Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Öffentlich-rechtliche Abteilung 1P.665/2006
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{T 0/2}
1P.665/2006 /col

Arrêt du 24 octobre 2006
Ire Cour de droit public

MM. les Juges Féraud, Président,
Aeschlimann et Reeb.
Greffière: Mme Truttmann.

A. ________,
recourant, représenté par Me Dominique Morard, avocat,

contre

Président du Tribunal pénal de la Gruyère,
Le Château, case postale 364, 1630 Bulle,
Ministère public du canton de Fribourg,
rue de Zaehringen 1, 1700 Fribourg,
Tribunal cantonal de l'Etat de Fribourg,
Chambre pénale, case postale 56, 1702 Fribourg.

mise en détention,

recours de droit public contre l'arrêt de la Chambre pénale du Tribunal
cantonal de l'Etat de Fribourg du
3 octobre 2006.

Faits:

A.
Par jugement du 23 septembre 2003, le Tribunal pénal de la Gruyère (ci-après:
le Tribunal pénal) a reconnu A.________, qui a partiellement admis les faits
reprochés, coupable d'actes d'ordre sexuel avec des enfants, de tentative
d'actes d'ordre sexuel avec des enfants, de contrainte sexuelle, de viol,
d'actes d'ordre sexuel commis sur une personne incapable de discernement ou
de résistance et de pornographie, au préjudice de ses deux nièces, nées en
1987 et 1988. Il l'a condamné à une peine de sept ans et demi de réclusion
ainsi qu'au versement d'indemnités en faveur des victimes et de leurs
parents. Il a également ordonné son arrestation immédiate, compte tenu de la
peine prononcée, du risque de fuite et des motifs de sauvegarde de l'ordre
public.
Par arrêt du 9 septembre 2004, la Cour d'appel pénale du Tribunal cantonal de
l'Etat de Fribourg a annulé ce jugement et a renvoyé la cause au juge
d'instruction pour complément d'enquête. Elle a estimé que le Tribunal pénal
ne pouvait pas statuer sans faire instruire préalablement les révélations
faites à l'audience de jugement.
Par ordonnance du 7 octobre 2004, le juge d'instruction a prononcé le
maintien en détention préventive de A.________ en raison du risque de
collusion, de fuite et de sauvegarde de l'ordre public.
Par arrêt du 27 octobre 2004, la Chambre pénale du Tribunal cantonal de
l'Etat de Fribourg (ci-après: la Chambre pénale) a partiellement admis le
recours interjeté par A.________ contre cette dernière décision, a rejeté sa
demande de mise en liberté et a invité le juge d'instruction à fixer les
conditions auxquelles la liberté provisoire serait subordonnée.
Le 15 novembre 2004, le juge d'instruction a prononcé la mise en liberté
provisoire de A.________, sous trois conditions: l'interdiction d'entrer en
contact avec les victimes et leurs parents, l'obligation de continuer la
psychothérapie suivie et la remise d'une caution de 15'000 francs.
Le 20 avril 2005, le juge d'instruction a ordonné la mise en détention
préventive de A.________ en raison de l'échec du suivi psychothérapique et a
requis le juge de la détention de ratifier sa décision. Par ordonnance du
lendemain, ce dernier a ordonné la mise en liberté provisoire immédiate de
A.________, au motif que le risque de réitération n'était pas établi.
S'agissant du suivi médical, il lui a imparti un délai de 10 jours pour
communiquer au juge d'instruction le nom du psychiatre qu'il aura choisi.
Par arrêt du 10 mai 2005, la Chambre pénale a admis le recours interjeté par
le Ministère public contre cette ordonnance et a renvoyé la cause au juge
d'instruction en l'invitant à placer A.________ en détention préventive et à
lui restituer la caution de 15'000 francs.
Par arrêt du 9 juin 2005, le Tribunal fédéral a partiellement admis le
recours interjeté par A.________ contre l'arrêt du 10 mai 2005, a annulé la
décision attaquée et a rejeté la demande de mise en liberté provisoire. Il a
jugé que le risque de récidive n'était pas suffisamment concret. Il a
cependant considéré que cela n'entraînait pas la libération de A.________, le
juge d'instruction devant décider si la mise en liberté provisoire devait
intervenir inconditionnellement ou si elle devait être subordonnée au
versement d'une caution. Le juge d'instruction était également invité à
veiller à ce que le traitement psychothérapique soit repris.
Par ordonnance du 25 juillet 2005, le juge d'instruction a prononcé la mise
en liberté provisoire de A.________, aux mêmes conditions que le 15 novembre
2004.

B.
Par jugement du 20 septembre 2006, le Tribunal pénal a condamné A.________ à
une peine de neuf ans de réclusion. Il l'a reconnu coupable d'actes d'ordre
sexuel avec une enfant, de tentative d'actes d'ordre sexuel avec une enfant,
de contrainte sexuelle, d'actes d'ordre sexuel commis sur une personne
incapable de discernement ou de résistance et de viols. Il l'a notamment
astreint à verser une indemnité  de 100'000 fr. à ses nièces, de 45'000 fr. à
leurs parents et a dit que la somme de 15'000 fr. déposée à titre de caution
serait versée à raison de 7'500 fr. en faveur de chacune de ses nièces.
Le Président du Tribunal pénal a ordonné l'arrestation immédiate de
A.________ compte tenu de la peine prononcée, du risque de fuite et des
motifs de sauvegarde de l'ordre public.

A. ________ a recouru contre cette décision auprès de la Chambre pénale. Par
arrêt du 3 octobre 2006, cette dernière a confirmé l'existence d'un risque de
fuite et a rejeté le recours.
Quand bien même aucun acte de recours ne figure au dossier cantonal, il
ressort implicitement de l'acte de recours de A.________, que ce dernier a
également recouru contre le jugement du Tribunal pénal du 20 septembre 2006.
Il se plaint à cet égard d'une violation de la présomption d'innocence et
d'une appréciation arbitraire des preuves. Le jugement transgresserait en
outre le droit matériel s'agissant de la fixation de la peine.

C.
Agissant par la voie du recours de droit public, A.________ demande au
Tribunal fédéral d'annuler l'arrêt rendu par la Chambre pénale le 3 octobre
2006 et de le libérer immédiatement. Il se plaint d'une violation des art. 10
al. 2, 31 et 36 Cst. ainsi que de l'art. 5 CEDH. Il requiert en outre l'effet
suspensif et l'assistance judiciaire.
La Chambre pénale n'a pas formulé d'observations. Le Président du Tribunal
pénal et le Ministère public concluent au rejet du recours.
Par ordonnance du 10 octobre 2006, le Président de la Ire Cour de droit
public a rejeté la demande d'effet suspensif formulée par A.________.
Invité à répliquer, A.________ a maintenu ses conclusions.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
Formé en temps utile contre une décision finale prise en dernière instance
cantonale et qui touche le recourant dans ses intérêts juridiquement
protégés, le recours est recevable au regard des art. 84 ss OJ. Par exception
à la nature cassatoire du recours de droit public, la conclusion du recourant
tendant à ce que le Tribunal fédéral mette fin à sa détention préventive est
recevable (ATF 124 I 327 consid. 4b/aa p. 333).

2.
Une mesure de détention préventive n'est compatible avec la liberté
personnelle, garantie par les art. 10 al. 2 Cst. et 5 CEDH, que si elle
repose sur une base légale (art. 31 al. 1 et 36 al. 1 Cst.), soit en l'espèce
l'art. 110 du Code de procédure pénale fribourgeois du 14 novembre 1996
(CPP/FR). Elle doit en outre correspondre à un intérêt public et respecter le
principe de la proportionnalité (art. 36 al. 2 et 3 Cst.; ATF 123 I 268
consid. 2c p. 270). Pour que tel soit le cas, la privation de liberté doit
être justifiée par les besoins de l'instruction, un risque de fuite ou un
danger de collusion ou de réitération (cf. art. 101 al. 1 let. a à c CPP/FR).
La gravité de l'infraction - et l'importance de la peine encourue - n'est, à
elle seule, pas suffisante (ATF 125 I 60 consid. 3a p. 62; 117 Ia 70 consid.
4a). Préalablement à ces conditions, il doit exister à l'égard de l'intéressé
des charges suffisantes, soit de sérieux soupçons de culpabilité (art. 5 par.
1 let. c CEDH; ATF 116 Ia 144 consid. 3; art. 110 al. 1 CPP/FR). S'agissant
d'une restriction grave à la liberté personnelle, le Tribunal fédéral examine
librement ces questions, sous réserve toutefois de l'appréciation des
preuves, revue sous l'angle restreint de l'arbitraire (ATF 123 I 268 consid.
2d p. 271; pour la définition de l'arbitraire, cf. art. 9 Cst. et ATF 131 I
217 consid. 2.1 p. 219; 129 I 8 consid. 2.1 p. 9; 128 I 273 consid. 2.1 p.
275). L'autorité cantonale dispose ainsi d'une grande liberté dans
l'appréciation des faits (ATF 114 Ia 283 consid. 3; 112 Ia 162 consid. 3b).

3.
Le recourant ne remet pas en cause la base légale sur laquelle repose la
détention préventive et il renonce expressément à soumettre au Tribunal
fédéral la question des soupçons de culpabilité. Il nie cependant l'existence
d'un risque de fuite.

3.1 Le risque de fuite doit s'analyser en fonction d'un ensemble de critères
tels que le caractère de l'intéressé, sa moralité, ses ressources, ses liens
avec l'Etat qui le poursuit ainsi que ses contacts à l'étranger, qui font
apparaître le risque de fuite non seulement possible, mais également probable
(ATF 117 Ia 69 consid. 4a p. 70 et la jurisprudence citée). La gravité de
l'infraction ne peut pas, à elle seule, justifier la prolongation de la
détention, même si elle permet souvent de présumer un danger de fuite en
raison de l'importance de la peine dont le prévenu est menacé (ATF 125 I 60
consid. 3a p. 62; 117 Ia 69 consid. 4a p. 70; 108 Ia 64 consid. 3 p. 67).

3.2 En l'espèce, la Chambre pénale a considéré que la perspective d'une peine
sensiblement inférieure à sept ans et demi, à laquelle le recourant croyait
encore aux débats, s'amenuisait considérablement. Vu cette situation
nouvelle, elle a estimé que l'absence de fuite jusqu'à ce jour, la perte
d'une caution payée par un emprunt familial non remboursé et même les liens
qui l'attachaient à sa femme et à ses deux enfants n'étaient plus
déterminants pour apprécier le risque de fuite. La peine de neuf ans de
réclusion apparaissait donc comme un indice concret de fuite.
C'est à juste titre que la Chambre pénale a pris en compte l'importance de la
peine susceptible d'être prononcée dans l'appréciation du risque de fuite. En
effet, il existe déjà une condamnation de première instance cantonale (cf.
arrêt 1P.49/1989 du 9 février 1989 consid. 3a), qui aggrave par ailleurs une
précédente condamnation. La détention préventive déjà subie n'est quant à
elle pas décisive, vu la peine encourue. Enfin, le fait que le recourant ne
s'est pas soustrait à la poursuite pénale n'est pas en soi déterminant,
puisque la condamnation n'était pas définitive (cf. arrêt 1P.595/1999 du 1er
novembre 1999).
A cela s'ajoute le fait que le recourant est ressortissant français, tandis
que son épouse est ressortissante mauricienne. Certes sa femme et ses deux
enfants sont domiciliés en Suisse, mais le reste de sa famille (parents,
frères, soeurs) réside en France. Il ressort en outre du dossier que sa
belle-famille a pris ses distances avec lui. Qui plus est, quand bien même le
recourant n'est pas connu de l'Office des poursuites, il a certaines dettes.
Le jugement du Tribunal pénal le condamne au demeurant à payer des indemnités
élevées aux victimes. A cet égard, la caution qu'il avait versée a d'ailleurs
été cédée aux victimes pour le paiement des indemnités.
Dans ces circonstances, l'autorité cantonale pouvait valablement considérer
que le risque de fuite était devenu concret.

4.
Il résulte de ce qui précède que le recours de droit public doit être rejeté.
Les conditions de l'art. 152 al. 1 OJ étant réunies, il convient de faire
droit à la demande d'assistance judiciaire et de statuer sans frais. Me
Dominique Morard est désigné comme avocat d'office du recourant pour la
présente procédure et une indemnité lui sera versée à titre d'honoraires par
la Caisse du Tribunal fédéral (art. 152 al. 2 OJ).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours de droit public est rejeté.

2.
La demande d'assistance judiciaire est admise. Me Dominique Morard est
désigné comme avocat d'office du recourant et une indemnité de 1'000 fr. lui
est versée à titre d'honoraires, à payer par la caisse du Tribunal fédéral.

3.
Il n'est pas perçu d'émolument judiciaire.

4.
Le présent arrêt est communiqué en copie au mandataire du recourant, au
Président du Tribunal pénal de la Gruyère, au Ministère public et à la
Chambre pénale du Tribunal cantonal de l'Etat de Fribourg.

Lausanne, le 24 octobre 2006

Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse

Le président:  La greffière: