Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Öffentlich-rechtliche Abteilung 1P.713/2006
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{T 0/2}
1P.713/2006 /col

Arrêt du 19 décembre 2006
Ire Cour de droit public

MM. les Juges Féraud, Président,
Aemisegger et Fonjallaz.
Greffier: M. Parmelin.

A. ________,
recourante,

contre

Cheffe de la Police de la République et canton de Genève, chemin de la
Gravière 5, case postale 236, 1211 Genève 8,
Procureur général de la République et canton de Genève, place du
Bourg-de-Four 1, case postale 3565, 1211 Genève 3,
Président de la Chambre d'accusation de la République et canton de Genève,
place du Bourg-de-Four 1, case postale 3108, 1211 Genève 3.

requête en radiation de données d'un dossier de police,

recours de droit public contre l'ordonnance du Président de la Chambre
d'accusation de la République et canton de Genève du 20 septembre 2006.

Faits:
A.________ a fait l'objet d'une première plainte pénale pour injures, le 8
octobre 2001, émanant de B.________, puis d'une seconde pour menaces et
injures, le 7 novembre 2001, de la part de C.________. Ces plaintes ont été
classées respectivement les 19 juin 2002 et 12 novembre 2001, car
l'intéressée était introuvable et n'avait pas pu être entendue. Le 12
septembre 2003, D.________ a déposé contre A.________ une plainte pénale pour
tentative d'extorsion et chantage et menaces, qui a été jointe à celle formée
en octobre 2002 par E.________ pour crime manqué d'extorsion et chantage,
injure, utilisation abusive d'une installation de télécommunication et
menaces. A raison de ces faits, A.________ a été renvoyée en jugement le 7
novembre 2003 devant le Tribunal correctionnel de l'arrondissement de
Lausanne et condamnée, le 26 mai 2005, à 20 jours d'emprisonnement avec
sursis pendant cinq ans pour injure et utilisation abusive d'une installation
de télécommunication.
A la demande de A.________ et de son conseil, le Chef de la police de la
République et canton de Genève a ordonné, en date du 15 juillet 2005, la
suppression de la mention des termes de "prostituée", de "péripatéticienne",
de "service d'escorting" et de "racolage" qui figurent dans différents
documents du dossier de police de la requérante.
Le 26 juin 2006, A.________ est intervenue auprès du responsable de la
Centrale de documentation de la police genevoise pour que la mention de
"prostituée" associée à la mention de sa profession soit également radiée des
fichiers informatiques de la police. Elle sollicitait par ailleurs la
suppression de son dossier de police des données recueillies en relation avec
les plaintes déposées contre elle par C.________ et B.________, qu'elle
tenait pour périmées.
Le 3 juillet 2006, le Chef de la police lui a répondu que la mention
concernant la profession avait été corrigée de prostituée en couturière dans
le système informatique de la police, mais qu'en revanche, les diverses
affaires contenues dans le dossier de police étaient toujours mentionnées
dans la base de données. Il a refusé de supprimer les données concernant les
plaintes déposées par C.________ et B.________ au motif que ces plaintes
étaient récentes et qu'elles se devaient d'être conservées à titre préventif
dans la mesure où elles portaient sur le même type de faits que ceux ayant
donné lieu au dépôt d'une autre plainte contre la requérante en septembre
2003 et à la condamnation pénale de celle-ci le 26 mai 2005 à 20 jours
d'emprisonnement pour injure et utilisation abusive d'une installation de
télécommunication. Il précisait en outre que la demande pourrait être
réexaminée à l'issue du délai d'épreuve de cinq ans assorti à cette peine. Le
Président de la Chambre d'accusation de la République et canton de Genève a
confirmé cette décision au terme d'une ordonnance rendue le 20 septembre 2006
sur recours de A.________.
Cette dernière a recouru le 20 octobre 2006 contre cette ordonnance auprès du
Tribunal fédéral. Sa demande d'assistance judiciaire a été rejetée en tant
qu'elle portait sur la désignation d'un avocat d'office par décision du 25
octobre 2006.
Il n'a pas été demandé de réponses au recours.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
Seul le recours de droit public pour violation des droits constitutionnels du
citoyen est ouvert en l'espèce dans la mesure où les données dont la
recourante sollicite la suppression sont contenues dans les archives d'un
service de police cantonale (cf. ATF 122 I 153 consid. 2c p. 155/ 156). Formé
en temps utile contre une décision finale prise en dernière instance
cantonale, le recours répond aux exigences des art. 86 al. 1 et 89 al. 1 OJ.

2.
La personne au sujet de laquelle des informations ont été recueillies a en
principe le droit de consulter les pièces consignant ces renseignements afin
de pouvoir réclamer leur suppression ou leur modification, s'il y a lieu; ce
droit découle de l'art. 10 al. 2 Cst., qui garantit la liberté personnelle,
et plus spécifiquement de l'art. 13 al. 2 Cst., qui protège le citoyen contre
l'emploi abusif de données personnelles. La conservation de renseignements
dans les dossiers de police porte en effet une atteinte au moins virtuelle à
la personnalité de l'intéressé, car ces renseignements peuvent être utilisés
ou consultés par les agents de la police, être pris en considération lors de
demandes d'informations présentées par certaines autorités, voire même être
transmis à ces dernières (ATF 126 I 7 consid. 2a p. 10 et la jurisprudence
citée).
La question de la conservation et de la destruction des données personnelles
dans les dossiers de police est réglée en droit genevois dans la loi sur les
renseignements et les dossiers de police et la délivrance des certificats de
bonne vie et moeurs du 29 septembre 1977 (LDP). Cette loi autorise la police
à organiser et à gérer des dossiers et fichiers pouvant contenir des
renseignements personnels, en rapport avec l'exécution de ses tâches, en
particulier en matière de répression des infractions ou de prévention des
crimes et délits (art. 1 al. 1 et 2 LDP). La police ne peut conserver des
renseignements personnels que pour le temps nécessaire à l'accomplissement de
ses tâches (art. 1B LDP) et elle a l'obligation de rectifier ou de détruire
ceux qui sont inexacts ou inadéquats (art. 1 al. 5 LDP). Ces dernières
dispositions coïncident avec les exigences qui découlent de la garantie
constitutionnelle de la liberté personnelle. En effet, des renseignements
inexacts ne peuvent être retenus en aucun cas, faute d'intérêt public. En
outre, dès le moment où des renseignements perdent toute utilité, leur
conservation et l'atteinte que celle-ci porte à la personnalité ne se
justifient plus; ils doivent par conséquent être éliminés (arrêt 1P.436/1989
du 12 janvier 1990 consid. 2b reproduit à la SJ 1990 p. 564 et les références
citées).

3.
La recourante demande la suppression des données figurant dans son dossier de
police en relation avec les plaintes pénales déposées contre elle les 8
octobre et 7 novembre 2001 par B.________ et C.________ au motif qu'elles
seraient infondées et périmées.

3.1 La conservation de renseignements dans le dossier de police ne viole en
principe ni la liberté personnelle de la personne concernée, ni le principe
de la proportionnalité lorsque la procédure pénale est classée en l'absence
de preuves et peut être reprise en présence de faits nouveaux (cf. arrêts
1P.46/2001 du 2 mars 2001 consid. 2b et 1P.3/2001 du 28 mars 2001 consid.
3b). Elle ne saurait toutefois se prolonger indéfiniment. Les
caractéristiques d'une personne évoluent et les autorités ne doivent pas se
référer à des images figées. Des faits peu importants perdent progressivement
toute signification et la police ne peut plus en tirer aucune information
utilisable pour le maintien de l'ordre et de la tranquillité publics. Le
principe de la proportionnalité exige donc qu'à terme, ils soient éliminés
des fichiers et des dossiers de la police (arrêt 1P.436/1989 précité consid.
2d in SJ 1990 p. 565). Dans ce dernier cas, le Tribunal fédéral n'avait pas
jugé déraisonnable la conservation d'un rapport d'intervention de la police
en-deçà d'une durée de cinq ans au regard des intérêts en présence. On ne
saurait pour autant en déduire qu'il s'agirait d'un délai maximal au-delà
duquel la garde de données personnelles se heurterait aux principes de la
liberté personnelle et de la proportionnalité. Le législateur a renoncé à
fixer un tel délai; la durée de conservation des données personnelles
recueillies dans le dossier de police doit s'apprécier au regard de l'utilité
potentielle des informations pour la prévention ou la répression des crimes
et des délits (Mémorial des séances du Grand Conseil, séance du 16 décembre
1988, p. 7274/7275). Il n'y a pas lieu de se montrer trop sévère dans
l'examen de cette question, car il se peut qu'une donnée a priori anodine
prenne par la suite une importance que l'on ne pouvait soupçonner à l'origine
(arrêt 1P.3/2001 précité consid. 3a).

3.2 Dans le cas particulier, on ne saurait dire que les pièces versées au
dossier de police de la recourante en relation avec les plaintes pour injures
et menaces déposées contre elle par C.________ et B.________ auraient perdu
tout intérêt pour la prévention et la répression des infractions en raison du
temps écoulé depuis lors. La recourante a en effet été condamnée le 26 mai
2005 à une peine de 20 jours d'emprisonnement avec sursis pendant cinq ans
pour injure et utilisation abusive d'une installation de télécommunication à
la suite de deux plaintes pénales déposées contre elle en octobre 2002 et en
septembre 2003. Dans les deux cas, les plaignants lui reprochaient, à
l'instar de C.________ et B.________, de les harceler par des appels
téléphoniques incessants ou par l'envoi de courriers injurieux. Le Chef de la
police et le Président de la Chambre d'accusation n'ont donc pas fait preuve
d'arbitraire en considérant que les dénonciations portaient sur des faits
similaires, quand bien même les accusations de crime manqué d'extorsion et
chantage et de menaces n'ont finalement pas été retenues par le Tribunal
correctionnel de l'arrondissement de Lausanne. On observera enfin que le
refus opposé à la recourante de supprimer les plaintes déposées contre elle
par C.________ et B.________ n'est pas définitif et que celle-ci pourra à
nouveau solliciter leur radiation de son dossier de police à l'issue du délai
d'épreuve de cinq ans assorti à sa peine d'emprisonnement si elle n'a pas
commis de nouvelles infractions de même nature durant cette période.

4.
La recourante se plaint du fait que malgré la décision du Chef de la police
du 15 juillet 2005, elle continuerait à figurer comme prostituée dans les
fichiers informatiques de la police. Elle se réfère à cet égard à une
conversation téléphonique qu'elle a eue le 24 juin 2006 avec un service de la
police genevoise. Le Chef de la police a précisé dans sa lettre du 3 juillet
2006 que la mention "prostituée" avait été corrigée et remplacée par celle de
"couturière" sous la rubrique "profession" dans les fichiers informatiques de
la police pour faire suite à la demande de la recourante. Il n'appartient pas
au Tribunal fédéral, saisi d'un recours de droit public, de vérifier d'office
ce qu'il en est effectivement en procédant à des mesures d'instruction, à la
manière d'une autorité d'appel. En l'absence d'éléments propres à établir le
contraire, il n'y a aucune raison de mettre en doute les affirmations du Chef
de la police sur ce point.
Le Président de la Chambre d'accusation a également jugé qu'il n'était pas
possible de supprimer la mention "prostituée" adjointe aux diverses affaires
contenues dans le dossier de police de l'intéressée et faisant l'objet d'un
inventaire dans la mesure où c'est cette profession-là qui avait suscité
certaines des enquêtes de police initiées à l'endroit de la recourante. Il a
estimé que la conservation de cet inventaire répondait manifestement à un
intérêt public, les données qu'il contient pouvant fournir des indications
utiles à la police dans ses tâches de recherche d'infractions, notamment à
propos de A.________. La mention "prostituée" indiquée comme profession dans
la base de données informatisée de la police a à juste titre été corrigée car
il n'est pas établi que la recourante se serait effectivement livrée à la
prostitution. La plainte pénale pour racolage déposée contre elle le 14 juin
1993 par la direction de l'hôtel X.________ et les enquêtes pénales menées
par la suite n'ont abouti à aucune condamnation pénale. En revanche, étant
donné que A.________ était suspectée de s'adonner à la prostitution
clandestine, les rapports de police la concernant peuvent faire état de ces
soupçons sans pour autant violer la présomption d'innocence. Pour le surplus,
la recourante ne prétend pas que ces rapports ne présenteraient plus aucune
utilité pour la prévention ou la répression des infractions et qu'ils
devraient être détruits ou retirés de son dossier de police en raison du
temps écoulé depuis leur établissement; la requête qu'elle a déposée le 26
juin 2006 n'allait d'ailleurs nullement dans ce sens. En l'absence de tout
grief à ce sujet, il n'appartient pas au Tribunal fédéral, saisi d'un recours
de droit public, d'examiner d'office cette question. Cela étant, la décision
attaquée échappe à toute critique.

5.
Le recours doit par conséquent être rejeté, dans la mesure où il est
recevable, selon la procédure simplifiée prévue à l'art. 36a OJ. Si la
condition de l'indigence est réunie, celle des chances de succès ne l'est
pas; aussi, la demande d'assistance judiciaire gratuite présentée par la
recourante doit être écartée (art. 152 al. 1 OJ). Compte tenu des
circonstances et du caractère non contentieux de la procédure, l'arrêt sera
exceptionnellement être rendu sans frais (art. 154 OJ).

Par ces motifs, vu l'art. 36a OJ, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est rejeté, dans la mesure où il est recevable.

2.
La demande d'assistance judiciaire gratuite est rejetée.

3.
Il n'est pas perçu d'émolument judiciaire.

4.
Le présent arrêt est communiqué en copie à la recourante, ainsi qu'à la
Cheffe de la Police, au Procureur général et au Président de la Chambre
d'accusation du canton de Genève.

Lausanne, le 19 décembre 2006

Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse

Le président:  Le greffier: