Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

II. Öffentlich-rechtliche Abteilung 2A.532/2006
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{T 0/2}
2A.532/2006

Arrêt du 30 janvier 2007
IIe Cour de droit public

MM. et Mme les Juges Merkli, Président,
Wurzburger et Yersin.
Greffière: Mme Dupraz.

A. A.________, agissant pour son fils B.A.________, recourant,
représenté par Me Dominique de Weck, avocat,

contre

Office cantonal de la population du canton de Genève, boulevard Saint-Georges
16-18,
case postale 51, 1211 Genève 8,
Commission cantonale de recours de police des étrangers du canton de Genève,
rue Ami-Lullin 4,
case postale 3888, 1211 Genève 3.

Regroupement familial,

recours de droit administratif contre la décision de
la Commission cantonale de recours de police des étrangers du canton de
Genève du 7 juin 2006.

Faits :

A.
Ressortissant turc né le 28 septembre 1963, A.A.________ a épousé une
Suissesse le 31 août 1985. Il s'est par conséquent vu octroyer une
autorisation de séjour le 5 décembre 1985, puis une autorisation
d'établissement le 10 septembre 1990; il a obtenu la nationalité suisse en
1997. Son mariage dure encore.

A partir de 1986, A.A.________ a entretenu une liaison avec D.________, une
ressortissante turque née le 5 février 1965. De cette relation sont issus
deux enfants qui ont vécu en Turquie: B.A.________ né le 15 juillet 1990 et
C.A.________ née le 2 août 1991. D.________ est venue en Suisse avec eux le
18 juillet 2004, puis elle est rentrée en Turquie. Le 6 octobre 2004,
A.A.________ a présenté une demande de regroupement familial pour ses deux
enfants, en précisant que B.A.________ était resté en Suisse, où il était
scolarisé, alors que C.A.________ était retournée dans sa patrie.

Par décision du 30 mai 2005, l'Office cantonal de la population du canton de
Genève (ci-après: l'Office cantonal) a refusé l'autorisation de séjour
sollicitée en faveur de B.A.________ et C.A.________ et imparti à
B.A.________ un délai de départ échéant le 30 août 2005. Il a considéré que
la requête n'avait pas pour but le regroupement familial, mais tendait à
assurer aux deux enfants précités "leur proche et future vie d'adulte".

B.
Par décision du 7 juin 2006, la Commission cantonale de recours de police des
étrangers du canton de Genève (ci-après: la Commission cantonale de recours)
a rejeté le recours de A.A.________, agissant pour son fils B.A.________,
contre la décision de l'Office cantonal du 30 mai 2005 et confirmé ladite
décision. Elle a estimé, au regard de l'ensemble des circonstances, qu'il
n'était pas établi que A.A.________ entretenait avec son fils une relation
étroite et prépondérante qui justifierait l'octroi à B.A.________ d'une
autorisation de séjour au titre du regroupement familial. La Commission
cantonale de recours a considéré que c'était bien plutôt pour des motifs
économiques et, par conséquent, étrangers au sens et au but d'un regroupement
familial qu'une telle autorisation avait été sollicitée. Elle a aussi
souligné les difficultés que B.A.________ devrait affronter pour s'adapter à
un nouvel environnement de vie en Suisse, ce qui pourrait compromettre
l'épanouissement équilibré de sa personnalité au moment de l'adolescence.

C.
A.A.________, agissant pour son fils B.A.________, a déposé un recours de
droit administratif au Tribunal fédéral contre la décision de la Commission
cantonale de recours du 7 juin 2006. Il demande d'annuler cette décision et
celle de l'Office cantonal du 30 mai 2005 ainsi que de réformer la "décision
attaquée" en ce sens qu'une autorisation de séjour est accordée à
B.A.________. Il invoque l'art. 17 al. 2 3ème phrase de la loi fédérale du 26
mars 1931 sur le séjour et l'établissement des étrangers (LSEE; RS 142.20).
Il prétend entretenir une relation prépondérante avec son fils B.A.________,
qui vit depuis plus de deux ans en Suisse et y serait bien intégré. Il fait
aussi valoir des changements sérieux de circonstances du fait que la
grand-mère paternelle qui a élevé B.A.________ et C.A.________ depuis 1995
n'est plus en état de s'en occuper, en raison de son âge et de problèmes de
santé.

La Commission cantonale de recours n'a pas répondu au recours dans le délai
imparti à cet effet. L'Office cantonal a renoncé à formuler des observations
sur le recours.

L'Office fédéral des migrations propose le rejet du recours.

D.
Par ordonnance du 26 octobre 2006, le Président de la IIe Cour de droit
public a admis la demande d'effet suspensif présentée par le recourant.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
Le Tribunal fédéral examine d'office et librement la recevabilité des recours
qui lui sont soumis (ATF 131 II 571 consid. 1 p. 573).

1.1 La loi du 17 juin 2005 sur le Tribunal fédéral (LTF; RS 173.110) est
entrée en vigueur le 1er janvier 2007. L'acte attaqué ayant été rendu avant
cette date, la procédure reste régie par la loi fédérale du 16 décembre 1943
d'organisation judiciaire (OJ) (cf. art. 132 al. 1 LTF).

1.2 Selon l'art. 100 al. 1 lettre b ch. 3 OJ, le recours de droit
administratif n'est pas recevable en matière de police des étrangers contre
l'octroi ou le refus d'autorisations auxquelles le droit fédéral ne confère
pas un droit. D'après l'art. 4 LSEE, les autorités compétentes statuent
librement, dans le cadre des prescriptions légales et des traités avec
l'étranger, sur l'octroi ou le refus d'autorisations de séjour ou
d'établissement. En principe, l'étranger n'a pas de droit à l'octroi d'une
autorisation de séjour. Ainsi, le recours de droit administratif est
irrecevable, à moins que ne puisse être invoquée une disposition particulière
du droit fédéral ou d'un traité, accordant le droit à la délivrance d'une
telle autorisation (ATF 131 II 339 consid. 1 p. 342/343).

Aux termes de l'art. 17 al. 2 3ème phrase LSEE, qui s'applique par analogie
aux enfants étrangers de ressortissants suisses (ATF 130 II 137 consid. 2.1
p. 141 et la jurisprudence citée), les enfants célibataires de moins de 18
ans ont le droit d'être inclus dans l'autorisation d'établissement de leurs
parents aussi longtemps qu'ils vivent auprès d'eux. Pour déterminer si
l'enfant a moins de 18 ans, il faut se placer au moment de la demande de
regroupement familial (ATF 130 II 137 consid. 2.1 p. 141 et la jurisprudence
citée). En l'espèce, B.A.________ avait 14 ans lorsque son père, qui est
suisse, a demandé un regroupement familial en sa faveur. Le recours de droit
administratif est donc recevable sous cet angle.

1.3 Dans la mesure où le présent recours est dirigé contre la décision de
l'Office cantonal du 30 mai 2005, il est irrecevable au regard de l'art. 98
lettre g OJ, car cette décision n'émane pas d'une autorité cantonale statuant
en dernière instance.

1.4 Au surplus, déposé en temps utile et dans les formes prescrites par la
loi, le présent recours est recevable en vertu des art. 97 ss OJ.

2.
Selon la jurisprudence (cf. ATF 129 II 11 consid. 3.1.1 p. 14; 126 II 329
consid. 2a p. 330 et la jurisprudence citée), le but de l'art. 17 al. 2 LSEE
est de permettre le maintien ou la reconstitution d'une communauté familiale
complète entre les deux parents et leurs enfants communs encore mineurs (la
famille nucléaire). Ce but ne peut être entièrement atteint lorsque les
parents sont divorcés ou séparés et que l'un d'eux se trouve en Suisse depuis
plusieurs années et l'autre à l'étranger avec les enfants. Le regroupement
familial ne peut alors être que partiel et le droit de faire venir les
enfants auprès du parent établi en Suisse est soumis à des conditions plus
restrictives que lorsque les parents font ménage commun: tandis que, dans ce
dernier cas, le droit peut, en principe, être exercé en tout temps sans
restriction sous réserve de l'abus de droit (cf. ATF 129 II 11 consid. 3.1.2
p. 14; 126 II 329 consid. 3b p. 332/333), il n'existe, en revanche, pas un
droit inconditionnel de faire venir auprès du parent établi en Suisse des
enfants qui ont grandi à l'étranger dans le giron de leur autre parent. La
reconnaissance d'un tel droit suppose alors que le parent concerné ait avec
ses enfants une relation familiale prépondérante en dépit de la séparation
ainsi que de la distance et qu'un changement important des circonstances,
notamment d'ordre familial, se soit produit, rendant nécessaire le
déplacement des enfants en Suisse, comme par exemple une modification des
possibilités de leur prise en charge éducative à l'étranger (cf. ATF 129 II
11 consid. 3.1.3 p. 14/15, 249 consid. 2.1 p. 252, et la jurisprudence
citée). Ces restrictions sont pareillement valables lorsqu'il s'agit
d'examiner sous l'angle de l'art. 8 CEDH la question du droit au regroupement
familial (partiel) d'enfants de parents séparés ou divorcés (cf. ATF 129 II
249 consid. 2.4 p. 256; 124 II 361 consid. 3a p. 366; 118 Ib 153 consid. 2c
p. 160).

Dans un arrêt du 19 décembre 2006 destiné à la publication (2A.316/2006), le
Tribunal fédéral a maintenu et explicité sa jurisprudence. Il a indiqué qu'un
droit au regroupement familial partiel ne doit, dans certains cas et sous
réserve de l'abus de droit, pas être d'emblée exclu, même s'il est exercé
plusieurs années après la séparation de l'enfant avec le parent établi en
Suisse et si l'âge de l'enfant est alors déjà relativement avancé. Tout est
affaire de circonstances. Il s'agit de mettre en balance, d'une part,
l'intérêt privé de l'enfant et du parent concerné à pouvoir vivre ensemble en
Suisse et, d'autre part, l'intérêt public de ce pays à poursuivre une
politique restrictive en matière d'immigration. L'examen du cas doit être
global et tenir particulièrement compte de la situation personnelle et
familiale de l'enfant et de ses réelles chances de s'intégrer en Suisse. A
cet égard, le nombre d'années qu'il a vécues à l'étranger et la force des
attaches familiales, sociales et culturelles qu'il s'y est créées, de même
que l'intensité de ses liens avec son autre parent établi en Suisse, son âge,
son niveau scolaire ou encore ses connaissances linguistiques sont des
éléments primordiaux dans la pesée des intérêts. Un soudain déplacement de
son cadre de vie peut en effet constituer un véritable déracinement pour lui
et s'accompagner de grandes difficultés d'intégration dans un nouveau pays
d'accueil. De plus, une longue durée de séparation d'avec son parent établi
en Suisse a normalement pour effet de distendre ses liens affectifs avec ce
dernier, en même temps que de resserrer ces mêmes liens avec le parent et/ou
les proches qui ont pris soin de lui à l'étranger, dans une mesure pouvant
rendre délicat un changement de sa prise en charge éducative. C'est pourquoi
il faut continuer autant que possible à privilégier la venue en Suisse de
jeunes enfants, mieux à même de s'adapter à un nouvel environnement
(familial, social, éducatif, linguistique, scolaire, ...) que des adolescents
ou des enfants proches de l'adolescence.
D'une manière générale, plus un enfant a vécu longtemps à l'étranger et se
trouve à un âge proche de la majorité, plus les motifs justifiant le
déplacement de son centre de vie doivent apparaître impérieux et solidement
étayés. Le cas échéant, il y aura lieu d'examiner s'il existe sur place des
alternatives concernant sa prise en charge éducative qui correspondent mieux
à sa situation et à ses besoins spécifiques, surtout si son intégration en
Suisse s'annonce difficile au vu des circonstances (âge, niveau scolaire,
connaissances linguistiques, ...) et si ses liens affectifs avec le parent
établi dans ce pays n'apparaissent pas particulièrement étroits. Pour
apprécier l'intensité de ceux-ci, il faut notamment tenir compte du temps que
l'enfant et le parent concerné ont passé ensemble avant d'être séparés l'un
de l'autre et examiner dans quelle mesure ce parent a réussi pratiquement
depuis lors à maintenir avec son enfant des relations privilégiées malgré la
distance et l'écoulement du temps, en particulier s'il a eu des contacts
réguliers avec lui (au moyen de visites, d'appels téléphoniques, de lettres,
...), s'il a gardé la haute main sur son éducation et s'il a subvenu à son
entretien. Il y a également lieu, dans la pesée des intérêts, de prendre en
considération les raisons qui ont conduit le parent établi en Suisse à
différer le regroupement familial, ainsi que sa situation personnelle et
familiale et ses possibilités concrètes de prise en charge de l'enfant (cf.
arrêt précité 2A.316/2006 du 19 décembre 2006, consid. 3 et 5).

3.
Dans l'examen du cas d'espèce, on ne saurait prendre en considération le
séjour que B.A.________ fait en Suisse depuis l'été 2004. En effet, autorisé
à venir en Suisse pour des vacances de trois mois au plus, cet enfant est
arrivé le 18 juillet 2004 et a été rapidement inscrit dans une école
genevoise pour l'année scolaire 2004-2005, comme le prouve l'attestation de
scolarité du 30 août 2004 versée au dossier. En trompant les autorités sur le
motif de sa venue ou, du moins, de la poursuite de son séjour, B.A.________ a
séjourné irrégulièrement en Suisse et il est actuellement au bénéfice d'une
simple tolérance en raison de la procédure entamée pour régulariser sa
situation dans ce pays. Tenir compte du séjour qu'il y effectue depuis l'été
2004 reviendrait à encourager la politique du fait accompli.
Le recourant bénéficie d'une autorisation d'établissement depuis le
10 septembre 1990, date à partir de laquelle il avait en principe un droit au
regroupement familial en faveur de son fils sur lequel il a, en outre,
l'autorité parentale depuis le 10 novembre 1995. Il a cependant attendu 14
ans, jusqu'au 6 octobre 2004, avant de faire la moindre démarche au titre du
regroupement familial, estimant que les frais d'éducation étaient moins
élevés en Turquie. De plus, les parents de B.A.________ n'ont jamais créé de
communauté familiale. Ainsi, le regroupement familial sollicité ne pourrait
être que partiel. Or, il convient d'éviter une mesure qui n'aboutirait qu'à
séparer B.A.________ de sa famille en Turquie et, en particulier, de sa mère.
On ne saurait d'ailleurs considérer que B.A.________ a une relation
prépondérante avec son père. En effet, il n'a jamais cohabité avec lui avant
de venir vivre en Suisse en été 2004, alors qu'il avait déjà 14 ans.
Auparavant, il avait seulement des contacts téléphoniques réguliers avec son
père qu'il voyait durant les vacances. En revanche, B.A.________ a vécu avec
sa mère jusqu'à 5 ans, puis avec sa grand-mère paternelle, sa mère pouvant le
voir tous les dimanches et lors des fêtes religieuses. C'est donc avec sa
parenté vivant en Turquie (mère et grand-mère paternelle) qu'il a la relation
la plus étroite. En outre, c'est en Turquie qu'il est né et a passé son
enfance ainsi que le début de son adolescence, puis a été scolarisé jusqu'à
14 ans. C'est donc là qu'il a ses racines familiales, sociales et
culturelles. Par ailleurs, les problèmes de santé de la grand-mère paternelle
de B.A.________ ne sont pas décisifs. D'une part, B.A.________ est arrivé à
un âge où un enfant a déjà une certaine autonomie. D'autre part, on ne voit
pas ce qui empêcherait sa mère de s'occuper de lui. En effet, il ressort du
dossier que c'est uniquement pour des raisons économiques que l'autorité
parentale sur B.A.________ et sa soeur a été transférée de leur mère à leur
père, qui a alors confié ses enfants à leur grand-mère paternelle.
B.A.________ pourrait donc très bien vivre avec sa mère, à condition que son
père fournisse à celle-ci les moyens financiers nécessaires à l'entretien de
leur enfant commun. Ainsi, il est possible de trouver en Turquie une solution
permettant d'encadrer B.A.________ jusqu'à la majorité. Le recourant fait
certes valoir que son fils qui habite en Suisse depuis plus de deux ans y est
bien intégré. Mais, comme on l'a vu plus haut, cette circonstance ne saurait
être déterminante.

Ainsi, les conditions auxquelles la jurisprudence soumet le regroupement
familial ne sont pas remplies en l'espèce. En outre, comme le relève
l'autorité intimée, il ressort du dossier que le but poursuivi par le
recourant en demandant ce regroupement familial est avant tout d'ordre
économique. Dès lors, c'est à juste titre que la Commission cantonale de
recours a confirmé la décision de l'Office cantonal refusant le regroupement
familial en faveur de B.A.________. Ce faisant, elle n'a pas violé le droit
fédéral, en particulier l'art. 17 al. 2 3ème phrase LSEE.

4.
Vu ce qui précède, le recours doit être rejeté dans la mesure où il est
recevable.

Succombant, le recourant doit supporter les frais judiciaires (art. 156 al.
1, 153 et 153a OJ) et n'a pas droit à des dépens (art. 159 al. 1 OJ).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable.

2.
Un émolument judiciaire de 1'500 fr. est mis à la charge du recourant.

3.
Le présent arrêt est communiqué en copie au mandataire du recourant, à
l'Office cantonal de la population et à la Commission cantonale de recours de
police des étrangers du canton de Genève ainsi qu'à l'Office fédéral des
migrations.

Lausanne, le 30 janvier 2007

Au nom de la IIe Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse

Le président:  La greffière: