Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Zivilabteilung 4P.60/2006
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{T 0/2}
4P.60/2006 /ech

Arrêt du 15 juin 2006
Ire Cour civile

MM. les Juges Corboz, président, Favre et Mathys.
Greffière: Mme Cornaz.

X. ________ SA,
Y.________ SA,
recourantes, toutes deux représentées par Me Denis Sulliger,

contre

les époux A.________,
intimés, représentés par Me Pierre-Alexandre Schlaeppi,
Chambre des recours du Tribunal cantonal vaudois, Palais de justice de
l'Hermitage, route du Signal 8,
1014 Lausanne.

arbitraire,

recours de droit public contre l'arrêt de la Chambre
des recours du Tribunal cantonal vaudois
du 2 novembre 2005.

Faits:

A.
Les époux A.________ sont propriétaires communs d'une parcelle contiguë à une
ligne de chemin de fer et recouverte, sur la limite de propriété, d'une haie.
Celle-ci a été profondément élaguée, du côté de la voie ferrée, par le
service d'entretien de X.________ SA, qui aurait même "saccagé" les arbustes.

B.
Par demande du 14 décembre 2000 adressée au Tribunal civil de
l'arrondissement Z.________, sieur A.________ a assigné X.________ SA en
paiement de 46'535 fr. avec intérêt à 5% l'an dès cette date, à raison de ces
faits. En cours d'instance, le Président du Tribunal a admis l'intervention
de Y.________ SA. Dans leur réponse, X.________ SA et Y.________ SA se sont
prévalues du fait que sieur A.________ n'avait pas seul la qualité pour agir,
tout en prenant des conclusions reconventionnelles en enlèvement de la haie,
dirigées contre les époux A.________. A l'audience préliminaire, sieur
A.________ a confirmé que l'action était ouverte au nom des deux époux.
X.________ SA et Y.________ SA ont fait protocoler qu'elles réservaient "tout
moyen de droit à cet égard".

Par jugement du 25 octobre 2004, le Tribunal civil de l'arrondissement
Z.________ a rejeté la demande de sieur A.________, au motif qu'il n'avait
pas la qualité pour agir seul. Il a par ailleurs éconduit X.________ SA et
Y.________ SA d'instance s'agissant de leurs conclusions reconventionnelles,
en raison de son incompétence matérielle.

Saisie par les époux A.________ et statuant par arrêt du 2 novembre 2005, la
Chambre des recours du Tribunal cantonal vaudois a réformé le jugement du 25
octobre 2004 en ce sens qu'elle a condamné .________ SA et Y.________ SA,
solidairement entre elles, à payer aux époux A.________ la somme de 16'100
fr. avec intérêt à 5% l'an dès le 14 décembre 2000. Elle a considéré que la
demande avait certes été déposée au nom du seul sieur A.________. Toutefois,
la réponse et les déterminations de X.________ SA et Y.________ SA visaient
les deux époux, qui avaient déposé conjointement des déterminations. A
l'audience préliminaire, les époux avaient précisé que l'action ouverte par
sieur A.________ l'était au nom des deux époux, leurs adverses parties se
réservant tout moyen de droit à cet égard. Ainsi, dame A.________ avait
clairement manifesté son intention d'intervenir au procès en qualité de
codemanderesse. Elle aurait dû formuler une requête d'intervention, mais
X.________ SA et Y.________ SA auraient dû soulever une exception de
procédure au lieu de se borner à réserver tout moyen de droit. Au demeurant,
une exception de procédure sur ce point aurait été dilatoire puisque
celles-ci avaient d'ores et déjà admis que dame A.________ soit partie à la
procédure en prenant contre elle des conclusions reconventionnelles: elles
l'avaient tacitement appelée en cause et ne pouvaient agir contre leur propre
fait. Il n'y avait donc pas eu de défaut de qualité pour agir, les
propriétaires en main commune ayant agi conjointement.

C.
Parallèlement à un recours en réforme, X.________ SA et Y.________ SA (les
recourantes) interjettent un recours de droit public au Tribunal fédéral.
Elles concluent à l'annulation de l'arrêt du 2 novembre 2005 et au renvoi de
la cause à l'autorité cantonale pour nouvelle décision dans le sens des
considérants, avec suite de dépens. Elles présentent en outre une demande
d'effet suspensif.

Les époux A.________ (les intimés) proposent le rejet du recours, sous suite
de frais et dépens. Pour sa part, la cour cantonale se réfère aux
considérants de son arrêt.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
A titre préalable, il y a lieu de souligner que la demande d'effet suspensif
présentée par les recourantes est sans objet, en application de l'art. 54 al.
2 OJ.

2.
Le Tribunal fédéral examine d'office et librement la recevabilité des recours
qui lui sont soumis (ATF 132 III 291 consid. 1; 131 III 667 consid. 1 p. 668;
131 V 202 consid. 1).

2.1 Exercé en temps utile (art. 89 al. 1 OJ), dans la forme prévue par la loi
(art. 90 al. 1 OJ), pour violation de droits constitutionnels des citoyens
(art. 84 al. 1 let. a OJ), contre une décision finale prise en dernière
instance cantonale (art. 86 al. 1 OJ), par les recourantes qui sont
personnellement touchées par la décision attaquée, de sorte que la qualité
pour recourir doit leur être reconnue (art. 88 OJ), le recours de droit
public soumis à l'examen du Tribunal fédéral est en principe recevable.

2.2 Saisi d'un recours de droit public, le Tribunal fédéral n'examine que les
griefs d'ordre constitutionnel invoqués et suffisamment motivés dans l'acte
de recours (art. 90 al. 1 let. b OJ; ATF 130 I 26 consid. 2.1 p. 31, 258
consid. 1.3 p. 262). Il n'entre pas en matière sur les griefs insuffisamment
motivés ou sur les critiques purement appellatoires. La partie recourante ne
peut se contenter de critiquer la décision attaquée comme elle le ferait dans
une procédure d'appel où l'autorité de recours peut revoir librement
l'application du droit (ATF 128 I 295 consid. 7a). L'art. 90 al. 1 let. b OJ
n'autorise pas l'auteur d'un recours de droit public à présenter sa propre
version des événements (ATF 129 III 727 consid. 5.2.2). Par ailleurs, le
Tribunal fédéral se fonde sur l'état de fait tel qu'il a été retenu dans
l'arrêt attaqué, à moins que la partie recourante n'établisse que l'autorité
cantonale a constaté les faits de manière inexacte ou incomplète en violation
de la Constitution fédérale (ATF 118 Ia 20 consid. 5a).

2.3 Vu la nature cassatoire du recours de droit public, sous réserve
d'exceptions non réalisées en l'espèce, les conclusions qui vont au-delà de
la simple demande d'annulation de l'arrêt attaqué sont irrecevables (ATF 132
III 291 consid. 1.5; 131 I 291 consid. 1.4; 131 III 334 consid. 6 p. 343).
Tel est le cas de la demande de renvoi de la cause à l'autorité cantonale
pour nouvelle décision dans le sens des considérants, superflue et
irrecevable.

3.
Invoquant l'art. 9 Cst., les recourantes reprochent à la cour cantonale
d'avoir commis arbitraire dans l'application du droit de procédure cantonal,
parce qu'elle a reconnu informellement l'intervention de l'épouse de l'intimé
et leur a reproché de ne pas avoir soulevé une exception à cet égard, alors
qu'elle aurait dû elle-même déposer une requête formelle d'intervention. Se
fondant sur l'art. 29 Cst., les recourantes voient également dans ces
circonstances la violation de leur droit d'être entendues et d'être traitées
à armes égales dans le cadre de la procédure civile.

En réalité, les recourantes limitent toutefois leur argumentation à l'étude
de la violation arbitraire de diverses dispositions de procédure cantonale,
sous l'angle de l'art. 9 Cst., sans indiquer aucunement en quoi le grief
annoncé d'atteinte à l'art. 29 Cst. aurait une portée distincte de
l'interdiction de l'arbitraire selon l'art. 9 Cst. Au contraire, dans
l'intitulé même de leurs moyens, elles déclarent qu'en admettant
l'intervention de l'intimée "sans avoir à présenter une requête
d'intervention" et en leur reprochant de ne pas avoir soulevé une exception à
cet égard, "la Chambre des recours a fait une application arbitraire des
règles du code de procédure civile sur l'intervention". En l'absence de
motivation suffisante du moyen déduit de la violation de l'art. 29 Cst., au
sens de la jurisprudence précitée (cf. consid. 2.2), il convient d'entrer en
matière uniquement sur le grief d'arbitraire dans l'application du droit
cantonal, que prohibe l'art. 9 Cst.

4.
La jurisprudence a posé des limites quant à la faculté reconnue aux parties
d'invoquer un vice de procédure, dans le temps, en application du principe de
la bonne foi. Ainsi, il est inadmissible de faire valoir des moyens formels,
qui auraient pu être invoqués à un stade antérieur de la procédure,
uniquement plus tard, dans l'hypothèse d'une issue défavorable de celle-ci.
Le comportement consistant à faire valoir un vice de procédure seulement dans
le cadre du recours dirigé contre une décision - parce que celle-ci se révèle
en définitive défavorable -, alors que ledit vice aurait déjà pu être signalé
en cours de procédure constitue une violation du principe de la bonne et
s'apparente à l'usage abusif d'un droit (cf. ATF 119 Ia 221 consid. 5a p. 228
s.; 119 II 386 consid. 1a; plus récemment arrêt 4P.256/2005 du 18 janvier
2006, consid. 2.5).

Dans le cas particulier, les recourantes se sont bornées, en instance
cantonale, à réserver leurs moyens de droit quant au défaut d'une requête
formelle d'intervention de la part de l'épouse de l'intimé qui entendait
faire valoir cette qualité de codemanderesse. Pour satisfaire aux principes
rappelés ci-dessus, et notamment pour respecter celui de la bonne foi dans la
conduite de la procédure, les recourantes auraient dû immédiatement soulever
une exception de procédure, qui aurait amené les précédents juges à ordonner
une instruction sur incident, dans le but de vider ce dernier, avant que la
procédure ne soit menée à son terme sur le fond. En négligeant d'invoquer à
temps cette exception, les recourantes ont porté atteinte au principe de la
bonne foi et perdu, de ce fait, le droit de se plaindre d'une inobservation
des règles relatives à l'intervention, ce d'autant plus qu'elles ont démontré
avoir considéré comme leur partie adverse également l'intimée, lorsqu'elles
ont pris des conclusions reconventionnelles contre l'intimé et cette
dernière. Il s'ensuit que le recours doit être déclaré irrecevable,
également, pour ce motif.

5.
Au demeurant, si le consid. 4 de l'arrêt entrepris devait être examiné sous
l'angle de la protection contre l'arbitraire, ce moyen devrait être écarté
pour les raisons suivantes.

5.1 D'après la jurisprudence, une décision est arbitraire lorsqu'elle est
manifestement insoutenable, méconnaît gravement une norme ou un principe
juridique clair et indiscuté, ou heurte de manière choquante le sentiment de
la justice et de l'équité (ATF 132 III 209 consid. 2.1; 131 I 57 consid. 2);
il ne suffit pas qu'une autre solution paraisse concevable, voire préférable
(ATF 132 III 209 consid. 2.1; 129 I 8 consid. 2.1); pour que cette décision
soit annulée, encore faut-il qu'elle se révèle arbitraire, non seulement dans
ses motifs, mais aussi dans son résultat (ATF 132 III 209 consid. 2.1; 131 I
217 consid. 2.1). Il appartient à la partie recourante de démontrer, par une
argumentation précise, en quoi la décision incriminée est arbitraire (ATF 130
I 258 consid. 1.3 p. 262).

Lorsque la partie recourante invoque une violation arbitraire du droit
cantonal, elle doit indiquer avec précision quelle est la disposition
cantonale qui aurait été violée et l'examen se limite à cette question (ATF
128 I 273 consid. 2.1 p. 275 s.). Le Tribunal fédéral ne revoit l'application
du droit cantonal que sous l'angle de l'arbitraire (ATF 131 I 217 consid.
2.1; 128 I 177 consid. 2.1; 128 II 311 consid. 2.1).
5.2 Les recourantes reprochent à la cour cantonale d'avoir admis tacitement
l'intervention de l'épouse de l'intimé, notamment parce que celles-là avaient
pris des conclusions reconventionnelles contre cette dernière, malgré le
caractère indépendant des conclusions reconventionnelles par rapport aux
conclusions principales.
En droit vaudois, l'inexistence d'une partie peut constituer à la fois un
moyen de procédure, qui doit être invoqué conformément à l'art. 142 du code
de procédure civile du canton de Vaud du 14 décembre 1966 (ci-après: CPC/VD),
c'est-à-dire dans le délai de réponse par le défendeur, sous peine de
déchéance, et un moyen de fond (défaut de légitimation), qui doit être
tranché dans le jugement au fond (Poudret/Haldy/Tappy, Procédure civile
vaudoise, 3e éd., Lausanne 2002, n. 3 ad art. 138 CPC/VD).

En concluant qu'il n'y avait pas eu de défaut de qualité pour agir de
l'intimée, et que les propriétaires en main commune avaient agi
conjointement, la Chambre des recours s'est prononcée sur cette question, qui
n'a pas fait formellement l'objet d'une contestation de la part des
recourantes, lesquelles s'étaient seulement limitées à réserver leurs moyens
de droit à cet égard. Toutefois, saisie par les intimés d'un recours contre
la décision du Tribunal civil de l'arrondissement de Z.________ le défaut de
qualité pour agir, vu la consorité nécessaire des propriétaires en main
commune, la dernière instance cantonale s'est déterminée sur ce problème dans
son jugement sur le fond, par lequel elle a réformé celui des premiers juges.
Or, comme les recourantes n'avaient pas soulevé une exception de procédure,
devoir qui leur incombait aux termes de l'art. 138 al. 1 CPC/VD, le juge ne
pouvait pas statuer séparément et "prononcer l'éconduction d'instance", mais
il a tranché le problème de la légitimation active avec le fond, conformément
à la jurisprudence cantonale (cf. la référence citée par Poudret/Haldy/Tappy,
op. cit., n. 3 ad art. 138 CPC/VD). Un tel procédé ne paraît pas
manifestement insoutenable, en raison notamment du droit de procédure vaudois
qui n'impose pas aux juges de contrôler d'office les conditions de
recevabilité du procès (Poudret/Haldy/Tappy, op. cit., n. 1 ad art. 138
CPC/VD), ce qui commande d'écarter le grief tiré de la violation de l'art. 9
Cst.

6.
En définitive, le recours de droit public doit donc être rejeté dans la
mesure de sa recevabilité.

7.
Compte tenu de l'issue du litige, les frais et dépens seront mis à la charge
des recourantes, solidairement entre elles (art. 156 al. 1 et 7 ainsi que 159
al. 1 et 5 OJ).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable.

2.
Un émolument judiciaire de 2'000 fr. est mis à la charge des recourantes,
solidairement entre elles.

3.
Les recourantes, débitrices solidaires, verseront aux intimés, créanciers
solidaires, une indemnité de 2'500 fr. à titre de dépens.

4.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des parties et à la
Chambre des recours du Tribunal cantonal vaudois.

Lausanne, le 15 juin 2006

Au nom de la Ire Cour civile
du Tribunal fédéral suisse

Le président:  La greffière: