Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

II. Zivilabteilung 5P.442/2006
Zurück zum Index II. Zivilabteilung 2006
Retour à l'indice II. Zivilabteilung 2006


{T 0/2}
5P.442/2006 /frs

Arrêt du 8 janvier 2007
IIe Cour de droit civil

M. et Mmes les Juges Raselli, Président,
Nordmann et Hohl.
Greffière: Mme Mairot.

Dame X.________,
recourante, représentée par Me Philippe Pasquier, avocat,

contre

X.________,
intimé, représenté par Me Luis Arias, avocat,
Chambre civile de la Cour de justice du canton de Genève, case postale 3108,
1211 Genève 3.

art. 9 et 29 al. 2 Cst. (mesures provisoires selon l'art. 137 al. 2 CC),

recours de droit public contre l'arrêt de la Chambre civile de la Cour de
justice du canton de Genève
du 15 septembre 2006.

Faits :

A.
A.a X.________, né 6 septembre 1957, et dame X.________, née le 3 septembre
1956, se sont mariés le 5 mai 1983 à Chêne-Bourg (GE), en adoptant le régime
de la séparation de biens. Deux enfants sont issus de leur union: A.________,
née le 8 septembre 1983, et B.________, née le 11 septembre 1993.

Le 29 novembre 2002, l'épouse a quitté, avec ses deux filles, le domicile
conjugal en France pour s'installer à Genève.

Par jugement de mesures protectrices de l'union conjugale du 8 mai 2003, le
Tribunal de première instance du canton de Genève a, notamment, condamné le
mari à verser à titre d'entretien de sa famille la somme de 2'000 fr. par
mois dès le 1er décembre 2002. Ce jugement a été confirmé par la Cour de
justice du canton de Genève le 10 octobre 2003.

Le 27 février 2004, le mari a déposé une requête en modification de mesures
protectrices, estimant que son nouveau salaire ne lui permettait plus de
s'acquitter de la contribution d'entretien d'un montant de 2'000 fr. par
mois. Il a été débouté de sa requête par jugement du 6 janvier 2005.

A.b Le 30 juin 2005, le mari a déposé auprès du Tribunal de première instance
une demande unilatérale en divorce (art. 114 CC) et a requis des mesures
provisoires.

Dans cette dernière procédure, le mari a notamment conclu, le 28 octobre
2005, à ce qu'il soit dit qu'il ne doit aucune contribution en faveur de sa
femme et à ce qu'il lui soit donné acte de son engagement de payer 200 fr.
par mois pour l'entretien de sa fille cadette, et ce de la date du dépôt de
la requête - soit le 30 juin 2005 - jusqu'au prononcé du divorce. L'épouse a
pour sa part demandé que le mari soit condamné à contribuer à l'entretien de
sa famille par le versement d'une somme mensuelle de 2'500 fr.

B.
Par jugement sur mesures provisoires du 13 décembre 2005, communiqué aux
parties le 16 janvier 2006, le Tribunal de première instance a, entre autres
points, attribué la garde de la fille cadette à l'épouse et condamné le mari
à verser, dès le 30 juin 2005, un montant mensuel de 1'000 fr. à titre de
contribution à l'entretien de sa famille.

Chaque partie a appelé de ce jugement. Par arrêt du 15 septembre 2006, la
Cour de justice l'a modifié en ce sens que la contribution d'entretien d'un
montant de 1'000 fr. par mois est due dès le 1er janvier 2006.

C.
Agissant par la voie du recours de droit public pour arbitraire (art. 9 Cst.)
et violation du droit d'être entendu (art. 29 al. 2 Cst.), l'épouse demande
au Tribunal fédéral d'annuler l'arrêt du 15 septembre 2006 en tant qu'il fixe
au 1er janvier 2006 la date à partir de laquelle la contribution d'entretien
mensuelle de 1'000 fr. prend effet.

L'intimé propose la confirmation de l'arrêt attaqué, la recourante étant
déboutée de toutes autres ou contraires conclusions.

D.
Par ordonnance du 14 novembre 2006, le président de la cour de céans a
attribué l'effet suspensif au recours pour les contributions d'entretien de
janvier à septembre 2006.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
Le Tribunal fédéral examine d'office et librement la recevabilité des recours
qui lui sont soumis (ATF 132 III 291 consid. 1 p. 292).

1.1 Le présent recours est déposé contre un acte rendu avant l'entrée en
vigueur, le 1er janvier 2007, de la loi sur le Tribunal fédéral (LTF), de
sorte que celle-ci ne s'applique pas (art. 132 al. 1 LTF).

1.2 Les décisions qui statuent sur des mesures provisoires au sens de l'art.
137 CC ne sont pas susceptibles de recours en réforme (ATF 126 III 261
consid. 1 p. 263). Aucun motif de nullité (art. 68 al. 1 OJ) n'étant en outre
invoqué (p. ex.: ATF 118 II 184 consid. 1a p. 185/186), il s'ensuit que le
présent recours est ouvert sous l'angle de l'art. 84 al. 2 OJ (ATF 100 Ia 12
consid. 1b p. 14). Enfin, il a été déposé en temps utile (art. 89 al. 1 OJ).

1.3 En vertu de l'art. 90 al. 1 let. b OJ, l'acte de recours doit contenir,
sous peine d'irrecevabilité (cf. ATF 123 II 552 consid. 4a p. 558), un exposé
succinct des droits constitutionnels ou des principes juridiques violés,
précisant en quoi consiste cette violation. Saisi d'un recours de droit
public, le Tribunal fédéral n'examine que les griefs expressément soulevés et
présentés de façon claire et détaillée, le principe jura novit curia étant
inapplicable (ATF 130 I 26 consid. 2.1 p. 31). Le justiciable  qui se plaint
d'arbitraire (art. 9 Cst.) ne peut, dès lors, se contenter de critiquer la
décision comme il le ferait en instance d'appel, où la juridiction supérieure
jouit d'une libre cognition; en particulier, il ne saurait se borner à
opposer son opinion à celle de l'autorité cantonale, mais doit démontrer, par
une argumentation précise, que la décision attaquée repose sur une
application manifestement insoutenable de la loi (ATF 125 I 492 consid. 1b p.
495 et les arrêts cités).

2.
Invoquant l'art. 29 al. 2 Cst., la recourante se plaint d'une violation de
son droit à une décision motivée, dès lors qu'on ne comprendrait pas pourquoi
la Cour de justice a fixé le point de départ de la contribution d'entretien
au 1er janvier 2006, cette date ne correspondant ni à celle du jugement de
première instance (13 décembre 2005), ni à celle de la notification de
celui-ci (16 janvier 2005). L'autorité cantonale n'aurait pas non plus
expliqué pourquoi les mesures provisoires n'auraient pas pu prendre effet au
15 septembre 2006 ou encore postérieurement.

2.1 La jurisprudence a notamment déduit du droit d'être entendu, garanti par
l'art. 29 al. 2 Cst., l'obligation pour le juge de motiver sa décision, afin
que l'intéressé puisse la comprendre ainsi que l'attaquer utilement s'il y a
lieu, et que l'autorité de recours puisse exercer son contrôle. Le juge n'est
certes pas tenu de se prononcer sur tous les arguments soulevés par les
parties, et peut s'en tenir aux questions décisives; il faut toutefois qu'il
mentionne, au moins brièvement, les motifs qui l'ont guidé et sur lesquels il
s'est fondé (ATF 130 II 530 consid. 4.3 p. 540, 473 consid. 4.1 p. 477; 129 I
232 consid. 3.2 p. 236; 126 I 97 consid. 2b p. 102/103).

Le droit d'être entendu étant une garantie constitutionnelle de nature
formelle, dont la violation entraîne l'annulation de la décision attaquée
sans égard aux chances de succès du recours sur le fond (ATF 127 V 431
consid. 3d/aa p. 437; 126 V 130 consid. 2b p. 132), ce moyen doit être
examiné en premier lieu (ATF 124 I 49 consid. 1 p. 50) et avec un plein
pouvoir d'examen (ATF 127 III 192 consid. 3 p. 194 et les arrêts cités).

2.2 Après avoir relevé que les mesures protectrices déploient leurs effets
tant qu'elles n'ont pas été remplacées par des mesures provisoires,
l'autorité cantonale a estimé qu'il convenait de fixer le dies a quo de
celles-ci à la date où le jugement de première instance avait été rendu.
Comme celui-ci avait été prononcé le 13 décembre 2005 et communiqué aux
parties le 16 janvier 2006, les mesures provisoires entreraient donc en force
le 1er janvier 2006.

Quoique brève, cette motivation se révèle suffisamment explicite pour saisir
le sens et la portée de la décision en cause (cf. ATF 114 Ia 233 consid. 2d
p. 242). Le grief de violation de l'art. 29 al. 2 Cst. apparaît ainsi
infondé.

3.
La recourante s'en prend à la fixation du point de départ de la nouvelle
contribution d'entretien au 1er janvier 2006, soit à une date antérieure au
prononcé, le 15 septembre 2006, de l'arrêt attaqué. Elle soutient que la
solution adoptée par l'autorité cantonale viole gravement le principe "res
judicata pro veritate habetur" et celui de la non-rétroactivité d'une
décision sur l'entretien, dès lors qu'elle se voit contrainte de rembourser à
l'intimé les montants que celui-ci a payé en trop sur la base de l'ordonnance
de mesures protectrices, pourtant restée en vigueur jusqu'à ce que l'arrêt
sur appel soit rendu. La Cour de justice aurait aussi violé la procédure
cantonale sur ce point, en particulier les règles sur l'effet suspensif de
l'appel ordinaire.

3.1 D'après la jurisprudence, une décision est arbitraire lorsqu'elle est
manifestement insoutenable, méconnaît gravement une norme ou un principe
juridique clair et indiscuté, ou heurte de manière choquante le sentiment de
la justice et de l'équité; il ne suffit pas qu'une autre solution paraisse
concevable, voire préférable; pour que cette décision soit annulée, encore
faut-il qu'elle se révèle arbitraire, non seulement dans ses motifs, mais
aussi dans son résultat (ATF 132 III 209 consid. 2.1 p. 211 et les arrêts
cités). Il incombe au recourant d'en faire la démonstration par une
argumentation précise (art. 90 al. 1 let. b OJ; ATF 130 I 26 consid. 2.1 p.
31; 129 I 185 consid. 1.6 p. 189, 113 consid. 2.1 p. 120; 125 I 71 consid. 1c
p. 76, 492 consid. 1d p. 495 et les nombreux arrêts cités), sous peine
d'irrecevabilité - totale ou partielle - du recours (ATF 123 II 552 consid.
4d p. 558).

3.2 Les mesures protectrices de l'union conjugale ordonnées avant l'ouverture
du procès en divorce demeurent en force tant qu'elles n'ont pas été modifiées
ou supprimées par des mesures provisoires au sens de l'art. 137 al. 2 CC (ATF
101 II 1 p. 2/3; 129 III 60 consid. 2 p. 61). Le juge du divorce, appelé à
statuer sur une éventuelle demande de mesures provisoires, reste toutefois
libre de fixer, selon son appréciation et les particularités du cas, le point
de départ de la contribution d'entretien par lui ordonnée à toute date qui
lui paraît convenable, depuis l'ouverture de l'action (ATF 129 III 60 consid.
3 p. 63/64; 115 II 201 consid. 4a p. 205; Urs Gloor, Commentaire bâlois, 3e
éd., n. 10 et 15 ad art. 137 CC; Bühler/Spühler, Commentaire bernois, n. 124,
236 et 445 ad art. 145 aCC). En règle générale, sauf décision contraire,
l'obligation de verser une contribution rétroagit au jour du dépôt de la
requête de mesures provisoires (arrêt 5P.296/1995 du 31 octobre 1995, consid.
2b in fine; ATF 111 II 103 consid. 4 p. 107; Bühler/Spühler, op. cit., n. 124
et 236 ad art. 145 aCC).

3.3 Sur le vu de ce qui précède, l'autorité cantonale ne saurait se voir
reprocher d'avoir fixé l'entrée en vigueur des nouvelles modalités relatives
au devoir d'entretien de l'intimé au 1er janvier 2006, soit à une date
postérieure à l'ouverture de l'action en divorce. En tout cas, la recourante
ne démontre pas d'arbitraire à ce sujet (art. 90 al. 1 let. b OJ). Son grief
de violation du prétendu principe de la non-rétroactivité des décisions
d'entretien est à l'évidence infondé. Par ailleurs, une violation de
l'autorité de chose jugée (res judicata) ne saurait entrer en considération.
En effet, ce principe empêche que d'autres décisions soient rendues
concernant, notamment, le même état de fait (Fabienne Hohl, Procédure civile,
Tome I, n. 1298 p. 245). Or la modification des mesures protectrices n'est
possible que si, depuis l'entrée en force de celles-ci, les circonstances se
sont modifiées d'une manière essentielle et durable, ou si le juge s'était
fondé sur des faits erronés (Bühler/Spühler, op. cit., n. 32 ad art. 145
aCC). Il n'y a donc pas identité d'objet entre les deux décisions (Fabienne
Hohl, op. cit., n. 1305 p. 246). Quant à la jurisprudence citée par la
recourante (ATF 111 II 103), elle n'est pas pertinente car elle règle une
autre question, à savoir celle de l'existence de motifs particuliers pouvant
justifier une rétroactivité avant le dépôt de la requête de modification. Il
n'apparaît pas non plus que des dispositions du droit de procédure cantonal -
que la recourante n'allègue du reste pas clairement - auraient été
arbitrairement appliquées: si l'effet suspensif dont est doté l'appel
ordinaire empêche que la décision attaquée ne déploie ses effets et, par
conséquent, l'exécution de celle-ci, cette mesure ne peut influer sur la
fixation du point de départ des contributions d'entretien, qui relève du
droit matériel fédéral. Enfin, la recourante devait en l'occurrence tenir
compte du risque de réduction ou de suppression de la contribution
d'entretien, à tout le moins, dès la reddition du jugement de première
instance (ZR 68 1969, n° 69, p. 186). Elle ne prétend du reste pas le
contraire. Dans ces conditions, elle n'établit pas en quoi la solution
adoptée par la Cour de justice serait insoutenable.

4.
En conclusion, le recours apparaît mal fondé et doit par conséquent être
rejeté, dans la mesure où il est recevable. La recourante, qui succombe,
supportera dès lors les frais de la présente procédure (art. 156 al. 1 OJ) et
versera en outre des dépens à l'intimé (art. 159 al. 1 OJ).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable.

2.
Un émolument judiciaire de 2'000 fr. est mis à la charge de la recourante.

3.
La recourante versera à l'intimé une indemnité de 2'000 fr. à titre de
dépens.

4.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des parties et à la
Chambre civile de la Cour de justice du canton de Genève.

Lausanne, le 8 janvier 2007

Au nom de la IIe Cour de droit civil
du Tribunal fédéral suisse

Le président:  La greffière: