Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

II. Zivilabteilung 5P.359/2006
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{T 0/2}
5P.359/2006 /frs

Arrêt du 8 février 2007
IIe Cour de droit civil

M. et Mmes les Juges Raselli, Président, Escher et Hohl.
Greffière: Mme Borgeat.

X. ________ Assurances,
recourante, représentée par Me Bernard Ziegler, avocat,

contre

Y.________,
intimée, représentée par ASSUAS, Association suisse des assurés,
Tribunal des conflits du canton de Genève,
case postale 1956, 1211 Genève 1.

art. 9, 30 al. 1 Cst. et 14 § 1 Pacte ONU II (compétence à raison de la
matière, contrat d'assurance perte de gain en cas de maladie),

recours de droit public [OJ] contre l'arrêt du Tribunal des conflits du
canton de Genève du 13 juin 2006.

Faits :

A.
A.a Y.________ a travaillé comme employée de cafétéria auprès de la société
SGIPA à Genève. A ce titre, elle était assurée par son employeur en matière
d'indemnités journalières en cas de maladie auprès de X.________ Assurances,
dans le cadre d'une assurance-maladie collective conclue selon la loi
fédérale sur le contrat d'assurance du 2 avril 1908 (LCA; RS 221.229.1).

Y. ________ a été en incapacité de travail à compter du 14 décembre 2001.
Après avoir versé durant un certain temps des indemnités journalières,
X.________ a interrompu ses versements à partir du 1er janvier 2003, estimant
que son assurée était totalement apte à reprendre le travail.

A.b Le 27 août 2003, Y.________ a déposé une demande en paiement contre
X.________ auprès du Tribunal cantonal des assurances sociales du canton de
Genève. Arguant de l'incompétence de ce tribunal à raison de la matière,
X.________ a conclu à l'irrecevabilité de la demande.

Par arrêt du 24 août 2004, le Tribunal cantonal des assurances sociales s'est
déclaré compétent, a admis la recevabilité de la demande et a réservé le fond
de la cause.

A.c En date du 30 septembre 2004, X.________ a interjeté un recours de droit
public au Tribunal fédéral contre cet arrêt, au motif que le litige ne devait
pas être porté devant le Tribunal cantonal des assurances sociales mais
devant le Tribunal de première instance de Genève.

Par arrêt du 15 décembre 2004, la cour de céans a déclaré le recours
irrecevable, X.________ n'ayant pas respecté la règle de l'épuisement
préalable des instances cantonales (art. 86 al. 1 OJ), le Tribunal des
conflits du canton de Genève étant chargé de trancher les questions de
compétence entre une juridiction administrative d'une part et une juridiction
civile ou pénale d'autre part.

B.
B.aLe 21 janvier 2005, X.________ a saisi le Tribunal des conflits de son
recours déposé le 30 septembre 2004 auprès du Tribunal fédéral à l'encontre
de l'arrêt du Tribunal cantonal des assurances sociales.

B.b Par arrêt du 13 juin 2006, le Tribunal des conflits a rejeté le recours
de X.________, estimant que le litige, certes soumis à la LCA, est de la
compétence du Tribunal cantonal des assurances sociales, en vertu de l'art.
56V al. 1 let. c de la loi genevoise d'organisation judiciaire du 22 novembre
1941 (LOJ/GE; RSG E 2 05).

C.
Contre cet arrêt, X.________ interjette un recours de droit public au
Tribunal fédéral, sollicitant, à titre préalable, l'octroi de l'effet
suspensif. Elle conclut principalement à l'annulation de la décision
attaquée, au déboutement du Tribunal des conflits, du Tribunal cantonal des
assurances sociales, de Y.________, ainsi que de tout autre opposant ou
intervenant, de leurs conclusions contraires. Subsidiairement, elle conclut à
ce que le Tribunal fédéral lui permette de prouver, par toutes voies de
droit, les faits allégués dans son recours. Elle invoque la violation des
art. 30 al. 1 Cst. et 14 § 1 du Pacte international relatif aux droits civils
et politiques du 16 décembre 1966 (Pacte ONU II; RS 0.103.2), ainsi que de
l'art. 9 Cst.

Y. ________ a renoncé à se déterminer sur la requête d'effet suspensif et à
déposer une réponse.

Le Tribunal des conflits s'en est remis à justice quant au sort de la requête
d'effet suspensif et n'a pas formulé d'observations au sujet du recours de
droit public.

Par ordonnance du 27 septembre 2006, le Président de la IIe Cour de droit
civil a attribué l'effet suspensif au recours.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
L'arrêt attaqué ayant été rendu avant l'entrée en vigueur, le 1er janvier
2007 (RO 2006 1205, 1242), de la loi fédérale du 17 juin 2005 sur le Tribunal
fédéral (LTF; RS 173.110), l'ancienne loi d'organisation judiciaire (OJ) est
applicable à la présente cause (art. 132 al. 1 LTF).

2.
Le Tribunal fédéral examine d'office et librement la recevabilité des recours
qui lui sont soumis (ATF 132 III 291 consid. 1 p. 292).

2.1 Déposé en temps utile (art. 89 al. 1 et 34 al. 1 let. b OJ) contre une
décision incidente sur la compétence, prise séparément (art. 87 al. 1 OJ) en
dernière instance cantonale (art. 86 al. 1 OJ), dans une contestation civile
(assurance régie par la LCA), mais pour violation du droit d'être jugé par un
tribunal compétent (art. 30 al. 1 Cst. et 14 § 1 Pacte ONU II; cf. Auer,
Malinverni, Hottelier, Droit constitutionnel suisse, vol. II, 2006, n. 1193
ss, 1196, 1198 et 1224) et pour application arbitraire (art. 9 Cst.) du droit
cantonal de procédure (art. 56V al. 1 let. c LOJ/GE), le recours, qui ne peut
pas être soumis au Tribunal fédéral par un autre moyen de droit (art. 84 al.
2 et 43 al. 1, in fine, OJ), est recevable.

2.2 Sous réserve d'exceptions non réalisées en l'espèce (cf. ATF 124 I 327
consid. 4b p. 332/333 et la jurisprudence citée), le recours de droit public
est de nature cassatoire et ne peut tendre qu'à l'annulation de la décision
attaquée (ATF 132 III 291 consid. 1.5 p. 294).

Il s'ensuit que les chefs de conclusions de la recourante qui tendent à autre
chose qu'à l'annulation de la décision attaquée sont irrecevables.

3.
Les prétentions que fait valoir l'assurée se fondent sur un contrat
d'assurance-maladie collective d'indemnités journalières en cas de maladie,
conclu par son employeur selon le droit privé (LCA), avec X.________, et donc
soumis à la LCA, ce qui n'est pas contesté en l'espèce. La seule question
litigieuse est de savoir si la législation cantonale genevoise a attribué au
Tribunal cantonal des assurances sociales la compétence matérielle pour
connaître du contentieux relatif à ce contrat.

4.
Selon l'arrêt attaqué, le 1er août 2003, le législateur genevois a institué
le Tribunal cantonal des assurances sociales, qui est désormais compétent en
matière d'assurance-maladie sociale; cette compétence appartenait,
auparavant, au Tribunal administratif.

Aux termes de l'art. 56V al. 1 let. c LOJ/GE, "le Tribunal cantonal des
assurances sociales connaît en instance unique des contestations relatives
aux assurances complémentaires à l'assurance-maladie sociale prévue par la
loi fédérale sur l'assurance-maladie, du 18 mars 1994, et à
l'assurance-accidents obligatoire prévue par la loi fédérale sur
l'assurance-accidents, du 20 mars 1981".

L'arrêt cantonal relève que, lors de l'adoption de l'art. 56V al. 1 let. c
LOJ/GE, le législateur genevois a supprimé l'art. 37 de la loi genevoise
d'application de la loi fédérale sur l'assurance-maladie (LaLAMal/GE; RSG J 3
05), qui renvoyait expressément à l'art. 12 al. 2 LAMal; le Tribunal
administratif avait déduit de ce renvoi explicite qu'il avait une compétence
pour connaître des litiges en matière d'assurances-maladie complémentaires
uniquement lorsque ces dernières étaient pratiquées par un assureur social
visé par l'art. 12 al. 2 LAMal, soit une caisse-maladie ou une assurance
privée autorisée à pratiquer l'assurance-maladie sociale et que si tel
n'était pas le cas, les contestations devaient être portées devant le
Tribunal de première instance.

Le Tribunal des conflits a déduit de l'absence de renvoi dans l'art. 56V al.
1 let. c LOJ/GE à l'art. 12 al. 2 LAMal et de la suppression de l'art. 37
LaLAMal/GE que le législateur genevois a abandonné le critère de la
compétence fondée sur la qualité d'assureur social et que cette modification
n'est pas fortuite, mais résulte de la volonté du législateur telle qu'elle
ressort des travaux préparatoires. Le législateur genevois a en effet voulu
unifier les voies de recours ouvertes aux assurés et a donc étendu la
compétence du Tribunal cantonal des assurances sociales aux assurances
complémentaires offertes par une institution d'assurance privée non
autorisée. Il a également voulu simplifier et harmoniser les procédures, afin
que celles-ci soient simples et rapides, dans le prolongement de l'art. 47
al. 2 de la loi fédérale sur la surveillance des institutions d'assurance
privées du 23 juin 1978 (actuellement l'art. 85 al. 2 de la loi fédérale sur
la surveillance des entreprises d'assurance: LSA; RS 961.01).
Selon le Tribunal des conflits, le Tribunal cantonal des assurances sociales
est ainsi compétent pour l'ensemble des contestations relatives aux
assurances complémentaires, que celles-ci soient offertes par un assureur
social ou par un assureur privé.

5.
Sous le titre de violation de l'art. 30 al. 1 Cst. et de l'art. 14 § 1 Pacte
ONU II, la recourante propose sa propre interprétation de l'art. 56V al. 1
let. c LOJ/GE, en particulier de la notion d'assurances complémentaires à
l'assurance-maladie sociale. Selon la recourante, on ne peut parler
d'assurance complémentaire que si celle-ci est conclue "en complément" -
c'est-à-dire "en sus" - de l'assurance-maladie sociale de base. Concernant
plus particulièrement les assurances d'indemnités journalières, la recourante
relève que seule l'assurance facultative d'indemnités journalières, au sens
des art. 67 ss LAMal, fait partie de l'assurance-maladie sociale. Ainsi, une
assurance d'indemnités journalières soumise à la LCA ne pourrait être
qualifiée d'assurance complémentaire à l'assurance-maladie sociale, au sens
de l'art. 56V al. 1 let. c LOJ/GE, que si elle était conclue en complément
d'une assurance d'indemnités journalières LAMal, ceci même si toute référence
à l'art. 12 al. 2 LAMal a été supprimée dans le droit cantonal. A contrario,
si aucune assurance d'indemnités journalières LAMal n'a été préalablement
conclue, une assurance d'indemnités journalières soumise à la LCA ne saurait
être qualifiée d'assurance complémentaire à l'assurance-maladie sociale. Il
s'agirait dans ce cas d'une assurance indépendante et les contentieux y
relatifs seraient de la compétence du Tribunal de première instance.

La recourante constate qu'en l'espèce aucune assurance d'indemnités
journalières LAMal n'a été conclue. Elle en déduit que l'assurance conclue
avec X.________ n'est pas une assurance complémentaire à l'assurance-maladie
sociale au sens de l'art. 56V al. 1 let. c LOJ/GE et que, dès lors, le
Tribunal cantonal des assurances sociales n'est pas compétent pour connaître
du litige. Selon la recourante, en étendant la compétence du Tribunal
cantonal des assurances sociales aux assurances d'indemnités journalières
fondées sur le droit privé, le Tribunal des conflits a violé les art. 30 al.
1 Cst. et 14 § 1 Pacte ONU II, aux termes desquels toute personne a droit à
ce que sa cause soit portée devant un tribunal compétent. Elle estime que le
Tribunal des conflits n'a pas analysé les termes de l'art. 56V al. 1 let. c
LOJ/GE, procédant au contraire à une interprétation extensive, contraire aux
termes de la loi.
Dans la mesure où le grief de violation des art. 30 al. 1 Cst. et 14 § 1
Pacte ONU II n'est formulé que comme la conséquence de l'interprétation de
l'art. 56V al. 1 let. c LOJ/GE, il n'a pas de portée qui aille au-delà de
celui d'arbitraire (art. 9 Cst.) dans l'interprétation de cette disposition
de droit cantonal.

6.
6.1 Dans le domaine de l'assurance-maladie, le droit fédéral n'impose pas aux
cantons d'attribuer les contentieux relevant respectivement du droit public
et du droit privé à des juridictions distinctes; les cantons restent libres
dans la désignation de cette autorité. Rien ne s'oppose, en particulier, à ce
que le droit cantonal de procédure prévoie une attraction de compétence en
faveur du juge des assurances sociales (ATF 125 III 461 consid. 2 p.
463/464).

6.2 Le Tribunal fédéral ne revoit l'interprétation et l'application du droit
cantonal (de procédure) que sous l'angle de l'arbitraire (art. 9 Cst.). Il ne
s'écarte de la solution retenue que si celle-ci se révèle insoutenable, en
contradiction manifeste avec la situation effective, ou si elle a été adoptée
sans motifs objectifs et en violation d'un droit certain. En revanche, si
l'interprétation défendue par la cour cantonale ne se révèle pas
déraisonnable ou manifestement contraire au sens et au but de la disposition
ou de la législation en cause, elle sera confirmée, même si une autre
solution paraît également concevable, voire même préférable. En outre,
l'annulation de la décision attaquée ne se justifie que si celle-ci est
arbitraire dans son résultat (ATF 132 III 209 consid. 2.1 p. 211; 132 I 13
consid. 5.1 p. 17/18; 131 I 217 consid. 2.1 p. 219). Il incombe au
justiciable qui se plaint d'arbitraire de démontrer, par une argumentation
précise, que la décision se fonde sur une application de la loi manifestement
insoutenable. Il ne peut se contenter de critiquer la décision attaquée comme
il le ferait en instance d'appel, où la juridiction supérieure jouit d'une
libre cognition; en particulier, il ne saurait se limiter à opposer son
opinion à celle de l'autorité cantonale (art. 90 al. 1 let. b OJ; cf. ATF 130
I 258 consid. 1.3 p. 261/262; 128 I 295 consid. 7a p. 312; 125 I 492 consid.
1b p. 495 et les arrêts cités).

6.3 En l'espèce, la recourante ne s'en prend pas à la motivation du Tribunal
des conflits, qui s'est fondé sur la volonté du législateur - telle qu'elle
ressort des travaux préparatoires -, dont le but était  d'aller plus loin que
la jurisprudence rendue sous l'ancien droit (qui ne visait que les
caisses-maladie et les entreprises d'assurance autorisées) et d'unifier les
voies de recours pour toutes les assurances complémentaires, y compris celles
conclues avec des institutions d'assurances privées non autorisées. Elle se
borne à lui opposer un argument de texte, à savoir que le terme "assurance
complémentaire" ne peut viser qu'une assurance - en l'occurrence d'indemnités
journalières - qui complète une assurance d'indemnités journalières au sens
des art. 67 ss LAMal. Une telle motivation ne satisfait pas aux exigences de
l'art. 90 al. 1 let. b OJ (cf. consid. 6.2 in fine).

Au demeurant, on ne voit pas en quoi l'interprétation de la notion
d'assurance complémentaire proposée par la recourante, qui postule que, dans
le cas concret, il y ait déjà une assurance d'indemnités journalières conclue
selon les art. 67 ss LAMal et à laquelle s'ajouterait l'assurance
complémentaire d'indemnités journalières conclue selon la LCA, rendrait
arbitraire celle donnée par l'autorité cantonale, qui adopte une définition
abstraite basée sur la matière couverte. La recourante ne fait que proposer
une autre solution.

7.
En conclusion, le présent recours doit être rejeté dans la mesure de sa
recevabilité, aux frais de son auteur (art. 156 al. 1 OJ). Il n'y a pas lieu
d'allouer de dépens à l'intimée, qui a renoncé à se déterminer sur la requête
d'effet suspensif et à déposer une réponse (art. 159 al. 1 et 2 OJ).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable.

2.
Un émolument judiciaire de 2'000 fr. est mis à la charge de la recourante.

3.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des parties et au
Tribunal des conflits du canton de Genève.

Lausanne, le 8 février 2007

Au nom de la IIe Cour de droit civil
du Tribunal fédéral suisse

Le président:  La greffière: