Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Öffentlich-rechtliche Abteilung 1P.837/2006
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{T 0/2}
1P.837/2006 /col

Arrêt du 2 février 2007
Ire Cour de droit public

MM. les Juges Féraud, Président,
Fonjallaz et Eusebio.
Greffier: M. Jomini.

A. ________,
recourante, représentée par Me Mike Hornung, avocat,

contre

B.________, intimé,
C.________, intimé,
représenté par Me François Canonica, avocat,
Procureur général de la République et canton de Genève, case postale 3565,
1211 Genève 3,
Chambre d'accusation de la Cour de justice de la République et canton de
Genève, case postale 3108, 1211 Genève 3.

procédure pénale, classement,

recours de droit public contre l'ordonnance de la Chambre d'accusation de la
Cour de justice de la République et canton de Genève du 6 novembre 2006.

Faits:

A.
La société anonyme A.________ a déposé le 21 novembre 2005 à Genève une
plainte pénale contre C.________ et B.________, pour gestion déloyale, abus
de confiance, vol et infractions à la loi fédérale sur la concurrence
déloyale (LCD). Cette enquête (cause P/20189/2005) a été confiée à un Juge
d'instruction, qui a notamment entendu le directeur de A.________.
Le 31 juillet 2006, le Juge d'instruction a communiqué le dossier au
Procureur général de la République et canton de Genève, sans inculpation
(clôture de l'instruction préparatoire par avis de soit-communiqué, au sens
de l'art. 185 al. 1 du code de procédure pénale [CPP/GE]). Le 8 août 2006, le
Procureur général a décidé de classer la procédure, faute de prévention
pénale suffisante.

B.
A.________ a recouru contre la décision de classement auprès de la Chambre
d'accusation de la Cour de justice de la République et canton de Genève. Elle
a conclu à ce que cette décision soit annulée et à ce que le Ministère public
soit invité à renvoyer le dossier à l'instruction aux fins de procéder aux
actes d'instruction qu'elle avait sollicités dans sa plainte pénale (des
perquisitions au domicile des deux personnes dénoncées ainsi que dans des
bureaux ou entrepôts d'autres entreprises), puis d'inculper C.________ et
B.________. A.________ faisait valoir, dans son argumentation, que les pièces
du dossier suffisaient à démontrer la violation des normes pénales invoquées.
Elle ajoutait, "par surabondance de moyens", que "l'omission du Juge
d'instruction de notifier sa décision de soit-communiqué aux parties, les
privant ainsi de la possibilité de recourir contre cette décision devant la
Chambre de céans alors même que le juge n'avait pas procédé à certaines
mesures d'instruction sollicitées dans la plainte pénale [...] justifiait
d'autant plus que le Ministère public renvoie le dossier au juge
d'instruction afin qu'il procède aux actes d'instruction sollicités ainsi
qu'à l'inculpation, au moyen d'une ordonnance de soit-communiqué dûment
notifiée aux parties".
La Chambre d'accusation a rejeté le recours par une ordonnance rendue le 6
novembre 2006. Elle considéré, en substance, que le Procureur général avait
retenu à juste titre l'absence de prévention suffisante, les conditions
d'application des normes pénales invoquées ne paraissant pas réunies. A
propos des perquisitions sollicitées, elle a retenu qu'on ne discernait pas
en quoi ces mesures seraient utiles à la manifestation de la vérité.

C.
Agissant par la voie du recours de droit public, A.________ demande au
Tribunal fédéral d'annuler l'ordonnance de la Chambre d'accusation. Invoquant
les art. 29 al. 2 Cst., 6 par. 1 CEDH, 14 par. 1 Pacte ONU II et 185 al. 1
CPP/GE, elle se plaint d'une violation du droit d'être entendu.
Il n'a pas été demandé de réponses au recours de droit public. La Chambre
d'accusation a produit son dossier.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
La décision attaquée ayant été rendue avant le 1er janvier 2007, la loi
fédérale d'organisation judiciaire (OJ) demeure applicable à la procédure de
recours au Tribunal fédéral (art. 132 al. 1 LTF).

2.
En invoquant son droit d'être entendue, la recourante critique sous deux
aspects les actes du Juge d'instruction: d'une part la décision de
soit-communiqué du 31 juillet 2006 ne lui a pas été notifiée directement;
d'autre part, le Juge d'instruction ne l'avait pas préalablement tenue
informée du déroulement de l'instruction, malgré ses demandes réitérées.

2.1 La qualité pour agir par la voie du recours de droit public est définie à
l'art. 88 OJ. Ce recours est ouvert uniquement à celui qui est atteint par
l'acte attaqué dans ses intérêts personnels et juridiquement protégés. Le
recours formé pour sauvegarder l'intérêt général ou ne visant qu'à préserver
des intérêts de fait est en revanche irrecevable (ATF 129 I 113 consid. 1.2
p. 117; 129 II 297 consid. 2.1 p. 300; 126 I 43 consid. 1a p. 44 et les
arrêts cités). La jurisprudence rendue en application de l'art. 88 OJ exclut
en principe (sous réserve de cas visés par la loi fédérale sur l'aide aux
victimes d'infractions, qui n'entre pas en considération en l'espèce) de
reconnaître la qualité pour recourir à celui qui se prétend lésé par une
infraction, lorsque la contestation porte sur une ordonnance de classement,
de refus de suivre ou de non-lieu, car le plaignant se prévaut alors d'un
intérêt de fait ou indirect à la mise en oeuvre de l'action pénale; le "droit
de punir" est en effet une prérogative de la collectivité publique (ATF 128 I
218 consid. 1.1 p. 219, notamment). Cela étant, toute partie à une procédure
peut, indépendamment de ses griefs sur le fond, se plaindre d'une violation
des droits formels que lui reconnaît la législation cantonale ou qui sont
garantis directement par la Constitution, lorsque cela équivaut à un déni de
justice formel. Il n'est cependant pas admissible, dans ce cadre et en vertu
de l'art. 88 OJ, de se plaindre d'une motivation insuffisante de la décision
attaquée, ni du refus d'administrer une preuve sur la base d'une appréciation
anticipée de celle-ci car ces points sont indissociables de la décision sur
le fond, qui ne saurait être ainsi indirectement mise en cause (ATF 132 I 167
consid. 2.1 p. 168 et les arrêts cités).

2.2 L'art. 185 al. 1 CPP/GE dispose que "dès que l'instruction préparatoire
lui paraît terminée, le juge d'instruction communique le dossier au procureur
général et avertit par écrit les autres parties de cette décision". La
recourante soutient que le fait qu'elle n'a pas reçu l'avis de
soit-communiqué constitue un déni de justice formel; elle en déduit que le
juge d'instruction "ne souhaitait manifestement pas que la partie civile
puisse faire valoir ses droits dans le cadre de cette procédure". Or la
recourante admet avoir pris connaissance du soit-communiqué du 31 juillet
2006 lorsque l'ordonnance de classement du 8 août 2006 lui a été notifiée.
Elle a pu recourir à la Chambre d'accusation contre l'ordonnance de
classement et présenter ses griefs à l'encontre des mesures d'instruction
prises dans le cadre de cette enquête.
Dans la procédure de recours de droit public, le Tribunal fédéral, qui n'est
pas une juridiction d'appel, ne revoit pas d'office le contenu de la décision
attaquée. Il incombe bien plutôt au recourant, en vertu de l'art. 90 al. 1
let. b OJ, d'expliquer de manière claire et précise en quoi cette décision
pourrait être contraire à ses droits constitutionnels (cf. ATF 130 I 26
consid. 2.1 p. 31; 129 I 185 consid. 1.6 p. 189; 127 III 279 consid. 1c p.
282; 126 III 534 consid. 1b p. 536; 125 I 71 consid. 1c p. 76). En
l'occurrence, la recourante n'expose pas clairement en quoi, dans les
circonstances concrètes, l'absence de notification directe de l'avis de
soit-communiqué aurait porté atteinte à son droit d'être entendue alors
qu'elle a pu recourir contre l'ordonnance de classement. Le recours est donc
irrecevable dans la mesure où cette omission est critiquée.

2.3 La recourante critique par ailleurs à plusieurs égards l'instruction
préparatoire, phase durant laquelle elle n'a pas eu accès au dossier. Elle
reproche au Juge d'instruction de ne l'avoir pas contactée à la réception des
résultats de l'enquête de police, par conséquent de ne pas lui avoir permis
de solliciter des actes d'instruction supplémentaires, et finalement de ne
pas l'avoir avertie avant le 31 juillet 2006 de son intention de rendre une
décision de soit-communiqué. Ces griefs d'ordre formel n'ont pas été soumis à
la Chambre d'accusation. Or il découle de la règle de l'épuisement des voies
de recours cantonales (art. 86 al. 1 OJ) que seuls sont recevables devant le
Tribunal fédéral les griefs qui, pouvant l'être, ont été présentés à
l'autorité cantonale de dernière instance. La jurisprudence admet cependant
la recevabilité de moyens de droit nouveaux lorsque l'autorité cantonale de
dernière instance disposait d'un pouvoir d'examen libre et devait appliquer
le droit d'office. Cette exception vaut pour tous les griefs qui ne se
confondent pas avec l'arbitraire et notamment pour celui tiré de la violation
du droit d'être entendu, à condition que le comportement du recourant ne soit
pas contraire aux règles de la bonne foi, selon lesquelles celui qui ne
soulève pas devant l'autorité de dernière instance cantonale un grief lié à
la conduite de la procédure ne peut plus en principe le soulever devant le
Tribunal fédéral; une solution contraire favoriserait les manoeuvres
dilatoires (ATF 128 I 354 consid. 6c p. 357; 119 Ia 88 consid. 1a p. 90 et
les arrêts cités). En l'espèce, il incombait à la recourante, le cas échéant,
de soumettre à la Chambre d'accusation cantonale ces nouvelles critiques
contre les mesures d'instruction prises avant l'ordonnance de classement. Le
recours de droit public est donc, dans cette mesure, irrecevable en vertu de
l'art. 86 al. 1 OJ.

3.
La recourante, qui succombe, doit supporter les frais du présent arrêt (art.
153, 153a et 156 al. 1 OJ). Les intimés, n'ayant pas été invités à répondre
au recours, n'ont pas droit à des dépens (art. 159 OJ).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours de droit public est irrecevable.

2.
Un émolument judiciaire de 2'000 fr. est mis à la charge de la recourante.

3.
Il n'est pas alloué de dépens.

4.
Le présent arrêt est communiqué en copie au mandataire de la recourante, aux
intimés, le cas échéant par l'intermédiaire du mandataire, au Procureur
général et à la Chambre d'accusation de la Cour de justice de la République
et canton de Genève.

Lausanne, le 2 février 2007

Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse

Le président:  Le greffier: