Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

II. Zivilabteilung 5P.7/2006
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5P.7/2006 /frs

Arrêt du 22 mars 2006
IIe Cour civile

M. et Mmes les Juges Raselli, Président,
Nordmann et Hohl.
Greffière: Mme Mairot.

X. ________, (époux),
recourant, représenté par Me Mauro Poggia, avocat,

contre

Dame X.________, (épouse),
intimée, représentée par Me Christophe A. Gal, avocat,
Chambre civile de la Cour de justice du canton de Genève, case postale 3108,
1211 Genève 3.

art. 9 Cst. (mesures protectrices de l'union conjugale),

recours de droit public contre l'arrêt de la Chambre
civile de la Cour de justice du canton de Genève
du 18 novembre 2005.

Faits:

A.
X. ________, né en 1948, et dame X.________, née en 1952, se sont mariés à
Genève le 17 mai 1973. Trois enfants, aujourd'hui majeurs, sont issus de leur
union: A.________, née en 1977, B.________, né en 1982 et C.________, né en
1985.

Les conjoints sont séparés depuis le mois d'octobre 2004, date à laquelle
l'épouse a quitté le domicile conjugal. Le mari est resté habiter à cet
endroit avec le fils cadet du couple.

B.
Statuant le 12 mai 2005 sur la requête de mesures protectrices de l'union
conjugale déposée par l'épouse le 3 septembre 2004, le Tribunal de première
instance du canton de Genève a, notamment, condamné le mari à payer à
celle-ci, dès le 3 septembre 2004, une contribution d'entretien d'un montant
de 6'000 fr. par mois, sous déduction des sommes déjà versées à ce titre.

Chaque époux a appelé de ce jugement. Par arrêt du 18 novembre 2005, la Cour
de justice du canton de Genève a, notamment, porté le montant de la
contribution d'entretien à 8'000 fr. par mois.

C.
Agissant par la voie du recours de droit public pour arbitraire, le mari
conclut à l'annulation de l'arrêt du 18 novembre 2005.

Des observations n'ont pas été requises.

D.
Par ordonnance du 10 janvier 2006, le président de la cour de céans a rejeté
la demande d'effet suspensif présentée par le recourant.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
1.1 Le Tribunal fédéral examine d'office et avec une pleine cognition la
recevabilité des recours qui lui sont soumis (ATF 131 I 153 consid. 1 p. 156;
131 II 571 consid. 1 p. 573; 130 I 312 consid. 1 p. 317 et les arrêts cités).

1.2 Les décisions de mesures protectrices de l'union conjugale ne sont pas
des décisions finales au sens de l'art. 48 OJ et ne peuvent par conséquent
pas être entreprises par la voie du recours en réforme (ATF 127 III 474
consid. 2a et b p. 476 ss et les références citées). Le présent recours est
donc recevable sous l'angle de l'art. 84 al. 2 OJ. Déposé en temps utile -
compte tenu de la suspension des délais prévue par l'art. 34 al. 1 let. c OJ
- contre une décision prise en dernière instance cantonale, il est aussi
recevable au regard des art. 86 al. 1 et 89 al. 1 OJ.

1.3 En vertu de l'art. 90 al. 1 let. b OJ, l'acte de recours doit contenir,
sous peine d'irrecevabilité (cf. ATF 123 II 552 consid. 4a p. 558), un exposé
succinct des droits constitutionnels ou des principes juridiques violés et
préciser en quoi consiste la violation. Saisi d'un recours de droit public,
le Tribunal fédéral n'examine ainsi que les griefs expressément soulevés et
exposés de façon claire et détaillée dans l'acte de recours, le principe jura
novit curia étant inapplicable (ATF 130 I 26 consid. 2.1 p. 31). Au
demeurant, le justiciable qui exerce un recours de droit public pour
arbitraire ne peut se borner à critiquer la décision attaquée comme il le
ferait en procédure d'appel, où l'autorité de recours jouit d'une libre
cognition; il ne peut en particulier se contenter d'opposer son opinion à
celle de l'autorité cantonale, mais il doit démontrer, par une argumentation
précise, que cette décision repose sur une application de la loi ou une
appréciation des preuves manifestement insoutenables (ATF 130 I 258 consid.
1.3 p. 261/262; 129 I 113 consid. 2.1 p. 120, 185 consid. 1.6 p. 189; 128 I
295 consid. 7a p. 312; 125 I 492 consid. 1b p. 495 et les arrêts cités).

2.
Le recourant se plaint d'arbitraire dans l'évaluation de ses charges. Il
reproche à l'autorité cantonale d'avoir refusé de prendre en compte les frais
d'entretien de ses trois enfants, qui s'élèvent à 5'500 fr. par mois en
tenant compte du soutien financier apporté à sa fille, de même que sa dette
fiscale, d'un montant de 109'921 fr. En écartant ces postes, la Cour de
justice l'aurait, de manière insoutenable, réduit au minimum vital tout en
accordant à l'intimée un revenu de 40% supérieur à son propre minimum
d'existence. Le recourant relève en outre qu'aucune enquête n'a été
effectuée.

2.1 Une décision est arbitraire lorsqu'elle méconnaît gravement une norme ou
un principe juridique clair et indiscuté, ou heurte de manière choquante le
sentiment de la justice et de l'équité. La violation incriminée doit être
manifeste et reconnue d'emblée. Il n'y a pas arbitraire du seul fait qu'une
autre solution serait concevable, voire préférable. Le Tribunal fédéral
n'intervient pour violation de l'art. 9 Cst. que si la décision incriminée
apparaît insoutenable, en contradiction manifeste avec la situation
effective, adoptée sans motifs objectifs ou en violation d'un droit certain.
En outre, pour que la décision soit annulée, il ne suffit pas que ses motifs
soient insoutenables; encore faut-il qu'elle se révèle arbitraire dans son
résultat (ATF 131 I 57 consid. 2 p. 61; 129 I 8 consid. 2.1 p. 9; 128 II 259
consid. 5 p. 280; 127 I 54 consid. 2b p. 56, 60 consid. 5a p. 70).

Lorsque le recourant - comme c'est le cas en l'espèce - s'en prend à
l'appréciation des preuves et à l'établissement des faits, la décision n'est
entachée d'arbitraire que si le juge ne prend pas en compte, sans raison
sérieuse, un moyen de preuve propre à modifier la décision, lorsqu'il se
trompe manifestement sur le sens et la portée d'un tel élément, ou encore
lorsqu'il procède à des déductions insoutenables à partir des faits
recueillis (ATF 129 I 8 consid. 2.1 p. 9; 127 I 38 consid. 2a p. 41; 124 I
208 consid. 4a p. 211).

2.2 L'arrêt attaqué retient que le mari réalise un revenu mensuel net de
l'ordre de 19'000 fr. pour environ 5'000 fr. de charges, à savoir: 1'100 fr.
d'entretien de base au sens du droit des poursuites, 70 fr. de frais de
transport, 380 fr. de prime d'assurance maladie, 3'000 fr. de frais relatifs
à la dette hypothécaire grevant la villa familiale et 520 fr. de charges
hypothécaires concernant l'appartement du couple.

2.2.1 Les juges cantonaux ont estimé qu'en l'absence de toute preuve de
paiements réguliers, même partiels, il ne se justifiait pas de retenir dans
les charges mensuelles du mari la dette d'impôts accumulée depuis 2001, d'un
montant de 109'921 fr., qu'il alléguait (cf. ATF 121 121 III). Le recourant
ne prétend pas, ni a fortiori ne démontre (art. 90 al. 1 let. b OJ), que
cette charge serait effective en ce sens qu'il verserait chaque mois des
montants en vue de rembourser cette dette (cf. ATF 121 III 20 consid. 3a p.
22 s). Il se contente d'alléguer avoir établi que celle-ci s'élève à 109'921
fr., ce que l'autorité cantonale n'a toutefois pas contesté. Selon lui, il
serait en outre arbitraire d'affirmer qu'il pourra déduire de ses impôts les
contributions versées à son épouse, le montant de 109'921 fr. représentant
des arriérés: autant qu'elle puisse être comprise, cette allégation est sans
pertinence, la déduction mentionnée se rapportant nécessairement aux impôts
courants. Dans ces conditions, l'autorité cantonale ne saurait se voir
reprocher d'avoir fait preuve d'arbitraire sur ce point.

2.2.2 Le recourant conteste aussi le refus de la Cour de justice d'inclure
les frais d'entretien de sa fille dans le calcul de ses charges. Les juges
cantonaux ont considéré qu'il n'y avait pas lieu de retenir l'aide
éventuellement apportée par le père à sa fille qui, à 28 ans, était en âge
d'être indépendante financièrement, et qui avait achevé sa thèse ou était sur
le point de la terminer. Au surplus, les pièces produites par l'intéressé - à
savoir un paiement isolé de 1'066 EUR et un bulletin de versement non validé
relatif à la taxe universitaire - étaient à cet égard insuffisantes. Le
recourant ne démontre pas que cette appréciation serait arbitraire. En
particulier, il n'établit pas en quoi il serait insoutenable de considérer
qu'on peut attendre de sa fille de s'assumer sur le plan financier, vu son
âge et l'état d'avancement de ses études. Il se borne à affirmer que celle-ci
est étudiante à Rome et que ses gains sont forts modestes, de sorte qu'il
doit payer son loyer, ce qui représente au moins 1'500 fr. par mois; il
expose en outre qu'il ne peut lui être reproché de l'aider, ce d'autant que
l'intimée n'aurait pas contesté la réalité et la nécessité de ce soutien.

Cette argumentation consiste uniquement à opposer un avis à celui de
l'autorité cantonale, ce qui n'est pas suffisant au regard des exigences de
motivation déduites de l'art. 90 al. 1 let. b OJ. Quant à l'entretien des
deux fils des parties, la Cour de justice a admis - contrairement du reste à
la jurisprudence (cf. arrêt 5P.361/2005 du 19 janvier 2006, consid. 2.3
destiné à la publication) - qu'il fallait en tenir compte dans la
détermination de la contribution en faveur de l'intimée; par ailleurs, le
recourant ne prouve en rien que le coût mensuel de cet entretien serait,
comme il l'allègue, de 4'000 fr. au total.

2.2.3 Le grief selon lequel le recourant serait arbitrairement réduit à son
minimum vital, alors que l'intimée bénéficierait d'un supplément de 40% par
rapport à son propre minimum d'existence, n'apparaît donc pas non plus fondé.
Étant donné son revenu, arrêté à 19'000 fr., et ses charges, fixées à 5'000
fr., le mari dispose d'un montant mensuel de 14'000 fr., ou de 6'000 fr.
déduction faite de la contribution d'entretien. Après versement de celle-ci,
l'épouse bénéficie quant à elle d'une somme de 8'400 fr. (revenu: 400 fr.
contribution: 8'000 fr.) pour des charges de 4'800 fr., d'où un solde
disponible de 3'600 fr.

Quand bien même il a été admis que le recourant devait contribuer à
l'entretien de ses deux fils majeurs qui, en tant que jeunes étudiants, ne
pouvaient pas encore subvenir à leurs besoins et dont l'un faisait ménage
commun avec lui, il n'établit pas en quoi la fixation d'une contribution
d'entretien de 8'000 fr. par mois, qui lui laisse, après règlement de ses
autres charges, une somme de 6'000 fr. pour entretenir ceux-ci et payer ses
impôts courants, serait insoutenable. Il n'apparaît pas non plus arbitraire
de considérer, à l'instar de la Cour de justice, que vu le bon niveau de vie
auquel l'épouse était habituée pendant la vie commune, elle devait pouvoir
louer un parking dans le centre de la ville, le montant retenu à ce titre -
400 fr. par mois - étant réaliste pour l'endroit où elle habitait. Quant aux
allégations selon lesquelles l'intimée pourrait se loger à un coût inférieur
à 2'500 fr. par mois et réaliser des gains plus élevés que les 400 fr.
mensuels retenus par l'autorité cantonale, elles sont purement appellatoires
et, partant, irrecevables.

2.2.4 Le recourant se plaint enfin de l'absence d'enquêtes, mais sans même
soutenir qu'il aurait déposé une demande en ce sens; au reste, les mesures
protectrices de l'union conjugale sont ordonnées à la suite d'une procédure
sommaire avec administration restreinte des moyens de preuve et limitation du
degré de la preuve à la simple vraisemblance. Il suffit donc que les faits
soient rendus plausibles (ATF 127 III 474 consid. 2b/bb p. 478 et les
références).

3.
Le recourant estime en outre arbitraire la fixation du point de départ de la
contribution d'entretien au jour du dépôt de la requête de mesures
protectrices de l'union conjugale, à savoir le 3 septembre 2004, dès lors
qu'il serait établi et incontesté que la séparation est intervenue le 28
octobre 2004 et que jusqu'à cette date, il a assumé l'entretien de son
épouse.

3.1 De nouveaux moyens de droit sont en principe irrecevables dans un recours
de droit public fondé sur l'arbitraire et ce, même lorsque l'autorité de
dernière instance cantonale jouissait d'un plein pouvoir d'examen et devait
appliquer le droit d'office. Il faut cependant réserver les cas où seule la
motivation de la décision attaquée permet de soulever le grief ou dans
lesquels le point de vue du recourant aurait dû s'imposer à l'attention de
l'autorité de jugement (ATF 129 I 49 consid. 3 p. 57; 128 I 354 consid. 6c p.
357; 119 Ia 88 consid. 1a p. 90/91; 118 Ia 20 consid. 5a p. 26; Walter Kälin,
Das Verfahren der staatsrechtlichen Beschwerde, Berne 1994, 2e éd., p. 369
ss).

3.2 En l'espèce, le recourant n'a pas contesté, dans son recours devant la
Cour de justice, la fixation du dies a quo de la pension arrêté par le
premier juge au jour du dépôt de la requête et n'a invoqué aucun grief à ce
propos. Il ne prétend, ni ne démontre qu'il ne pouvait faire valoir le moyen
allégué devant l'autorité cantonale supérieure, ni que celui-ci aurait dû
s'imposer à elle. Au contraire, il a expressément conclu, dans son mémoire
d'appel cantonal, à ce qu'il lui soit donné acte de son engagement de verser
à sa femme une contribution d'entretien d'un montant de 3'000 fr. par mois
"dès le 3 septembre 2004". Son grief est dès lors irrecevable.

4.
En conclusion, le recours apparaît mal fondé et doit donc être rejeté, dans
la faible mesure de sa recevabilité. Le recourant, qui succombe, supportera
par conséquent les frais judiciaires (art. 156 al. 1 OJ). Il n'y a pas lieu
d'allouer des dépens, des observations n'ayant pas été requises.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable.

2.
Un émolument judiciaire de 3'000 fr. est mis à la charge du recourant.

3.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des parties et à la
Chambre civile de la Cour de justice du canton de Genève.

Lausanne, le 22 mars 2006

Au nom de la IIe Cour civile
du Tribunal fédéral suisse

Le président:  La greffière: