Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

II. Öffentlich-rechtliche Abteilung 2A.328/2006
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{T 0/2}
2A.328/2006

Arrêt du 11 septembre 2006
IIe Cour de droit public

MM. les Juges Merkli, Président,
Hungerbühler et Wurzburger.
Greffière: Mme Dupraz.

A. X.________,
recourant, représenté par Me Vincent Spira et Me
Robert Assaël, avocats,

contre

Service de la population et des migrants du canton  de Fribourg, Les
Portes-de-Fribourg, route
d'Englisberg 11, 1763 Granges-Paccot,
Tribunal administratif du canton de Fribourg,
Ière Cour administrative, route André-Piller 21, case postale, 1762 Givisiez.

Expulsion,

recours de droit administratif contre la décision de la Ière Cour
administrative du Tribunal administratif du canton de Fribourg du 29 mars
2006.

Faits:

A.
Ressortissant rwandais né le 1er mars 1964, A.X.________ est arrivé en Suisse
le 11 octobre 1994 et y a déposé une demande d'asile. Il rejoignait sa femme
B.X.________ née en 1962 et son fils C.X.________ né le 5 janvier 1991, qui
étaient arrivés en Suisse le 3 juillet 1994, ainsi que sa fille D.X.________
née en Suisse le 16 juillet 1994. A.X.________ a obtenu l'asile le 5 mai
1995. Sa femme et ses enfants, qui ont aussi acquis le statut de réfugié, se
sont vu octroyer par la suite une autorisation d'établissement.

Par jugement du 26 mai 2000, le Tribunal militaire d'appel 1A a reconnu
A.X.________ coupable de violation des lois de la guerre et l'a condamné en
conséquence à 14 ans de réclusion, sous déduction de la détention préventive
subie; il a également prononcé à l'encontre de A.X.________ une mesure
d'expulsion du territoire de la Confédération suisse pour une durée de 15
ans, mesure qui a été par la suite assortie du sursis pour une durée de 2
ans.

Le 29 mars 2004, l'Office fédéral des réfugiés actuellement l'Office fédéral
des migrations (ci-après: l'Office fédéral) a retiré la qualité de réfugié et
révoqué l'asile que A.X.________ avait obtenus en dissimulant des faits
essentiels.

Le 6 juin 2005, le Service de la population et des migrants du canton de
Fribourg (ci-après: le Service cantonal) a décidé d'expulser A.X.________ du
territoire suisse pour une durée indéterminée et ordonné à l'intéressé de
quitter ledit territoire dès qu'il aurait satisfait à sa condamnation.

Le 22 décembre 2005, la Direction de la sécurité et de la justice du canton
de Fribourg a accordé à A.X.________ la libération conditionnelle, avec effet
au 27 décembre 2005.

B.
Par décision du 29 mars 2006, la Ière Cour administrative du Tribunal
administratif du canton de Fribourg (ci-après: le Tribunal administratif) a
rejeté le recours de A.X.________ contre la décision du Service cantonal du 6
juin 2005. Le Tribunal administratif a retenu que A.X.________ avait été
condamné à une lourde peine de réclusion pour des crimes d'une gravité
exceptionnelle commis dans le cadre du génocide rwandais de 1994, de sorte
que l'expulsion était justifiée au regard de l'art. 10 al. 1 lettre a de la
loi fédérale du 26 mars 1931 sur le séjour et l'établissement des étrangers
(LSEE; RS 142.20). Les efforts d'intégration sociale et professionnelle
effectués par l'intéressé ne suffisaient pas à modifier l'appréciation qu'il
fallait porter sur lui, d'autant qu'on pouvait douter de sa sincérité. Il n'y
avait pas lieu non plus de lui épargner les risques d'exclusion, voire de
représailles, qu'il pourrait encourir dans sa patrie vu la gravité des crimes
qu'il avait commis. Ces actes ne permettaient d'ailleurs pas de se montrer
indulgent, sous l'angle des art. 11 al. 3 LSEE et 8 CEDH, envers
A.X.________, d'autant qu'il n'avait jamais manifesté le moindre repentir.
L'intéressé était dès lors une personne indésirable sur le territoire
helvétique et indigne de recevoir l'hospitalité suisse. Au demeurant, adopter
une autre attitude aurait été de nature à ternir l'image de la Suisse.

C.
Agissant par la voie du recours de droit administratif, A.X.________ demande
au Tribunal fédéral d'annuler la décision du Tribunal administratif du 29
mars 2006 dans la mesure où elle rejette, d'une part, son recours contre la
décision du Service cantonal du 6 juin 2005 et, d'autre part, sa demande
d'assistance judiciaire ainsi que de "renvoyer la cause à l'autorité
cantonale en vue d'une nouvelle décision dans le sens des considérants". Il
se plaint en substance de violation du droit fédéral, y compris d'excès et
d'abus du pouvoir d'appréciation. Il reproche en particulier au Tribunal
administratif d'avoir enfreint les art. 10 al. 1 lettre a et 11 al. 1 et 3
LSEE, 16 al. 3 du règlement d'exécution du 1er mars 1949 de la loi fédérale
sur le séjour et l'établissement des étrangers (RSEE; RS 142.201), 8 CEDH
ainsi que 55 CP. Il lui fait également grief d'avoir violé l'interdiction de
l'arbitraire ainsi que les principes de la bonne foi, de la confiance et de
la proportionnalité. Il requiert l'assistance judiciaire.

Le Tribunal administratif conclut au rejet du recours. Le Service cantonal a
déclaré n'avoir pas de remarques particulières à formuler.

L'Office fédéral propose le rejet du recours.

D.
Par ordonnance du 19 juillet 2006, le Président de la IIe Cour de droit
public a admis la demande d'effet suspensif présentée par le recourant.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
Formé en temps utile contre une décision prise en dernière instance cantonale
(art. 98 lettre g OJ) et fondée sur le droit public fédéral, le présent
recours est recevable comme recours de droit administratif en vertu des art.
97 ss OJ. Il échappe en particulier à la clause d'irrecevabilité de l'art.
100 lettre b ch. 4 OJ, dans la mesure où l'expulsion en cause ne se fonde pas
sur une disposition constitutionnelle (art. 121 al. 2 Cst., cf. art. 70
aCst.), mais sur l'art. 10 al. 1 LSEE (ATF 114 Ib 1 consid. 1a p. 2, rendu
sous l'empire de l'ancienne Constitution fédérale).

2.
Selon l'art. 104 lettre a OJ, le recours de droit administratif peut être
formé pour violation du droit fédéral, y compris l'excès et l'abus du pouvoir
d'appréciation. Le Tribunal fédéral vérifie d'office l'application du droit
fédéral, qui englobe notamment les droits constitutionnels des citoyens ainsi
que les traités internationaux (cf. ATF 130 I 312 consid. 1.2 p. 318 et la
jurisprudence citée), sans être lié par les motifs invoqués par les parties
(art. 114 al. 1 in fine OJ). En revanche, lorsque le recours est dirigé,
comme en l'espèce, contre la décision d'une autorité judiciaire, le Tribunal
fédéral est lié par les faits constatés dans cette décision, sauf s'ils sont
manifestement inexacts ou incomplets ou s'ils ont été établis au mépris de
règles essentielles de procédure (art. 104 lettre b et 105 al. 2 OJ). En
outre, le Tribunal fédéral ne peut pas revoir l'opportunité de la décision
entreprise, le droit fédéral ne prévoyant pas un tel examen en la matière
(art. 104 lettre c ch. 3 OJ).

3.
3.1 D'après l'art. 10 al. 1 lettre a LSEE, l'étranger peut être expulsé de
Suisse ou d'un canton notamment s'il a été condamné par une autorité
judiciaire pour crime ou délit. L'expulsion ne sera toutefois prononcée que
si elle paraît appropriée à l'ensemble des circonstances et si elle respecte
le principe de la proportionnalité (art. 11 al. 3 LSEE et 16 al. 3 RSEE).
Autrement dit, il faut procéder à une pesée des intérêts en présence. Si le
motif d'expulsion est la commission d'une infraction, la peine infligée par
le juge pénal est le premier critère lorsqu'il s'agit d'évaluer la gravité de
la faute et de procéder à la pesée des intérêts. Cependant, l'autorité de
police des étrangers s'inspire de considérations différentes de celles qui
guident l'autorité pénale. Ainsi, la décision du juge pénal d'ordonner ou non
l'expulsion d'un condamné étranger en application de l'art. 55 CP ou de
l'ordonner avec sursis, respectivement la décision que prend l'autorité
compétente de suspendre l'exécution de cette peine accessoire, repose d'abord
sur les perspectives de réinsertion sociale de l'intéressé; l'autorité de
police des étrangers, elle, se préoccupe avant tout de l'ordre et de la
sécurité publics; en matière d'expulsion, son appréciation peut donc s'avérer
plus rigoureuse que celle de l'autorité pénale (ATF 130 II 493 consid. 4.2 p.
500/501).

3.2 En l'occurrence, le motif d'expulsion figurant à l'art. 10 al. 1 lettre a
LSEE est manifestement réalisé, puisque le recourant a été condamné pour
crime à 14 ans de réclusion par une autorité judiciaire. Le Tribunal
militaire d'appel 1A a relevé que les actes commis par le recourant
constituaient des atteintes intentionnelles à la vie et il a ajouté:
"Qualifiées de crimes de guerre, ces infractions sont intrinsèquement très
graves. Elles ont conduit à la mort de trois personnes au moins. Ces
personnes ont non seulement été littéralement exécutées dans des
circonstances atroces (...), mais ont encore été privées d'une sépulture
digne, car jetées et abandonnées dans le caniveau (...) ou dans des latrines
(...). Une grande froideur affective est requise pour inciter au meurtre et
faire tuer des êtres humains de manière aussi sordide". Le même tribunal a
ensuite précisé que le recourant nourrissait envers les Tutsi et les Hutu
modérés une véritable haine et qu'il n'avait pas manifesté de sentiment de
pitié ni exprimé de remords ou de repentir à l'égard des victimes des
événements tragiques du Rwanda (cf. jugement du tribunal précité du 26 mai
2000, p. 43/44). Au surplus, il n'est pas nécessaire de revenir en détail sur
les atrocités commises par le recourant. Il ressort de ce qui précède que
seules des circonstances tout à fait exceptionnelles pourraient aller à
l'encontre de l'expulsion de l'intéressé.

Le recourant vit en Suisse avec sa femme et ses deux enfants qui, tous trois,
ont une autorisation d'établissement dans ce pays et s'y sont bien intégrés
depuis leur arrivée en juillet 1994. L'expulsion du recourant sera donc vécue
douloureusement par sa famille qui devra choisir entre la vie avec
l'intéressé ou la vie en Suisse. Le recourant se prévaut aussi de son
intégration en Suisse. On relèvera cependant qu'au moment où est intervenue
la décision attaquée, il avait passé plus de neuf ans en détention. Par
ailleurs, on peut douter de la sincérité de l'intégration de l'intéressé qui
a déjà fait preuve d'opportunisme et de dissimulation, comme cela ressort du
jugement du Tribunal militaire d'appel 1A du 26 mai 2000 ainsi que de la
façon dont il a obtenu l'asile en Suisse. Quel que soit l'intérêt privé du
recourant et de sa famille à pouvoir vivre ensemble en Suisse, il ne saurait
l'emporter face à l'intérêt public à éloigner de ce pays un étranger qui a
commis des infractions d'une gravité exceptionnelle. En outre, il est
également conforme à l'intérêt public de montrer que la Suisse n'est pas un
refuge pour les criminels du genre du recourant.

4.
Un étranger peut, selon les circonstances, se prévaloir du droit au respect
de sa vie privée et familiale garanti par l'art. 8 par. 1 CEDH (cf. art. 13
al. 1 Cst.) pour s'opposer à l'éventuelle séparation de sa famille. Encore
faut-il, pour pouvoir invoquer cette disposition, que la relation entre
l'étranger et une personne de sa famille ayant le droit de résider
durablement en Suisse (c'est-à-dire au moins un droit certain à une
autorisation de séjour: ATF 130 II 281 consid. 3.1 p. 285) soit étroite et
effective (ATF 129 II 193 consid. 5.3.1 p. 211). D'après la jurisprudence,
les relations familiales que l'art. 8 par. 1 CEDH tend à préserver sont,
avant tout, les rapports entre époux ainsi qu'entre parents et enfants
mineurs vivant ensemble (cf. ATF 120 Ib 257 consid. 1d p. 261). Au demeurant,
la protection découlant de l'art. 8 par. 1 CEDH n'est pas absolue. En effet,
une atteinte à l'exercice du droit au respect de la vie privée et familiale
est possible, selon l'art. 8 par. 2 CEDH, pour autant que cette ingérence
soit prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société
démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique,
au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention
des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la
protection des droits et libertés d'autrui.

L'art. 8 par. 1 CEDH n'est d'aucun secours au recourant, car la protection de
cette disposition doit céder le pas devant l'art. 8 par. 2 CEDH. En effet, la
mesure d'expulsion qui frappe le recourant est nécessaire à la défense de
l'ordre, voire à la prévention des infractions pénales.

5.
Le recourant invoque l'art. 25 al. 3 Cst. et allègue les risques auxquels il
serait exposé s'il retournait dans son pays d'origine (cf. aussi, notamment,
art. 3 CEDH).

Selon l'art. 25 al. 3 Cst., nul ne peut être refoulé sur le territoire d'un
Etat dans lequel il risque la torture ou tout autre traitement ou peine
cruels et inhumains (principe de non-refoulement; cf. art. 3 CEDH et 7 du
pacte international du 16 décembre 1966 relatif aux droits civils et
politiques [RS 0.103.2]). Dans la décision du 6 juin 2005 qui est à la base
du présent litige, le Service cantonal a prononcé l'expulsion du recourant et
ordonné à celui-ci de quitter le territoire suisse aussitôt qu'il aurait
"satisfait à sa condamnation". L'intéressé peut partir librement, d'autant
plus qu'il ressort du dossier qu'il a voyagé dans différents pays (Italie,
France, Belgique, Canada, Etats-Unis, notamment). S'il ne le fait pas, il y
aura lieu de prendre une décision d'exécution forcée précisant les modalités
et le lieu du renvoi. C'est dans ce cadre que les griefs relatifs à une
éventuelle violation du principe de non-refoulement devront être examinés.

6.
Il ressort de ce qui précède que le Tribunal administratif n'a pas violé le
droit fédéral en rendant la décision attaquée. En particulier, il n'a pas
excédé ni abusé de son pouvoir d'appréciation. Ainsi, il a appliqué
correctement la législation en matière de police des étrangers, la Convention
européenne des droits de l'homme et la Constitution fédérale, notamment les
principes constitutionnels invoqués par l'intéressé.

7.
Le recourant reproche à l'autorité intimée de ne pas lui avoir octroyé
l'assistance judiciaire.

Le Tribunal administratif a refusé l'assistance judiciaire parce que le
recourant n'avait pas établi son indigence dans la mesure où il avait déclaré
disposer d'un emploi, son conjoint travaillant également. Dans son recours au
Tribunal administratif, le recourant a affirmé qu'il allait gagner environ
3'400 fr. bruts par mois; il a produit un document (pièce 40) indiquant que
sa femme gagnait 1'951 fr. bruts par mois; le revenu total des époux
X.________ s'élevait donc à quelque 5'350 fr. bruts par mois. Dans ces
conditions, il n'appartenait pas au Tribunal administratif, contrairement à
ce qu'affirme l'intéressé, de rechercher davantage si le budget du recourant
lui permettait, avec ce revenu, de dégager un surplus afin de couvrir ses
frais de procédure. Au vu de ces chiffres, et même s'il s'agissait d'un
revenu brut, il semblait possible d'affecter une certaine somme aux frais de
procédure. Le grief du recourant n'est donc pas fondé.

8.
Il ressort de ce qui précède que le recours doit être rejeté.

Au vu de la décision attaquée, dont les motifs étaient convaincants, les
chances de succès d'un recours au Tribunal fédéral apparaissaient d'emblée
comme plus que limitées, de sorte qu'il y a lieu de rejeter la demande
d'assistance judiciaire (art. 152 OJ).
Succombant, le recourant doit supporter les frais judiciaires, qui seront
fixés compte tenu de sa situation (art. 156 al. 1, 153 et 153a OJ), et n'a
pas droit à des dépens (art. 159 al. 1 OJ).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est rejeté.

2.
La demande d'assistance judiciaire est rejetée.

3.
Un émolument judiciaire de 1'000 fr. est mis à la charge du recourant.

4.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires du recourant, au
Service de la population et des migrants et à la Ière Cour administrative du
Tribunal administratif du canton de Fribourg, ainsi qu'à l'Office fédéral des
migrations.

Lausanne, le 11 septembre 2006

Au nom de la IIe Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse

Le président:  La greffière: