Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

II. Zivilabteilung 5P.12/2006
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{T 0/2}
5P.12/2006 /frs

Arrêt du 26 mars 2007
IIe Cour de droit civil

MM. et Mmes les Juges Raselli, Président, Escher, Meyer, Hohl et Marazzi.
Greffière: Mme Mairot.

État de Genève, 1204 Genève,
recourant,
représenté par le Département de l'intérieur, de l'agriculture et de
l'environnement du canton de Genève, au nom de qui agit Me Nicolas Jeandin,
avocat,

contre

A.________,
intimée, représentée par Me Jean-Marc Siegrist, avocat,
Chambre civile de la Cour de justice du canton de Genève, case postale 3108,
1211 Genève 3.

art. 9 et 26 Cst. (propriété),

recours de droit public contre l'arrêt de la Chambre
civile de la Cour de justice du canton de Genève
du 18 novembre 2005.
Faits:

A.
A.a A.________ est propriétaire des parcelles 8046 et 8052 de la commune de
Z.________. Ces parcelles sont issues de la division-réunion des parcelles
5284 et 5285 de ladite commune, effectuée en 1997 lors du partage de la
succession de feu X.________, le père de A.________. A cette occasion, les
parcelles 5284 et 5285 ont été divisées en quatre, soit les parcelles 8046,
8047, 8048 et 8052. A.________ s'est vu attribuer la propriété des parcelles
8046 et 8052, alors que la parcelle 8048 (actuellement 8289) a été allouée à
sa soeur, B.________.

Dans le cadre de l'introduction du registre foncier fédéral, le Service du
cadastre de Genève a procédé, dès les années 1920, à de nouvelles
mensurations cadastrales. La révision du lot IV - dont faisaient partie les
parcelles 5284 et 5285 - a été mise à l'enquête publique du 10 février au 9
mars 1993.

Le 9 février 1993, le Service du cadastre a remis aux propriétaires concernés
une copie des fiches provisoires de la nouvelle mensuration cadastrale et les
a invités à venir consulter les plans cadastraux, en précisant que la limite
de leurs parcelles avec le domaine public "lac" avait été fixée conformément
aux dispositions de la loi cantonale du 24 juin 1961 sur le domaine public
(LDP/GE; RSG L 1 05), dont l'art. 6 précise que le lac est délimité par le
niveau des hautes eaux moyennes. Une diminution de superficie pouvait en
résulter, le terrain perdu passant au domaine public "lac" en application de
l'art. 8 de la loi précitée.

Le niveau des hautes eaux moyennes correspond à la moyenne des niveaux élevés
du lac calculée sur une période déterminée, à l'exclusion des crues
extraordinaires. Le 27 septembre 1967, le Département des travaux publics l'a
arrêté à 372,60 mètres sur mer. Par arrêté du Conseil d'État du 24 mai 1995,
il a été ramené à 372,45 mètres sur mer. La limite d'une parcelle se fixe, en
application de ce critère, par un point d'intersection entre la cote du
niveau des hautes eaux moyennes et la parcelle concernée.

Le plan cadastral Dufour, établi pour la rive gauche vers 1850, utilisait
apparemment déjà le critère des hautes eaux moyennes pour tracer la limite
des eaux publiques. Entre 1860 et 1880, le niveau du lac Léman s'est
considérablement élevé, puis il s'est stabilisé à la suite de la construction
et de la mise en service du barrage du Pont de la Machine en 1889. Le niveau
des hautes eaux moyennes est toutefois resté supérieur à celui qui faisait
foi lors de l'établissement du plan Dufour. Des phénomènes d'alluvionnement
ou d'érosion ont également modifié la configuration des rives du lac depuis
l'établissement de ce plan, à l'avantage ou au détriment des propriétaires
riverains.

A.b Par courrier du 7 mars 1993, l'hoirie de feu X.________ a informé le
Service du cadastre qu'elle s'opposait à la nouvelle délimitation des
parcelles 5284 et 5285 de la commune de Z.________ avec le domaine public
"lac", au motif qu'il en résultait une diminution de la contenance de
celles-ci d'environ 600 m2, ce qui constituait une forme d'expropriation.

Dans sa réponse du 17 mars 1993, le Service du cadastre a expliqué que la
limite de propriété entre les parcelles litigieuses et le domaine public
"lac" avait été fixée, ainsi que le prévoyait désormais l'art. 6 LDP/GE, en
application du critère des hautes eaux moyennes, d'où la diminution de
superficie observée. Comme d'autres propriétaires riverains avaient formé
recours au Conseil d'État contre la nouvelle délimitation cadastrale, les
consorts X.________ étaient cependant invités à patienter jusqu'à droit jugé
sur lesdits recours.

Par arrêté du 28 novembre 1994 rendu en la cause C.________ et consorts, le
Conseil d'État a statué sur les recours joints formés par les propriétaires
de six parcelles sises à Z.________ contre la détermination du Service du
cadastre relative à la délimitation du domaine public "lac" jouxtant leurs
parcelles. Admettant l'existence de droits réels valablement constitués avant
l'entrée en vigueur, le 4 août 1961, de la loi sur le domaine public, le
Conseil d'État a jugé que la limite cadastrale entre le domaine public "lac"
et les parcelles des intéressés devait être tracée, sur le plan cadastral
issu des nouvelles mensurations, selon la limite retenue par le plan Dufour.

A.c Une enquête publique complémentaire a eu lieu du 9 janvier au 9 février
1995 concernant la délimitation des parcelles du lot IV avec le domaine
public "lac".

Les 8 et 10 février 1995, l'hoirie X.________ a réitéré son opposition à la
nouvelle délimitation de ses parcelles côté lac, faisant valoir que la
contenance de la parcelle 5284, fixée à 4760 m2, avait diminué de 217 m2 par
rapport à celle figurant sur l'ancien plan cadastral (dit plan Dufour),
tandis que la contenance de la parcelle 5285 passait de 4343 m2 à 3965 m2,
soit une diminution de 378 m2.

Par courrier du 26 septembre 1997, le Service du cadastre a informé les
consorts X.________ qu'il avait entrepris des recherches dans les archives de
l'État et que celles-ci avaient permis de mettre en évidence l'existence de
droits réels valablement constitués sur une partie des terres immergées
au-devant de la parcelle 5285. Par acte du 21 décembre 1877, la commune de
Z.________ avait en effet procédé à l'échange des parcelles 2473B, C, D, E -
devenues  2694, 2695, 2696 et 2697 - se trouvant en bordure de la parcelle
des consorts X.________ contre des bandes de terre sises au sud-ouest des
parcelles des propriétaires concernés, au lieu-dit "L.________". Les terres
échangées correspondaient au tracé d'un chemin communal envahi par les eaux,
l'opération ayant pour but de créer un nouveau chemin communal à
"L.________". Cet échange ne concernait toutefois que la parcelle 8048,
devenue 8289, appartenant à la soeur de A.________.

A.d En 1997, d'autres propriétaires de parcelles sises sur la rive gauche du
lac, soit notamment les époux D.________, ont saisi le Tribunal de première
instance du canton de Genève d'une action tendant à faire constater que la
nouvelle limite cadastrale séparant leurs parcelles respectives du domaine
public "lac" correspondait à celle retenue par le plan Dufour. Le traitement
du dossier de A.________ a dès lors été suspendu. Le Tribunal de première
instance du canton de Genève a débouté les demandeurs des fins de leur action
par jugement du 23 mars 1999, au motif qu'ils ne pouvaient se prévaloir de la
réserve de droits réels constitués antérieurement à l'entrée en vigueur de la
loi sur le domaine public. Par arrêt du 17 mars 2000, la Cour de justice du
canton de Genève a annulé la décision de première instance et jugé que la
limite séparant leur parcelle du domaine public "lac" devait être tracée, sur
le nouveau plan cadastral, conformément à la limite retenue par le plan
Dufour. Le 15 mars 2001, le Tribunal fédéral a admis le recours de droit
public formé par l'État de Genève et annulé l'arrêt du 17 mars 2000 (arrêt
5P.147/2000 du 15 mars 2001, in SJ 2001 I p. 493).
Par courrier du 5 novembre 2002, la Direction cantonale de la mensuration
officielle (ci-après: DCMO; anciennement: Service du cadastre) a informé le
conseil de A.________ qu'à la suite de cet arrêt, elle avait repris les cas
en suspens, dont le sien. Elle lui remettait un extrait du plan du Registre
foncier sur lequel la limite à fixer en application du droit public cantonal
était indiquée et mentionnait par ailleurs qu'aucune preuve ou même indice de
droits réels valablement constitués ne figurait au dossier.

Par décision du 6 février 2003, la DCMO a confirmé sa position telle
qu'exposée dans son courrier du 5 novembre 2002 et a retenu en conséquence
que la limite des parcelles 8046 et 8052 de la commune de Z.________ était
celle résultant de l'application du droit public, faute pour A.________
d'avoir établi l'existence de droits réels valablement constitués avant
l'entrée en vigueur de la loi sur le domaine public du 24 juin 1961.

Par arrêté du 12 février 2003, le Conseil d'État a approuvé la mensuration
cadastrale du lot IV de la commune de Z.________ constatant la nouvelle
délimitation des parcelles avec le domaine public "lac" et dit que les
tableaux de mutation concernés étaient réalisés. Il a également déclaré
définitive la mensuration officielle de ce lot et a fixé son entrée en
vigueur au 15 février 2003.

A.e Le 7 mars 2003, A.________ a recouru au Tribunal administratif de Genève
contre la décision de la DCMO du 6 février 2003 et contre l'arrêté du Conseil
d'État du 12 février 2003.

Par assignation déposée en vue de conciliation le 8 avril 2003 au greffe du
Tribunal de première instance, elle a par ailleurs formé une demande à
l'encontre de l'État de Genève, en prenant les conclusions suivantes:
"Principalement

Dire et constater que, dans sa totalité, y compris les portions actuellement
immergées, les parcelles n° 8046 et 8052 de la commune de Z.________ relèvent
du domaine privé selon le plan cadastral dit Dufour et font par là l'objet
d'un droit de propriété privée.

Dire et constater que le droit de propriété précité a été réservé, au titre
de droit valablement constitué et, par là, maintenu lors de l'entrée en
vigueur de la loi genevoise sur le domaine public du 24 juin 1961.

Faire en conséquence interdiction à l'Etat d'usurper la propriété des
portions immergées ou non, des parcelles n° 8046 et 8052 de la commune de
Z.________, pour les rattacher sans droit au domaine public.

Enjoindre à l'Etat de corriger s'il y a lieu les plans cadastraux et de
réinscrire les limites cadastrales correspondantes au plan dit Dufour.

Subsidiairement

Dire et constater que tout transfert de terrain du domaine privé au domaine
public s'analyserait, s'il était par impossible admis, comme une
expropriation illégale.

Réserver le droit de la demanderesse de réclamer une indemnité."
A l'appui de ses conclusions, A.________ affirmait que la nouvelle
mensuration cadastrale réduisait de 439 m2 la contenance des anciennes
parcelles 5284 et 5285 dont étaient issues ses propres parcelles. Elle
estimait que son droit de propriété s'étendait jusqu'à la limite retenue par
le plan Dufour, qui avait fait foi jusqu'à l'entrée en vigueur de la loi sur
le domaine public de 1961, et comprenait dès lors des portions de terres
immergées, la loi précitée réservant les droits privés valablement constitués
avant 1961. Subsidiairement, elle faisait valoir qu'elle avait acquis la
propriété des parties immergées par voie de prescription. Par ailleurs, le
transfert de propriété du domaine privé au domaine public résultant des
nouvelles limites cadastrales équivalait à une expropriation dont les
conditions légales n'étaient pas réalisées.

Dans son mémoire de réponse du 19 septembre 2003, l'État de Genève a conclu
au rejet de la demande. Se référant à l'arrêt du Tribunal fédéral du 15 mars
2001 dans la cause 5P.147/2000, il soutenait que la limite des parcelles
litigieuses devait être tracée, côté lac, selon le critère des hautes eaux
moyennes, comme le prévoyait le droit genevois en vigueur. L'ancien plan
cadastral Dufour ne pouvait donc servir à définir les limites entre le
domaine public "lac" et le domaine privé. Il faisait par ailleurs valoir que
le droit genevois excluait toute acquisition du domaine public par
l'écoulement du temps. Enfin, il n'était pas démontré qu'il existât, sur les
portions immergées bordant les parcelles litigieuses, des droits réels
constitués avant l'entrée en vigueur de la loi sur le domaine public.

Au cours de la procédure, A.________ a produit la copie d'un acte authentique
du 6 juillet 1892, portant sur la vente par la commune de Z.________ à une
société en nom collectif d'"un terrain d'une superficie de 1582 m2, à prendre
au levant de la parcelle 2773, feuille 5 du cadastre de la commune de
Z.________, de la contenance totale de 2 hectares, 6 ares, 7 mètres, 60
décimètres". Le terrain vendu, sis au lieu-dit "L.________", comprenait, en
un plan de division dressé le 3 mars 1892, les sous-parcelles 2773B, 2773C et
2773D. L'acte stipulait que "les acquéreurs (...) prendr[aient] le terrain
vendu en son état actuel, sans pouvoir réclamer aucune indemnité ni
diminution de prix à raison de l'envahissement d'une partie de ce terrain par
les eaux du lac".

Dans ses dernières écritures de première instance, A.________ a persisté dans
ses conclusions initiales. Concernant l'acte de vente du 6 juillet 1892, elle
a allégué que les parcelles 2773B et 2773D se trouvaient dans la prolongation
du chemin riverain envahi par les eaux, dont le premier tronçon avait
entraîné l'échange de 1877. Elle estimait dès lors avoir établi que des
droits réels avaient été valablement constitués sur la bande immergée située
devant sa parcelle, avant l'entrée en vigueur de la loi sur le domaine
public.

L'État de Genève a également persisté dans ses conclusions.

B.
Par jugement du 21 avril 2005, le Tribunal de première instance a débouté la
demanderesse de toutes ses conclusions. Cette autorité a jugé que la seule
vente d'une parcelle partiellement immergée considérée comme objet de
propriété privée de la commune ne suffisait pas pour admettre l'existence de
droits réels valablement constitués sur la partie immergée de ladite
parcelle. Ainsi, la demanderesse ne pouvait se prévaloir de la réserve prévue
à l'art. 4 al. 2 LDP/GE.

La Cour de justice du canton de Genève a, par arrêt du 18 novembre 2005,
annulé le jugement de première instance, constaté que A.________ est au
bénéfice d'un droit réel valablement constitué avant l'entrée en vigueur de
la LDP/GE sur les parcelles 8046 et 8052 de la commune de Z.________, telles
qu'elles figurent sur le plan cadastral dit Dufour, et débouté les parties de
toutes autres conclusions.

C.
Parallèlement à un recours en réforme, l'État de Genève exerce un recours de
droit public au Tribunal fédéral pour arbitraire et violation de la garantie
de la propriété contre l'arrêt du 18 novembre 2005, dont il demande
l'annulation.

L'intimée propose la confirmation de l'arrêt attaqué et le rejet de toutes
autres ou contraires conclusions.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
Conformément à la règle générale de l'art. 57 al. 5 OJ, il y a lieu de
statuer d'abord sur le recours de droit public.

2.
Le Tribunal fédéral examine d'office et librement la recevabilité des recours
qui lui sont soumis (ATF 132 III 291 consid. 1 p. 292).

2.1 La loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110) est
entrée en vigueur le 1er janvier 2007 (RO 2006 1242). La décision attaquée
ayant été rendue avant cette date, la procédure reste régie par l'OJ (art.
132 al. 1 LTF).

2.2 Déposé en temps utile - compte tenu de la suspension des délais prévue
par l'art. 34 al. 1 let. c OJ - contre une décision finale prise en dernière
instance cantonale, le recours est recevable au regard des art. 86 al. 1, 87
(a contrario) et 89 al. 1 OJ. Le recourant a en outre qualité pour recourir
au sens de l'art. 88 OJ (cf. ATF 123 III 454 consid. 2 p. 456).

3.
Le recourant se plaint en substance d'une application arbitraire de l'art. 4
al. 2 LDP/GE. Il reproche à la Cour de justice d'avoir admis que l'intimée
était au bénéfice de droits réels valablement constitués en raison de la
vente précitée du 6 juillet 1892. Selon lui, la mise en oeuvre de l'art. 4
al. 2 LDP/GE présuppose qu'une acquisition ait porté sur une parcelle
relevant exclusivement du domaine public cantonal; or tel n'était pas le cas
de la vente en question, qui concernait une parcelle ressortissant dans sa
totalité au domaine privé de la commune. Cette parcelle restait donc soumise
à toutes les dispositions légales, présentes et futures, régissant ses
limites par rapport au domaine public "lac". L'autorité cantonale aurait dès
lors aussi violé l'art. 6 LDP/GE, qui prévoit que le lac est délimité par le
niveau des hautes eaux moyennes, et l'art. 9 LDP/GE, selon lequel l'état de
fait - soit notamment le niveau effectif des hautes eaux moyennes - prime les
indications cadastrales. Le recourant soulève en outre à cet égard
l'arbitraire dans l'appréciation des preuves et la violation de l'art. 26
Cst.

3.1 Une décision est arbitraire lorsqu'elle viole gravement une norme ou un
principe juridique clair et indiscuté, ou lorsqu'elle contredit d'une manière
choquante le sentiment de la justice et de l'équité. Le Tribunal fédéral ne
s'écarte de la solution retenue par l'autorité cantonale de dernière instance
que si elle apparaît insoutenable, en contradiction manifeste avec la
situation effective, adoptée sans motifs objectifs ou en violation d'un droit
certain. Il ne suffit pas que la motivation de la décision critiquée soit
insoutenable; encore faut-il que celle-ci se révèle arbitraire dans son
résultat. En outre, il n'y a pas arbitraire du seul fait qu'une autre
solution que celle adoptée par l'autorité intimée serait concevable, voire
préférable (ATF 132 III 209 consid. 2.1 p. 211; 131 I 57 consid. 2 p. 61, 217
consid. 2.1 p. 219; 129 I 8 consid. 2.1 p. 9, 173 consid. 3.1 p. 178 et les
arrêts cités).

3.2 Selon l'art. 664 CC, les choses sans maître et les biens du domaine
public sont soumis à la haute police de l'État sur le territoire duquel ils
se trouvent (al. 1); sauf preuve contraire, les eaux publiques, notamment, ne
rentrent pas dans le domaine privé (al. 2). De même, l'art. 1er let. b LDP/GE
prévoit que le lac appartient au domaine public cantonal, et l'art. 4 al. 1
LDP/GE qu'aucun droit réel ne peut être constitué sur le domaine public sans
l'accord du Grand Conseil. Demeurent toutefois réservés les droits
valablement constitués avant l'entrée en vigueur de cette loi, le 4 août 1961
(art. 4 al. 2 LDP/GE). La souveraineté des cantons sur les biens du domaine
public est en effet limitée par les droits acquis, protégés par la garantie
constitutionnelle de la propriété ancrée à l'art. 26 Cst. (art. 664 al. 2 CC;
art. 4 al. 2 LDP/GE; Meier-Hayoz, Commentaire bernois, n. 118 ad art. 664
CC). Par ailleurs, selon l'art. 6 LDP/GE, le lac est délimité par le niveau
des hautes eaux moyennes, ce qui signifie qu'à partir de la ligne marquée par
les hautes eaux des crues ordinaires vers le lac, il ne subsiste en principe
aucun droit d'exploitation, respectivement de propriété pour les
particuliers. La description de la délimitation entre les rives publiques et
les biens-fonds soumis à la propriété privée des propriétaires limitrophes,
telle qu'elle est opérée par la LDP/GE, apparaît conforme à la jurisprudence
et à la doctrine (ATF 123 III 454 consid. 5a p. 458; 113 II 236 consid. 4 p.
238 s.; 93 II 170 consid. 7a p. 177; Haab et autres, Commentaire zurichois,
n. 2 ad art. 659 CC; Meyer-Hayoz, op. cit., n. 6 ad art. 659 CC).

3.3 Il résulte du dossier que, par acte authentique du 6 juillet 1892, la
commune de Z.________a vendu à une société en nom collectif, sur la base du
plan Dufour, respectivement de la limite des eaux publiques tracée à l'époque
- apparemment déjà selon le critère des hautes eaux moyennes - un terrain
d'une superficie de 1582 m2, correspondant aux parcelles nos 8046, 8052 et
8048 (actuellement 8289). Un droit valablement constitué antérieurement à
l'entrée en vigueur de la LDP/GE, au sens de l'art. 4 al. 2 de cette loi, ne
peut cependant être admis que si le canton, en tant que propriétaire
détenteur de la puissance publique, a accordé un tel droit sur les mètres
carrés immergés. Le droit que le détenteur de la puissance publique a concédé
et qui, en vertu du principe de la bonne foi, s'est condensé en un droit de
propriété, ne peut être retiré sans indemnité d'expropriation.

Or, la commune a vendu, comme un particulier, le bien-fonds, dont une bande
était immergée, à un tiers. Il n'est pas allégué qu'à l'époque (1892), ladite
commune aurait eu des droits de souveraineté sur les eaux et qu'elle aurait
constitué un droit sur celles-ci. Le fait qu'elle ait vendu, à l'instar d'une
personne privée, du terrain provenant de son patrimoine financier ne suffit
pas pour admettre l'octroi d'un droit (acquis) par le canton. Certes, on peut
se demander si l'approbation de la vente par le Conseil d'État du canton de
Genève, le 22 mars 1892, pourrait éventuellement constituer l'octroi d'un tel
droit. C'est ce que retient la décision attaquée: l'État ne pourrait
aujourd'hui prétendre que seule la partie émergée constituait l'objet de la
vente, sous peine d'adopter un comportement contradictoire ("venire contra
factum proprium"; cf. ATF 125 III 257 consid. 2a p. 259; 123 III 70 consid.
3c p. 75, 220 consid. 4d p. 228), lequel constituerait un abus de droit (art.
2 al. 2 CC). Mais ce n'est pas le cas. Selon la jurisprudence, l'ordre
juridique ne protège pas l'attitude contradictoire lorsque le comportement
antérieur d'une partie a inspiré chez l'autre partie une confiance légitime
qui l'a déterminée à des actes qui se révèlent préjudiciables une fois que la
situation a changé (ATF 115 II 331 consid. 4a p. 338; 110 II 494 consid. 4 p.
498; 106 II 320 consid. 3a p. 323). Or une telle occurrence n'est pas
réalisée ici. L'intimée ne le prétend du reste pas. La procédure
d'approbation en question était de nature formelle. Elle signifiait
simplement que, du point de vue du canton, agissant en qualité d'autorité de
surveillance de la commune, rien ne s'opposait à la vente de ce terrain
bordant le lac et que cette transaction pouvait être effectuée. Aucun élément
du dossier ne permet de dire que cette approbation officielle devrait être
interprétée comme une fixation de la limite entre le domaine public "lac" et
le bien-fonds riverain, au sens d'une garantie définitive et inspirant une
confiance légitime, confiance qui permettrait de l'emporter sur le tracé
général selon l'art. 6 LDP/GE.
La Cour de justice est dès lors tombée dans l'arbitraire en considérant que
l'intimée avait établi, du seul fait de la vente du 6 juillet 1892,
l'existence de droits réels sur la partie actuellement immergée de sa
parcelle. En admettant de manière insoutenable que l'intimée pouvait se
prévaloir de droits réels valablement constitués, avant l'entrée en vigueur
de la LDP/GE, sur la partie immergée de sa parcelle, les juges cantonaux ont
donc aussi fait preuve d'arbitraire dans l'application du droit cantonal, en
particulier des art. 4 al. 2 et 9 LDP/GE.

4.
Vu ce qui précède, le recours, fondé, doit par conséquent être admis et
l'arrêt attaqué annulé, sans qu'il soit nécessaire d'examiner les autres
moyens soulevés par le recourant. L'intimée, qui succombe, supportera dès
lors les frais judiciaires (art. 156 al. 1 OJ) et versera en outre des dépens
au recourant (art. 159 al. 1 OJ).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est admis et l'arrêt attaqué est annulé.

2.
Un émolument judiciaire de 5'000 fr. est mis à la charge de l'intimée.

3.
L'intimée versera au recourant une indemnité de 5'000 fr. à titre de dépens.

4.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des parties et à la
Chambre civile de la Cour de justice du canton de Genève.

Lausanne, le 26 mars 2007

Au nom de la IIe Cour de droit civil
du Tribunal fédéral suisse

Le président:  La greffière: