Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Öffentlich-rechtliche Abteilung 1P.681/2006
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{T 0/2}
1P.681/2006 /fzc

Arrêt du 27 octobre 2006
Ire Cour de droit public

MM. les Juges Féraud, Président,
Aeschlimann et Fonjallaz.
Greffière: Mme Angéloz.

X. ________,
recourant,
représenté par Me Daniel Kinzer, avocat,

contre

Ministère public du canton de Genève,
Palais de Justice, place du Bourg-de-Four 1,
1204 Genève,
Chambre d'accusation du canton de Genève,
case postale 3108, 1211 Genève 3.

refus de mise en liberté provisoire,

recours de droit public contre l'ordonnance de la Chambre d'accusation du
canton de Genève du
12 septembre 2006.

Faits:

A.
X. ________, ressortissant albanais né en 1979, a été arrêté le 18 septembre
2005 à Genève. Il était suspecté d'avoir participé à une agression survenue
la nuit précédente dans un bar, lors de laquelle, entrant dans le bar avec
deux comparses, il se serait dirigé avec eux vers Y.________, qu'ils auraient
aussitôt entouré. X.________ et l'un de ses comparses se seraient alors
placés derrière Y.________, auquel plusieurs coups de couteau ont été portés,
qui lui ont causé de nombreuses plaies au dos et une lésion d'un rein. Cette
agression faisait suite à une altercation, survenue dans l'après-midi du 17
septembre 2005, lors de laquelle Y.________ serait intervenu pour séparer les
protagonistes, dont l'un des comparses de X.________.

Dans un premier temps, X.________ a été inculpé de lésions corporelles
graves. Le 6 décembre 2005, il a été inculpé, outre de lésions corporelles
graves, de lésions corporelles simples et de crime manqué de meurtre, en
qualité de coauteur.

Le 21 décembre 2005, X.________ a sollicité une première fois sa mise en
liberté provisoire, qui lui a été refusée le même jour par le magistrat
instructeur, puis, sur recours, par ordonnance de la Chambre d'accusation
genevoise du 23 décembre 2005.

Le 31 mars 2006, X.________ a été renvoyé en jugement devant la Cour
d'assises, comme accusé de coactivité de crime manqué d'assassinat.
Ultérieurement, l'audience a été agendée au 13 novembre 2006.

B.
Par requête du 6 septembre 2006 adressée à la Chambre d'accusation,
X.________ a sollicité une nouvelle fois sa mise en liberté provisoire. Il
proposait de se soumettre à diverses mesures (interdiction d'entrer en
contact avec la victime et les personnes impliquées, de fréquenter certains
établissements publics et de quitter le territoire du canton de Genève; dépôt
de son passeport; obligation de se présenter, sur leur requête, aux autorités
ainsi qu'à l'audience de jugement). Il a en outre offert le versement d'une
caution de 10.000 francs.

Par ordonnance du 12 septembre 2006, la Chambre d'accusation a refusé de
libérer provisoirement X.________. Estimant qu'aucun élément nouveau ne
l'amenait à s'en écarter, elle s'est référée à sa précédente ordonnance du 23
décembre 2005. Elle a ainsi justifié le maintien en détention par l'existence
de charges suffisantes et d'un risque de fuite, que la caution proposée ne
permettait pas d'écarter, ainsi que de collusion et de récidive. Elle a en
outre observé que, compte tenu de la peine encourue par l'inculpé, la durée
de la détention préventive subie ne heurtait pas le principe de la
proportionnalité. Elle a encore rappelé que l'audience de la Cour d'assises
était appointée pour la première quinzaine du mois de novembre 2006.

C.
X.________ forme un recours de droit public au Tribunal fédéral, pour
violation de l'art. 17 al. 2 de la Constitution genevoise (Cst. gen.) et de
l'art. 10 al. 2 Cst. Il conclut à l'annulation de la décision attaquée et à
sa mise en liberté provisoire immédiate, reprenant à l'appui de cette
dernière conclusion sa proposition de se soumettre aux mesures évoquées dans
sa requête du 6 septembre 2006 et de verser une caution de 10.000 francs. Il
sollicite par ailleurs l'assistance judiciaire.

Le Ministère public conclut au rejet du recours dans la mesure de sa
recevabilité.

Le recourant a répliqué, persistant dans ses conclusions.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
Le Tribunal fédéral examine d'office et librement la recevabilité des recours
qui lui sont soumis (ATF 130 I 312 consid. 1 p. 317; 130 II 249 consid. 2 p.
250, 302 consid. 3 p. 303/304, 306 consid. 1.1 p. 308 et les arrêts cités).

1.1 Le recourant est personnellement touché par la décision attaquée et a un
intérêt juridiquement protégé à ce qu'elle n'ait pas été rendue en violation
de ses droits constitutionnels. Il conserve par ailleurs un intérêt actuel et
pratique à l'examen du présent recours dans la mesure où ce dernier n'a pas
perdu son objet au moment où le Tribunal fédéral statue, c'est-à-dire où il
n'est pas établi qu'à ce jour le recourant aurait été libéré (cf. arrêts
1P.224/1999 consid. 1a, 1P.732/1998 consid. 2b et 1P.62/1993 consid. 1b).
Que, comme le fait valoir le Ministère public, le recourant aurait pu,
postérieurement à la décision attaquée, solliciter à nouveau sa mise en
liberté est manifestement impropre à l'infirmer.

1.2 Par exception à la nature cassatoire du recours de droit public, la
conclusion du recourant tendant, au-delà de l'annulation de la décision
attaquée, à ce que le Tribunal fédéral ordonne sa libération immédiate est
recevable (ATF 124 I 327 consid. 4b/aa p. 333).

2.
Le recourant soutient que son maintien en détention viole l'art. 17 al. 2
Cst. gen. et l'art. 10 al. 2 Cst. Il conteste l'existence d'un risque aussi
bien de fuite que de collusion et de réitération; du moins, les mesures
auxquelles il propose de se soumettre et le versement de la caution offerte
suffiraient à le contenir.

2.1 L'art. 17 al. 2 Cst. gen. prévoit que le mandat d'arrêt ne peut être
décerné que s'il existe contre l'inculpé des charges suffisantes et si, en
outre, l'une des conditions suivantes est remplie: la gravité de l'infraction
l'exige (let. a); les circonstances font penser qu'il y a danger de fuite, de
collusion, de nouvelle infraction (let. b); l'intérêt de l'instruction
l'exige (let. c).

Le recourant ne prétend pas que cette disposition lui accorderait une
protection plus étendue que celle qui, s'agissant d'un maintien en détention,
peut être déduite de la liberté personnelle garantie par l'art. 10 al. 2 Cst.
Il ne présente d'ailleurs pas d'argumentation distincte à l'appui de l'un et
l'autre grief. Il suffit donc d'examiner la question soulevée sous l'angle de
l'art. 10 al. 2 Cst.

2.2 Le maintien d'une personne en détention est compatible avec la liberté
personnelle garantie par l'art. 10 al. 2 Cst., pour autant que cette mesure
repose sur une base légale claire, soit ordonnée dans l'intérêt public et
respecte le principe de la proportionnalité (art. 36 al. 1 à 3 Cst.; ATF 123
I 268 consid. 2c p. 270; 114 Ia 281 consid. 3 p. 283; 107 Ia 148 consid. 2 p.
149; 106 Ia 277 consid. 3a p. 281 et les arrêts cités). Pour répondre à un
intérêt public, la privation de liberté doit être justifiée par les besoins
de l'instruction, un risque de fuite ou un danger de collusion ou de
réitération (ATF 124 I 336 consid. 4c p. 340). Sa conformité au principe de
la proportionnalité implique que sa durée ne dépasse pas celle de la peine
privative de liberté qui pourrait, le cas échéant, être prononcée (ATF 126 I
172 consid. 5a p. 176/177 et les arrêts cités). Préalablement aux conditions
de légalité, d'intérêt public et de proportionnalité, il doit exister à
l'encontre de l'intéressé des charges suffisantes (ATF 116 Ia 143 consid. 3
p. 144).
L'incarcération d'une personne ou son maintien en détention représente une
restriction grave de sa liberté personnelle. Aussi, le Tribunal fédéral
examine-t-il librement la réalisation des conditions auxquelles cette
restriction est compatible avec la liberté personnelle, sous réserve
toutefois des constatations de fait et de l'appréciation des preuves, qu'il
ne revoit que sous l'angle restreint de l'arbitraire (ATF 123 I 31 consid. 3a
p. 35, 268 consid. 2d p. 271; 115 Ia 293 consid. 1b p. 297).

2.3 Avec raison, le recourant ne conteste pas que son maintien en détention
repose sur une base légale suffisante (cf. art. 17 à 19 et 25 ss Cst. gen.;
art. 33 à 40 du code de procédure pénale genevois (CPP/GE), ni, au vu des
soupçons graves qui pèsent sur lui, l'existence de charges suffisantes. A
juste titre aussi, compte tenu de la peine encourue, il ne prétend pas que la
durée de sa détention heurterait le principe de la proportionnalité.

2.4 Un maintien en détention à raison d'un risque de fuite suppose qu'un tel
risque existe concrètement. Celui-ci ne peut être déduit uniquement de la
gravité de l'infraction suspectée, même si, compte tenu de l'ensemble des
circonstances, la perspective d'une longue peine privative de liberté permet
souvent d'en présumer l'existence; il doit s'analyser en fonction d'un
ensemble de critères tels que le caractère de l'intéressé, sa moralité, ses
ressources, ses contacts à l'étranger et, le cas échéant, ses liens avec
l'Etat qui le poursuit (ATF 125 I 60 consid. 3a p. 62 et les arrêts cités).
Lorsqu'elle admet l'existence d'un risque de fuite, l'autorité doit en outre
examiner s'il ne peut être contenu par une mesure moins rigoureuse (ATF 125 I
60 consid. 3a p. 62; 123 I 268 consid. 2c p. 271; 108 Ia 64 consid. 3 p. 67;
102 Ia 379 consid. 2a p. 381/382 et les arrêts cités), telle que le versement
d'une caution. L'importance de la garantie doit être appréciée au regard des
ressources du prévenu, de ses liens avec les personnes pouvant lui servir de
caution et de la confiance que l'on peut avoir dans le fait que la
perspective de perdre le montant agira comme un frein suffisamment puissant
pour écarter toute velléité de fuite (ATF 105 Ia 186 consid. 4a p. 187 et la
jurisprudence européenne citée).

2.5 Le recourant est soupçonné d'avoir participé, en tant que coauteur, à un
crime manqué d'assassinat, soit l'infraction la plus grave réprimée par le
code pénal. Ces faits, s'ils devaient être retenus à sa charge,
l'exposeraient à une lourde peine, de plusieurs années de réclusion. Certes,
un risque de fuite ne saurait être déduit uniquement de la gravité de
l'infraction en cause. En l'espèce, compte tenu des circonstances, la
perspective de la condamnation qui pourrait être prononcée en fait toutefois
fortement présumer l'existence. Par le passé, le recourant a résidé en Suisse
sous une fausse identité. En avril 2000, il a été arrêté pour trafic
d'héroïne et, après avoir purgé sa peine, a été refoulé vers son pays. Il est
néanmoins revenu en Suisse, où il a été derechef arrêté pour trafic d'héroïne
en mars 2001, puis, pour infraction à la LSEE et faux dans les certificats,
en septembre 2001. Si, comme il l'allègue, son épouse, de nationalité
étrangère et dont il n'a pas d'enfant, est établie et travaille en Suisse,
toute sa famille vit en Albanie. Enfin, l'agression à laquelle le recourant
est soupçonné d'avoir participé, avec deux autres Albanais, apparaît comme un
acte de représailles, consécutif à une altercation. Dans ces conditions,
l'autorité cantonale était fondée à retenir un risque concret de fuite. Pour
le contester, le recourant allègue vainement qu'en prenant la fuite, il
péjorerait sa situation; il est pour le moins douteux que la sévérité accrue
d'un jugement rendu par défaut aurait un effet dissuasif suffisant face à la
perspective d'une peine de plusieurs années de réclusion.

Le recourant propose diverses mesures, selon lui suffisantes à contenir le
risque de fuite. Il est cependant fort peu vraisemblable que le dépôt de son
passeport ou l'engagement de ne pas rencontrer certaines personnes, de ne pas
fréquenter certains établissements publics ou de se présenter sur requête aux
autorités suffiraient à prévenir le risque de fuite, face à la menace d'une
lourde peine privative de liberté. De même, il est peu vraisemblable que le
versement d'une caution de 10.000 francs puisse suffire, d'autant plus que la
provenance de cette somme n'est pas établie avec certitude; le recourant se
borne en effet à affirmer qu'elle a été économisée par son épouse sur le
produit de son travail et "complétée par un soutien de proches".

Au vu de ce qui précède, l'autorité cantonale était fondée à admettre un
risque concret de fuite, que les garanties offertes ne suffisent pas à
contenir. Le maintien en détention est donc justifié pour ce motif, ce qui
rend superflu l'examen du bien-fondé des risques de collusion et de
réitération également retenus.

2.6 En conclusion, le maintien en détention du recourant, contre lequel
pèsent des charges suffisantes, repose sur une base légale claire, répond à
un intérêt public à éviter la réalisation d'un risque concret de fuite, que
les garanties offertes ne suffiraient pas à contenir, et ne heurte pas le
principe de la proportionnalité. Il ne viole donc pas les droits de rang
constitutionnel invoqués.

3.
Le recours de droit public doit ainsi être rejeté. Comme ses conclusions
étaient d'emblée vouées à l'échec, l'assistance judiciaire ne peut être
accordée (art. 152 al. 1 OJ). Il sera toutefois renoncé à la perception de
frais.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est rejeté.

2.
La requête d'assistance judiciaire est rejetée.

3.
Il est statué sans frais.

4.
Le présent arrêt est communiqué en copie au mandataire du recourant, au
Ministère public et à la Chambre d'accusation du canton de Genève.

Lausanne, le 27 octobre 2006

Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse

Le président:  La greffière: