Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

II. Öffentlich-rechtliche Abteilung 2A.184/2006
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{T 0/2}
2A.184/2006 /svc

Arrêt du 23 janvier 2007
IIe Cour de droit public

MM. et Mme les Juges Merkli, Président,
Wurzburger et Yersin.
Greffier: M. Addy.

A. ________,
recourante, représentée par Me Patricia Michellod,
contre

Service de la population du canton de Vaud,
avenue de Beaulieu 19, 1014 Lausanne,
Tribunal administratif du canton de Vaud,
avenue Eugène-Rambert 15, 1014 Lausanne.

Autorisation d'entrée et de séjour
(regroupement familial),

recours de droit administratif contre l'arrêt du
Tribunal administratif du canton de Vaud
du 3 mars 2006.

Faits :

A.
A la suite de son mariage avec un ressortissant suisse en mars 1996,
A.________, ressortissante marocaine née en 1966, a été mise au bénéfice
d'une autorisation de séjour transformée par la suite en autorisation
d'établissement. Elle s'est séparée de son mari le 18 janvier 2003, puis
s'est divorcée et remariée, apparemment vers le début de l'année 2005, avec
un ressortissant marocain qui est nouvellement venu la rejoindre en Suisse au
titre du regroupement familial. Elle est la mère d'une fille, B.________, née
le 11 juillet 1989 au Maroc. Cette dernière vit depuis sa naissance dans ce
pays où ses grands-parents maternels veillent à son éducation depuis le
départ de sa mère pour la Suisse.
Le 4 janvier 2005, B.________ a déposé une demande d'entrée et de séjour en
Suisse au titre du regroupement familial. Sa mère a indiqué à l'autorité
compétente que les grands-parents n'étaient plus en mesure de pourvoir à
l'éducation de leur petite-fille en raison de leur âge, tandis qu'elle-même
jouissait d'une situation personnelle, familiale et professionnelle lui
permettant d'accueillir sa fille dans de bonnes conditions; comme projet
d'avenir pour celle-ci, encore étudiante, elle indiquait qu'elle envisageait
de lui faire débuter un apprentissage à son arrivée en Suisse.
Par décision du 23 septembre 2005, le Service cantonal de la population du
canton de Vaud (ci-après: le Service cantonal) a refusé de délivrer une
autorisation d'entrée et de séjour à B.________, au motif notamment que
celle-ci avait le centre de ses intérêts dans son pays d'origine et que sa
requête était abusive, car elle était tardive et paraissait surtout motivée
par des raisons économiques.

B.
A.________ a recouru pour sa fille contre la décision précitée du Service
cantonal. Elle indiquait qu'elle n'avait pas demandé plus tôt une demande
d'autorisation de séjour en faveur de son enfant en raison de l'opposition de
son époux d'alors qui jugeait que leur situation financière ne leur
permettait pas de le faire.
Par arrêt du 3 mars 2006, le Tribunal administratif du canton de Vaud a
rejeté le recours, au motif que la relation familiale entre la requérante et
sa mère n'avait pas un caractère prépondérant et qu'aucun changement
déterminant des circonstances ne justifiait une modification de la prise en
charge éducative de l'enfant, les grands-parents étant en mesure, malgré leur
âge, de continuer à s'occuper de leur petite-fille au Maroc.

C.
Agissant par la voie du recours de droit administratif, A.________ demande au
Tribunal fédéral de réformer, sous suite de frais et dépens, l'arrêt précité
du Tribunal administratif, en ce sens que l'autorisation de séjour demandée
en faveur de sa fille soit accordée. Elle reprend, pour l'essentiel, les
arguments développés en procédure cantonale et allègue, certificat médical à
l'appui, que sa mère souffre d'une maladie invalidante et qu'elle n'est
physiquement plus en état de s'occuper de sa petite-fille.
Le Tribunal administratif et l'Office fédéral des migrations renoncent à
déposer des observations et renvoient aux considérants de l'arrêt attaqué.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
L'entrée en vigueur, le 1er janvier 2007, de la loi sur le Tribunal fédéral
du 17 juin 2005 (LTF; RO 2006 1205 - RS 173.110), a entraîné l'abrogation de
la loi fédérale d'organisation judiciaire du 16 décembre 1943 (OJ) (cf. art.
131 al. 1 LTF). Comme l'arrêt attaqué a été rendu avant le 31 décembre 2006,
cette dernière loi reste néanmoins encore applicable au présent litige à
titre de réglementation transitoire (cf. art. 132 al. 1 LTF a contrario).

2.
Célibataire et âgée de moins de dix-huit ans, la fille de la recourante a
normalement le droit d'être incluse dans l'autorisation d'établissement de sa
mère en vertu de l'art. 17 al. 2 3ème phrase LSEE. Par ailleurs, dans la
mesure où elle entretient avec elle des relations apparemment réelles et
effectives (sur ce point, cf. infra consid. 3.2), elle peut également, sur le
principe, déduire de l'art. 8 CEDH le droit à une autorisation de séjour (cf.
ATF 129 II 193 consid. 5.3.1 p. 211, 215 consid. 4.1 p. 218). Le motif
d'irrecevabilité prévu à l'art. 100 al. 1 lettre b ch. 3 OJ n'est dès lors
pas opposable à la recourante (cf. ATF 131 II 339 consid. 1 p. 342; 130 II
388 consid. 1.1 p. 389, 281 consid. 2.1 p. 284 et les arrêts cités) et il
convient d'entrer en matière sur le recours, formé en temps utile et dans les
formes prescrites, sans préjudice du sort du litige et de la question - qui
relève du fond - de savoir si les conditions prévues par les art. 17 al. 2
LSEE et 8 CEDH sont remplies (cf. ATF 119 Ib 81 consid. 2a p. 84; 118 Ib 153
consid. 2a p. 158).

3.
3.1 Selon la jurisprudence (cf. ATF 129 II 11 consid. 3.1.1 p. 14; 126 II 329
consid. 2a p. 330 et les arrêts cités), le but de l'art. 17 al. 2 LSEE est de
permettre le maintien ou la reconstitution d'une communauté familiale
complète entre les deux parents et leurs enfants communs encore mineurs (la
famille nucléaire). Il n'existe dès lors pas un droit inconditionnel de faire
venir auprès du seul parent établi en Suisse des enfants qui ont grandi à
l'étranger dans le giron de leur autre parent ou de proches (regroupement
familial partiel). La reconnaissance d'un tel droit suppose que le parent
concerné ait avec ses enfants une relation familiale prépondérante en dépit
de la séparation et de la distance et qu'un changement important des
circonstances, notamment d'ordre familial, se soit produit, rendant
nécessaire le déplacement des enfants en Suisse, comme par exemple une
modification des possibilités de leur prise en charge éducative à l'étranger
(cf. ATF 129 II 11 consid. 3.1.3 p. 14 s., 249 consid. 2.1 p. 252). Ces
restrictions sont pareillement valables lorsqu'il s'agit d'examiner sous
l'angle de l'art. 8 CEDH la question du droit au regroupement familial
(partiel) d'enfants de parents séparés ou divorcés (cf. ATF 129 II 249
consid. 2.4 p. 256; 126 II 329 consid. 3b p. 332; 125 II 633 consid. 3a
p. 639/640 et les arrêts cités).
Dans un arrêt du 19 décembre 2006 destiné à la publication (cause
2A.316/2006), le Tribunal fédéral a maintenu et explicité sa jurisprudence.
Il a indiqué qu'un droit au regroupement familial partiel ne doit, dans
certains cas et sous réserve d'abus de droit, pas être d'emblée exclu, même
s'il est exercé plusieurs années après la séparation de l'enfant avec le
parent établi en Suisse et si l'âge de l'enfant est alors déjà relativement
avancé. Tout est affaire de circonstances. Il s'agit de mettre en balance,
d'une part, l'intérêt privé de l'enfant et du parent concernés à pouvoir
vivre ensemble en Suisse et, d'autre part, l'intérêt public de ce pays à
poursuivre une politique restrictive en matière d'immigration. L'examen du
cas doit être global et tenir particulièrement compte de la situation
personnelle et familiale de l'enfant et de ses réelles chances de s'intégrer
en Suisse. A cet égard, le nombre d'années qu'il a vécues à l'étranger et la
force des attaches familiales, sociales et culturelles qu'il s'y est créées,
de même que l'intensité de ses liens avec le parent établi en Suisse, son
âge, son niveau scolaire ou encore ses connaissances linguistiques, sont des
éléments primordiaux dans la pesée des intérêts. Un soudain déplacement de
son cadre de vie peut en effet constituer un véritable déracinement pour lui
et s'accompagner de grandes difficultés d'intégration dans un nouveau pays
d'accueil. De plus, une longue durée de séparation d'avec son parent établi
en Suisse a normalement pour effet de distendre ses liens affectifs avec ce
dernier, en même temps que de resserrer ces mêmes liens avec le parent et/ou
les proches qui ont pris soin de lui à l'étranger, dans une mesure pouvant
rendre délicat un changement de sa prise en charge éducative. C'est pourquoi
il faut autant que possible privilégier la venue en Suisse de jeunes enfants,
mieux à même de s'adapter à un nouvel environnement (familial, social,
éducatif, linguistique, scolaire, ...) que des adolescents ou des enfants
proches de l'adolescence (cf. arrêt précité du 19 décembre 2006, consid. 3 et
5).
D'une manière générale, plus un enfant a vécu longtemps à l'étranger et se
trouve à un âge proche de la majorité, plus les motifs justifiant le
déplacement de son centre de vie doivent apparaître impérieux et solidement
étayés. Le cas échéant, il y aura lieu d'examiner s'il existe sur place des
alternatives concernant sa prise en charge éducative qui correspondent mieux
à sa situation et à ses besoins spécifiques, surtout si son intégration en
Suisse s'annonce difficile au vu des circonstances (âge, niveau scolaire,
connaissances linguistiques, ...) et si ses liens affectifs avec le parent
établi dans ce pays n'apparaissent pas particulièrement étroits. Pour
apprécier l'intensité de ceux-ci, il faut notamment tenir compte du temps que
l'enfant et le parent concernés ont passé ensemble avant d'être séparés, et
examiner dans quelle mesure ce parent a concrètement réussi depuis lors à
maintenir avec son enfant des relations privilégiées malgré la distance et
l'écoulement du temps, en particulier s'il a eu des contacts réguliers avec
lui (au moyen de visites, d'appels téléphoniques, de lettres, ...), s'il a
gardé la haute main sur son éducation et s'il a subvenu à son entretien. Il y
a également lieu, dans la pesée des intérêts, de prendre en considération les
raisons qui ont conduit le parent établi en Suisse à différer le regroupement
familial, ainsi que sa situation personnelle et familiale et ses possibilités
concrètes de prise en charge de l'enfant (cf. arrêt précité du 19 décembre
2006, consid. 3 et 5).

3.2 En l'espèce, la fille de la recourante a toujours vécu au Maroc, où elle
est élevée par ses grands-parents depuis que sa mère est arrivée en Suisse,
peu avant ou après s'être mariée en mars 1996. A ce jour, l'enfant n'est
jamais venu en Suisse, même pour des séjours touristiques, et sa mère n'a
jamais déposé en sa faveur une demande de regroupement familial avant celle -
ici litigieuse - du 4 janvier 2005. Depuis qu'elles vivent séparées l'une de
l'autre, leurs relations se sont limitées à quelques séjours de la mère au
Maroc et à des contacts téléphoniques. Pour réelles et effectives qu'elles
soient, les relations entre la recourante et sa fille ne revêtent dès lors
pas le caractère prépondérant exigé par la jurisprudence. Certes, les
intéressées ont apparemment partagé leur existence jusqu'à ce que l'enfant
ait atteint l'âge de 6 ans et 8 mois environ. Au moment où la demande de
regroupement familial a été déposée, elles vivaient toutefois séparées l'une
de l'autre depuis près de neuf années. Or, la recourante ne démontre pas ni
même n'allègue qu'elle aurait, pendant tout ce temps, continué d'assumer de
manière effective la responsabilité principale de l'éducation de sa fille, en
intervenant à distance de manière décisive pour régler son existence sur les
questions essentielles, au point de reléguer le rôle joué par les
grands-parents à l'arrière-plan (cf. arrêt précité 2A.316/2006, consid.
3.1.1, 6.2.1 et 6.3.1 et les références citées).
C'est en vain que la recourante se prévaut des problèmes de santé de sa mère
pour justifier la nécessité de modifier la prise en charge éducative de sa
fille. Allégué pour la première fois en procédure fédérale, ce fait a valeur
de nova et n'est pas recevable (cf. art. 105 al. 2 OJ; ATF 130 II 493 consid.
2 p. 497; 128 II 145 consid. 1.2.1 p. 150 et les arrêts cités). Au demeurant,
le certificat médical déposé à l'appui du recours n'établit pas que la
grand-mère serait dorénavant incapable, en raison de son invalidité ou de son
âge, de s'occuper de sa petite-fille. Par ailleurs, la recourante ne dit rien
des possibilités du grand-père de seconder son épouse dans cette tâche, le
cas échéant des motifs l'en empêchant. Il y a dès lors lieu d'admettre, comme
l'ont retenu les premiers juges de manière à lier le Tribunal fédéral (cf.
art. 105 al. 2 OJ; ATF 132 II 21 consid. 2 p. 24), que l'entretien et
l'éducation de la requérante sont assurés au Maroc. D'autant que celle-ci,
âgée de 15 ? ans au moment déterminant du dépôt de la demande, ne nécessitait
déjà alors plus les mêmes soins et la même attention qu'un jeune enfant.
Dans ces conditions, une modification de sa prise en charge éducative
n'apparaît ni nécessaire, ni indiquée: l'intéressée compte en effet, à
l'exception de sa mère, ses relations familiales au Maroc (soit ses
grands-parents maternels, mais aussi son père et vraisemblablement d'autres
membres de sa parenté), de même que toutes ses attaches sociales et
culturelles. Par ailleurs, les liens avec sa mère n'apparaissent pas
particulièrement étroits et elle est arrivée à un âge où son déplacement dans
un nouveau cadre de vie serait assurément vécu comme un profond déracinement
et n'irait pas sans poser des problèmes d'intégration.

3.3 Au vu des circonstances, le Tribunal administratif a pesé les intérêts en
présence d'une manière conforme au droit fédéral et à l'art. 8 CEDH.

4.
Il suit de ce qui précède que le recours est mal fondé.
Succombant, la recourante doit supporter les frais de justice (art.156 al. 1
OJ) et n'a pas droit à des dépens (art. 159 al. 1 OJ).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est rejeté.

2.
Un émolument judiciaire de 1'500 fr. est mis à la charge de la recourante.

3.
Le présent arrêt est communiqué en copie à la mandataire de la recourante, au
Service de la population et au Tribunal administratif du canton de Vaud,
ainsi qu'à l'Office fédéral des migrations.

Lausanne, le 23 janvier 2007

Au nom de la IIe Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse

Le président:  Le greffier: