Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

II. Zivilabteilung 5P.227/2006
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{T 0/2}
5P.227/2006 /svc

Arrêt du 26 juillet 2006
IIe Cour civile

MM. et Mme les Juges Raselli, Président, Meyer et Hohl.
Greffier: M. Braconi.

X. ________ SA,
recourante, représentée par Me Soli Pardo, avocat,

contre

Tribunal de première instance du canton de Genève, place du Bourg-de-Four 1,
case postale 3736,
1211 Genève 3.

art. 29 al. 1 Cst. (retard injustifié; réquisition de faillite
sans poursuite préalable),

recours de droit public contre le Tribunal de première instance du canton de
Genève.

Faits:

A.
Le 17 septembre 2001, la société X.________ SA a déposé auprès du Tribunal de
première instance de Genève une réquisition de faillite sans poursuite
préalable, fondée sur l'art. 190 al. 1 ch. 2 LP, à l'encontre de Y.________
SA. Les parties ont été citées à comparaître le 9 octobre 2001; à cette
occasion, elles ont demandé que "la cause soit reconvoquée pour le mardi 23
octobre 2001".

B.
Une nouvelle audience de comparution personnelle des parties a été fixée le
23 avril 2002, à l'issue de laquelle le Tribunal a sursis à statuer sur la
réquisition de faillite "en raison de la requête en sursis" formée le 22
avril 2002 par la débitrice. Par jugement du 31 mai 2002, celle-ci a obtenu
l'ajournement de sa faillite jusqu'au 30 septembre 2002; cette mesure a été
régulièrement reconduite, en dernier lieu jusqu'au 30 juin 2006.

C.
Agissant par la voie du recours de droit public au Tribunal fédéral pour
violation de l'art. 29 al. 1 Cst., X.________ SA conclut, avec suite de frais
et dépens, à ce que le Tribunal de première instance de Genève soit invité à
statuer sans délai sur la réquisition de faillite sans poursuite préalable
présentée le 17 octobre 2001.

L'autorité intimée propose le rejet du recours et renonce, en tant que de
besoin, à l'allocation de dépens.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
Le Tribunal fédéral examine d'office et librement la recevabilité des recours
dont il est saisi (ATF 132 III 291 consid. 1 p. 292; 131 III 667 consid. 1 p.
668).

1.1 En procédure civile genevoise, aucun recours n'est ouvert pour se
plaindre de l'inactivité d'un juge, en sorte que le recours est recevable
sous l'angle de l'art. 86 al. 1 OJ (arrêt 5P.244/2005 du 11 octobre 2005,
consid. 1).

1.2 Le chef de conclusions tendant à ce que la juridiction intimée soit
invitée à "statuer sans délai" sur la réquisition de faillite sans poursuite
préalable est recevable (ATF 124 I 327 consid. 4b/bb p. 333).

2.
En l'occurrence, la recourante fait valoir que, en reportant depuis plus de
quatre ans son prononcé sur la réquisition de faillite sans poursuite
préalable, alors que les conditions d'un ajournement de la faillite selon
l'art. 725a CO ne sont clairement pas remplies, la juridiction cantonale
s'est rendue coupable d'un retard injustifié à statuer.

2.1 Aux termes de l'art. 29 al. 1 Cst., toute personne a droit, dans une
procédure judiciaire ou administrative, à ce que sa cause soit jugée dans un
délai raisonnable. Cette disposition constitutionnelle consacre le principe
de la célérité ou, autrement dit, prohibe le retard injustifié à statuer.
L'autorité viole cette garantie lorsqu'elle ne statue pas dans le délai légal
ou dans un délai que la nature de l'affaire ainsi que toutes les autres
circonstances du cas font apparaître comme raisonnable. Le caractère
raisonnable de la durée de la procédure doit être apprécié sur la base de
critères objectifs, notamment la complexité de l'affaire, l'enjeu que revêt
le litige pour l'intéressé ou encore le comportement de ce dernier et celui
des autorités compétentes. Cette durée n'est pas influencée par des
circonstances étrangères au problème à résoudre; une organisation déficiente
ou une surcharge structurelle ne sauraient ainsi justifier la lenteur
excessive d'une procédure, car il appartient à l'État d'organiser ses
juridictions de façon à garantir aux citoyens une administration de la
justice conforme au droit constitutionnel (ATF 130 I 312 consid. 5.1 et 5.2
p. 331/332 et les références; arrêt 1P.272/2003 du 6 juin 2003, consid. 2.1,
in: SJ 2003 I p. 508; cf. aussi: ATF 130 IV 54 consid. 3.3.3 p. 56).

2.2 Le grief apparaît infondé. La juridiction inférieure n'est pas restée
inactive en l'espèce, opposant son "silence" à la requête formée par la
recourante. Si elle n'a pas (formellement) statué sur la réquisition de
faillite sans poursuite préalable, c'est parce qu'elle a considéré que les
conditions d'un ajournement étaient réalisées, ce qui faisait obstacle à
l'ouverture de la faillite (Wüstiner, in: Basler Kommentar, OR II, 2e éd., n.
9 ad art. 725a CO et les références; cf. aussi, pour l'ajournement de l'art.
173a LP: arrêt 5P.288/1997 du 7 octobre 1997, consid. 3a); cela ressort
clairement de l'ordonnance préparatoire du 9 mars 2005, dont un exemplaire a
été communiqué au conseil de la recourante.

En réalité, la recourante s'en prend pour l'essentiel aux "innombrables
ajournements" octroyés à la société débitrice sous l'angle des réquisits de
l'art. 725a CO, affirmant même qu'il est "indubitable que [celui-ci] a été
appliqué arbitrairement". Or, cette question touche aux conditions
d'application de la disposition précitée (déni de justice matériel), et non
au retard à statuer (déni de justice formel). L'autorité ne se rend donc pas
coupable d'un refus inadmissible à statuer si elle persiste - fût-ce de
manière arbitraire - à ne pas ouvrir la faillite en raison de l'octroi d'un
ajournement; il incombe alors au créancier intéressé de contester cette
décision (cf. à ce sujet: Brunner, in: Basler Kommentar, SchKG II, n. 24 ad
art. 192 LP et la jurisprudence citée).

3.
Vu ce qui précède, le recours doit être rejeté, avec suite de frais à la
charge de la recourante qui succombe (art. 156 al. 1 OJ). Au regard de l'art.
159 al. 2 OJ - applicable par analogie au recours de droit public (arrêt
2P.458/1995 du 13 mai 1997, consid. 6, in: Zbl 99/1998 p. 385) -, la
renonciation aux dépens est superfétatoire (Poudret, Commentaire de la loi
fédérale d'organisation judiciaire, vol. V, n. 3 ad art. 159 OJ et les
citations).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est rejeté.

2.
Un émolument judiciaire de 3'000 fr. est mis à la charge de la recourante.

3.
Le présent arrêt est communiqué en copie au mandataire de la recourante et au
Tribunal de première instance du canton de Genève.

Lausanne, le 26 juillet 2006

Au nom de la IIe Cour civile
du Tribunal fédéral suisse

Le Président:  Le Greffier: