Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Öffentlich-rechtliche Abteilung 1P.691/2006
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{T 0/2}
1P.691/2006 /col

Arrêt du 14 décembre 2006
Ire Cour de droit public

MM. les Juges Féraud, Président,
Fonjallaz et Eusebio.
Greffier: M. Rittener.

A. ________,
recourant, représenté par Me Florence Yersin, avocate,

contre

B.________,
intimée,
représentée par Me Tirile Tuchschmid Monnier, avocate,
Procureur général du canton de Genève,
case postale 3565, 1211 Genève 3,
Cour de cassation du canton de Genève,
case postale 3108, 1211 Genève 3.

procédure pénale, appréciation des preuves

recours de droit public contre l'arrêt de la Cour de cassation du canton de
Genève du 15 septembre 2006.

Faits :

A.
Par arrêt du 2 février 2006, la Cour correctionnelle sans jury du canton de
Genève (ci-après: la Cour correctionnelle) a condamné A.________ à deux ans
de réclusion pour contrainte sexuelle, viol et actes d'ordre sexuel avec une
enfant. Elle l'a condamné à verser à B.________ la somme de 10'000 fr. avec
intérêt à 5% dès le 1er avril 2004 et a réservé le dommage matériel futur. La
Cour correctionnelle a notamment retenu les faits suivants:
B.________, née en 1990, a été placée dans la famille de A.________ depuis
l'âge de cinq ans environ, avec une interruption d'une dizaine de mois
lorsqu'elle était âgée de neuf ans. Ce placement est intervenu à la demande
de sa mère, en raison notamment de relations conflictuelles. B.________ a
présenté très jeune des difficultés et des troubles de la personnalité
nécessitant un suivi thérapeutique. Elle s'est néanmoins très bien intégrée
dans sa famille d'accueil et considérait les époux A.________ comme ses
propres parents et leurs cinq enfants comme ses frères et soeurs. Entre fin
mars et mi-avril 2004, A.________ a contraint B.________, alors âgée de
treize ans et demi, à subir à deux reprises un acte d'ordre sexuel et à une
reprise un rapport sexuel complet.
Ces derniers faits correspondent à la version donnée par B.________.
Confrontée à une version différente de A.________, qui nie avoir commis les
actes qui lui sont reprochés, la Cour correctionnelle l'a écartée. Elle a
acquis la conviction que les déclarations de la victime correspondaient à la
réalité et qu'elles étaient sensiblement plus crédibles que les dénégations
de l'accusé. La conviction de la Cour se fondait notamment sur les auditions
des personnes impliquées, sur une expertise de crédibilité du Dr Monique
Gauthey et sur les constatations médicales du Dr Barbara Beier.

B.
A.________ a recouru contre ce jugement auprès de la Cour de cassation du
canton de Genève, qui l'a confirmé par arrêt du 15 septembre 2006. En
substance, la Cour de cassation genevoise a considéré que les premiers juges
n'avaient pas fait preuve d'arbitraire en s'appuyant sur l'expertise de
crédibilité pour privilégier la version de B.________, les autres éléments du
dossier et le témoignage du Dr Beier conduisant en outre à la même
conclusion. Le principe de la présomption d'innocence n'avait donc pas été
violé.

C.
Agissant par la voie du recours de droit public, A.________ demande au
Tribunal fédéral d'annuler cet arrêt. Il invoque l'art. 6 par. 2 et 3 CEDH
pour se plaindre d'une violation du principe de la présomption d'innocence et
reproche à l'autorité intimée d'avoir apprécié les preuves de façon
arbitraire (art. 9 Cst.). Il requiert en outre l'assistance judiciaire
gratuite. La Cour de cassation genevoise a renoncé à formuler des
observations. Le Procureur général du canton de Genève et B.________ se sont
déterminés; ils concluent au rejet du recours.

D.
Par ordonnance du 6 novembre 2006, le Président de la Ire Cour de droit
public a accordé l'effet suspensif au recours.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
Le pourvoi en nullité à la Cour de cassation pénale du Tribunal fédéral
n'étant pas ouvert pour se plaindre d'une appréciation arbitraire des preuves
et des constatations de fait qui en découlent (ATF 124 IV 81 consid. 2a p.
83) ni pour invoquer une violation directe d'un droit constitutionnel ou
conventionnel, tel que la maxime "in dubio pro reo" consacrée aux art. 32 al.
1 Cst. et 6 par. 2 CEDH (ATF 121 IV 104 consid. 2b p. 107; 120 Ia 31 consid.
2b p. 35 s.), la voie du recours de droit public est ouverte à cet égard
(art. 84 al. 2 OJ). Pour le surplus, la condamnation du recourant se trouve
confirmée par l'arrêt attaqué, de sorte qu'il a qualité pour contester ce
prononcé (art. 88 OJ).

2.
Le recourant se plaint d'une violation du principe de la présomption
d'innocence et d'arbitraire dans l'appréciation des preuves.

2.1 Selon la jurisprudence, l'arbitraire, prohibé par l'art. 9 Cst., ne
résulte pas du seul fait qu'une autre solution pourrait entrer en
considération ou même qu'elle serait préférable; le Tribunal fédéral ne
s'écarte de la solution retenue en dernière instance cantonale que si elle
est manifestement insoutenable, méconnaît gravement une norme ou un principe
juridique clair et indiscuté ou si elle heurte de manière choquante le
sentiment de la justice ou de l'équité. Il ne suffit pas que la motivation de
la décision soit insoutenable; encore faut-il qu'elle soit arbitraire dans
son résultat (ATF 132 I 13 consid. 5.1 p. 17; 131 I 217 consid. 2.1 p. 219,
57 consid. 2 p. 61; 129 I 173 consid. 3.1 p. 178).

2.1.1 L'appréciation des preuves est en particulier arbitraire lorsque le
juge de répression n'a manifestement pas compris le sens et la portée d'un
moyen de preuve, s'il a omis, sans raison sérieuse, de tenir compte d'un
moyen important propre à modifier la décision attaquée ou encore si, sur la
base des éléments recueillis, il a fait des déductions insoutenables (ATF 129
I 8 consid. 2.1 p. 9). Il en va de même lorsqu'il retient unilatéralement
certaines preuves ou lorsqu'il rejette des conclusions pour défaut de
preuves, alors même que l'existence du fait à prouver résulte des allégations
et du comportement des parties (ATF 118 Ia 28 consid. 1b p. 30). Il ne suffit
pas qu'une interprétation différente des preuves et des faits qui en
découlent paraisse également concevable pour que le Tribunal fédéral
substitue sa propre appréciation des preuves à celle effectuée par l'autorité
de condamnation, qui dispose en cette matière d'une grande latitude. En
serait-il autrement, que le principe de la libre appréciation des preuves par
le juge du fond serait violé (ATF 120 Ia 31 consid. 2d p. 37 s.).
2.1.2 Lorsque, comme en l'espèce, l'autorité cantonale de recours avait, sur
les questions posées dans le recours de droit public, une cognition semblable
à celle du Tribunal fédéral, ce dernier porte concrètement son examen sur
l'arbitraire du jugement de l'autorité inférieure, à la lumière des griefs
soulevés dans l'acte de recours. Cependant, pour se conformer aux exigences
de l'art. 90 al. 1 let. b OJ, le recourant ne peut pas simplement reprendre
les critiques qu'il a formulées en instance cantonale devant l'autorité de
cassation, mais il doit exposer pourquoi cette dernière aurait refusé à tort
de qualifier d'arbitraire l'appréciation des preuves par l'autorité de
première instance. Le Tribunal fédéral se prononce librement sur cette
question (ATF 125 I 492 consid. 1a/cc et 1b p. 495 et les arrêts cités).

2.2 La présomption d'innocence est garantie par l'art. 6 ch. 2 CEDH et par
l'art. 32 al. 1 Cst., qui ont la même portée. Elle a pour corollaire le
principe "in dubio pro reo", qui concerne tant le fardeau de la preuve que
l'appréciation des preuves. En tant que règle de l'appréciation des preuves,
ce principe, dont la violation n'est invoquée que sous cet angle par le
recourant, signifie que le juge ne peut se déclarer convaincu d'un état de
fait défavorable à l'accusé, lorsqu'une appréciation objective de l'ensemble
des éléments de preuve laisse subsister un doute sérieux et insurmontable
quant à l'existence de cet état de fait (ATF 127 I 38 consid. 2a p. 41; 124
IV 86 consid. 2a p. 88; 120 Ia 31 consid. 2c p. 37). Le Tribunal fédéral ne
revoit les constatations de fait et l'appréciation des preuves que sous
l'angle restreint de l'arbitraire (ATF 127 I 38 consid. 2a p. 41; 124 I 208
consid. 4 p. 211; 120 Ia 31 consid. 2d p. 37/38). Il examine en revanche
librement la question de savoir si, sur la base du résultat d'une
appréciation non arbitraire des preuves, le juge aurait dû éprouver un doute
sérieux et insurmontable quant à la culpabilité de l'accusé; dans cet examen,
il s'impose toutefois une certaine retenue, le juge du fait, en vertu du
principe de l'immédiateté, étant mieux à même de résoudre la question (cf.
arrêts non publiés 1P.454/2005 du 9 novembre 2005, consid. 2.1; 1P.428/2003
du 8 avril 2004, consid. 4.2 et 1P.587/2003 du 29 janvier 2004, consid. 7.2).

3.
3.1 En l'espèce, le recourant reproche en substance à la Cour de cassation
genevoise d'avoir violé le principe de la présomption d'innocence et d'avoir
fait preuve d'arbitraire en confirmant l'appréciation des premiers juges et
en privilégiant la version de la victime à la sienne. Il estime qu'une
importance excessive a été accordée à l'expertise de crédibilité et que
celle-ci laissait planer un doute quant à la réalité des faits qui lui
étaient reprochés; les juges ne pouvaient donc pas se reposer sur les seules
conclusions de l'experte et les tenir pour avérées. Il allègue en outre que
les déclarations de l'intimée présentaient des "variations permanentes" et
des "incohérences majeures".

3.2 Comme l'a justement relevé la Cour de cassation genevoise, le recours à
une expertise de crédibilité était nécessaire en raison des versions
contradictoires données par les protagonistes et compte tenu des
circonstances particulières du cas d'espèce, notamment des troubles de la
personnalité de l'intimée et de la situation complexe de la famille
d'accueil. Cette expertise a été menée dans les règles de l'art et de façon
circonstanciée, l'experte n'hésitant pas à relever que l'intimée serait
capable de mentir sciemment pour attirer l'attention sur elle. Or, le fait
que cette possibilité ait été dûment prise en compte donne plus de poids aux
conclusions de l'experte, qui estime que, sur le vu de l'ensemble des
éléments en sa possession, l'hypothèse d'un mensonge est peu soutenue. Cette
analyse s'appuie sur une étude approfondie de l'histoire personnelle de la
victime ainsi que sur de nombreuses auditions des personnes impliquées. Par
ailleurs, les révélations faites à la police lors d'une audition filmée le 26
avril 2004 sont qualifiées de cohérentes et crédibles, les déclarations
sobres de l'intimée dénotant même une tendance à minimiser les faits.
Entendue en présence du recourant et de son mandataire, l'experte a confirmé
ses conclusions et précisé que l'intimée - qui était attachée à sa famille
d'accueil et qui ne cherchait pas à l'accabler dans ses déclarations -
n'avait aucun intérêt à maintenir un éventuel mensonge. Dans ces conditions,
il n'était en tout cas pas insoutenable de se fonder sur les conclusions de
l'expertise précitée pour apprécier la crédibilité des déclarations de
l'intimée.
Il convient en outre de relever que les premiers juges ont forgé leur opinion
sur la base de l'ensemble du dossier. Ils ont en particulier pris en compte
les conclusions de l'examen gynécologique effectué par le Dr Beier, qui sont
compatibles avec les déclarations de la victime. Ils ont également procédé à
une appréciation de la personnalité des intéressés, relevant à cet égard que
si l'intimée avait souvent été accusée de mensonges à tort, le recourant
avait quant à lui marqué une réelle tendance à travestir ou à minimiser la
réalité. Enfin, la Cour correctionnelle a considéré que les deux incohérences
relevées dans les déclarations de l'intimée ne suffisaient pas à mettre en
doute sa crédibilité. A cet égard, le recourant se plaint, confusément, d'une
violation des règles sur le fardeau de la preuve. Il n'avait cependant pas
présenté ce grief devant la Cour de cassation. Or, sauf exceptions dont
aucune n'est réalisée en l'espèce, il découle du principe de l'épuisement des
voies de recours cantonales (art. 86 al. 1 OJ) que les griefs qui n'ont pas
été présentés à l'autorité cantonale de dernière instance alors qu'ils
pouvaient l'être sont irrecevables devant le Tribunal fédéral (ATF 119 Ia 88
consid. 1a p. 90 s.; 117 Ia 491 consid. 2a p. 495, 522 consid. 3a p. 525 s.).
Pour le surplus, le recourant reprend essentiellement les critiques qu'il
avait développées devant la Cour de cassation, sans démontrer en quoi
celle-ci les aurait écartées de manière insoutenable; la recevabilité de ces
critiques est dès lors douteuse au regard des exigences de motivation posées
par l'art. 90 al. 1 let. b OJ (cf. supra consid. 2.1.2). Quoi qu'il en soit,
il découle de ce qui précède que l'autorité intimée n'a pas fait preuve
d'arbitraire en se ralliant à l'appréciation de la Cour correctionnelle.

3.3 Dans ces circonstances, c'est à juste titre que la Cour de cassation
genevoise a considéré que les premiers juges n'avaient pas usé de leur large
pouvoir d'appréciation des preuves de manière arbitraire. Dès lors qu'au
terme de cette appréciation des preuves exempte d'arbitraire il ne subsiste
pas de doute sérieux et irréductible quant à la culpabilité du recourant, le
grief tiré de la violation de la présomption d'innocence doit être rejeté.

4.
Il s'ensuit que le recours doit être rejeté, dans la mesure où il est
recevable. Dès lors que le recourant est dans le besoin et que ses
conclusions ne paraissaient pas d'emblée vouées à l'échec, l'assistance
judiciaire doit lui être accordée (art. 152 al. 1 OJ). Il y a lieu de
désigner Me Florence Yersin en qualité d'avocate d'office et de fixer
d'office ses honoraires, qui seront supportés par la caisse du Tribunal
fédéral (art. 152 al. 2 OJ).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est rejeté, dans la mesure où il est recevable.

2.
La demande d'assistance judiciaire est admise.

3.
Il n'est pas perçu d'émolument judiciaire.

4.
Me Florence Yersin, avocate à Genève, est désignée comme avocate d'office du
recourant et ses honoraires, supportés par la caisse du Tribunal fédéral,
sont fixés à 1500 fr.

5.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des parties, au
Procureur général et à la Cour de cassation du canton de Genève.

Lausanne, le 14 décembre 2006

Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse

Le président:  Le greffier: