Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

II. Zivilabteilung 5P.56/2006
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5P.56/2006 /frs
{T 0/2}

Arrêt du 18 avril 2006
IIe Cour civile

MM. et Mme les Juges Raselli, Président,
Hohl et Marazzi.
Greffier: M. Fellay.

X. ________,
recourant, représenté par Me Jean-Michel Pariat, avocat,

contre

1. A.________,

2. B.________,

3. C.________,

4. D.________,

5. E.________,
intimés,
tous représentés par Me Philippe-Edouard Journot, avocat,

Chambre des recours du Tribunal cantonal
du canton de Vaud, Palais de justice de l'Hermitage, route du Signal 8, 1014
Lausanne.

art. 9 Cst. (passage nécessaire),

recours de droit public contre l'arrêt de la Chambre
des recours du Tribunal cantonal du canton de Vaud du 29 décembre 2005.
Faits:

A.
Le 28 novembre 2000, X.________ a acheté aux frères F.________, fils de
G.________, l'immeuble n° xxx de la commune de Y.________, comprenant une
habitation, une place-jardin et un pré-champ. Cet immeuble bénéficie d'une
servitude n° xxx de passage à pied et pour tous véhicules à la charge de la
parcelle n° xxx de la même commune. Actuellement, la servitude n'est pas
aménagée et consiste en une bande herbeuse de 335 mètres, en légère
déclivité, traversée à un endroit par un ruisseau.

Pour accéder à son immeuble, X.________ utilise un autre chemin, gravillonné,
traversant l'immeuble n° xxx de la même commune, copropriété des membres de
la Société H.________, soit actuellement A.________, B.________, C.________,
D.________ et E.________. Il s'agit de la servitude n° xxx de passage à pied
("sentier public... rejoignant le chemin ...") en faveur de la commune de
Y.________, grevant les fonds n° xxx, xxx et xxx. En 1990, lors de la
transformation de la ferme située sur l'immeuble n° xxx, qui appartenait
alors à G.________, le passage des camions a transformé le sentier piétonnier
en piste de chantier; G.________ l'a ensuite gravillonné. Les propriétaires
de l'immeuble n° xxx, dont faisait partie G.________, ont autorisé ce
dernier, à bien plaire, à rejoindre sa ferme en passant par ce chemin, mais
ils ont toujours refusé d'inscrire un droit de passage.

Contactés par les frères F.________ et leur mère avant la vente de l'immeuble
n° xxx à X.________, les propriétaires de l'immeuble n° xxx ont refusé de
constituer une servitude, le chemin devant demeurer un accès à pied. Le
contrat de vente mentionne que l'acheteur a été renseigné à sa satisfaction
sur l'exercice des servitudes. X.________ allègue toutefois qu'il a cru que
la servitude de passage pour tous véhicules était celle qui se présentait
sous la forme du chemin gravillonné traversant l'immeuble n° xxx.

B.
Le 16 juillet 2002, X.________ a ouvert contre les propriétaires de
l'immeuble n° xxx une action tendant à l'octroi d'un passage nécessaire pour
véhicules automobiles, selon le tracé de l'actuelle servitude de passage à
pied n° xxx, et a offert une indemnité de 675 fr.
Par jugement du 27 mai 2004, le Président du Tribunal civil de
l'arrondissement de l'Est vaudois a admis partiellement la demande et
notamment donné ordre au conservateur du registre foncier de modifier la
servitude de passage à pied n° xxx en une servitude de passage pour piéton et
pour tous véhicules, s'exerçant sur une largeur de trois mètres, et fixé
l'indemnité due par le demandeur aux défendeurs au montant de 21'140 fr.

Par arrêt du 26 septembre 2005, dont les motifs ont été notifiés aux parties
le 29 décembre 2005, la Chambre des recours du Tribunal cantonal vaudois a
réformé le jugement du tribunal d'arrondissement en ce sens que la demande
était rejetée.

C.
Contre cet arrêt, X.________ a interjeté simultanément, le 1er février 2006,
un recours en réforme et un recours de droit public au Tribunal fédéral. Dans
ce dernier, il conclut à l'annulation de l'arrêt attaqué.

Les intimés concluent au rejet du recours.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
Conformément au principe de l'art. 57 al. 5 OJ, il convient d'examiner en
premier le recours de droit public.

2.
Interjeté en temps utile contre un arrêt rendu en dernière instance cantonale
pour constatation arbitraire des faits, appréciation arbitraire des preuves
et constatation lacunaire des faits (art. 9 Cst.), le présent recours est
recevable.

3.
Celui qui forme un recours de droit public pour arbitraire ne peut se borner
à critiquer la décision attaquée comme il le ferait en procédure d'appel, où
l'autorité jouit d'un libre pouvoir d'examen (ATF 117 Ia 10 consid. 4b; 110
Ia 1 consid. 2a; 107 Ia 186 et la jurisprudence citée). En particulier, il ne
peut se contenter d'opposer sa thèse à celle de l'autorité cantonale, mais
doit démontrer, par une argumentation précise, que la décision attaquée
repose sur une application de la loi ou une appréciation des preuves
manifestement insoutenables (ATF 128 I 295 consid. 7a p. 312; 125 I 492
consid. 1b; 120 Ia 369 consid. 3a), sous peine d'irrecevabilité de son
recours (ATF 123 II 552 consid. 4d p. 558). De plus, dans un recours pour
arbitraire, l'invocation de faits, de preuves ou de moyens de droit nouveaux
est exclue (ATF 120 Ia 369 consid. 3b p. 374; 118 III 37 consid. 2a et la
jurisprudence citée).

Saisi d'un recours de droit public pour arbitraire (art. 9 Cst.), le Tribunal
fédéral n'annule la décision cantonale que si celle-ci est manifestement
insoutenable, méconnaît gravement une norme ou un principe juridique clair et
indiscuté, ou encore heurte de manière choquante le sentiment de la justice
et de l'équité (ATF 126 III 438 consid. 3 p. 440; 125 I 166 consid. 2a; 120
Ia 369 consid. 3a; 118 Ia 118 consid. 1c p. 123 s. et les arrêts cités). La
violation doit être manifeste et reconnaissable d'emblée (ATF 102 Ia 1
consid. 2a p. 4). Pour que la décision soit annulée, il ne suffit pas que sa
motivation soit insoutenable; encore faut-il que la décision apparaisse
arbitraire dans son résultat (ATF 128 I 177 consid. 2.1; 118 Ia 118 consid.
1c p. 124 et les arrêts cités). Il n'y a pas arbitraire du seul fait qu'une
solution autre que celle de l'autorité cantonale apparaît concevable ou même
préférable (ATF 126 III 438 consid. 3 p. 440; 125 II 129 consid. 5b p. 134;
118 Ia 20 consid. 5a p. 26).

4.
4.1 Selon l'arrêt attaqué, le recourant ne peut prétendre à l'octroi d'un
passage nécessaire, les conditions de l'art. 694 al. 1 CC n'étant pas
remplies. Il dispose avec la servitude n° xxx d'un accès à la voie publique
pour tous véhicules; même si cette servitude n'est pour l'instant pas
aménagée et consiste en une bande herbeuse, son aménagement en un accès
carrossable peut être estimé à un montant de l'ordre de 80'000 fr. (et le
coût de son déneigement en hiver à 1'000 fr.), soit à un montant qui n'est
pas disproportionné par rapport à la valeur du bien-fonds et à son
utilisation à fin d'habitation; par ailleurs, il n'y a aucune raison de
remettre en cause la faisabilité de l'aménagement ni le caractère praticable
de l'accès tels que les a admis l'expert; enfin, l'aménagement de l'accès
nécessitera l'autorisation des autorités et en tout état, il n'existe aucun
élément permettant de penser que l'accès ne serait pas aménageable selon les
prescriptions du droit public.

4.2 Le recourant soutient tout d'abord que, même aménagé, pour le coût de
80'000 fr., l'accès par la servitude ne serait pas possible - ou pas possible
dans de bonnes conditions de sécurité - en hiver, voire souvent impossible.
Il reproche à la cour cantonale de ne pas avoir constaté que la solution de
l'expert laisse une déclivité de 12% et que le déneigement ne serait pas
exécuté par la commune. Il estime donc qu'un aménagement de 80'000 fr. ne lui
assurerait qu'un accès insuffisant, ne correspondant pas aux besoins actuels
de son fonds. Selon lui, c'est précisément parce que l'aménagement de cette
servitude ne lui aurait pas permis d'accéder en toute saison que le précédent
propriétaire y avait renoncé et qu'il avait transformé le passage à pied en
route gravillonnée de trois mètres de large de faible déclivité.

Par cette critique purement appellatoire, le recourant ne démontre pas en
quoi l'appréciation de la cour cantonale qui a estimé que l'aménagement de la
servitude était faisable et praticable, en se basant sur l'expertise, serait
arbitraire. Son grief est donc irrecevable.

4.3 Le recourant reproche aussi à la cour cantonale de n'avoir pas tenu
compte de la partie de l'expertise qui constate que la déclivité demeurera
forte et que le coût pour la réduire à un maximum de 7-8% représenterait un
investissement supplémentaire de plus de 100'000 fr.

Se ralliant à l'avis de l'expert, la cour cantonale a estimé que
l'aménagement de la servitude était faisable et que l'accès serait praticable
pour un coût de 80'000 fr. Elle n'a certes pas discuté le fait critiqué, qui
est toutefois censé faire partie intégrante de son arrêt en raison du renvoi
de celui-ci à l'état de fait du premier jugement. Néanmoins, comme l'expert a
estimé que le coût des travaux pour ramener la déclivité à un maximum de 7-8%
serait disproportionné par rapport au but recherché et peu compatible avec un
aménagement situé en zone agricole, que la pente maximale actuelle (de 12%)
n'est pas incompatible avec le passage de véhicules en hiver (sauf en cas de
chutes de neige exceptionnelles) et que le chemin .... - situé au-delà -
comporte d'ailleurs des tronçons où la pente atteint 13%, on ne voit pas en
quoi ce passage de l'expertise démontrerait une appréciation arbitraire des
preuves de la part de l'autorité cantonale.

5.
Pour le reste, les critiques du recourant portent sur des faits non
pertinents ou sont sans objet.

5.1 Ainsi, même si elle n'a pas repris en détail dans sa motivation la
description et l'usage du fonds du recourant, la cour cantonale n'a pas
méconnu quels étaient les besoins actuels de ce fonds, admettant que
puisqu'il sert de résidence principale au recourant et à son épouse et est
donc voué à l'habitation, il doit bénéficier d'un accès carrossable, y
compris en hiver.

En réalité, le recourant compare à tort les besoins actuels de son fonds avec
l'état actuel de la servitude, au lieu de les comparer avec l'état futur de
la servitude aménagée.

5.2 Lorsqu'il s'agit d'apprécier si un accès au fonds est insuffisant, seule
la situation du fonds en question doit être prise en considération. Il
importe peu à cet égard que l'intérêt du propriétaire à obtenir le passage
soit plus grand que celui du voisin à le refuser; il n'y a pas lieu de
procéder à une pesée des intérêts respectifs des parties. Il est dès lors
sans pertinence que la cour cantonale n'ait pas constaté spécialement dans sa
motivation la "qualité des voisins" et la "nature du fonds", à savoir six
copropriétaires d'une parcelle composée de ruraux-écuries, d'une place de
jardin et de prés-champs, utilisée comme pension pour chevaux et la pratique
de l'équitation, et où personne n'habite.

5.3 N'est pas non plus pertinente la conclusion que le recourant entend tirer
de l'extrait du registre foncier du 6 mars 1990, à savoir qu'il incombait au
précédent propriétaire d'aménager la servitude. L'acte constitutif de la
servitude règle en effet les rapports entre les propriétaires du fonds
dominant et du fonds servant; il ne peut être opposé par l'acheteur du fonds
dominant au propriétaire d'un fonds voisin.

5.4 Le recourant reproche encore à la cour cantonale de n'avoir pas indiqué
les dispositions légales permettant de penser que l'aménagement de la
servitude serait autorisé par le droit public. Il estime qu'il est quasi
certain qu'il n'obtiendra pas une telle autorisation pour un chemin asphalté,
seul apte à lui assurer un accès suffisant.

Dès lors que c'est à lui qu'il incombait d'alléguer et de prouver qu'en
l'occurrence l'accès par la servitude n° xxx était insuffisant parce qu'il ne
pouvait être aménagé en raison des règles du droit public (art. 8 CC), le
recourant ne peut se plaindre aujourd'hui d'une constatation lacunaire dont
il est responsable. Son allégation est donc nouvelle et, partant,
irrecevable.

5.5 Enfin, c'est à tort que le recourant estime que la cour cantonale aurait
dû compléter les faits en exigeant la production de tabelles ou de normes de
construction. En effet, contrairement à ce qu'il croit, le fait que la notion
de "frais disproportionnés" soit une question de droit n'oblige pas le juge à
se référer à des normes techniques.

6.
Vu le sort du recours, les frais de la procédure doivent être mis à la charge
du recourant (art. 156 al. 1 OJ). Celui-ci versera en outre aux intimés une
indemnité à titre de dépens (art. 159 al. 1 OJ).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable.

2.
Un émolument judiciaire de 2'500 fr. est mis à la charge du recourant.

3.
Le recourant versera aux intimés, créanciers solidaires, une indemnité de
2'500 fr. à titre de dépens.

4. Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des parties et à
la Chambre des recours du Tribunal cantonal du canton de Vaud.

Lausanne, le 18 avril 2006

Au nom de la IIe Cour civile
du Tribunal fédéral suisse

Le président:  Le greffier: