Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

II. Öffentlich-rechtliche Abteilung 2A.305/2006
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2A.305/2006/MAB/elo
{T 0/2}

Arrêt du 2 août 2006
IIe Cour de droit public

MM. les Juges Merkli, Président,
Wurzburger et Meylan, Juge suppléant.
Greffière: Mme Mabillard.

X. ________, recourante,
représentée par Me Yves Rausis, avocat,

contre

Département fédéral de justice et police, 3003 Berne.

Exception aux mesures de limitation,

recours de droit administratif contre la décision du Département fédéral de
justice et police du 10 avril 2006.

Faits:

A.
Ressortissante philippine née le 2 septembre 1958, X.________ est arrivée en
Suisse courant 1993, en provenance de son pays d'origine. Elle a brièvement
travaillé dans la région bernoise puis, dès 1994, elle a vécu et travaillé
sans autorisation à A.________, en qualité d'employée de maison. Elle n'est
jamais retournée dans son pays d'origine, où elle a laissé trois enfants
aujourd'hui majeurs et où vit encore son mari, dont elle était déjà séparée.

Le 10 juin 2004, elle a sollicité de l'Office cantonal de la population du
canton de Genève (ci-après: l'Office cantonal) l'octroi d'une autorisation de
séjour et de travail. L'Office cantonal l'a informée qu'il était disposé à
donner une suite favorable à sa requête, sous réserve de l'approbation de
l'Office fédéral des migrations (ci-après: l'Office fédéral).

Le 2 mai 2005, l'Office fédéral a refusé d'exempter l'intéressée des mesures
de limitation au sens de l'art. 13 lettre f de l'ordonnance du 6 octobre 1986
limitant le nombre des étrangers (OLE; RS 823.21).

B.
X.________ a porté sa cause devant le Département fédéral de justice et
police (ci-après: le Département fédéral) qui, par décision du 10 avril 2006,
a rejeté son recours. Le Département fédéral a notamment considéré que, bien
que l'intéressée ait fait preuve d'une réelle volonté d'intégration depuis
son arrivée en Suisse, les liens qu'elle avait créés avec ce pays n'étaient
cependant pas à ce point profonds et durables qu'elle ne puisse envisager un
retour dans son pays d'origine. Elle avait vécu durant trente-cinq ans aux
Philippines et y avait encore ses trois enfants ainsi que ses parents.
L'intéressée ne pouvait pas non plus se prévaloir de l'art. 8 CEDH en
invoquant un projet de mariage avec un ressortissant suisse, ce projet
n'apparaissant nullement comme un devant se concrétiser de manière imminente.
Enfin, elle invoquait en vain une violation du principe de l'égalité de
traitement.

C.
Agissant par la voie du recours de droit administratif, X.________ demande au
Tribunal fédéral, sous suite de dépens, d'annuler la décision du Département
fédéral du 10 avril 2006 et de renvoyer le dossier à l'autorité inférieure
afin que celle-ci la mette au bénéfice d'une exception aux mesures de
limitation. Elle conclut également à ce qu'il soit renoncé à la perception de
frais de procédure. Elle fait en substance le reproche à l'autorité intimée
d'avoir violé le droit fédéral, en particulier l'art. 8 CEDH ainsi que le
principe de l'égalité de traitement. La recourante formule en outre une
demande d'effet suspensif et requiert la production du dossier d'une
compatriote, S. L.

Le Département fédéral a conclu au rejet du recours et a envoyé les dossiers
fédéraux de la recourante et de S. L. Il s'en est remis à  justice s'agissant
d'éventuelles mesures provisionnelles. L'Office cantonal a produit le dossier
cantonal de la recourante le 7 juin 2006.

D.
Par ordonnance du 26 juin 2006, le Président de la IIe Cour de droit public a
admis la requête d'effet suspensif, traitée comme une requête de mesures
provisionnelles.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
Le Tribunal fédéral examine d'office et avec plein pouvoir d'examen la
recevabilité des recours qui lui sont soumis (ATF 132 III 291 consid. 1 p.
292).

La voie du recours de droit administratif est, en principe, ouverte contre
les décisions relatives à l'assujettissement aux mesures de limitation
prévues par l'ordonnance limitant le nombre des étrangers (ATF 122 II 403
consid. 1 p. 404/405). Tendant exclusivement à faire prononcer une exemption
des mesures de limitation, le présent recours, qui respecte par ailleurs les
formes et délais légaux prévus aux art. 97 ss OJ, est donc recevable.

2.
La recourante demande la production du dossier de S. L. Le Département
fédéral ayant déposé le dossier de la personne en question conjointement à sa
réponse, la réquisition d'instruction de la recourante est satisfaite.

3.
Conformément à l'art. 104 lettres a et b OJ, le recours de droit
administratif peut être formé pour violation du droit fédéral, y compris
l'excès et l'abus du pouvoir d'appréciation, ainsi que pour constatation
inexacte ou incomplète des faits pertinents (ATF 132 II 47 consid. 1.2 p.
49). Le Tribunal fédéral revoit d'office l'application du droit fédéral qui
englobe notamment les droits constitutionnels du citoyen (ATF 130 III 707
consid. 3.1 p. 709). Comme il n'est pas lié par les motifs qu'invoquent les
parties, il peut admettre le recours pour d'autres raisons que celles
avancées par le recourant ou au contraire confirmer l'arrêt attaqué pour
d'autres motifs que ceux retenus par l'autorité intimée (art. 114 in fine OJ;
ATF 132 II 257 consid. 2.5 p. 262 et les arrêts cités). Par ailleurs,
l'autorité intimée n'étant pas une autorité judiciaire, le Tribunal fédéral
peut également revoir d'office les constatations de fait (art. 104 lettre b
et 105 OJ). En matière de police des étrangers, lorsque la décision n'émane
pas d'une autorité judiciaire, le Tribunal fédéral fonde en principe ses
jugements, formellement et matériellement, sur l'état de fait et de droit
existant au moment de sa propre décision (ATF 124 II 361 consid. 2a p. 365;
122 II 1 consid. 1b p. 4, 385 consid. 2 p. 390 et les arrêts cités). Le
Tribunal fédéral ne peut en revanche pas revoir l'opportunité de la décision
entreprise, le droit fédéral ne prévoyant pas un tel examen en la matière
(art. 104 lettre c OJ a contrario).

4.
Les mesures de limitation visent en premier lieu à assurer un rapport
équilibré entre l'effectif de la population en Suisse et celui de la
population étrangère résidante, ainsi qu'à améliorer la structure du marché
du travail et à assurer l'équilibre optimal en matière d'emploi (cf. art. 1er
lettres a et c OLE). L'art. 13 lettre f OLE, selon lequel un étranger n'est
pas compté dans les nombres maximums fixés par le Conseil fédéral, a pour but
de faciliter la présence en Suisse d'étrangers qui, en principe, seraient
comptés dans ces nombres maximums, mais pour lesquels cet assujettissement
paraîtrait trop rigoureux par rapport aux circonstances particulières de leur
cas et pas souhaitable du point de vue politique.
Il découle de la formulation de l'art. 13 lettre f OLE que cette disposition
dérogatoire présente un caractère exceptionnel et que les conditions pour une
reconnaissance d'un cas de rigueur doivent être appréciées restrictivement.
Il est nécessaire que l'étranger concerné se trouve dans une situation de
détresse personnelle. Cela signifie que ses conditions de vie et d'existence,
comparées à celles applicables à la moyenne des étrangers, doivent être mises
en cause de manière accrue, c'est-à-dire que le refus de soustraire
l'intéressé aux restrictions des nombres maximums comporte pour lui de graves
conséquences. Pour l'appréciation du cas d'extrême gravité, il y a lieu de
tenir compte de l'ensemble des circonstances du cas particulier. La
reconnaissance d'un tel cas n'implique pas forcément que la présence de
l'étranger en Suisse constitue l'unique moyen pour échapper à une situation
de détresse. D'un autre côté, le fait que l'étranger ait séjourné en Suisse
pendant une assez longue période et s'y soit bien intégré ne suffit pas, à
lui seul, à constituer un cas d'extrême gravité; il faut encore que sa
relation avec la Suisse soit si étroite qu'on ne saurait exiger qu'il aille
vivre dans un autre pays, notamment dans son pays d'origine (ATF 124 II 110
consid. 2 p. 112 et la jurisprudence citée). A cet égard, les relations de
travail, d'amitié ou de voisinage que l'étranger a pu nouer pendant son
séjour ne constituent normalement pas des liens si étroits avec la Suisse
qu'ils justifieraient une exemption des mesures de limitation (ATF 130 II 39
consid. 3 p. 41/42 et la jurisprudence citée).
Le Tribunal fédéral a précisé que les séjours illégaux n'étaient en principe
pas pris en compte dans l'examen d'un cas de rigueur. La longue durée d'un
séjour en Suisse n'est pas, à elle seule, un élément constitutif d'un cas
personnel d'extrême gravité dans la mesure où ce séjour est illégal. Il
appartient dès lors à l'autorité compétente d'examiner si l'intéressé se
trouve pour d'autres raisons dans un état de détresse justifiant de
l'exempter des mesures de limitation du nombre des étrangers. Pour cela, il y
a lieu de se fonder sur les relations familiales de l'intéressé en Suisse et
dans sa patrie, sur son état de santé, sur sa situation professionnelle, sur
son intégration sociale, etc. (ATF 130 II 39 consid. 3 p. 42, et les arrêts
cités). Il n'y a pas lieu de revenir sur cette jurisprudence; celle-ci crée,
assurément, une inégalité de traitement entre les étrangers qui séjournent
illégalement dans notre pays et ceux qui, dès leur arrivée, entreprennent
d'obtenir par les voies légales un statut de police des étrangers, mais cette
inégalité est voulue; sa justification réside dans le fait que, à vouloir
tenir compte de la durée d'un séjour illégal, on créerait une prime à
l'illégalité et l'on consacrerait une autre inégalité, tout-à-fait
injustifiée celle-ci, au détriment des étrangers respectueux de la légalité.

5.
5.1 Dans le cas particulier, la recourante ne séjourne régulièrement en Suisse
que depuis juin 2004, et encore au bénéfice d'une simple tolérance. Elle ne
saurait donc se prévaloir d'un long séjour régulier dans notre pays.

Il n'est pas contesté, et le Département fédéral ne l'a nullement ignoré, que
la recourante est bien intégrée professionnellement et socialement et que son
comportement, abstraction faite de l'illégalité de son séjour, n'a donné lieu
à aucune plainte. Aucun élément du dossier n'indique cependant que cette
intégration serait à ce point exceptionnelle que l'on ne pourrait
raisonnablement exiger de la recourante un retour dans son pays d'origine.
Rien ne permet de penser qu'elle aurait perdu tout contact avec son pays
d'origine, au point qu'un retour dans celui-ci représenterait pour elle un
véritable déracinement. Il ressort au contraire du dossier qu'elle y a encore
ses trois enfants majeurs ainsi que sa mère et huit frères et soeurs. II est
assurément probable que, en cas de retour forcé dans son pays d'origine, la
recourante se trouvera dans une situation économique sensiblement inférieure
à ce qu'elle connaît en Suisse et ne pourra plus, ou plus dans la même
mesure, financer ni les soins médicaux nécessités par sa mère, ni les études
de ses enfants. Elle n'a toutefois pas établi que cette situation serait sans
commune mesure avec celle que connaissent ses compatriotes. Quoi qu'il en
soit, l'art. 13 lettre f OLE n'a pas pour but de soustraire des étrangers aux
conditions générales de leur pays d'origine. On observe au demeurant que, du
propre aveu de la recourante (lettre de son conseil à l'Office fédéral du 10
juin 2004), ses trois enfants sont "sur le point d'être dotés, tous trois,
d'une excellente formation qui leur permet d'envisager leur avenir
professionnel et personnel avec confiance". Il devrait donc être possible à
la recourante de compter à son tour sur le soutien de ses enfants.

5.2 La recourante invoque un projet de mariage avec un ressortissant suisse
pour se prévaloir du droit au respect de la vie familiale garanti par l'art.
8 CEDH.

Selon la jurisprudence, les fiançailles ou le concubinage ne permettent pas,
sous réserve de circonstances particulières, d'invoquer le respect de la vie
privée et familiale garanti par l'art. 8 CEDH. C'est ainsi que l'étranger
fiancé à une personne ayant droit de présence en Suisse ne peut, en principe,
prétendre à une autorisation de séjour, à moins que le couple n'entretienne
depuis longtemps des relations étroites et effectivement vécues et qu'il
existe des indices concrets d'un mariage sérieusement voulu et imminent
(arrêts 2A.383/1999 du 30 septembre 1999 consid. 1a/cc et 2A.274/1996 du 7
novembre 1996 consid. 1b ainsi que la jurisprudence citée).

Comme l'a justement relevé le Département fédéral, aucune de ces conditions
ne se trouve ici réalisée. A en croire la recourante, cette relation dure
depuis "de nombreux mois". Le ressortissant suisse en question déclare le 30
mars 2004 connaître la recourante depuis 1993 et la voir une fois par semaine
environ. Il ne mentionne cependant l'existence ni d'une relation à proprement
parler, ni d'un projet de mariage. Le frère de ce ressortissant indique quant
à lui, le 3 avril 2004, que la recourante est "une amie" de son frère. Ces
quelques éléments ne suffisent pas à établir l'existence d'une relation
étroite et effectivement vécue au sens de la jurisprudence précitée.

Il ne peut par ailleurs pas être question d'un mariage imminent. La
recourante invoque vainement, à ce propos, la difficulté d'obtenir un divorce
en droit philippin. Rien ne l'empêchait toutefois d'ouvrir une action en
divorce en Suisse (art. 59 lettre b LDIP), le droit suisse étant alors
applicable pour le cas où il se confirmerait que le droit philippin exclut le
divorce ou le rend excessivement difficile (art. 60 al. 3 LDIP). La
recourante déclare certes envisager d'initier une telle requête à Genève:
l'indication apparaît cependant beaucoup trop vague pour qu'il soit possible
de conclure à une démarche imminente. En outre, la recourante étant pourvue
d'un conseil depuis le mois de juin 2004, on pouvait attendre d'elle qu'elle
se renseignât sans retard sur les possibilités de divorcer en Suisse, s'il
était véritablement dans ses intentions d'obtenir au plus vite la dissolution
de son précédent mariage.

5.3 La recourante se plaint enfin d'une inégalité de traitement et se
prévaut, à l'appui de ce grief, du cas de sa compatriote S. L., laquelle a
été mise au bénéfice d'une exception aux mesures de limitation.

Le Département fédéral admet lui-même que les seules différences existant
entre les deux cas tiennent à la durée respective du séjour des intéressées -
quatorze ans dans le cas admis par l'Office fédéral et onze ans pour la
recourante - et à leur âge respectif - S. L. est née en janvier 1954, soit
près de quatre ans avant la recourante -. L'autorité intimée admet que, dans
ces conditions, une inégalité de traitement au détriment de la recourante
pourrait difficilement être contestée.

Même si la personne en question avait bénéficié d'un traitement non conforme
aux principes posés par la jurisprudence la plus récente du Tribunal fédéral
et rappelés dans la circulaire du 17 septembre 2004 (circulaire remplaçant
celle du 21 décembre 2001 concernant la réglementation du séjour des
étrangers dans les cas personnels d'extrême gravité), nul ne saurait invoquer
le principe de l'égalité de traitement pour bénéficier d'une faveur
illégalement accordée à un tiers. La jurisprudence du Tribunal fédéral
reconnaît en certaines circonstances un droit à l'égalité dans l'illégalité;
encore faut-il, entre autres conditions cumulatives, que l'on puisse prévoir
que l'autorité compétente persévérera dans l'inobservation de la loi (ATF 127
II 113 consid. 9 p. 121 et les références). Or, comme l'a relevé à juste
titre l'autorité intimée, rien n'indique que I'Office fédéral se proposerait
de persister dans une telle pratique illégale. Par ailleurs, il s'agit ici
d'un domaine où il est très difficile de faire des comparaisons, les
particularités du cas d'espèce étant déterminantes dans l'appréciation d'un
éventuel cas de rigueur. Le moyen apparaît donc lui aussi mal fondé.

6.
Il résulte de ce qui précède que le recours doit être rejeté. Succombant, la
recourante doit supporter un émolument judiciaire, auquel il n'y a pas de
raison de renoncer (art. 156 al. 1, 153 et 153a OJ) et n'a pas droit à des
dépens (art. 159 al. 1 OJ).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est rejeté.

2.
Un émolument judiciaire de 1'500 fr. est mis à la charge de la recourante.

3.
Le présent arrêt est communiqué en copie au mandataire de la recourante et au
Département fédéral de justice et police ainsi qu'à l'Office cantonal de la
population du canton de Genève.

Lausanne, le 2 août 2006

Au nom de la IIe Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse

Le président:  La greffière: