Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

II. Zivilabteilung 5P.19/2006
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5P.19/2006 /frs

Arrêt du 20 mars 2006
IIe Cour civile

MM. et Mme les Juges Raselli, Président,
Nordmann et Marazzi.
Greffier: M. Braconi.

X. ________,
recourant, représenté par Me Christian Luscher, avocat,

contre

Y.________,
intimé, représenté par Me Eric Beaumont, avocat,
Cour de justice du canton de Genève, 1ère Section, case postale 3108, 1211
Genève 3.

art. 9 Cst. (action possessoire),

recours de droit public contre l'arrêt de la 1ère Section de la Cour de
justice du canton de Genève du 24 novembre 2005.

Faits:

A.
Y. ________, légalement domicilié à A.________, a logé dans un appartement
situé au deuxième étage de l'immeuble sis ..., à Genève. X.________ est
locataire de cet appartement, comme de plusieurs locaux et d'autres
appartements se trouvant dans l'immeuble, et destinés, à teneur de l'ancien
contrat de bail, à «l'exploitation d'un café - brasserie - restaurant -
hôtel».

Le 26 juin 2005, X.________ a conclu un nouveau contrat de bail relatif à
l'appartement en question, prenant effet le 1er juillet 2005; aux termes de
cette convention, celui-ci est affecté à «l'usage de logement exclusivement».
Auparavant, le prénommé avait fait changer la serrure de l'appartement, de
telle sorte que, le 20 juin 2005, Y.________ n'a pu y pénétrer. Les affaires
de ce dernier ont été amenées dans un garde-meubles, à l'exception des
meubles qui garnissent le logement en sa qualité de chambre d'hôtel; les
meubles enlevés ont fait l'objet d'un inventaire.

B.
Le 29 juin 2005, Y.________ a déposé une action possessoire sur la base de
l'art. 927 CC; il a conclu à ce qu'il soit ordonné à X.________, sous la
menace des peines de l'art. 292 CP, de lui restituer tous les biens meubles
ayant garni l'appartement, et de les y replacer, ainsi que de lui remettre
les nouvelles clés de l'appartement.

Par jugement du 26 août 2005, le Tribunal de première instance de Genève a
débouté le requérant. Statuant le 24 novembre 2005, la 1ère Section de la
Cour de justice du canton de Genève a, en revanche, fait droit à ses
conclusions.

C.
Agissant par la voie du recours de droit public au Tribunal fédéral pour
violation de l'art. 9 Cst., X.________ conclut à l'annulation de cet arrêt.

La cour cantonale se réfère aux considérants de sa décision. L'intimé s'est
prononcé sur le fond (sans toutefois y avoir été invité), concluant à
l'irrecevabilité, subsidiairement au rejet, du recours.

D.
Par ordonnance du 3 février 2006, le Président de la IIe Cour civile a
attribué l'effet suspensif au recours.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
Le Tribunal fédéral examine d'office et avec une pleine cognition la
recevabilité des recours qui lui sont soumis (ATF 131 III 667 consid. 1 p.
668 et les arrêts cités).

1.1 D'après la jurisprudence constante, la décision qui statue sur une action
possessoire au sens de l'art. 927 al. 1 CC n'est pas susceptible d'un recours
en réforme, faute d'être finale selon l'art. 48 al. 1 OJ (ATF 113 II 243 et
les références; critique: Poudret, Commentaire de la loi fédérale
d'organisation judiciaire, vol. II, n. 1.1.6.8 ad art. 48 OJ et les auteurs
cités); elle peut, en revanche, faire l'objet d'un recours de droit public
sous l'angle de l'art. 87 OJ (arrêt 5P.101/2003 du 4 juin 2003, consid. 1.1).
Toutefois, le Tribunal fédéral a réservé l'éventualité visée par l'art. 927
al. 2 CC (ATF 113 II 243 consid. 1b p. 245 in fine et 94 II 348 consid. 3 p.
353); le recours en réforme est alors recevable (arrêt 5C.134/1993 du 8
octobre 1993, consid. 1; en ce sens: Hinderling, Der Besitz, in: SPR V/1, p.
457/458).

Le recourant déclare expressément qu'il n'entend pas discuter ici les
conditions d'application de «l'article 927 alinéa 1 CC»; même si elle est
critiquable, la décision querellée ne lui apparaît pas insoutenable sur ce
point. Il fait valoir, en revanche, que c'est de manière arbitraire que
l'autorité précédente «a nié l'existence d'un droit préférable permettant de
le mettre au bénéfice de l'article 927 alinéa 2 CC». Les moyens du recours ne
sont ainsi recevables que dans la mesure où ils portent sur la constatation
des faits ou l'appréciation des preuves par la juridiction cantonale;
l'appréciation juridique de ces faits (cf. art. 43 al. 4 OJ) est, quant à
elle, soustraite à la connaissance du Tribunal fédéral statuant en qualité de
juge constitutionnel (cf. art. 84 al. 2 OJ). Une conversion du recours
s'avère exclue, puisqu'elle ne peut concerner que le moyen de droit dans son
ensemble et ne saurait conduire à ce que celui-ci soit traité dans deux
procédures distinctes (ATF 131 III 268 consid. 6 p. 279).

1.2 Déposé à temps contre une décision rendue en dernière instance cantonale,
le recours est également ouvert au regard des art. 86 al. 1 et 89 al. 1 OJ.

1.3 Dans un recours de droit public pour arbitraire, la présentation de faits
nouveaux est prohibée (ATF 129 I 49 consid. 3 p. 57; 124 I 208 consid. 4b p.
212; 118 III 37 consid. 2a p. 39). Le Tribunal fédéral s'en tient, dès lors,
aux faits constatés dans la décision attaquée, à moins que le recourant ne
démontre, conformément aux prescriptions légales de motivation (art. 90 al. 1
let. b OJ; ATF 125 I 492 consid. 1b p. 495 et les citations), que ces
constatations sont arbitrairement fausses ou lacunaires (ATF 118 Ia 20
consid. 5a p. 26). Ces principes valent aussi pour l'auteur de la réponse
(ATF 128 III 4 consid. 4c/aa p. 7; 118 III 37 consid. 2a in fine p. 39).

Partant, les faits et pièces nouveaux - de surcroît postérieurs à l'arrêt
attaqué - invoqués par le recourant (occupation de l'appartement en question
par une famille; résiliation du prêt le 16 décembre 2005 avec effet au 23
décembre suivant; etc.) doivent être écartés d'emblée. De même, l'allégation
de l'intimé, selon laquelle le recourant a été inculpé par le juge
d'instruction le 2 novembre 2005 des chefs de violation de domicile (art. 186
CP) et de contrainte (art. 181 CP), est irrecevable.

2.
La cour cantonale a préalablement retenu que, en saisissant la justice
quelques jours seulement après avoir été empêché de pénétrer dans
l'appartement, l'intimé avait procédé en conformité avec les exigences
temporelles applicables à la réintégrande (cf. art. 929 al. 1 CC). Elle a
ensuite considéré que l'existence d'un contrat de sous-location n'avait pas
été prouvée, l'intimé n'ayant pas établi le paiement d'un loyer. En revanche,
les parties ont vraisemblablement conclu un contrat de prêt à usage (art. 305
à 311 CO): il n'est pas contesté que l'intimé occupait gratuitement
l'appartement et disposait des clés permettant d'y entrer; l'usage de ce bien
était déterminé, tandis que la durée du prêt ne l'était pas; il n'est pas
davantage démontré que l'intimé était tenu de restituer les clés après chaque
utilisation, en sorte qu'une «remise gracieuse à caractère ponctuel» n'entre
guère en ligne de compte, d'autant qu'elle paraît peu plausible vu les
relations professionnelles entretenues par les parties.

L'intimé avait ainsi la maîtrise effective de l'appartement. Le fait - non
contesté - que le recourant détenait un double des clés et bénéficiait aussi
de la possession n'y change rien. Il s'ensuit que, en procédant au changement
de la serrure en l'absence et sans le consentement de l'intimé, le recourant
a illicitement usurpé la possession. C'est en vain que le recourant invoque
un droit préférable en sa qualité de locataire de l'appartement; en effet, il
n'a pas réclamé la restitution de ce bien conformément à la loi, étant
rappelé que le contrat de prêt pouvait être résilié en tout temps, en
respectant les règles de la bonne foi. Partant, il incombait à l'intéressé
d'informer l'intimé de sa volonté de mettre fin au prêt et de lui fixer un
délai raisonnable pour restituer l'appartement en cause. L'intimé a produit
en appel une liste des meubles concernés par sa demande; comme ces meubles
garnissaient les lieux et que le recourant a conservé un double des clés de
l'appartement, les parties avaient toutes deux la possession de ces objets;
le recourant n'a pas démontré avoir sur eux un droit préférable. En
conséquence, il y a lieu d'ordonner la remise des nouvelles clés et la
restitution des meubles; il ne se justifie pas, en revanche, d'assortir cet
ordre de la commination des sanctions de l'art. 292 CP, car rien n'indique
que le recourant ne s'exécutera pas.

2.1 Tout d'abord, le recourant soutient que le changement de serrure
manifestait clairement son intention de mettre un terme au contrat de prêt
liant les parties; en le niant, la juridiction cantonale a apprécié les
preuves de manière insoutenable.

Il est vrai que la volonté interne (subjective) relève du fait (ATF 132 III
24 consid. 4 in fine p. 28; 131 III 606 consid. 4.1 p. 611), en sorte que les
constatations de l'autorité cantonale à ce sujet peuvent être revues dans un
recours de droit public. Toutefois, en l'occurrence, une pareille volonté n'a
pas été constatée. La question est plutôt de savoir si l'on pouvait déduire
de l'attitude de l'intéressé son intention de mettre fin aux relations
contractuelles entre les parties, étant d'ailleurs souligné que les principes
d'interprétation découlant de l'art. 18 al. 1 CO valent aussi pour les
déclarations unilatérales de volonté sujettes à réception, comme la
résiliation (Kramer, Berner Kommentar, n. 50 ad art. 18 CO; Winiger,
Commentaire romand, CO I, n. 12 ad art. 18 CO); or, il s'agit là d'une
question qui ressortit à l'appréciation juridique des faits, donc au recours
en réforme.

Quoi qu'il en soit, il ne résulte pas de l'arrêt attaqué que le recourant
aurait lui-même qualifié de prêt sa relation juridique avec l'intimé; dans
ses écritures en instance cantonale (i.e. notes de plaidoirie du 12 août
2005; réponse à l'appel du 29 septembre 2005), il parle uniquement de mise à
disposition épisodique et gracieuse de l'appartement. Comme l'a relevé avec
raison la cour cantonale, cela n'implique pas forcément un contrat de prêt à
usage (cf. Engel, Contrats de droit suisse, 2e éd., p. 259/260); le recourant
est, dès lors, malvenu de faire grief aux juges cantonaux de n'avoir pas
admis la résiliation d'un contrat dont il n'avait lui-même pas plaidé
l'existence, à tout le moins explicitement.

2.2 Le recourant reproche encore à la cour cantonale d'avoir jugé que la
résiliation du prêt était dépourvue d'effets, faute d'avoir été signifiée
dans les formes légales ou de répondre aux règles de la bonne foi; il se
plaint d'arbitraire dans l'application des art. 1er al. 2 et 11 al. 1 CO,
respectivement des art. 2 CC et 310 CO.

De l'aveu même du recourant, ces moyens touchent à la qualification juridique
des faits (cf. art. 43 al. 4 OJ), autrement dit à l'application du droit (cf.
Poudret, op. cit., n. 5 ad art. 43 OJ); ils sont irrecevables dans un recours
de droit public (art. 84 al. 2 OJ; supra, consid. 1.1).
2.3 Enfin, le recourant prétend que, vu les considérations d'économie de
procédure qui se trouvent à la base de l'art. 927 al. 2 CC, le juge doit
examiner l'existence d'un droit préférable au moment où il statue, en
l'occurrence le 24 novembre 2005 (date de l'arrêt attaqué).

Outre son caractère appellatoire (art. 90 al. 1 let. b OJ; ATF 131 I 291
consid. 1.5 p. 297), ce moyen est de toute manière irrecevable; ayant trait
aux conditions d'application de l'art. 927 al. 2 CC, il relève du seul
recours en réforme (art. 84 al. 2 OJ; supra, consid. 1.1).

3.
En conclusion, le présent recours doit être rejeté dans la mesure de sa
recevabilité, aux frais de son auteur (art. 156 al. 1 OJ).

L'intimé s'est prononcé sur le fond sans y avoir été invité, en sorte qu'il
ne saurait prétendre à des dépens pour les frais que lui a occasionnés cette
écriture (art. 159 al. 5 OJ). S'étant opposé à tort à l'attribution de
l'effet suspensif, il n'y a pas lieu davantage de lui accorder d'indemnité
pour les déterminations déposées à cette occasion (arrêt 5P.291/2004 du 22
septembre 2004, consid. 6, reproduit in: ZZZ 2004 p. 428 et les arrêts
cités).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable.

2.
Un émolument judiciaire de 2'500 fr. est mis à la charge du recourant.

3.
Il n'est pas alloué de dépens à l'intimé.

4.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des parties et à la
1ère Section de la Cour de justice du canton de Genève.

Lausanne, le 20 mars 2006

Au nom de la IIe Cour civile
du Tribunal fédéral suisse

Le Président:  Le Greffier: