Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

II. Zivilabteilung 5P.509/2006
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5P.509/2006 /frs

Arrêt du 8 mai 2007
IIe Cour de droit civil

MM. et Mme les Juges Raselli, Président,
Hohl et Marazzi.
Greffier: M. Fellay.

X. ________,
Y.________ SA,
recourants, tous deux représentés par Mes Estelle Chanson et Laurence Casays,
avocates,

contre

Epoux Z.________,
intimés, représentés par Me Jacques Micheli, avocat,

Tribunal des baux du canton de Vaud, avenue de Tivoli 2, 1014 Lausanne.

art. 9 Cst. (action possessoire, art. 927 CC),

recours de droit public contre l'arrêt du Tribunal des baux du canton de Vaud
du 2 novembre 2006.

Faits :

A.
A.a Par contrat de bail à loyer du 31 juillet 2003, les époux Z.________ ont
pris à bail les locaux commerciaux de l'immeuble sis à A.________,
appartenant à la société D.________ SA, dans lesquels ils ont exploité un
café-restaurant à l'enseigne "..." à dater du 1er août 2003. Le bail venait
normalement à échéance le 1er août 2008. Les époux Z.________ avaient racheté
le fonds de commerce du précédent tenancier pour le prix de 110'000 fr.

Le bail avait été signé par B.________, administrateur des sociétés composant
le groupe D.________, au nom de C.________ SA.; celui-ci avait choisi de
libeller le bail au nom de C.________ SA, sans savoir vraiment qui était le
bailleur, à une époque où la situation du groupe était extrêmement
compliquée.

A.b La société D.________ SA, propriétaire de l'immeuble est tombée en
faillite le 2 décembre 2003, et la société C.________ SA le 20 février 2004.

Le 11 novembre 2004, la masse en faillite de D.________ SA a résilié le bail
des locaux commerciaux par notification officielle à C.________ SA,
respectivement sa masse en faillite (art. 266h al. 1 CO), mais il n'est pas
établi que les requérants aient été informés de la résiliation de ce bail.

L'immeuble a été vendu aux enchères forcées, avec double mise à prix, et
adjugé sans le bail à X.________ le 13 décembre 2005.

A.c Par contrat du 28 décembre 2005, l'adjudicataire X.________ a remis à
bail à Y.________ SA - dont il est le détenteur économique et
l'administrateur-président avec droit de signature individuelle - l'ensemble
de l'immeuble, y compris les locaux du "...", pour y exploiter un garage, une
station-service et un restaurant, avec entrée en jouissance le 1er janvier
2006.

B.
Le 7 février 2006, X.________ a invité les époux Z.________ à quitter les
lieux avec effet au 28 février 2006. Il précisait que le bail principal avec
C.________ SA avait été résilié, que leur propre bail n'était qu'une
sous-location, devenue caduque par la résiliation du bail principal, que leur
présence n'avait été autorisée qu'à bien plaire avec échéance fixe et que
toute demande d'indemnité devait être adressée à C.________ SA.

Le 3 avril 2006, X.________ et Y.________ SA ont imparti aux époux Z.________
un délai de cinq jours pour libérer les locaux, faute de quoi toutes mesures
seraient mises en oeuvre en vue de faire respecter le droit de propriété. Le
6 avril 2006, les époux Z.________ ont contesté cette mise en demeure et fait
savoir que le bail n'avait pas été résilié par le nouvel acquéreur.

Le 8 avril 2006, X.________ a fait changer les serrures de l'établissement et
abattre une paroi entre le café-restaurant et le garage. Les époux Z.________
n'ont pas toléré l'irruption dans leurs locaux et la dépossession qui en est
résultée, au vu du constat établi par la gendarmerie et les témoignages.
Toutefois, par la force des choses, ils n'ont plus pu exploiter le
café-restaurant à partir de ce moment-là.

C.
Le 11 avril 2006, les époux Z.________ ont saisi le Président du Tribunal
d'arrondissement de Lausanne d'une action possessoire et d'une requête de
mesures préprovisionnelles à l'encontre de X.________. Par ordonnance du 12
avril 2006, immédiatement exécutoire, le président du tribunal a ordonné au
défendeur de libérer immédiatement les lieux et d'en remettre les clés aux
époux Z.________, a fait interdiction au défendeur, sous commination des
peines de l'art. 292 CP, de pénétrer dans les locaux, d'exécuter ou de faire
exécuter tous travaux de transformation dans ces locaux et de disposer des
biens constituant l'inventaire et le mobilier du "...". Cette ordonnance n'a
pas été exécutée par le défendeur.

Le soir du dimanche 16 avril 2006, E.________, directeur du garage
Y.________, a effectué avec six ouvriers des travaux à l'intérieur de la
salle du restaurant, estimant que l'interdiction faite par l'ordonnance du 12
avril 2006 s'adressait au propriétaire et non à lui.

Le 4 mai 2006, les époux Z.________ ont introduit les mêmes procédures que
celles susmentionnées à l'encontre de la société Y.________ SA.
Par jugement du 2 juin 2006, dans les deux procédures, le président du
tribunal a décliné sa compétence tant sur le fond que sur les mesures
provisionnelles et a transmis les causes dans leur état au Tribunal des baux
du canton de Vaud, respectivement à son président.

D.
Parallèlement, le 29 août 2006, les requérants ont ouvert action au fond
devant la commission de conciliation en matière de bail, concluant à la
libération immédiate des locaux, à la remise des clefs et au paiement d'une
indemnité de 260'000 fr. avec intérêts pour leur manque à gagner depuis le 8
avril 2006, la valeur de leur fonds de commerce et le remboursement des frais
de leur avocat.

E.
Par ordonnance (formellement de mesures provisionnelles, mais matériellement
sur action possessoire de l'art. 927 CC) rendue le 30 août 2006, après avoir
entendu les parties, la Présidente du Tribunal des baux a ordonné en
substance aux défendeurs de libérer immédiatement les locaux, d'en remettre
les clefs aux requérants, de remettre ces locaux dans leur état antérieur et
de réinstaller le mobilier et le matériel, a interdit aux défendeurs, sous
menace des peines prévues par l'art. 292 CP, d'exécuter ou de faire exécuteur
d'autres travaux de transformation et de disposer de quelque manière que ce
soit des biens constituant l'inventaire du mobilier et du matériel du
café-restaurant, de pénétrer dans les locaux, et a réglé la procédure
d'exécution en cas d'inexécution volontaire de la part des défendeurs.

Les défendeurs ont interjeté appel au Tribunal des baux. A l'audience du 24
octobre 2006, ils ont précisé que les travaux de transformation auxquels il
leur était fait interdiction de procéder étaient de leur point de vue
terminés: ils avaient remplacé le mur qui séparait le café-restaurant "..."
du garage par une cloison vitrée, laquelle donnait une vue plongeante sur le
garage et notamment sur la partie exposition de véhicules de la marque x; ces
travaux avaient coûté un montant de 123'500 fr.; en outre, le nouveau
café-restaurant n'était pas encore ouvert, une demande de licence ayant été
déposée.

Statuant le 2 novembre 2006, le Tribunal des baux a rejeté l'appel des
défendeurs et confirmé l'ordonnance du premier juge.

F.
Les défendeurs ont interjeté un recours de droit public au Tribunal fédéral
contre l'arrêt du 2 novembre 2006, pour appréciation arbitraire des faits et
des preuves, ainsi que pour application arbitraire des règles en matière de
mesures provisionnelles (art. 101 et 102 CPC/VD).

Par ordonnance du 8 janvier 2007, le Président de la Cour de céans a ordonné
la suspension de la procédure du recours de droit public jusqu'à droit connu
sur un recours en nullité, pour appréciation arbitraire des preuves,
interjeté parallèlement auprès de la Chambre des recours du Tribunal cantonal
vaudois.

Par arrêt du 27 mars 2007, communiqué le 12 avril suivant, la Chambre des
recours cantonale a rejeté le recours en nullité dans la mesure où il était
recevable et a confirmé l'arrêt du Tribunal des baux du 2 novembre 2006.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
1.1 La décision attaquée ayant été rendue avant l'entrée en vigueur, le 1er
janvier 2007 (RO 2006 1242), de la loi fédérale du 17 juin 2005 sur le
Tribunal fédéral (LTF; RS 173.110), l'ancienne loi d'organisation judiciaire
(OJ) est applicable à la présente cause (art. 132 al. 1 LTF).

1.2 Lorsque les constatations de fait critiquées devant la Chambre des
recours cantonale et sur lesquelles celle-ci a statué ne peuvent avoir aucune
influence sur le sort du recours dirigé contre l'arrêt du Tribunal des baux,
notamment lorsque ce recours apparaît irrecevable, il n'y a pas lieu de
surseoir à statuer jusqu'à l'échéance du délai pour recourir au Tribunal
fédéral contre l'arrêt de la Chambre des recours.

1.3 Selon une jurisprudence constante, le recours en réforme est irrecevable
contre un jugement rendu sur une action possessoire au sens des art. 927 al.
1 et 928 al. 1 CC, car un tel jugement n'est pas une décision finale au sens
de l'art. 48 OJ. En effet, les actions possessoires ne visent en principe
qu'au rétablissement et au maintien d'un état de fait antérieur; sous réserve
de l'art. 927 al. 2 CC, qui prévoit l'exception tirée du meilleur droit,
elles ne conduisent pas à un jugement sur la conformité au droit de cet état
de fait, mais n'assurent au demandeur qu'une protection provisoire, car une
procédure engagée sur le terrain du droit peut mettre fin aux effets d'une
décision portant sur la protection de la possession (ATF 113 II 243 consid.
1b et les arrêts cités). En revanche, une telle décision clôt la procédure
introduite quant à la protection de la possession et doit, en conséquence,
être considérée comme une décision finale au sens de l'art. 87 OJ; même si
l'on devait lui attribuer un caractère provisoire, elle pourrait pour les
mêmes motifs être déférée au Tribunal fédéral, à l'instar d'une décision
rendue en matière de mesures provisionnelles (ATF 118 II 369 consid. 1 et les
arrêts cités; 126 III 261 consid. 1 et les références citées), par la voie du
recours de droit public (arrêts non publiés 5P.101/2003, consid. 1.1;
4P.155/1992 du 5 novembre 1992, consid. 2a et les références). Il s'ensuit
que le recours est recevable sous l'angle des art. 84 al. 2 OJ (subsidiarité
absolue du recours de droit public par rapport aux autres moyens de droit au
Tribunal fédéral ou à une autre autorité fédérale) et 87 OJ. Formé en temps
utile contre une décision prise en dernière instance cantonale, il est
également recevable du chef des art. 89 al. 1 et 86 al. 1 OJ.

2.
Invoquant l'art. 9 Cst., les recourants reprochent au Tribunal des baux
d'avoir apprécié arbitrairement les faits en retenant, tout d'abord, que les
requérants avaient investi leurs économies et leur prévoyance professionnelle
et acquis le fonds de commerce pour 110'000 fr., alors que cela ne ressortait
ni de la convention de vente mentionnée par le Tribunal des baux ni des
déclarations des défendeurs; ensuite, que les requérants n'avaient pas établi
par des pièces le manque à gagner qu'ils invoquaient et qu'il n'était pas
exclu que leur exploitation eût été déficitaire. De ce fait, l'autorité
intimée n'aurait pas apprécié de façon assez stricte les conditions de la
vraisemblance du dommage.

De telles appréciations arbitraires des faits ne peuvent pas être soumises au
Tribunal fédéral sans épuiser préalablement les instances cantonales (art. 86
al. 1 OJ), en l'occurrence sans avoir été soumises à la Chambre des recours
du Tribunal cantonal vaudois (art. 444 al. 1 ch. 1-3 CPC; cf. arrêt
5P.114/2006 du 12 mars 2007, consid. 1.3). Formulées à l'encontre de l'arrêt
du Tribunal des baux, elles sont donc irrecevables.

3.
Devant le Tribunal des baux, les recourants ont soutenu que la libération des
lieux et la remise des locaux dans leur état antérieur, impliquant
l'enlèvement des installations neuves d'un montant d'environ 120'000 fr. et
le remontage des installations des requérants, étaient disproportionnées par
rapport au but à atteindre. Le tribunal a considéré que, les conditions de la
protection des requérants étant réalisées, le premier juge n'avait d'autre
choix que d'accorder les mesures demandées en vue d'éviter que les requérants
ne continuent à subir un préjudice lié à la dépossession brutale et illicite
de leur instrument de travail; le coût des travaux réalisés par les
défendeurs importait peu puisqu'ils devaient s'en prendre à eux-mêmes s'ils
étaient contraints de supprimer les modifications apportées, illicitement et
pour partie en contravention à une décision de justice, à la chose louée; au
surplus, le rétablissement de la possession antérieure apparaissait justifié
en application de l'art. 927 al. 1 CC; la mesure tendant à rétablir l'état de
fait conforme au droit n'était pas disproportionnée, dès lors que ses
conséquences dommageables n'étaient que le corollaire de l'interdiction par
l'ordre juridique de tout acte de justice propre, sauf circonstances
exceptionnelles non réalisées en l'espèce.

3.1 Saisi d'un recours de droit public, le Tribunal fédéral n'examine que les
griefs expressément soulevés, et exposés de façon claire et détaillée (art.
90 al. 1 let. b OJ; ATF 130 I 26 consid. 2.1 p. 31, 258 consid. 1.3), ce qui
suppose que le recourant désigne de manière précise les passages du jugement
qu'il vise et des pièces du dossier sur lesquelles repose sa critique (ATF
130 I 258 consid. 1.3 p. 261/262; 125 I 71 consid. 1c). Dans un recours de
droit public pour arbitraire, les faits nouveaux sont irrecevables (ATF 119
II 6 consid. 4a; 118 III 37 consid. 2a p. 39 et les arrêts cités). Le
Tribunal fédéral s'en tient donc aux faits constatés par l'autorité
cantonale, à moins que le recourant ne démontre que ces constatations sont
arbitrairement fausses ou incomplètes (ATF 118 Ia 20 consid. 5a p. 26).

3.2 Sous le titre de violation du principe de la proportionnalité, les
recourants soutiennent que la condition du dommage difficile à réparer n'est
pas remplie lorsque le dommage invoqué est de nature exclusivement pécuniaire
(manque à gagner et valeur du fonds de commerce) et que l'éventuelle créance
de ce chef peut être aisément recouvrée à l'issue du procès au fond, un
risque n'existant que si leur solvabilité était douteuse et si le préjudice
se révélait difficile à chiffrer ou à prouver. Leur solvabilité étant notoire
et n'ayant pas été remise en cause, ils estiment que les requérants ne
courent aucun risque. De surcroît, ils relèvent que le requérant a retrouvé
un emploi et qu'en revanche, leur investissement en travaux de 120'000 fr.
serait réduit à néant. Il y aurait donc violation du principe de la
proportionnalité.

3.3 En résumé, le Tribunal des baux retient donc que si les conditions de la
protection de l'art. 927 al. 1 CC sont remplies, les investissements de la
partie adverse importent peu, alors que les recourants soutiennent qu'il faut
que soit établi un dommage difficile à réparer qui, s'il est de nature
pécuniaire, présuppose l'insolvabilité de la partie adverse; de plus, selon
eux, le principe de la proportionnalité commanderait de comparer l'intérêt
des requérants au rétablissement de l'état antérieur avec leur intérêt au
maintien de l'état actuel.

Lorsque les recourants soutiennent qu'il ne pourrait y avoir de dommage
difficile à réparer que si leur solvabilité était douteuse et que tel n'est
pas le cas puisqu'elle est "notoire" et non remise en cause, ils se fondent
sur des faits non constatés. Leur critique est donc irrecevable sur ce point.

Dans la mesure où ils soutiennent simplement que leur investissement de
120'000 fr. rend la mesure du rétablissement de l'état antérieur
disproportionnée, les recourants ne s'en prennent pas à la motivation du
Tribunal des baux qui considère que les défendeurs ont effectué des
transformations illicitement et pour partie en contrevenant à une décision de
justice, par un acte de justice propre interdit, et que, partant, le
rétablissement conforme au droit ne saurait être disproportionné. Leur
critique est donc également irrecevable sur ce point.

4.
Vu le sort du recours, les frais judiciaires doivent être mis à la charge des
recourants.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est irrecevable.

2.
Un émolument judiciaire de 5'000 fr. est mis solidairement à la charge des
recourants.

3.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des parties et au
Tribunal des baux du canton de Vaud.

Lausanne, le 8 mai 2007

Au nom de la IIe Cour de droit civil
du Tribunal fédéral suisse

Le président:  Le greffier: