Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
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II. Öffentlich-rechtliche Abteilung 2A.165/2006
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{T 0/2}
2A.165/2006 /viz

Arrêt du 5 septembre 2006
IIe Cour de droit public

MM. et Mme les Juges Merkli, Président,
Hungerbühler et Yersin.
Greffier: M. Vianin.

Administration cantonale des impôts du canton de Vaud, 1014 Lausanne,
recourante,

contre

A.________,
intimé, représenté par Me Philippe Vogel, avocat,

Tribunal administratif du canton de Vaud,
avenue Eugène-Rambert 15, 1014 Lausanne.

Impôt fédéral direct, périodes fiscales 1995/1996 et 1997/1998,

recours de droit administratif contre l'arrêt du Tribunal administratif du
canton de Vaud du 20 février 2006.

Faits:

A.
A. ________ exploite sur le territoire de la commune de Roche un camping qui
comporte notamment une buvette et un magasin. Il exploite également un
atelier mécanique qui a pour objet, selon l'inscription au registre du
commerce, la vente, la réparation et l'importation de véhicules et de
machines agricoles et industriels.

Par décision de taxation du 26 février 1997, l'Office des impôts du district
d'Aigle a retenu, pour l'impôt fédéral direct de la période 1995/96, que le
prénommé avait réalisé un revenu imposable moyen de 112'900 fr. par année.
Cette décision est entrée en force.

Par décision de taxation du 8 décembre 1998, la même autorité a retenu, pour
l'impôt fédéral direct de la période 1997/98, un revenu imposable moyen de
135'500 fr. A.________ a formé une réclamation à l'encontre de cette
taxation.

En août 1998, l'Administration fédérale des contributions, Division
principale de la taxe sur la valeur ajoutée, a effectué un contrôle fiscal
chez A.________. Selon la communication établie le 9 novembre 1998 à
l'intention de la Division principale de l'impôt fédéral direct, de l'impôt
anticipé et des droits de timbre, des lacunes avaient été constatées dans
l'établissement des livres auxiliaires ainsi que dans la comptabilisation.
Par conséquent, la Division principale de la taxe sur la valeur ajoutée avait
procédé à une nouvelle détermination du chiffre d'affaires en se basant sur
les copies de factures clients, les quittances, les fiches de contrôle du
camping et les décomptes établis à l'intention du Touring Club suisse. Les
comptes 1995 et 1996 concernant le camping, joints à la déclaration fiscale
1997/98, ne comprenaient pas les revenus de la buvette et du magasin et, au
surplus, n'étaient pas fiables. Les recettes non comptabilisées se montaient
à 149'729 fr. pour 1995 et à 103'346 fr. pour 1996. S'agissant des comptes
1995 et 1996 de l'atelier, des montants importants (à savoir 135'000 fr. en
1995 et 90'000 fr. en 1996, montants correspondant à des encaissements pour
des livraisons pour lesquelles aucune facture n'avait été établie) n'avaient
pas été comptabilisés et la comptabilité, à nouveau, n'était pas fiable. Au
total, les recettes non comptabilisées se montaient à 162'988 fr. pour 1995
et à 130'346 fr. pour 1996.

Informée de ce que l'Administration fédérale des contributions avait constaté
des lacunes dans l'établissement des comptes 1995 et 1996 de A.________,
l'Administration cantonale des impôts a ouvert à l'encontre de ce dernier, le
18 décembre 1998, une enquête pour soustraction fiscale.

Le 25 novembre 2002, l'Administration cantonale des impôts a rendu une
décision de rappel d'impôt et d'amendes par laquelle elle a retenu, pour
l'impôt fédéral direct, un revenu imposable moyen de 236'700 fr. pour la
période 1995/96 et de 332'000 fr. par année pour la période 1997/98. Elle a
au surplus prononcé une amende équivalant à une fois le montant soustrait
pour la période 1995/96 et à deux tiers du montant dont la soustraction avait
été tentée pour la période 1997/98. Le montant total des amendes s'élevait à
66'300 fr. pour l'impôt fédéral direct. S'agissant de la période fiscale
1997/98 (années de calcul 1995/96), l'Administration cantonale des impôts
s'était basée sur les recettes calculées par l'Administration fédérale des
contributions.

B.
La réclamation interjetée par A.________ a été rejetée par décision du 28
juillet 2003. S'agissant de la période fiscale 1995/96 (années de calcul
1993/94), l'Administration cantonale des impôts a évoqué la méthode qu'elle
avait utilisée pour déterminer le revenu imposable:
"Cette méthode [...] consistait à dégager, à la lumière du rapport de
révision de la TVA, une marge sur la base des charges comptabilisées et à
appliquer ensuite la même marge aux charges comptabilisées pour les autres
années. Cette méthode repose sur l'idée qu'en principe toutes les charges
sont comptabilisées."
Le réclamant, qui supportait le fardeau de la preuve en l'absence de
comptabilité probante, n'avait pas démontré l'inexactitude manifeste des
montants ainsi obtenus par extrapolation.

Cette décision a été déférée au Tribunal administratif du canton de Vaud. Par
arrêt du 20 février 2006, cette autorité a admis le recours, annulé la
décision sur réclamation du 28 juillet 2003 ainsi que la décision du 25
novembre 2002 et renvoyé le dossier à l'Administration cantonale des impôts
afin qu'elle complète l'instruction dans le sens des considérants et statue à
nouveau. Elle a considéré ce qui suit:
"[...] il ressort clairement de la communication adressée le 9 novembre 1998
à l'Administration cantonale des impôts par la Division d'inspection de la
taxe sur la valeur ajoutée que le recourant n'a pas comptabilisé
d'importantes recettes pendant les années 1995 et 1996. [...] Mais le chiffre
d'affaire réalisé pour ces activités ne peut être retenu sans prendre en
considération les charges grevant ces recettes. Les explications données par
l'Administration cantonale des impôts concernant le mode de calcul de ces
charges ne sont pas claires. Il ressort en tous les cas de la décision
attaquée que les reprises portent sur le montant du chiffre d'affaire sans
aucune déduction des charges. Il est vrai qu'il incombe en principe au
contribuable d'apporter la preuve des charges grevant le chiffre d'affaire,
mais l'existence même de charges dans une telle activité est un fait notoire
et l'autorité intimée ne saurait les nier sans s'écarter d'un élément évident
et essentiel à la détermination du bénéfice brut et de la marge. [...]

Le tribunal arrive ainsi à la conclusion que le recourant a dissimulé à la
fois les recettes et les charges liées au chiffre d'affaire repris pour les
activités concernant le camping et l'atelier. Pour apprécier les charges
grevant le chiffre d'affaire, l'autorité intimée peut se référer aux
coefficients expérimentaux qu'elle détient ou à défaut, à tous autres moyens
en sa possession pour procéder à une estimation des bénéfices soustraits dans
les deux domaines principaux d'activité du recourant, à savoir le camping et
l'atelier. Dès lors que le montant des reprises doit être réexaminé, c'est
l'ensemble des décisions [...] qui doivent être annulées."

C.
Agissant par la voie du recours de droit administratif, l'Administration
cantonale des impôts demande au Tribunal fédéral, sous suite de frais,
d'annuler l'arrêt du 20 février 2006 et de confirmer la décision du 28
juillet 2003, dans la mesure où ils concernent l'impôt fédéral direct. Elle
effectue une comparaison entre les charges directes et les frais généraux
ressortant des comptes 1993 à 1996 et ceux comptabilisés lors des années 2001
à 2004, aux fins de démontrer que les premiers montants - qu'elle a retenus -
ne sont pas manifestement inexacts et qu'ainsi il est faux d'affirmer, comme
le fait l'autorité intimée, qu'elle aurait omis de déduire des charges pour
les années en cause. S'agissant de la période fiscale 1997/98, elle s'est
basée sur le chiffre d'affaires des années 1995 et 1996, tel qu'il a été
"méticuleusement reconstitué" par l'inspecteur de la Division principale de
la taxe sur la valeur ajoutée, de sorte que, selon elle, "pour ces deux
années de calcul, on ne voit pas sur quelles données plus précises il y
aurait lieu de se fonder". Concernant la période fiscale 1995/96, elle fait
valoir qu'elle ne dispose pas de coefficients expérimentaux pour les
multiples activités exercées par A.________ et elle ne voit pas comment elle
pourrait estimer les charges ainsi que les bénéfices soustraits, comme
l'autorité intimée le lui demande. De son point de vue, l'autorité intimée a
"mal appliqué le droit fédéral en admettant en déduction du bénéfice des
charges dont l'existence n'a pas été prouvée ni même rendue vraisemblable".

L'autorité intimée ainsi que l'intimé concluent au rejet du recours, ce
dernier sous suite de frais et dépens. L'Administration fédérale des
contributions propose de l'admettre.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
1.1 Le Tribunal fédéral examine d'office et librement la recevabilité des
recours qui lui sont soumis (ATF 132 III 291 consid. 1 p. 292; 131 I 57
consid. 1 p. 59, 145 consid. 2 p. 147).

1.2 Les décisions incidentes peuvent faire séparément l'objet d'un recours de
droit administratif - à l'instar des décisions finales -, à condition
qu'elles puissent causer un préjudice irréparable (art. 97 al. 1 OJ en
relation avec les art. 5 al. 2 et 45 al. 1 à 3 PA). L'art. 45 al. 2 PA
contient une énumération exemplative de décisions qui sont de nature à causer
un tel préjudice et peuvent donc faire séparément l'objet d'un recours de
droit administratif.

Une décision par laquelle une commission cantonale de recours renvoie la
cause à l'autorité de taxation afin qu'elle procède à des mesures
d'instruction supplémentaires et qu'elle prenne une nouvelle décision, sans
lui enjoindre dans quel sens la rendre, est une décision incidente. En
principe, une telle décision ne cause pas de préjudice irréparable et,
partant, ne peut être attaquée séparément (2A.469/1996, Archives 67 p. 661,
RDAF 1999 II p. 245, consid. 1c; 2A.255/1991, Archives 62 p. 490, StE 1993 B
96.13 n° 2, RDAF 1994 p. 432, consid. 1b). En revanche, lorsqu'une décision
de renvoi contient des instructions impératives destinées aux autorités
inférieures, elle met fin à la procédure sur les points tranchés dans les
considérants. Saisi d'un recours de droit administratif, le Tribunal fédéral
considère qu'il s'agit, en ce qui concerne ces points, d'une décision finale.
Ainsi, même si elle ne clôt pas la procédure, une telle décision peut faire
l'objet d'un recours de droit administratif, mais uniquement sur les points
qu'elle tranche définitivement, en particulier sur des questions de principe
(2A.407/1994, Archives 66 p. 56, RF 52/1997 p. 195, StE 1997 B 64.1 n° 5,
consid. 1b; cf. aussi ATF 129 I 313 consid. 3.2 p. 317; 118 Ib 196 consid. 1b
p. 198/199).

1.3 En substance, l'arrêt attaqué signifie que le calcul du revenu imposable
effectué par l'Administration cantonale des impôts, qui consiste, pour la
période fiscale 1997/98, à ajouter au revenu (net) déclaré les recettes
(brutes) non comptabilisées selon le rapport TVA, sans déduction d'autres
charges que celles prises en compte dans le calcul du revenu net, n'est pas
soutenable en l'état, c'est-à-dire sur la base du seul postulat de
l'Administration cantonale des impôts selon lequel "en principe toutes les
charges sont comptabilisées" et sans avoir procédé à des investigations
supplémentaires (par exemple en recourant aux coefficients expérimentaux).
Par ailleurs, en relevant que les indications données au sujet de la méthode
de calcul ne sont pas claires, l'autorité intimée demande un complément
d'explication, qui peut se justifier notamment en ce qui concerne la méthode
utilisée pour calculer le revenu imposable de la période fiscale 1995/96
(l'exemple chiffré joint au recours [PJ n° 14], où la "marge redressée" est
appliquée au chiffre d'affaires d'une autre période, contredit en effet en
partie les indications contenues dans la décision sur réclamation, selon
lesquelles la marge a été appliquée "aux charges comptabilisées pour les
autres années").

Interprété ainsi, l'arrêt attaqué ne tranche aucune question de fond, ne
préjuge en rien du résultat de la taxation et n'exclut pas que
l'Administration cantonale des impôts, après avoir procédé au complément
d'instruction, confirme sa première taxation. Dès lors, il s'agit d'une
décision incidente. La question de savoir si une telle décision est de nature
à causer un préjudice irréparable à l'administration fiscale, de telle sorte
que celle-ci pourrait l'attaquer séparément par la voie du recours de droit
administratif, a été laissée ouverte dans l'arrêt 2A.469/1996, précité
(consid. 1c). Elle peut demeurer indécise en l'espèce également. En effet, le
délai pour recourir contre une décision incidente est de 10 jours (art. 106
al. 1 OJ). En l'occurrence, la recourante, qui avait reçu l'arrêt entrepris
le 23 février 2006, a remis son recours à la poste le 23 mars 2006. Il est
vrai que l'arrêt attaqué mentionnait par erreur que le délai de recours était
de 30 jours. Toutefois, selon la jurisprudence, une autorité telle que
l'administration fiscale est supposée connaître le droit et ne peut se
prévaloir de cette indication erronée au titre du droit à la protection de la
bonne foi (2A.469/1996, précité, consid. 1d). Dès lors, le recours apparaît
tardif.

2.
Vu ce qui précède, il y a lieu de déclarer le recours irrecevable.

Succombant, la recourante doit supporter les frais judiciaires (art. 156 al.
1, 153 et 153a OJ).

L'intimé a droit à des dépens (art. 159 al. 1 OJ), qu'il convient de mettre à
la charge de la recourante.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est déclaré irrecevable.

2.
Un émolument judiciaire de 2'000 fr. est mis à la charge de la recourante.

3.
La recourante versera à l'intimé une indemnité de 1'000 fr. à titre de
dépens.

4.
Le présent arrêt est communiqué en copie à la recourante, au mandataire de
l'intimé, au Tribunal administratif du canton de Vaud ainsi qu'à
l'Administration fédérale des contributions, Division juridique impôt fédéral
direct.

Lausanne, le 5 septembre 2006

Au nom de la IIe Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse

Le président:  Le greffier: