Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Öffentlich-rechtliche Abteilung 1P.86/2006
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1P.86/2006/col

Arrêt du 3 avril 2006
Ire Cour de droit public

MM. les Juges Féraud, Président,
Aeschlimann et Fonjallaz.
Greffier: M. Parmelin.

A. ________,
recourant, représenté par Me Dominique Warluzel, avocat,

contre

C.________, Juge d'instruction,
intimé,
Procureur général de la République et canton de Genève, place du
Bourg-de-Four 1, case postale 3565, 1211 Genève 3,
Collège des juges d'instruction de la République et canton de Genève, rue des
Chaudronniers 9,
case postale 3344, 1211 Genève 3.

procédure pénale; récusation,

recours de droit public contre la décision du Collège des juges d'instruction
de la République et canton de Genève du 14 décembre 2005.

Faits:

A.
Le Juge d'instruction C.________ instruit une procédure pénale ouverte le 19
septembre 2001 sur plainte de la banque X.________ contre A.________ des
chefs de complicité de gestion déloyale qualifiée et d'escroquerie.
Le 7 novembre 2005, ce magistrat a procédé à l'audition en tant que témoin de
B.________, qui s'occupait notamment de la gestion des crédits accordés au
"groupe A.________" par la banque X.________. A l'issue de la séance, le
témoin s'est entretenu brièvement avec le juge d'instruction, puis avec
A.________ et son conseil, auxquels il aurait fait part de certains éléments,
dont il n'aurait pas parlé durant son audition, et des pressions qu'il aurait
subies de la part de la banque pour ne pas les divulguer.
Le lendemain, A.________ a demandé à ce que B.________ soit réentendu avant
tout autre acte d'instruction et à ce que soient versées au dossier les
pièces dont le juge d'instruction avait refusé la production en date du 31
août 2005, à savoir un rapport établi par le témoin au cours de l'été 2001 à
l'attention de l'ex-conseillère d'Etat Micheline Calmy-Rey et le rapport de
la séance spéciale du Comité de banque du 25 octobre 2001 au cours de
laquelle fut décidé ou avalisé le transfert des créances du "groupe
A.________" à la Fondation de Valorisation des Actifs de la banque
X.________. Il a renouvelé sa requête à deux reprises, dont la dernière en
date du 14 novembre 2005.
Par ordonnance du 16 novembre 2005, le juge d'instruction a suspendu
partiellement l'instruction contradictoire de la procédure, la consultation
du dossier et le droit d'en lever copie, aux fins d'entendre les personnes
impliquées dans les faits dénoncés sans que celles-ci puissent moduler leurs
réponses en fonction des éléments recueillis. Les auditions ont été conduites
par le Juge d'instruction D.________ entre le 25 et le 29 novembre 2005.
Le 18 novembre 2005, A.________ a sollicité la récusation du juge
d'instruction C.________ qu'il considérait comme prévenu à son égard et
plongé dans un conflit d'intérêt en raison de son attitude à l'issue de
l'audience du 7 novembre 2005 et de son refus de verser à la procédure les
documents requis.
Par décision du 14 décembre 2005, le Collège des juges d'instruction de la
République et canton de Genève a rejeté cette requête.

B.
Agissant par la voie du recours de droit public, A.________ demande au
Tribunal fédéral d'annuler cette décision qu'il tient pour arbitraire et
contraire à ses droits à un juge impartial et à une décision motivée.
Le juge d'instruction intimé et le Procureur général concluent au rejet du
recours. Le Collège des juges d'instruction propose également de le rejeter
dans la mesure où il est recevable.

C.
Par ordonnance du 15 février 2006, le juge présidant la Ire Cour de droit
public a rejeté la requête d'effet suspensif.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
Seule la voie du recours de droit public pour violation des droits
constitutionnels des citoyens au sens de l'art. 84 al. 1 let. a OJ est
ouverte pour contester une décision sur récusation (ATF 129 III 88 consid.
2.2 p. 89/90). Le recours est recevable, indépendamment de l'existence d'un
préjudice irréparable (art. 87 al. 1 OJ). L'auteur de la demande de
récusation a qualité, au sens de l'art. 88 OJ, pour en contester le rejet.
Les autres conditions de recevabilité du recours de droit public sont
réunies, de sorte qu'il y a lieu d'entrer en matière sur le fond.

2.
Le recourant se plaint à divers titres d'une violation de son droit d'être
entendu garanti à l'art. 29 al. 2 Cst. Il reproche tout d'abord au Collège
des juges d'instruction d'avoir admis à tort que l'application de l'art. 91
de la loi genevoise d'organisation judiciaire (LOJ gen.) était seule
envisageable, alors qu'il avait également invoqué l'art. 92 de cette loi pour
justifier sa requête de récusation en soutenant que le juge d'instruction
était devenu juge et partie au vu de sa réaction à l'issue de l'audience du 7
novembre 2005 et dans les jours qui ont suivi. Même s'il ne s'est pas
expressément référé à l'art. 92 LOJ gen., voire s'il a déclaré peut-être à
tort que seul l'art. 91 LOJ gen. entrait en considération, le Collège des
juges d'instruction n'a pas ignoré les allégations du recourant selon
lesquelles le magistrat intimé serait face à un conflit d'intérêts ou animé
par la volonté de justifier des décisions antérieures prétendument erronées;
il les a au contraire écartées au motif qu'elles n'étaient étayées par aucun
élément un tant soi peu tangible et qu'elles relevaient manifestement d'une
représentation très subjective de la réalité.
Le recourant reproche ensuite au Collège des Juges d'instruction de ne pas
avoir examiné si les violations alléguées de l'obligation de tenir un
procès-verbal complet, d'instruire à décharge et en contradictoire
démontraient une attitude partiale du magistrat intimé sous prétexte qu'il
appartenait à l'autorité de recours et non au juge de la récusation de se
prononcer sur le respect par le juge d'instruction des devoirs de sa charge.
Ce faisant, le Collège des juges d'instruction n'a fait qu'appliquer la
jurisprudence selon laquelle des décisions ou des actes de procédure viciés,
voire arbitraires ne sauraient donner motif à récusation, mais doivent être
sanctionnés par les voies ordinaires de recours, sous réserve des cas où, par
leur gravité particulière ou leur caractère systématique, ils dénotent une
prévention indéniable de la part du magistrat ou permettent de redouter une
attitude partiale de sa part à l'avenir (cf. ATF 116 Ia 135 consid. 3a p.
138). Quoi qu'il en soit, il a implicitement répondu à ces griefs en
considérant que l'attitude du juge d'instruction immédiatement après
l'audience du 7 novembre 2005 et dans les jours qui ont suivi ne dénotait pas
de prévention de sa part vis-à-vis du recourant, de sorte que celui-ci ne
saurait se plaindre d'un déni de justice ou d'un défaut de motivation.
Le recourant prétend ignorer la manière dont le Collège des juges
d'instruction a apprécié l'influence des déclarations du témoin B.________
sur le devoir d'impartialité du Juge d'instruction C.________. Le Collège des
juges d'instruction a pourtant clairement précisé dans la décision attaquée
que les déclarations subséquentes de B.________ n'étaient pas venues
confirmer l'allégation du prévenu selon laquelle ce magistrat aurait
dissimulé des faits que le témoin aurait divulgués en aparté. Le recourant
connaissait ainsi les raisons pour lesquelles ses arguments avaient été
écartés; il était en mesure de les contester en connaissance de cause, en
mettant en exergue les déclarations du témoin propres à démontrer le
contraire.
Le recourant fait enfin grief au Collège des juges d'instruction d'avoir
examiné le motif de récusation tiré de l'art. 91 let. i LOJ gen. par rapport
au mépris ou à la haine que le magistrat intimé aurait manifesté à son égard,
alors qu'il l'avait évoqué en relation avec la favorisation de la partie
civile. Il y voit, à tort, un déni de justice. Le Collège des juges
d'instruction a en effet considéré que la requête de récusation n'était
justifiée par aucun motif valable et qu'elle devait être rejetée. Cela étant,
on ne saurait admettre qu'il aurait examiné les motifs de récusation allégués
uniquement sous l'angle d'un éventuel mépris ou de la haine et non pas sous
une éventuelle favorisation de la partie civile.
La décision attaquée ne prête pas flanc à la critique sous l'angle de l'art.
29 al. 2 Cst.

3.
Le recourant dénonce une violation de son droit à un juge impartial, tel
qu'il découle des art. 29 al. 1, 30 al. 1 et 32 Cst., 6 § 1 CEDH et 91 al. 1
let. i LOJ gen.

3.1 La garantie d'un tribunal indépendant et impartial instituée à l'art. 30
al. 1 Cst. permet d'exiger la récusation d'un juge dont la situation ou le
comportement est de nature à faire naître un doute sur son impartialité. Elle
tend notamment à éviter que des circonstances extérieures à la cause ne
puissent influencer le jugement en faveur ou au détriment d'une partie. Elle
n'impose pas la récusation seulement lorsqu'une prévention effective du juge
est établie, car une disposition interne de sa part ne peut guère être
prouvée; il suffit que les circonstances donnent l'apparence de la prévention
et fassent redouter une activité partiale du magistrat. Seules les
circonstances constatées objectivement doivent être prises en considération;
les impressions purement individuelles d'une des parties au procès ne sont
pas décisives (ATF 131 I 24 consid. 1.1 p. 25 et les arrêts cités). Une
garantie similaire à celle de l'art. 30 al. 1 Cst. est déduite de l'art. 29
al. 1 Cst., s'agissant des juges d'instruction qui, comme en l'espèce,
n'exercent pas de fonctions juridictionnelles au sens étroit (ATF 127 I 196
consid. 2b p. 198; 125 I 119 consid. 3b p. 123 et les arrêts cités).  L'art.
6 § 1 CEDH, également invoqué, n'accorde pas, à cet égard, une protection
plus étendue que celle offerte par la Constitution fédérale (ATF 131 I 24
consid. 1.1 p. 25; 126 I 235 consid. 2a p. 236). Il en va de même de l'art.
91 al. 1 let. i LOJ gen.

3.2 Le recourant voit un motif de récusation du juge d'instruction en charge
de la procédure pénale ouverte à son encontre dans la manière partiale dont
celui-ci aurait réagi à la suite des événements survenus le 7 novembre 2005.
Selon les déclarations recueillies sous serment, B.________ s'est borné à
faire part au juge d'instruction d'un problème d'éthique en relation avec les
dernières questions qui lui ont été posées avant la suspension de l'audience.
Il n'a en revanche pas prétendu lui avoir dit que le transfert des créances
du "groupe A.________" à la Fondation de Valorisation des Actifs de la banque
X.________ intervenu en automne 2001 était peut-être lié à un besoin de la
banque en fonds propres ni qu'il aurait fait état de pressions de la part de
celle-ci pour ne pas divulguer ces faits, comme le prétend le recourant. Il a
au contraire ajouté avoir hésité à retourner voir le magistrat intimé après
en avoir débattu avec le recourant et son conseil. Il n'était donc pas
arbitraire de déduire des déclarations subséquentes du témoin B.________ que
les propos tenus au juge d'instruction à l'issue de l'audience du 7 novembre
2005 ne contenaient aucune révélation que celui-ci aurait dissimulées, ou
qu'il aurait convenu de faire protocoler immédiatement sous serment, en
audience contradictoire, ou qui auraient justifié l'ouverture d'office d'une
procédure pénale contre la partie civile pour instigation à faux témoignage.
Par la suite, le juge d'instruction a accédé à la demande du prévenu tendant
à réentendre le témoin. Tout au plus peut-on lui reprocher d'avoir attendu
neuf jours et un ultime rappel du recourant pour statuer. On ne saurait
cependant voir objectivement dans un tel délai l'indice d'une prévention à
l'égard de A.________. Il en va de même du choix de suspendre l'instruction
contradictoire de la procédure pour procéder aux auditions. Le juge
d'instruction a justifié cette mesure par la nécessité d'éviter que les
personnes impliquées dans les faits dénoncés ne puissent moduler leurs
réponses en fonction des éléments recueillis. Le recourant y voit pour sa
part un moyen pour le magistrat intimé d'empêcher les prévenus et leurs
conseils d'assister à l'audition de B.________ afin de pouvoir mener celle-ci
comme il l'entend et de s'assurer qu'elle ne fasse pas apparaître a
posteriori la mesure de détention préventive prise précédemment à son égard
comme injustifiée. Le fait que le juge d'instruction ait confié à l'un de ses
collègues le soin de procéder aux auditions permet toutefois d'écarter cette
hypothèse et démontre au contraire son souci d'échapper à d'éventuels
reproches sur son impartialité qui n'auraient pas manqué de lui être faits
s'il avait procédé lui-même aux auditions.
Le recourant voit la démonstration de la volonté du juge d'instruction de
favoriser la plaignante et de faire obstacle à la recherche de la vérité dans
le refus obstiné de verser à la procédure le rapport établi par B.________ à
l'attention de l'ex-conseillère d'Etat Micheline Calmy-Rey et le
procès-verbal de la séance spéciale du Comité de banque du 25 octobre 2001,
alors que ces documents auraient permis d'accréditer sa version des faits
selon laquelle la dénonciation pénale avait été dictée par des motifs
économiques et politiques et non par des infractions répréhensibles. Il n'est
toutefois pas établi que le juge d'instruction aurait statué sur la requête
du recourant tendant à la production de ces documents au dossier. On ne
saurait ainsi dire qu'il est prévenu sur la seule base du fait qu'il aurait
refusé précédemment de les verser à la procédure sous prétexte qu'ils étaient
postérieurs à la dénonciation, ce d'autant que cette décision a été confirmée
sur recours par la Chambre d'accusation de la République et canton de Genève.
Examiné objectivement, le comportement du juge d'instruction à l'issue de
l'audience du 7 novembre 2005 et dans les jours qui ont suivi ne prête pas
flanc à la critique et ne fonde aucun soupçon fondé de partialité à l'égard
du recourant.

4.
Le recours doit par conséquent être rejeté aux frais du recourant qui
succombe (art. 156 al. 1 OJ).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est rejeté.

2.
Un émolument judiciaire de 3'000 fr. est mis à la charge du recourant.

3.
Le présent arrêt est communiqué en copie au mandataire du recourant, au Juge
d'instruction intimé, ainsi qu'au Procureur général et au Collège des juges
d'instruction de la République et canton de Genève.

Lausanne, le 3 avril 2006

Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse

Le président:  Le greffier: