d'un traitement psychiatrique; à propos de l'art. 43 ch. 1 al. 1 CP, cf. ATF
124 IV 246 consid. 3 p. 249 ss). La doctrine cite, à titre d'exemple
d'établissement approprié, le Centre de sociothérapie "La Pâquerette" dans la
prison de Champ-Dollon à Genève (Andrea Baechtold, Straf- und
Massnahmenvollzug, Berne 2001, p. 91).

1.5  Il ressort de l'expertise que l'intimé souffre d'un trouble de la
personnalité assimilable à un développement mental incomplet et qu'il
présente, en raison de ce trouble, un potentiel de violence et de dangerosité
non négligeable. Selon l'expert, un internement serait justifié. L'expert a
préconisé de continuer le traitement sociothérapeutique que l'intimé a déjà
commencé au Centre "La Pâquerette" à la prison de Champ-Dollon, dans le but
d'éliminer ou d'atténuer le danger de le voir commettre d'autres actes
punissables.

Pour la cour cantonale, il serait suffisant d'infliger à l'intimé une longue
peine privative de liberté, dans la mesure où celui-ci suit déjà une
sociothérapie dans le cadre de l'exécution de sa peine. Le choix entre
l'exécution de la peine couplée avec un traitement et l'internement doit se
faire en fonction des chances de succès de la thérapie suivie dans le cadre
de l'exécution de la peine. En l'espèce, l'expert a déclaré que le traitement
entrepris au Centre de sociothérapie "La Pâquerette" était insuffisant sur le
plan de la dangerosité et a préconisé un nouvel examen de celle-ci au terme
de la peine. Contrairement à ce que soutient la cour cantonale, l'exécution
de la peine ne permet donc pas, dans le cas d'espèce, d'assurer la guérison
de l'intimé et de prévenir la mise en danger d'autrui. Dans ces
circonstances, l'internement recommandé par l'expert est la seule solution
adéquate. Le prononcé d'un internement permettra aux autorités de suivre
l'évolution de l'intimé, d'adapter éventuellement le traitement et de ne
libérer l'intimé que lorsqu'il ne présentera plus de danger pour autrui (art.
43 ch. 4 CP). En renonçant à ordonner un internement et en s'écartant ainsi
sans motifs valables de l'expertise, la cour cantonale a violé le droit
fédéral.

2.
Ainsi le pourvoi doit être admis.

Aucune indemnité n'est versée au Ministère public genevois (art. 278 al. 3
PPF).

L'arrêt attaqué a mis l'intimé en situation de devoir se défendre, de sorte
qu'il ne sera pas perçu de frais. Il ne lui sera pas alloué d'indemnité.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le pourvoi est admis.

2.
Il n'est pas perçu de frais, ni alloué d'indemnité.

3.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux parties et à la Cour de
cassation du canton de Genève.

Lausanne, le 15 novembre 2006

Au nom de la Cour de cassation pénale
du Tribunal fédéral suisse

Le président:  La greffière: