Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Öffentlich-rechtliche Abteilung 1P.80/2006
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1P.80/2006 /col

Arrêt du 3 avril 2006
Ire Cour de droit public

MM. les Juges Féraud, Président,
Aeschlimann et Reeb.
Greffier: M. Kurz.

A. ________,
recourant, représenté par Me Grégoire Rey, avocat,

contre

Procureur général du canton de Vaud,
rue de l'Université 24, case postale, 1014 Lausanne,
Tribunal d'accusation du Tribunal cantonal du canton de Vaud, route du Signal
8, 1014 Lausanne.

indemnité au prévenu acquitté,

recours de droit public contre l'arrêt du Tribunal d'accusation du 7 décembre
2005.

Faits:

A.
A. ________, ressortissant indien né en 1982, a été détenu du 3 janvier au 2
novembre 2005, sous l'inculpation de viol et de violation de la LSEE. Par
jugement du 2 novembre 2005, le Tribunal correctionnel l'a condamné à un mois
d'emprisonnement avec sursis pour violation de la LSEE, mais l'a libéré de la
prévention de viol. A ce sujet, l'accusé avait présenté trois ou quatre
versions; il avait d'abord affirmé ne pas s'être trouvé en Suisse au moment
des faits; en dernier lieu, il avait admis avoir uniquement échangé des
baisers et des caresses. Le Tribunal correctionnel a retenu que la plaignante
- une jeune fille de 17 ans au moment des faits -, qui présentait une grande
immaturité et une suggestibilité importante, avait caché durant l'enquête
l'existence d'un flirt initial; il existait des doutes importants quant à la
contrainte physique dont aurait usé l'accusé. Les examens médicaux n'avaient
pas révélé d'indices de violence, ni permis d'affirmer l'existence d'une
relation sexuelle complète. Une partie des frais de la cause, soit 13'000
fr., a été mise à la charge de l'accusé libéré: compte tenu de son
comportement peu collaborant et de ses nombreuses déclarations mensongères,
il était responsable d'une bonne partie de la longueur de l'enquête et de la
détention préventive, ainsi que des mesures d'instruction techniques et
médicales. Aucun recours n'a été formé contre ce jugement.

B.
Le 21 novembre 2005, A.________ a présenté au Tribunal d'accusation du canton
de Vaud une demande tendant à l'octroi d'une indemnité de 45'600 fr., pour
304 jours de détention (soit 150 fr. par jour), plus 54'189 fr. de frais
d'avocat, soit 99'789 fr. au total.
Par arrêt du 7 décembre 2005, le Tribunal d'accusation a rejeté la demande,
pour des motifs analogues à ceux retenus par le Tribunal correctionnel à
propos des frais de justice. Le prévenu avait d'abord tenté d'échapper à la
police; après son arrestation, il avait menti et présenté différentes
versions des faits; la dernière, donnée lors de la cinquième audition du 23
mars 2005, était elle-même sujette à caution.

C.
A.________ forme un recours de droit public contre ce dernier arrêt. Il en
demande l'annulation, ainsi que le renvoi de la cause au Tribunal
d'accusation pour nouvelle décision.
Le Tribunal d'accusation se réfère à son arrêt. Le Ministère public conclut
au rejet du recours.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
Le recours de droit public est formé en temps utile contre un arrêt final
rendu en dernière instance cantonale. Le recourant, dont la démarche tend à
l'obtention d'une indemnité prévue par le droit cantonal, a qualité pour agir
au sens de l'art. 88 OJ.

2.
Le recourant se plaint d'arbitraire. Il reconnaît avoir tenté d'échapper à la
police après avoir appris qu'il faisait l'objet de l'enquête; il ne nie pas
non plus avoir varié dans ses déclarations, mais estime que cela ne devrait
pas empêcher l'indemnisation: son arrestation et sa détention étaient dues
exclusivement aux accusations de la plaignante, le recourant ayant toujours
nié l'existence d'un rapport sexuel et d'une contrainte. Les décisions
relatives à la prolongation de la détention ne reposaient pas sur l'attitude
du prévenu, et les examens médicaux auraient été ordonnés de toute façon. Le
recourant se prévaut aussi de son droit de ne pas collaborer à l'enquête et
de mentir, corollaire du droit de se taire (art. 6 CEDH et 14 par. 3 let. g
Pacte ONU II).

3.
Selon l'art. 163a al. 1 du code de procédure pénale vaudois (CPP/VD),
l'inculpé et l'accusé libérés des fins de la poursuite pénale, qui ne l'ont
ni provoquée ni compliquée fautivement, peuvent obtenir de l'Etat, du
plaignant ou de la partie civile une indemnité équitable pour le préjudice
résultant de l'instruction et pour leurs frais de défense. Selon l'art. 67
al. 1 CPP/VD, celui qui a été détenu et bénéficie ensuite d'un non-lieu ou
d'un acquittement peut obtenir de l'Etat une indemnité à raison du préjudice
que lui cause son incarcération.

3.1 L'indemnisation fondée sur ces dispositions ne saurait être refusée,
notamment dans les cas de libération faute de preuve, au motif que
l'intéressé aurait néanmoins pu commettre l'infraction: une telle motivation
violerait la présomption d'innocence. Seul un comportement fautif en relation
de causalité avec le préjudice subi est propre à justifier un refus ou une
réduction de l'indemnité (ATF 114 Ia 299 consid. 2b et c p. 302).
S'agissant d'un cas d'application du droit cantonal, le Tribunal fédéral
examine sous l'angle de l'arbitraire si ces conditions sont respectées (ATF
119 Ia 221 consid. 6 p. 230).

3.2 La cour cantonale n'a d'aucune manière laissé entendre que le recourant
serait malgré tout coupable de l'infraction pour laquelle il a été acquitté.
Elle a toutefois retenu, à l'instar du Tribunal correctionnel statuant sur
les frais de justice, que le recourant avait tenté d'échapper à la police,
puis fourni au moins trois ou quatre versions différentes des faits, dont la
dernière était d'ailleurs également sujette à caution.

3.3 Le silence, voire des mensonges de l'inculpé ne constituent pas, en soi,
un comportement fautif, puisque le droit de se taire est notamment garanti à
tout inculpé (ATF 130 I 126). Seul un abus de ce droit pourrait
éventuellement conduire à un refus d'indemnisation (ATF 116 Ia 162 consid.
2d/aa p. 172). Cela étant, si un comportement contraire à la seule éthique ne
peut justifier le refus d'indemniser le prévenu libéré, la jurisprudence
étend la notion de comportement fautif à la violation de toute norme de
comportement, écrite ou non, résultant de l'ordre juridique suisse dans son
ensemble (ATF 116 Ia 162 consid. 2c p. 168). Or il est interdit, en droit
civil, de créer un état de fait propre à causer un dommage à autrui sans
prendre les mesures nécessaires afin d'en éviter la survenance (ATF 126 III
113 consid. 2a/aa p. 115). De la même manière, le droit de procédure interdit
implicitement de créer sans nécessité l'apparence qu'une infraction a été ou
pourrait être commise, car un tel comportement est susceptible de provoquer
l'intervention des autorités répressives et l'ouverture d'une procédure
pénale et, partant, de causer à la collectivité le dommage que constituent
les frais liés à une instruction pénale ouverte inutilement. Il y a
comportement fautif, dans ce cas, lorsque le prévenu aurait dû se rendre
compte, sur le vu des circonstances et de sa situation personnelle, que son
attitude risquait de provoquer l'ouverture ou la prolongation inutile d'une
enquête (arrêt du 31 mai 1994 dans la cause B., cité par Thélin,
L'indemnisation du prévenu acquitté en droit vaudois, JdT 1995 III p. 98-107,
par. 18 p. 104).

3.4 En fuyant la police, puis en mentant sur des faits au demeurant
facilement vérifiables (sa présence en Suisse et le fait qu'il connaissait la
plaignante), le recourant ne pouvait manquer de se rendre compte qu'il
donnait prise aux graves accusations portées contre lui. Dans la mesure où il
pouvait donner clairement l'impression que le recourant avait bel et bien
quelque chose à cacher, ce comportement fautif est en rapport de causalité
avec la procédure pénale et la détention du prévenu, quand bien même celui-ci
a toujours nié avoir commis un viol.
Par ailleurs, même si les décisions relatives à la détention préventive ne
font pas état des dénégations fallacieuses du recourant, il est évident que
celles-ci sont venues renforcer les soupçons qui constituent la condition
préalable à toute incarcération. Cela étant, il n'y a pas à rechercher si
l'attitude du recourant est également en rapport de causalité avec les
différents frais d'expertises: ceux-ci ont fait l'objet d'une décision
séparée, prise à l'occasion du jugement du 2 novembre 2005 entré en force.

4.
Le refus de toute indemnisation ne saurait, dans ces circonstances être
qualifié d'arbitraire. Le recours doit par conséquent être rejeté, aux frais
de son auteur (art. 156 al. 1 OJ).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est rejeté.

2.
Un émolument judiciaire de 2000 fr. est mis à la charge du recourant.

3.
Le présent arrêt est communiqué en copie au mandataire du recourant, au
Procureur général et au Tribunal d'accusation du Tribunal cantonal du canton
de Vaud.

Lausanne, le 3 avril 2006

Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse

Le président:  Le greffier: