Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

II. Zivilabteilung 5P.104/2006
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5P.104/2006 /frs
{T 0/2}

Arrêt du 19 juillet 2006
IIe Cour civile

MM. les Juges Raselli, Président,
Hohl et Marazzi.
Greffier: M. Abrecht.

Epoux X.________,
recourants, représentés par Me Jean-Paul Salamin, avocat,

contre

La société de musique Y.________,
intimée, représentée par Me Nicolas Fardel, avocat,
Tribunal cantonal du canton du Valais, Cour civile II, avenue Mathieu-Schiner
1, 1950 Sion 2.

art. 9 et 29 Cst. (servitude),

recours de droit public contre le jugement du Tribunal cantonal du canton du
Valais, Cour civile II, du 31 janvier 2006.

Faits:

A.
La société de musique Y.________ est propriétaire de la parcelle n° yyy de la
commune de A.________, sur laquelle se trouvent un garage (PPE n° ...) et un
local de musique avec galetas (PPE n° ...). Elle est également propriétaire
de la parcelle voisine n° zzz.

Les époux X.________ sont copropriétaires pour moitié chacun de la parcelle
voisine n° xxx, qu'ils ont acquise en 1998 des époux B.________. Sur cette
parcelle, sise en amont des parcelles nos yyy et zzz, sont édifiés un chalet
(en amont) et un mur de soutènement (en aval). Ce mur longe la limite
séparant la parcelle n° xxx des parcelles nos yyy et zzz, sans en être
cependant mitoyen.

B.
Par acte du 10 juin 1978, le propriétaire de la parcelle n° aaa (actuellement
parcelle n° xxx) a grevé celle-ci d'une servitude de passage à véhicules de
trois mètres de large en faveur de la parcelle n° bbb (actuellement parcelles
nos yyy et zzz), afin de permettre l'accès sur la dalle du garage qui avait
été édifié vers 1975 sur cette dernière parcelle. Dans le même acte et en
contrepartie, le propriétaire de la parcelle n° bbb a grevé celle-ci d'une
servitude de passage à véhicules de trois mètres de large en faveur de la
parcelle n° aaa. Chacune de ces deux servitudes a été inscrite au registre
foncier comme "servitude passage à véhicule, larg. 3 m". Une route d'accès
longeant le mur de soutènement et menant sur la dalle supérieure du garage a
par la suite été aménagée sur le terrain, à cheval sur la limite séparant la
parcelle n° xxx des parcelles nos yyy et zzz.

C.
En décembre 1988, alors que la construction d'un local de musique sur la
dalle servant de toit au garage sis sur la parcelle n° bbb avait été
autorisée par la commune de A.________, sans que les époux B.________ ne s'y
soient opposés, ces derniers ont accepté de grever leur parcelle n° aaa d'une
servitude de non-bâtir d'une largeur de huit mètres en faveur de la parcelle
n° bbb ainsi que de la commune de A.________.

En 1995, la société de musique Y.________ a construit le local de musique en
question. La route d'accès mentionnée ci-dessus permettait d'y accéder. Un
escalier empêchait toutefois de l'emprunter pour accéder à la parcelle des
époux B.________. Cet escalier a alors été supprimé et la route aménagée de
telle sorte qu'elle conduise sur cette dernière parcelle, où une place de
parc a ensuite été créée.

À l'heure actuelle, la largeur de la route d'accès entre le mur de
soutènement et le mur gouttereau est du local de musique oscille entre 2,50 m
et 3,14 m. Toutefois, l'avant-toit du local de musique surplombe la route de
telle manière qu'il n'y a qu'une largeur de 1,90 m entre le bord de
l'avant-toit et le mur de soutènement et une hauteur de 2,39 m entre
l'avant-toit et la chaussée. De ce fait, la route ne peut être utilisée que
par des voitures de tourisme et non par des camions. Cette configuration des
lieux existait déjà lorsque les époux X.________ ont acquis leur immeuble en
1998, et elle n'a pas été modifiée depuis ladite acquisition.

D.
Par mémoire-demande du 14 février 2003, les époux X.________ ont ouvert
action contre la société de musique Y.________, en concluant en substance à
la restauration sur les parcelles nos yyy et zzz, aux frais de la
défenderesse, du droit de passage de trois mètres de large en faveur de la
parcelle n° xxx, sur toute la longueur et la hauteur utiles à son exercice.
La défenderesse a conclu au rejet de la demande.

Lors du débat final du 28 juin 2005, les demandeurs ont conclu, avec suite de
frais et dépens, à ce que le mur de soutènement se trouvant sur leur
propriété soit déplacé aux frais de la défenderesse de manière à permettre
l'exercice d'une servitude de passage de trois mètres de large et d'une
hauteur de quatre mètres permettant l'accès à tous véhicules. La défenderesse
a conclu avec suite de frais et dépens au rejet de la demande.

E.
Par jugement du 31 janvier 2006, la Cour civile II du Tribunal cantonal du
canton du Valais a rejeté la demande avec suite de frais et dépens. La
motivation de ce jugement, dans ce qu'elle a d'utile à retenir pour l'examen
du recours, est en substance la suivante :
E.aAux termes de l'art. 730 al. 1 CC, la servitude est une charge imposée sur
un immeuble en faveur d'un autre immeuble et qui oblige le propriétaire du
fonds servant à souffrir, de la part du propriétaire du fonds dominant,
certains actes d'usage, ou à s'abstenir lui-même d'exercer certains droits
inhérents à la propriété. Selon l'art. 738 CC, l'inscription fait règle, en
tant qu'elle désigne clairement les droits et les obligations dérivant de la
servitude (al. 1); l'étendue de celle-ci peut être précisée, dans les limites
de l'inscription, soit par son origine, soit par la manière dont la servitude
a été exercée pendant longtemps, paisiblement et de bonne foi (al. 2).

E.b En cas de changement de propriétaire foncier, le tiers acquéreur peut se
fier de bonne foi à l'inscription, si celle-ci ne renvoie pas à d'autres
documents (plans, contrat) et si elle est suffisamment précise. Toutefois,
comme une personne raisonnable n'achète en principe pas une servitude de
passage sans visiter les lieux, le tiers acquéreur ne pourra ignorer de bonne
foi les particularités non mentionnées dans l'inscription (assiette de la
servitude, ouvrages, largeur rétrécie par endroits, etc.) qu'une telle visite
pouvait lui révéler. Lorsque l'exercice de la servitude nécessite un ouvrage
(par exemple un chemin) sis sur le fonds grevé, cet ouvrage détermine le
contenu et l'étendue de la servitude vis-à-vis du tiers acquéreur; dès lors,
si le tracé du droit de passage est visible sur le terrain, ledit tiers devra
compter avec le fait que la manière dont ce droit a été utilisé - même si
elle s'écarte de l'inscription au registre foncier - va perdurer.

E.c Le titulaire de la servitude peut protéger son droit en ouvrant action,
dite "confessoire", à l'encontre de celui qui trouble l'exercice de celle-ci,
y compris contre le propriétaire du fonds grevé; si le trouble provient d'une
construction qui empiète sur l'espace prévu pour l'exercice de la servitude,
l'action peut tendre à la démolition de cette construction, à moins que le
propriétaire du fonds dominant ne l'ait acceptée, fût-ce tacitement, ou si,
d'une autre manière, son action constitue un abus de droit.

E.d En l'espèce, il est établi que le mur de soutènement sis sur la parcelle
n° xxx a toujours bordé à l'est la route d'accès sur laquelle s'exerce le
droit de passage litigieux. S'il est certes avéré que le tracé de cette
route, dans sa partie comprise entre le local de musique et le mur de
soutènement, n'atteint pas partout une largeur de trois mètres, cette
configuration des lieux existait déjà lorsque les demandeurs ont acquis leur
immeuble en 1998 et n'avait du reste jamais été remise en question par les
précédents propriétaires. Les demandeurs ne peuvent dès lors, sans abuser de
leur droit, revendiquer quelque cinq ans plus tard un droit de passage de
trois mètres de large entre le local de musique et le mur de soutènement.

E.e De même, s'il est certes établi que l'avant-toit du local de musique
empiète sur l'assiette de la route d'accès sur laquelle s'exerce le droit de
passage litigieux, il faut d'emblée relever que ce local a été construit en
1995, sans opposition des précédents propriétaires de la parcelle des
demandeurs, et qu'il existait déjà lorsque ces derniers ont acquis leur
immeuble en 1998. Leur revendication tendant à obtenir que l'exercice de leur
droit de passage puisse être assuré jusqu'à une hauteur de quatre mètres
relève dès lors également de l'abus de droit. En définitive, les conclusions
des demandeurs doivent donc être entièrement écartées, avec suite de frais et
dépens.

F.
Contre ce jugement, les demandeurs interjettent en parallèle un recours de
droit public et un recours en réforme au Tribunal fédéral. Par le recours de
droit public, les demandeurs concluent avec suite de frais et dépens à
l'annulation du jugement attaqué et au renvoi du dossier à l'autorité
cantonale pour nouvelle décision. La défenderesse n'a pas été invitée à
répondre au recours de droit public.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
En vertu de l'art. 57 al. 5 OJ, il est sursis en règle générale à l'arrêt sur
le recours en réforme jusqu'à droit connu sur le recours de droit public.
Cette disposition est justifiée par le fait que, si le Tribunal fédéral
devait d'abord examiner le recours en réforme, son arrêt se substituerait à
la décision cantonale, rendant ainsi sans objet le recours de droit public,
faute de décision susceptible d'être attaquée par cette voie (ATF 122 I 81
consid. 1; 120 Ia 377 consid. 1 et les arrêts cités). Il n'y a pas lieu d'y
déroger en l'espèce.

Formé en temps utile (art. 89 al. 1 OJ) contre une décision finale (cf. art.
87 OJ) prise en dernière instance cantonale (art. 86 al. 1 OJ; cf. art. 23
al. 1 let. b CPC/VS), le recours est en principe recevable, sous réserve des
griefs qui auraient dû être soulevés par la voie du recours en réforme (art.
84 al. 2 OJ; cf. consid. 2.2.3 infra).

2.
2.1 Les recourants reprochent à l'autorité cantonale une appréciation
arbitraire des preuves à deux égards: d'une part pour avoir retenu que les
époux B.________ ne s'étaient pas opposés à la construction du local de
musique, et d'autre part pour n'avoir pas retenu que l'intimée savait que la
construction du local de musique restreignait la servitude existante et ne
pouvait dès lors être de bonne foi. La cour cantonale aurait par ailleurs
violé l'art. 6 CO en déduisant de l'absence de réaction des époux B.________
leur consentement à la construction attaquée.

Les recourants font également grief à l'autorité cantonale d'avoir violé leur
droit d'être entendus (art. 29 al. 2 Cst.) en ne prenant pas en compte les
photographies aériennes déposées à l'occasion du débat final, photographies
dont il ressortirait que les époux B.________ utilisaient jusqu'à la
construction du local de musique un autre accès que celui de la servitude,
passant par la parcelle n° ccc. Une fois cet accès supprimé par ladite
construction, les époux B.________ auraient cherché à obtenir une restitution
de l'accès par le tracé de la servitude. Comme ce tracé était restreint en
raison du local de musique, ils auraient préféré vendre leur bien plutôt que
de lutter pour obtenir justice.

Les recourants se plaignent enfin d'arbitraire dans l'application de la loi,
plus particulièrement d'une interprétation arbitraire de l'art. 738 CC. Selon
eux, dans la mesure où le contenu de la servitude se dégageait clairement de
l'inscription au registre foncier, il n'était pas possible de se référer à la
manière dont celle-ci avait été exercée, d'autant qu'il résulterait du
rapport de l'expert ainsi que des déclarations verbalisées d'un responsable
de la société de musique Y.________ qu'avant la construction du local de
musique, le passage ne posait pas de problème et pouvait s'exercer sur une
largeur de trois mètres à compter du mur de soutènement.

2.2 Selon les constatations de fait du jugement attaqué, les demandeurs ont
acquis des époux B.________ la parcelle n° xxx en 1998 (cf. lettre A supra).
Cette parcelle est au bénéfice d'une servitude de passage, inscrite au
registre foncier comme "servitude passage à véhicule, larg. 3 m", grevant les
parcelles nos yyy et zzz, propriété de la défenderesse (cf. lettre B supra).
Toutefois, au moment de l'acquisition de la parcelle n° xxx en 1998,
l'exercice de cette servitude était depuis plusieurs années limité de fait
par l'implantation du local à musique que la défenderesse a construit en 1995
sur sa parcelle n° yyy. En effet, la largeur de la route d'accès entre le mur
de soutènement et le mur gouttereau est du local de musique oscille entre
2,50 m et 3,14 m. En outre, l'avant-toit du local de musique surplombe la
route de telle manière qu'il n'y a qu'une largeur de 1,90 m entre le bord de
l'avant-toit et le mur de soutènement et une hauteur de 2,39 m entre
l'avant-toit et la chaussée, de sorte que la route ne peut être utilisée que
par des voitures de tourisme et non par des camions (cf. lettre C supra).

2.3 Cet état de fait scelle le sort du litige, comme on va le voir.

2.3.1 Si le tiers acquéreur d'un immeuble au profit duquel est inscrite une
servitude peut se fier de bonne foi à l'inscription y relative (cf. art. 973
al. 1 CC) en ce qui concerne l'étendue de la servitude en question (cf. art.
738 al. 1 CC), il ne peut pas se fier à l'inscription quant à des points
qu'elle ne précise pas, et il ne peut pas invoquer sa bonne foi si elle est
incompatible avec l'attention que les circonstances permettaient d'exiger de
lui (cf. art. 3 al. 2 CC). Or comme une personne raisonnable n'achète en
principe pas un immeuble au bénéfice d'une servitude de passage sans visiter
les lieux, le tiers acquéreur ne pourra ignorer de bonne foi - sauf dans des
circonstances tout à fait particulières - les particularités non mentionnées
dans l'inscription (assiette de la servitude, ouvrages, largeur rétrécie par
endroits, etc.) qu'une telle visite pouvait lui révéler (Paul Piotet, Le
contenu d'une servitude, sa modification conventionnelle et la protection de
la bonne foi, in RNRF 2000 p. 284 ss, 288). Lorsque l'exercice de la
servitude nécessite un ouvrage sis sur le fonds grevé, tel qu'un chemin par
lequel s'exerce une servitude de passage, cet ouvrage détermine le contenu de
la servitude et en limite l'étendue vis-à-vis du tiers acquéreur; les
limitations résultant de l'état des lieux qui sont visibles sur le terrain
sont ainsi opposables au tiers acquéreur, lequel ne pourra pas invoquer sa
bonne foi s'il n'en a pas pris connaissance (Liver, Zürcher Kommentar, Band
IV/2a/1, 1980, n. 55 ad art. 738 CC).

2.3.2 En l'espèce, lorsque les demandeurs ont acquis leur immeuble en 1998,
les limitations à l'exercice de la servitude de passage litigieuse résultant
de la configuration des lieux - largeur limitée à 2,50 m entre le mur de
soutènement et le mur gouttereau est du local de musique; hauteur limitée à
2,39 m au-delà d'une distance de 1,90 m depuis le mur de soutènement -
étaient parfaitement visibles sur le terrain. Ces limitations découlant de
l'état des lieux délimitaient l'étendue de la servitude vis-à-vis de
l'acquéreur du fonds dominant et sont ainsi opposables aux demandeurs.
Ceux-ci ne peuvent invoquer leur bonne foi du moment que celle-ci est
incompatible avec l'attention que les circonstances permettaient d'exiger
d'eux.

2.3.3 Le jugement attaqué se révèle ainsi conforme au droit fédéral en tant
qu'il retient que les recourants ne peuvent invoquer un droit de passage plus
étendu que celui qui pouvait être exercé lors de l'acquisition de leur
immeuble en 1998 au vu de la configuration -  inchangée depuis lors - des
lieux.

C'est donc à tort que les recourants se plaignent d'une application erronée
du droit civil fédéral, application qui ne peut de toute manière pas être
critiquée dans le cadre d'un recours de droit public lorsque, comme en
l'espèce, la voie du recours en réforme au Tribunal fédéral est ouverte (art.
84 al. 2 OJ; ATF 124 III 134 consid. 2b).

Quant aux griefs tirés d'une prétendue appréciation arbitraire des preuves et
d'une prétendue violation du droit d'être entendu des recourants, ils tombent
à faux dès lors qu'ils portent sur des faits largement antérieurs à
l'acquisition par les recourants de leur parcelle, qui sont sans pertinence
pour l'issue du litige.

3.
Il résulte de ce qui précède que le recours, mal fondé en tant qu'il est
recevable, doit être rejeté dans cette même mesure. Les recourants, qui
succombent, supporteront les frais judiciaires, solidairement entre eux
(art. 156 al. 1 et 7 OJ). Il n'y a en revanche pas lieu d'allouer de dépens,
puisque l'intimée n'a pas été invitée à répondre au recours et n'a ainsi pas
assumé de frais pour la procédure devant le Tribunal fédéral (art. 159 al. 1
et 2 OJ; Poudret/Sandoz-Monod, Commentaire de la loi fédérale d'organisation
judiciaire, vol. V, 1992, n. 2 ad art. 159 OJ).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable.

2.
Un émolument judiciaire de 3'000 fr. est mis à la charge des recourants,
solidairement entre eux.

3.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des parties et au
Tribunal cantonal du canton du Valais, Cour civile II.

Lausanne, le 19 juillet 2006

Au nom de la IIe Cour civile
du Tribunal fédéral suisse

Le président:  Le greffier: