Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Öffentlich-rechtliche Abteilung 1P.545/2006
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{T 0/2}
1P.545/2006 /col

Arrêt du 11 mai 2007
Ire Cour de droit public

MM. les Juges Féraud, Président,
Fonjallaz et Eusebio.
Greffier: M. Jomini.

Hoirs de feu A.________,
B.________,
recourants, représentés par Me Henri Carron, avocat,

contre

C.________ et D.________,
intimés, représentés par Me Jacques Philippoz, avocat,
E.________, intimée, représentée par Me Jacques Evéquoz, avocat,
Commune de Bagnes, Administration communale,
1934 Le Châble,
Tribunal cantonal du canton du Valais, Cour de droit public, Palais de
Justice, avenue Mathieu-Schiner 1, 1950 Sion 2.

procédure administrative cantonale, frais et dépens,

recours de droit public contre l'arrêt de la Cour de droit public du Tribunal
cantonal du canton du Valais, du
22 juin 2006.

Faits:

A.
Les époux C.________ et D.________ ont acquis, dans la station de Verbier, la
parcelle n° 4966 du registre foncier en vue d'y édifier un chalet. Le bureau
d'architecture E.________ (ci-après: le bureau d'architecture) a déposé en
leur nom une demande d'autorisation de construire. Le 28 février 2001, le
conseil municipal de la commune de Bagnes a accordé l'autorisation de
construire. Cette décision n'a pas fait l'objet d'un recours.

B.
Le 9 janvier 2002, alors que le chalet des époux C.________ et D.________
était sur le point d'être terminé, trois propriétaires d'immeubles voisins -
F.________, A.________ et B.________ - ont écrit à l'autorité communale en
faisant valoir que, d'après eux, la construction n'était pas conforme aux
plans autorisés. Le 29 janvier 2002, le conseil municipal leur a répondu que
le projet réalisé correspondait aux plans approuvés. Les trois voisins
précités ont recouru auprès du Conseil d'Etat du canton du Valais; ce recours
a été rejeté le 4 décembre 2002. Ils ont ensuite recouru contre le prononcé
du Conseil d'Etat auprès du Tribunal cantonal. La Cour de droit public de ce
tribunal a rejeté ce recours par un arrêt rendu le 6 juin 2003. Dans cet
arrêt, le bureau d'architecture est présenté comme "le constructeur"; il y
est notamment indiqué que les recourants avaient réclamé "le dépôt d'une
procuration de C.________ en faveur du constructeur qui représente ses
intérêts" (p. 4), et que cette procuration avait été déposée le 28 mars 2003
(p. 10). Le "constructeur" a pris des conclusions tendant au rejet du
recours. D'après son dispositif, l'arrêt a été notifié "au Bureau
d'architecture E.________, pour C.________".

C.
Le 20 décembre 2005, A.________ et B.________ ont requis du Tribunal cantonal
qu'il révise son arrêt du 6 juin 2003. Ils ont allégué, sur la base d'un
rapport technique établi en automne 2005, que le chalet litigieux ne
respectait ni les règles sur la hauteur des bâtiments, ni les distances à la
limite de la parcelle ou à l'axe de la route. Le bureau d'architecture a
déposé une réponse le 25 janvier 2006, en concluant au rejet de la demande de
révision et à l'allocation de dépens. Dans des observations du 16 mars 2006,
A.________ et B.________ ont contesté la qualité de partie du bureau
d'architecture ainsi que ses pouvoirs pour représenter les propriétaires du
chalet. Les époux C.________ et D.________ ont ensuite indiqué au tribunal
qu'ils étaient inscrits au registre foncier comme propriétaires de la
parcelle depuis le 11 mars 2002, que le bureau d'architecture ne les avait
pas informés des procédures en cours, et qu'ils concluaient au rejet de la
demande de révision pour les motifs invoqués dans la réponse du bureau
d'architecture du 25 janvier 2006. Dans une écriture du 3 avril 2006, le
bureau d'architecture a mentionné une procuration en sa faveur délivrée le 17
mars 2003 par C.________. Le 5 avril 2006, les consorts A.________ ont requis
de la Cour de droit public qu'elle retire du dossier la réponse déposée le 25
janvier 2006 par le bureau d'architecture.
La Cour de droit public a rejeté la demande de révision par un arrêt rendu le
22 juin 2006. Elle a mis à la charge de A.________ et B.________ les frais de
justice, par 1'000 fr., ainsi qu'une indemnité de 1'200 fr. à verser au
bureau d'architecture à titre de dépens. En première page de l'arrêt, la Cour
de droit public a ainsi désigné la décision dont la révision était demandée:
"L'arrêt de la Cour de droit public du 6 juin 2003, notifié le 12 juin 2003
dans la cause opposant les requérants à E.________, à Verbier, représentée
par Me Jacques Evéquoz, avocat à Sierre, aux époux C.________ et D.________,
à Helsingborg, représentés par Me Jacques Philippoz, avocat à Leytron, à la
commune de Bagnes et au Conseil d'Etat."
Dans l'état de fait de l'arrêt du 22 juin 2006, il est indiqué que, lors de
l'instruction, "le bureau d'architecture s'est référé [...] à une procuration
délivrée le 17 mars 2003 par C.________ et au fait qu'ayant suivi tous les
travaux, il lui sembl[ait] légitime de faire valoir son point de vue dans la
procédure". Dans les considérants, la Cour a notamment exposé qu'elle
rejetait la requête visant à éliminer du dossier la réponse du bureau
d'architecture du 25 janvier 2006, "la qualité de représentant de ce bureau
n'ayant pas été mise en cause dans l'arrêt dont la révision est demandée, et
les époux C.________ et D.________ se référant expressément à cette prise de
position" (consid. 4). Les dépens dus au bureau d'architecture ont été
alloués au motif que ses "déterminations requ[éraient] pareille indemnité
(art. 260 CPC, art. 26 et 35 al. 2 LTar)".

D.
Agissant par la voie du recours de droit public, les hoirs de feu A.________
(décédé le 5 août 2006) ainsi que B.________ demandent au Tribunal fédéral
d'annuler l'arrêt du Tribunal cantonal du 22 juin 2006 dans la mesure où il
alloue une indemnité de 1'200 fr. de dépens à verser au bureau
d'architecture. Les recourants soutiennent qu'il est arbitraire, partant
contraire à l'art. 9 Cst., d'octroyer une indemnité à cette société qui n'a
jamais été partie à la procédure, et qui ne répond pas à la définition de la
partie en droit cantonal, alors que la loi cantonale valaisanne sur la
procédure et la juridiction administratives (LPJA) prévoit que l'autorité de
recours ne peut allouer des dépens qu'à une partie ayant obtenu entièrement
ou partiellement gain de cause.
Le bureau d'architecture conclut principalement au rejet du recours. Les
époux C.________ et D.________ ont renoncé à se déterminer, en exposant que
cette affaire concernait des tiers. L'administration communale de Bagnes et
la Cour de droit public du Tribunal cantonal ont également renoncé à répondre
au recours.

E.
Par ordonnance présidentielle du 4 septembre 2006, la procédure de recours au
Tribunal fédéral a été suspendue jusqu'au 15 novembre 2006, les hoirs de
A.________ étant invités à produire une attestation officielle de leur
qualité d'héritiers et, en cas de désignation d'un représentant commun de
l'hoirie, leurs procurations en faveur de ce représentant.
Le 15 novembre 2006, l'avocat des recourants a transmis au Tribunal fédéral
une procuration en sa faveur de la veuve de A.________, G.________, à Genève.
Le 26 janvier 2007, il a déclaré que la part de copropriété du chalet de feu
A.________ avait été attribuée dans le partage de la succession à G.________.
D'après le certificat d'héritier du 24 janvier 2007, la veuve est l'un des
quatre héritiers du défunt, avec la soeur, le neveu et la nièce de ce
dernier. Les trois autres héritiers n'ont pas ratifié le recours de droit
public déposé par "les hoirs de feu A.________" et ils n'ont pas produit de
procuration en faveur de l'avocat.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
La décision attaquée ayant été rendue avant le 1er janvier 2007, la loi
fédérale d'organisation judiciaire (OJ) demeure applicable  (art. 132 al. 1
de la loi sur le Tribunal fédéral [LTF; RS 173.110]).

2.
La question de la recevabilité du recours de droit public peut demeurer
indécise, notamment en tant qu'il est formé par les hoirs de A.________. Il y
a lieu d'examiner directement les griefs des recourants sur le fond.

3.
La contestation porte exclusivement sur l'allocation de dépens au bureau
d'architecture, la décision du Tribunal cantonal sur ce point étant qualifiée
d'arbitraire par les recourants.

3.1 Selon la jurisprudence relative à l'art. 9 Cst., l'arbitraire ne résulte
pas du seul fait qu'une autre solution pourrait entrer en considération ou
même qu'elle serait préférable; le Tribunal fédéral n'annulera la décision
attaquée que lorsque celle-ci est manifestement insoutenable, qu'elle se
trouve en contradiction claire avec la situation de fait, qu'elle viole
gravement une norme ou un principe juridique indiscuté, ou encore lorsqu'elle
heurte de manière choquante le sentiment de la justice et de l'équité. Pour
qu'une décision soit annulée pour cause d'arbitraire, il ne suffit pas que la
motivation formulée soit insoutenable; il faut encore que la décision
apparaisse arbitraire dans son résultat (ATF 132 I 175 consid. 1.2 p. 177;
131 I 217 consid. 2.1 p. 219 et les arrêts cités).

3.2 L'allocation de dépens à la partie qui obtient gain de cause ne découle
pas des principes généraux du droit ni des garanties de procédure de la
Constitution fédérale; cela relève de la seule législation de procédure (ATF
117 V 401 consid. 1b p. 403; 104 Ia 9 consid. 1 p. 13; arrêt non publié
1P.755/2001 du 11 mars 2002). En l'occurrence, le droit cantonal prévoit que
les dépens sont, le cas échéant, alloués à une partie (art. 91 al. 1 LPJA).
Les recourants exposent que la notion de partie est définie dans la loi (art.
6 LPJA). Il est évident qu'un tiers intéressé qui ne répond pas à la
définition légale, ou encore le représentant d'une partie, n'est pas lui-même
une partie.
L'arrêt attaqué n'indique pas précisément la raison pour laquelle les dépens
ont été alloués au bureau d'architecture et non pas aux propriétaires de
l'immeuble litigieux. Ils ont tous été désignés, à la première page de
l'arrêt du 22 juin 2006, comme des parties à la procédure terminée par
l'arrêt du 6 juin 2003. Cette indication est  inexacte car ce premier arrêt
mentionne le bureau d'architecture (aussi désigné comme le constructeur) non
pas comme partie mais bien en tant que représentant des propriétaires. Quoi
qu'il en soit, dans la procédure de révision, le bureau d'architecture a été
invité à déposer des déterminations, il l'a fait avec l'assistance d'un
avocat, et lorsque le juge instructeur l'a dans un second temps invité à
justifier son intervention, il s'est prévalu d'un mandat donné par les
propriétaires au début de la procédure administrative. Aussi l'arrêt attaqué
retient-il que sa qualité de représentant n'avait pas été mise en cause dans
l'arrêt du 6 juin 2003.
Dans une procédure de révision, le tribunal peut, s'il ordonne un échange
d'écritures, s'adresser aux représentants des parties dans la procédure
antérieure. Il était donc logique que le bureau d'architecture fût le
destinataire de l'invitation à déposer une réponse et l'on ne saurait
reprocher au juge instructeur de n'avoir pas examiné d'office la question de
la persistance des pouvoirs de représentation. Dans la suite de l'instruction
- alors que le mémoire de l'avocat du bureau d'architecture était déjà au
dossier -, il est apparu que postérieurement à l'arrêt du 6 juin 2003, les
pouvoirs de ce représentant avaient été révoqués par les propriétaires
fonciers. Néanmoins, ces derniers n'ont pas prétendu qu'en se déterminant sur
le fond devant le Tribunal cantonal, le bureau d'architecture aurait agi
contrairement à leurs intérêts. Ils n'ont donc pas contesté la décision sur
les frais et dépens.
Il eût été préférable, pour tenir compte du texte clair de l'art. 91 al. 1
LPJA, d'allouer les dépens aux propriétaires fonciers, qui ont également
participé à la procédure de révision. Cette violation de la loi n'apparaît
cependant pas grave au point que la décision sur les dépens devrait être
considérée comme contraire à l'art. 9 Cst. En effet, le résultat aurait été
identique, d'un point de vue économique, pour les auteurs de la demande de
révision: seule la désignation du créancier est en cause, les recourants ne
prétendant pas que le montant de l'indemnité serait excessivement élevé. Les
propriétaires fonciers ont au demeurant expressément déclaré que cette
question ne les concernait pas. L'attitude de ces derniers est déterminante
dans l'appréciation, sous l'angle de l'arbitraire, de la façon en soi
critiquable dont le Tribunal cantonal a réparti les dépens car il apparaît
clairement, sur la base de leurs écritures, qu'ils n'estiment pas être lésés.
En définitive, nonobstant la réglementation de l'art. 91 LPJA et quelles que
soient les relations contractuelles actuelles entre le bureau d'architecture
et les propriétaires fonciers, la solution de l'arrêt attaqué n'apparaît pas
arbitraire dans son résultat. Le grief de violation de l'art. 9 Cst. est donc
mal fondé.

4.
Le recours de droit public doit en conséquence être rejeté, dans la mesure où
il est recevable.
Un émolument judiciaire doit être mis à la charge de B.________ et G.________
(la seule héritière ayant ratifié le recours formé au nom de l'hoirie),
solidairement entre eux (art. 153, 153a et 156 al. 1 OJ). Ils auront en outre
à payer des dépens au bureau d'architecture, qui a conclu au rejet du recours
et qui est assisté d'un avocat (art. 159 al. 1 et 2 OJ); en effet, dès lors
que l'objet de la contestation, devant le Tribunal fédéral, est une indemnité
allouée en dernière instance cantonale à cette société, ses intérêts sont
directement en cause et elle est partie à la procédure de recours. Les époux
C.________ et D.________, qui n'ont pas pris de conclusions, n'ont pas droit
à des dépens. Il en va de même des collectivités publiques intimées (art. 159
al. 2 OJ).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours de droit public est rejeté, dans la mesure où il est recevable.

2.
Un émolument judiciaire de 1'000 fr. est mis à la charge de B.________ et
G.________, solidairement entre eux.

3.
Une indemnité de 500 fr., à payer au bureau d'architecture E.________ à titre
de dépens, est mise à la charge de B.________ et G.________, solidairement
entre eux.

4.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des recourants et
des intimés, à l'administration communale de Bagnes et au Tribunal cantonal
du canton du Valais.

Lausanne, le 11 mai 2007

Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse

Le président: Le greffier: