Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

II. Zivilabteilung 5P.318/2006
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{T 0/2}
5P.318/2006 /frs

Arrêt du 22 décembre 2006
IIe Cour civile

MM. et Mmes les Juges Raselli, Président,
Nordmann, Escher, Hohl et Marazzi.
Greffière: Mme Rey-Mermet.

X. ________,
recourante, représentée par la Ville de Zürich,
Support Sozialdepartement, Recht, z.H. Frau Petra Kern, Rechtsanwältin,

contre

Tribunal administratif du canton de Genève, case postale 1956, 1211 Genève 1.

art. 9 Cst. (domicile de l'enfant),

recours de droit public [OJ] contre l'arrêt du Tribunal administratif du
canton de Genève du 7 mars 2006.

Faits :

A.
X. ________ est née le 18 septembre 1992 dans le canton de Zurich, où ses
parents étaient domiciliés. Après leur divorce en 1998, l'autorité parentale
sur l'enfant a été attribuée à la mère. En 1999, les autorités tutélaires de
la ville de Zurich ont retiré à celle-ci le droit de garde sur l'enfant,
qu'ils ont confiée à une famille d'accueil à Meilen (ZH). Depuis lors,
X.________ est restée dans le canton de Zurich où elle a poursuivi sa
scolarité. Depuis 1999, son entretien est pris en charge par les services
sociaux de la ville de Zurich. Quant à sa mère, elle s'est établie dans le
canton de Genève où elle est, depuis 2002, domiciliée dans la commune de
Meyrin (GE).

B.
B.aEn juin 2005, la curatrice de X.________ a adressé à la commune de Meyrin
une demande d'avance des pensions alimentaires en faveur de sa pupille. Par
décision du 25 août 2005, le Service cantonal d'avance et de recouvrement des
pensions alimentaires (ci-après : Scarpa) a refusé d'intervenir pour le motif
que l'enfant créancier n'était pas domicilié dans le canton de Genève.

B.b Le Tribunal administratif du canton de Genève, saisi en septembre 2005
par la curatrice de l'enfant, a rejeté le recours par arrêt du 7 mars 2006.

C.
Le 19 juillet 2006, X.________ a interjeté contre cet arrêt un recours de
droit public, sollicitant également d'être mise au bénéfice de l'assistance
judiciaire. Le Tribunal administratif du canton de Genève a déclaré s'en
rapporter à justice quant à la recevabilité du recours et persister dans les
considérants et le dispositif de son arrêt.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
1.1 Interjeté contre une décision finale prise en dernière instance
cantonale, le recours est recevable au regard de l'art. 86 al. 1 OJ. Ayant
pour objet une prestation découlant du droit administratif cantonal, à savoir
l'avance d'aliments, il ne peut être déféré au Tribunal fédéral par aucune
autre voie de recours. En effet, même si la question soulevée relève de
l'interprétation du droit civil fédéral, celui-ci n'est appliqué qu'à titre
supplétif, faute d'une norme de droit cantonal applicable (ATF 126 III 370
consid. 5; Poudret, Commentaire de la loi fédérale d'organisation judiciaire,
vol. II, n. 1.4.1 ad art. 43, p. 130). Le présent recours est ainsi recevable
compte tenu de la subsidiarité absolue du recours de droit public (art. 84
al. 2 OJ).

1.2 L'arrêt cantonal a été notifié une première fois le 17 mars 2006.
Toutefois, la recourante fait valoir qu'il a été adressé à sa curatrice,
alors qu'elle avait informé à temps le Tribunal administratif qu'elle était
représentée dans la procédure judiciaire par un autre service. Le Tribunal
administratif n'ayant pas considéré opportun de s'exprimer sur cette
question, il y a lieu de retenir les allégations de la recourante. Par
conséquent, le délai de recours n'a commencé à courir qu'après la deuxième
notification de l'arrêt attaqué par courrier B, la date de notification au 19
juin 2006 n'étant au demeurant pas contestée. Le recours s'avère par
conséquent recevable également sous l'angle de l'art. 89 al. 1 OJ.

1.3 Le recours de droit public est, en principe, de nature cassatoire et ne
peut tendre qu'à l'annulation de la décision attaquée (ATF 132 III 291
consid. 1.5 et les arrêts cités). Le chef de conclusions de la recourante
tendant à ce que la cause soit renvoyée à l'autorité cantonale pour qu'elle
fixe le montant de la contribution d'entretien à 600 fr. est dès lors
irrecevable.

2.
Le Tribunal fédéral ne revoit l'interprétation et l'application du droit
cantonal, de même que l'appréciation des preuves et l'établissement des
faits, que sous l'angle de l'arbitraire; il ne s'écarte de la solution
retenue que si celle-ci se révèle insoutenable, en contradiction manifeste
avec la situation effective, ou si elle a été adoptée sans motifs objectifs
ou en violation d'un droit certain; en outre, l'annulation de la décision
attaquée ne se justifie que si celle-ci est arbitraire dans son résultat, ce
qu'il appartient au recourant de démontrer (ATF 132 I 13 consid. 5.1 et les
arrêts cités).

3.
La question litigieuse consiste à déterminer si le domicile de X.________ se
trouve auprès de sa mère, dans le canton de Genève, ou à son lieu de
résidence, dans le canton de Zurich. En effet, en vertu du droit cantonal,
seul le créancier domicilié dans le canton de Genève depuis un an au moins
peut bénéficier des avances des pensions alimentaires (art. 8 al. 1 de la loi
genevoise sur l'avance et le recouvrement des pensions alimentaires du 22
avril 1977; ci-après : LARPA/GE; RSG E 1.25).

3.1 En l'espèce, le Tribunal administratif, après avoir constaté que ni la
LARPA/GE ni son règlement d'application (E 1.25.01) ne donnent une définition
du domicile, s'est référé aux art. 23 ss CC, en particulier à l'art. 25 CC,
qui a introduit le critère subsidiaire du lieu de résidence. Selon l'autorité
cantonale, ce critère est applicable lorsqu'aucun des parents n'a le droit de
garde. Elle en a déduit qu'en l'espèce, le domicile de l'enfant était
déterminé par son lieu de résidence, à savoir le canton de Zurich.

3.2 La recourante conteste cette interprétation de l'art. 25 al. 1 CC. Se
référant aux travaux préparatoires (Message du Conseil fédéral  concernant la
révision du Code civil suisse - effets généraux du mariage, régimes
matrimoniaux et successions - du 11 juillet 1979, in : FF 1979 II p.
1179-1405), elle considère que le critère subsidiaire du lieu de résidence
s'applique uniquement lorsque les deux parents, qui ont des domiciles
distincts, ont l'autorité parentale, mais qu'aucun d'eux ne dispose du droit
de garde. Tel ne serait pas le cas en l'occurrence, puisque le jugement de
divorce du 10 juillet 1998 attribue l'autorité parentale sur l'enfant à sa
mère, même si celle-ci n'a plus - à la suite d'une décision de l'autorité
tutélaire de Zurich du 9 août 1999 - le droit de garde.

3.3
3.3.1 Aux termes de l'art. 25 al. 1 CC, l'enfant sous autorité parentale
partage le domicile de ses père et mère ou, en l'absence de domicile commun
des père et mère, le domicile de celui de ses parents qui a le droit de
garde; subsidiairement, son domicile est déterminé par le lieu de sa
résidence. A première vue, le critère subsidiaire du lieu de résidence
s'applique dans le cas de l'enfant sous autorité parentale des parents,
lorsque ceux-ci ont tous deux le droit de garde mais pas de domicile commun
(Hausheer/Reusser/Geiser, Commentaire bernois, n. 34/18 ad art. 162 CC; Kurt
Affolter, Örtliche Zuständigkeit zur Anordnung der Vormundschaft nach Art.
368 ZGB nach Entmündigung der Inhaberin der elterlichen Sorge in : RDT 2006
p. 250 ss 252; Cyril Hegnauer, Droit suisse de la filiation, 4e éd., 1998, n°
17.22-17.23).

3.3.2 Pour savoir si le critère subsidiaire du lieu de la résidence vise
d'autres cas de figure, il convient de se référer au Message du Conseil
fédéral (FF 1979 II p. 1179-1405). S'agissant de la notion de domicile légal
(titre marginal de l'art. 25 CC), autrement dit le domicile de personnes
dépendantes ("Wohnsitz nicht selbständiger Personen" dans le texte allemand
et "domicilio di persone dipendenti" dans le texte italien), le Conseil
fédéral rappelle le principe, repris de l'ancien droit, que "l'enfant sous
autorité parentale partage le domicile de ses père et mère". Le même principe
s'applique à l'enfant qui ne serait placé que sous l'autorité parentale d'un
des parents, sans qu'il soit nécessaire de le spécifier dans la loi (Message,
p. 1323-1324, ch. 231, deuxième paragraphe).

En apparente contradiction avec ce qui précède, le Conseil fédéral précise
ensuite que, lorsque "ni l'un ni l'autre des parents, détenteurs de
l'autorité parentale, [n'ont] le droit de garde, [...] le nouvel article 25,
1er alinéa, situe le domicile de l'enfant au lieu de sa résidence" (Message,
p. 1324, ch. 231, quatrième paragraphe). Le Tribunal administratif en a
déduit que, lorsqu'aucun des parents n'a le droit de garde, le domicile de
l'enfant se détermine par son lieu de résidence.

3.3.3 En réalité, le Message n'a pas la portée que lui prête l'autorité
cantonale. Selon le quatrième paragraphe du Message (p. 1324, ch. 231), le
critère subsidiaire du lieu de résidence s'applique lorsque les deux parents
détiennent l'autorité parentale mais qu'aucun d'eux n'a le droit de garde. Ce
paragraphe ne traite pas de la situation de l'enfant sous autorité parentale
d'un seul des parents. Cela ressort des travaux préparatoires (FF 1979 II p.
1324; cf. FF 1979 II p. 1267 pour la version italienne), encore plus
clairement dans leur version allemande (FF 1979 II p. 1345). Cette
interprétation s'impose d'autant plus qu'elle est aussi la seule compatible
avec le deuxième paragraphe du Message, dans la mesure où il se réfère aux
cas dans lesquels un seul parent dispose de l'autorité parentale (Message,
p. 1323, ch. 231, deuxième paragraphe; cf. consid. 3.3.2 supra). Le principe
qui se dégage est donc que le recours au critère subsidiaire du lieu de
résidence de l'enfant se justifie lorsqu'aucun autre critère légal ne permet
de trancher entre les deux parents disposant d'un droit équivalent.

3.3.4  Par conséquent, le domicile de l'enfant sera déterminé par celui des
parents, lorsque ceux-ci ont l'autorité parentale et vivent ensemble, même
s'ils ne disposent pas du droit de garde (Hausheer/Reusser/Geiser, op. cit.,
n. 34/14 et 34/16 ad art. 162 CC; Cyril Hegnauer, Wohnsitz de Kindes unter
elterlichen Gewalt art. 25 al. 1 ZGB in : RDT 1988 p. 150 ss, 152; Daniel
Staehelin, Commentaire bâlois, 3e éd., 2006, n. 4 ad art. 25 CC; Henri
Deschenaux/Paul-Henri Steinauer, Personnes physiques et tutelle, 4e éd.,
2001, n° 391). Lorsque l'enfant est sous autorité parentale d'un seul de ses
parents, conformément à l'art. 25 al. 1 1ère partie CC, le domicile de
l'enfant se situe au domicile du parent détenteur de l'autorité parentale,
sans qu'il importe que ce dernier dispose ou non du droit de garde. C'est
également l'avis de la doctrine majoritaire, laquelle s'oppose à l'opinion
défendue par le Tribunal administratif (Hausheer/Reusser/ Geiser, op. cit.,
n. 34/13 et 34/16 ad art. 162 CC; Kurt Affolter, op. cit., p. 252; Cyril
Hegnauer, Droit suisse de la filiation, n° 17.22-17.23; Daniel Staehelin,
loc. cit.; Henri Deschenaux/Paul-Henri Steinauer, op. cit., n° 393).

3.3.5 En doctrine, l'opinion du Tribunal administratif est soutenue par
Stettler (Traité de droit privé suisse, Vol. III t. II/1, 1987, p. 531 ss).
Selon lui, lorsque les deux parents sont privés du droit de garde, la
solution du domicile de l'enfant au lieu de sa résidence s'impose au regard
des travaux préparatoires, sans égard aux droits parentaux. Cet auteur
justifie également son opinion en affirmant que, si le rattachement du
domicile de l'enfant à celui du titulaire de l'autorité parentale "est en soi
déjà problématique dans le cas où le placement est décidé par les titulaires
des droits parentaux eux-mêmes [...], elle revêtirait un caractère
particulièrement artificiel dans le cas du placement décidé par l'autorité"
(Martin Stettler, loc. cit.; dans le même sens, Andreas Bucher, Natürliche
Personen und Persönlichkeits-schutz, 3e éd., 1999, nos 386 ss). Force est
cependant de constater que cette opinion s'oppose à un choix explicite du
législateur, car elle n'est fondée ni sur la loi (Hausheer/Reusser/Geiser,
op. cit., n. 34/16 ad art. 162 CC), ni sur les travaux préparatoires (cf.
consid. 3.3.3 supra).

3.4 En conclusion, l'interprétation de l'art. 25 al. 1 CC par le Tribunal
administratif du canton de Genève contredit manifestement un principe clair
et établi du droit suisse, tel qu'il ressort du texte de la loi, des travaux
préparatoires et de la doctrine largement majoritaire (cf. consid. 3.3.4
supra); elle est donc arbitraire.

4.
Le recours doit être admis et l'arrêt attaqué annulé. Il n'est pas perçu de
frais de justice, les autorités du canton de Genève ayant tranché dans
l'exercice de leurs attributions officielles sans que leur intérêt pécuniaire
soit en cause (art. 156 al. 2 OJ). Il n'est pas alloué de dépens, car la
recourante a agi par l'intermédiaire d'un office public chargé de défendre
ses intérêts. Sa demande d'assistance judiciaire  devient par conséquent sans
objet.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est admis et l'arrêt attaqué est annulé.

2.
Il est statué sans frais.

3.
La demande d'assistance judiciaire est sans objet.

4.
Le présent arrêt est communiqué en copie à la recourante et au Tribunal
administratif du canton de Genève.

Lausanne, le 22 décembre 2006

Au nom de la IIe Cour civile
du Tribunal fédéral suisse

Le président:  La greffière: