Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Öffentlich-rechtliche Abteilung 1P.694/2006
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{T 0/2}
1P.694/2006 /col

Arrêt du 3 novembre 2006
Ire Cour de droit public

MM. les Juges Féraud, Président,
Aemisegger et Reeb.
Greffière: Mme Truttmann.

A. ________,
recourant, représenté par Me Luc Jacopin, avocat,

contre

Juge d'instruction cantonal 6, Section criminalité économique, Speichergasse
12, 3011 Berne,
Procureur général du canton de Berne,
case postale, 3001 Berne,
Chambre d'accusation de la Cour suprême du canton de Berne, Hochschulstrasse
17, 3012 Berne.

détention préventive,

recours de droit public contre la décision de la Chambre d'accusation de la
Cour suprême du canton de Berne du 18 septembre 2006.

Faits:

A.
A. ________, ressortissant suisse né en 1955, a été placé en détention
préventive dès le 4 novembre 2003. Les infractions suivantes sont notamment
retenues contre lui: gestion fautive, violation de l'obligation de tenir une
comptabilité, abus de confiance, faux dans les titres, tentative
d'escroquerie, banqueroute frauduleuse, infraction aux art. 87 LAVS, 70 LAI,
25 LAPG et 76 LPP, diminution effective de l'actif au préjudice des
créanciers, fraude dans la saisie, obtention frauduleuse d'une constatation
fausse, escroquerie, bris de scellés, fraude ou mise en péril de la créance
fiscale (art. 20 de la loi fédérale relative à une redevance sur le trafic
des poids lourds),  gestion déloyale qualifiée et inobservation par le
débiteur des règles de la poursuite pour dettes ou de la faillite.
Il est en substance reproché à A.________ d'avoir fait assumer aux sociétés
qu'il contrôlait, pendant des années, des factures privées, réalisant à son
profit les actifs encore disponibles et laissant des dettes de plusieurs
millions de francs. Le montant des infractions s'élève à quelques centaines
de milliers de francs. L'Administration fédérale des douanes aurait également
subi un préjudice de l'ordre de 800'000 francs.

B.
A.________ a été mis en liberté provisoire le 27 janvier 2004. Suite à la
commission de nouvelles infractions (dont notamment des abus de confiance,
faux dans les titres, escroqueries et fraudes dans la saisie), il a derechef
été placé en détention préventive le 15 septembre 2005, motif pris du risque
de réitération.
Par jugement du 9 décembre 2005, le Tribunal correctionnel du district du
Val-de-Travers de la République et canton de Neuchâtel a condamné A.________
à une peine de douze mois d'emprisonnement avec sursis pour infraction grave
à la LStup.

A. ________ a également été condamné, le 15 décembre 2005, à une amende de
8'000 francs par le Ministère public du canton de Neuchâtel, pour infraction
aux art. 27 et 55 de la loi sur les constructions.

C.
A.________ a formé trois demandes de mise en liberté provisoire successives,
qui ont toutes été rejetées.
Par décision du 11 août 2006, le juge de l'arrestation III Bern-Mittelland
(ci-après: le juge de l'arrestation) a rejeté la quatrième requête de mise en
liberté provisoire présentée le 6 août 2006 par A.________. Ce dernier a
recouru contre cette décision auprès de la Chambre d'accusation de la Cour
suprême du canton de Berne (ci-après: la Chambre d'accusation). Interpellés,
le Juge d'instruction cantonal 6 (ci-après: le juge d'instruction) et le
Procureur cantonal ont conclu au rejet du recours.
Par décision du 18 septembre 2006, la Chambre d'accusation a rejeté le
recours. Elle a estimé que le principe de la proportionnalité était respecté.

D.
Agissant par la voie du recours de droit public, A.________ demande au
Tribunal fédéral d'annuler la décision du 18 septembre 2006 de la Chambre
d'accusation et d'ordonner sa libération provisoire immédiate. Il se plaint
d'une violation des principes de la célérité et de la proportionnalité et
invoque les art. 31 al. 3 Cst., ainsi que des art. 5 par. 3 et 6 par. 1 CEDH.
Il requiert en outre l'assistance judiciaire.
La Chambre d'accusation renonce à formuler des observations et se réfère aux
considérants de sa décision. Le juge d'instruction a conclu au rejet du
recours. Le Ministère public a renoncé à répondre au recours.
Invité à répliquer, A.________ y a renoncé.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
Formé en temps utile contre une décision finale prise en dernière instance
cantonale et qui touche le recourant dans ses intérêts juridiquement
protégés, le recours est recevable au regard des art. 84 ss OJ. Par exception
à la nature cassatoire du recours de droit public, la conclusion du recourant
tendant à ce que le Tribunal fédéral mette fin à sa détention préventive est
recevable (ATF 124 I 327 consid. 4b/aa p. 333).

2.
Une mesure de détention préventive n'est compatible avec la liberté
personnelle, garantie par les art. 10 al. 2 Cst. et 5 CEDH, que si elle
repose sur une base légale (art. 31 al. 1 et 36 al. 1 Cst.), soit en l'espèce
l'art. 176 du Code de procédure pénale bernois du 15 mars 1995 (CPP/BE). Elle
doit en outre correspondre à un intérêt public et respecter le principe de la
proportionnalité (art. 36 al. 2 et 3 Cst.; ATF 123 I 268 consid. 2c p. 270).
Pour que tel soit le cas, la privation de liberté doit être justifiée par les
besoins de l'instruction, un risque de fuite ou un danger de collusion ou de
réitération (cf. art. 176 al. 1 ch. 1 à 4 CPP/BE). La gravité de l'infraction
- et l'importance de la peine encourue - n'est, à elle seule, pas suffisante
(ATF 125 I 60 consid. 3a p. 62; 117 Ia 70 consid. 4a). Préalablement à ces
conditions, il doit exister à l'égard de l'intéressé des charges suffisantes,
soit de sérieux soupçons de culpabilité (art. 5 par. 1 let. c CEDH; ATF 116
Ia 144 consid. 3; art. 176 al. 2 CPP/BE).

2.1 S'agissant d'une restriction grave à la liberté personnelle, le Tribunal
fédéral examine librement ces questions, sous réserve toutefois de
l'appréciation des preuves, revue sous l'angle restreint de l'arbitraire (ATF
123 I 268 consid. 2d p. 271; pour la définition de l'arbitraire, cf. art. 9
Cst. et ATF 131 I 217 consid. 2.1 p. 219; 129 I 8 consid. 2.1 p. 9; 128 I 273
consid. 2.1 p. 275). L'autorité cantonale dispose ainsi d'une grande liberté
dans l'appréciation des faits (ATF 114 Ia 283 consid. 3; 112 Ia 162 consid.
3b).

2.2 Saisi d'un recours de droit public, le Tribunal fédéral n'entre cependant
en matière que sur les griefs d'ordre constitutionnel invoqués et
suffisamment motivés dans le recours (cf. art. 90 al. 1 let. b OJ; ATF 130 I
258 consid. 1.3 p. 261 s.; 129 I 113 consid. 2.1 p. 120, 165 consid. 1.6 p.
189).

3.
Le recourant ne remet pas en cause la base légale sur laquelle repose la
détention préventive, ni ne conteste sérieusement l'existence de charges
suffisantes. Il ne discute pas davantage le risque de réitération retenu par
l'autorité intimée. Il allègue en revanche une violation du principe de la
proportionnalité, sous l'angle de la célérité dans un premier temps.

3.1 Selon la jurisprudence, l'incarcération est disproportionnée en cas de
retard injustifié dans le cours de la procédure pénale (ATF 128 I 149 consid.
2.2 p. 151, 125 I 60 consid. 3d p. 64, 124 I 208 consid. 6 p. 215 et les
arrêts cités). Toutefois, n'importe quel retard n'est pas suffisant pour
justifier l'élargissement du prévenu. Il doit s'agir d'un manquement
particulièrement grave, faisant au surplus apparaître que l'autorité de
poursuite n'est plus en mesure de conduire la procédure à chef dans un délai
raisonnable (ATF 128 I 149 consid. 2.2. p. 151 s.).
3.2 Le grief tiré d'une violation du principe de la célérité n'a pas été
invoqué par le recourant à l'appui de son recours à la Chambre d'accusation.
La question n'a du reste été examinée ni par le juge d'instruction, ni par le
juge de l'arrestation. A défaut d'épuisement des instances cantonales sur ce
point (art. 86 OJ), ce grief est donc en principe irrecevable. Qui plus est,
les critiques du recourant sont dirigées contre de précédentes décisions du
juge d'instruction. L'argumentation est donc également irrecevable pour ce
motif, au regard des art. 86 al. 1 et 90 al. 1 let. b OJ.

3.3 Cela étant, le grief n'est de toute façon pas fondé. Selon le recourant,
la plupart des infractions qu'on lui reproche aujourd'hui ne l'ont pas
empêché d'obtenir sa mise en liberté provisoire le 27 janvier 2004. Prétendre
que les affaires sont complexes pour maintenir la détention préventive serait
donc abusif. Les prétendus délits commis pendant la période de liberté
provisoire ne requerraient au demeurant pas une instruction complexe.
Dans le cas particulier, si le recourant a été placé à nouveau en détention
préventive en septembre 2005, c'est en raison d'un risque de récidive, car il
avait commis de nouvelles infractions durant la période de libération
provisoire. Le recourant ne saurait dès lors en tirer argument pour contester
la complexité de l'affaire. Quoiqu'il en soit, il n'apparaît pas que les
autorités n'ont pas agi avec toute la diligence requise en l'espèce. Il
ressort en effet du dossier ainsi que des décisions précédentes, que de
nombreux interrogatoires, auditions et éditions ont été nécessaires. Qui plus
est, une année de travail a été exigée pour rédiger l'expertise judiciaire,
dont l'établissement a en outre été rendu difficile par l'absence - coupable
- de tenue de la comptabilité par le recourant. Ce dernier est de surcroît
l'unique responsable de l'allongement de la procédure, pour avoir commis de
nouvelles infractions pendant sa libération provisoire.
A cela s'ajoute le fait que le juge d'instruction a estimé que l'instruction
était suffisamment complète le 28 juillet 2006, en faisant parvenir aux
parties une communication au sens de l'art. 249 CPP/BE. L'instruction est
donc désormais close et le juge d'instruction a fait parvenir une proposition
de renvoi et un rapport final détaillé au Procureur général le 28 septembre
2006.
Il résulte de ce qui précède qu'aucun retard injustifié ne peut être reproché
aux autorités cantonales. Le grief, s'il avait été recevable, aurait donc été
rejeté.

4.
Le recourant estime ensuite, qu'au vu des nouvelles considérations apportées
dans son recours du 24 août 2006, il conviendrait de réévaluer la peine
encourue, estimée à 18 mois. Il se plaint sur ce point d'une violation du
principe de la proportionnalité, au regard de la détention préventive déjà
subie.

4.1 Selon la jurisprudence, le principe de la proportionnalité confère au
prévenu le droit d'être libéré lorsque la durée de son incarcération se
rapproche de la peine privative de liberté susceptible d'être prononcée (ATF
126 I 172 consid. 5a p. 176; 124 I 208 consid. 6 p. 215). Celle-ci doit être
évaluée avec la plus grande prudence, car il faut éviter que le juge de
l'action pénale ne soit incité à prononcer une peine excessive pour la faire
coïncider avec la détention préventive à imputer.

4.2 Dans son acte de recours au Tribunal fédéral, le recourant n'explique
toutefois pas quels sont les éléments de nature à modifier la durée de la
peine encourue et la raison pour laquelle ceux-ci auraient dû être pris en
considération par la Chambre d'accusation. Le grief ne répond dès lors pas
aux exigences de l'art. 90 al. 1 let. b OJ. Cela étant, le recourant confond
manifestement les conditions de maintien en détention préventive, soit
l'existence d'indices suffisants de culpabilité (art. 5 par. 1 let. c CEDH),
et les conditions auxquelles une condamnation peut être prononcée, soit
l'absence de doutes sérieux quant à la culpabilité de l'accusé.

4.3 Pour le surplus, le recourant part de la fausse prémisse, selon laquelle
la peine encourue aurait été estimée à 18 mois. En effet, il ressort du
dossier qu'il a toujours été question d'une peine d'une durée de 18 mois "au
moins". Par décision du 14 juillet 2006, le juge d'instruction a même
considéré qu'elle était largement sous-évaluée. D'après les autorités
cantonales, cette estimation prendrait du reste également en compte les
éventuels acquittements qui pourront être prononcés sur la base du principe
in dubio pro reo.
Quoiqu'il en soit, le recourant ayant effectué environ seize mois de
détention préventive, cette dernière est encore compatible avec le principe
de la proportionnalité. Il est également tenu compte, dans cette
appréciation, du fait que l'enquête est terminée et que l'audience de
jugement sera selon toute vraisemblance rapidement fixée. Les autorités
cantonales sont en tout cas invitées à tout mettre en oeuvre dans ce sens. Le
grief doit par conséquent être rejeté.

5.
Le recourant reproche encore à l'autorité intimée de ne pas avoir examiné si
des mesures moins coercitives s'imposaient. Il fait référence à l'un de ses
précédents recours (daté du 12 juin 2006), dans lequel il proposait comme
mesure de substitution, la possibilité de travailler dans le domaine agricole
de sa fille, acceptant, le cas échéant, de ne pas s'en éloigner et de déposer
ses papiers d'identité.

5.1 Il sera au préalable relevé que le recourant n'a - à aucun moment -
sollicité de telles mesures dans le cadre de la présente procédure. Le juge
d'instruction et le juge de l'arrestation ont néanmoins examiné cette
question. Le premier a estimé qu'une telle mesure serait vaine, en faisant
référence au contrôle judiciaire, ordonné dans le cadre d'une procédure
pénale ouverte contre le recourant en France, qui n'avait cependant pas
empêché ce dernier de commettre d'autres délits en 1995 et 1996. Le second a
estimé que des mesures de substitution ne seraient pas suffisantes pour parer
au risque de réitération.

5.2 En réponse au recours du 12 juin 2006, le juge d'instruction avait quant
à lui relevé qu'au vu de la nature des infractions commises et de
l'importante énergie criminelle déployée par le prévenu depuis de nombreuses
années, les mesures de substitution proposées n'étaient pas adéquates et
suffisantes pour éviter une réitération d'actes délictueux. Il rappelait
également que le recourant avait commis diverses infractions lors de son
activité sur l'exploitation agricole de sa fille, qui avait également été
condamnée pour certaines d'entre elles.

5.3 Le recourant estime que la situation serait aujourd'hui différente. Il ne
motive toutefois pas cette allégation. Au vu des considérations du juge
d'instruction, dont il n'apparaît pas qu'elles aient perdu toute validité, il
peut être retenu que des mesures de substitution ne sont effectivement pas
propres à écarter le risque de réitération. Le grief doit dès lors être
rejeté.

6.
Enfin, le recourant soutient que la possibilité d'une libération
conditionnelle devrait être prise en considération.
Contrairement à ce que semble affirmer le recourant, il n'y a - sauf
circonstances exceptionnelles dont il ne saurait être question en l'espèce -
pas lieu de tenir compte, dans l'évaluation de la détention préventive, de la
possibilité d'une libération conditionnelle ultérieure au sens de l'art. 38
al. 1 CP (cf. arrêt 1P.493/006 du 5 septembre 2006). Qui plus est, le
recourant semble oublier qu'il a déjà bénéficié de la libération
conditionnelle en 1997, sans toutefois manifestement savoir en tirer
avantage.
Partant, une violation du principe de la proportionnalité ne saurait être
retenue. Le grief doit donc être rejeté.

7.
Il résulte de ce qui précède que le recours de droit public doit être rejeté.
Les conditions de l'art. 152 al. 1 OJ étant réunies, il convient de faire
droit à la demande d'assistance judiciaire et de statuer sans frais. Me Luc
Jacopin est désigné comme avocat d'office du recourant pour la présente
procédure et une indemnité lui sera versée à titre d'honoraires par la Caisse
du Tribunal fédéral (art. 152 al. 2 OJ).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours de droit public est rejeté, dans la mesure de sa recevabilité.

2.
La demande d'assistance judiciaire est admise. Me Luc Jacopin est désigné
comme avocat d'office du recourant et une indemnité de 1'000 fr. lui est
versée à titre d'honoraires, à payer par la caisse du Tribunal fédéral.

3.
Il n'est pas perçu d'émolument judiciaire.

4.
Le présent arrêt est communiqué en copie au mandataire du recourant, au Juge
d'instruction cantonal 6, au Procureur général et à la Chambre d'accusation
de la Cour suprême du canton de Berne.

Lausanne, le 3 novembre 2006

Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse

Le président:  La greffière: