Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Öffentlich-rechtliche Abteilung 1P.477/2006
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{T 0/2}
1P.477/2006 /viz

Arrêt du 14 septembre 2006
Ire Cour de droit public

MM. les Juges Féraud, Président,
Fonjallaz et Eusebio.
Greffière: Mme Truttmann.

A. ________,
recourant,
représenté par Me Vincent Kleiner, avocat,

contre

B.________,
intimée,
représentée par Me François Boillat, avocat,
Procureur général du canton de Berne,
case postale, 3001 Berne,
Cour suprême du canton de Berne, 3ème Chambre pénale, case postale 7475, 3001
Berne.

procédure pénale; appréciation des preuves,

recours de droit public contre le jugement de la
3ème Chambre pénale de la Cour suprême du
canton de Berne du 3 avril 2006.

Faits:

A.
Par jugement du 10 novembre 2005, le Tribunal d'arrondissement judiciaire I
Courtelary-Moutier-La Neuveville (ci-après: le Tribunal d'arrondissement) a
reconnu A.________, ressortissant angolais né en 1965, coupable d'actes
d'ordre sexuel avec une enfant et de viol au préjudice de B.________,
ressortissante rwandaise née en 1988. Il l'a condamné à une peine de deux ans
de réclusion et au versement d'un montant de 10'000 fr. à titre de tort
moral.

Les faits retenus sont en substance les suivants. Alors que B.________, âgée
de 15 ans, se promenait le dimanche 23 mai 2004 avec son frère à Moutier,
elle a vu A.________, qu'elle avait rencontré peu auparavant, passer à vélo.
Elle l'a signalé à son frère, qui s'est mis à courir derrière lui. Elle les a
perdus de vue, mais a aperçu le vélo de A.________ devant un immeuble à la
rue du Midi. Pensant que son frère se trouvait dans l'appartement d'un ami
dénommé C.________, qui habitait à cet endroit, elle est allée demander si
son frère était là. C'est A.________ qui lui a ouvert la porte. Il lui a
répondu que son frère n'était pas là, mais a proposé qu'ils se mettent
ensemble à sa recherche. Il l'a invitée à rentrer dans l'appartement. Après
avoir échangé quelques mots en igala, langue que B.________ ne comprend pas,
avec un autre africain appelé D.________ qui se trouvait également dans
l'appartement, ce dernier est sorti et A.________ a fermé la porte à clef. Il
a alors tiré B.________ sur le tapis du salon, lui a arraché de force son
pantalon et son caleçon et l'a pénétrée. Elle s'est débattue en vain. Le
téléphone portable de A.________ a alors sonné et celui-ci s'est rendu à la
cuisine pour répondre. B.________ en a profité pour prendre la fuite. Environ
une semaine plus tard, A.________ est venu s'excuser, mais a dit à B.________
que si elle parlait, sa tante la renverrait en Afrique. B.________ s'est
confiée à cette dernière plus tard, laquelle a immédiatement porté plainte
pour viol le 6 août 2004.

A. ________ a contesté les faits. Il a cependant admis qu'il avait, à une
occasion, caressé B.________, même peut-être sous les habits, dans un jardin
public près de Moutier. Il a expliqué qu'un jour de semaine, mais non un
dimanche, B.________ l'avait appelé avant midi et qu'ils s'était rendus,
lui-même étant à vélo, en direction de l'appartement de C.________. Ils
avaient rencontré D.________, avec lequel il avait parlé en igala. Ils
n'étaient pas entrés dans l'appartement et B.________ était ensuite partie à
l'école.

B.
Suite à l'appel formé par A.________, la 3ème Chambre pénale de la Cour
suprême du canton de Berne (ci-après: la Cour suprême) a, par jugement du 3
avril 2006, derechef condamné A.________ à une peine de deux ans de réclusion
et au paiement de la somme de 10'000 fr. à titre de tort moral. Elle a estimé
qu'il n'existait pas de doute fondé permettant de remettre en cause la
version de B.________.

C.
Agissant par la voie du recours de droit public, A.________ demande au
Tribunal fédéral d'annuler le jugement rendu le 3 avril 2006 par la Cour
suprême. Il se plaint d'une violation du principe de la présomption
d'innocence ainsi que d'une appréciation arbitraire des preuves. A.________
requiert en outre l'effet suspensif ainsi que l'assistance judiciaire.

Le dossier cantonal a été produit. Il n'a pas été demandé de réponse au
recours de droit public.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
Contre un jugement en matière pénale rendu en dernière instance cantonale, la
voie du recours de droit public est en principe ouverte, à l'exclusion du
pourvoi en nullité, à celui qui se plaint de la violation de garanties
constitutionnelles, en contestant notamment les constatations de fait ou
l'appréciation des preuves par l'autorité cantonale (art. 84 al. 1 let. a OJ,
art. 86 al. 1 OJ, art. 269 al. 2 PPF).

En l'espèce, le recourant se plaint d'une violation du principe de la
présomption d'innocence, ainsi que d'arbitraire dans l'appréciation des
preuves, de sorte que le recours de droit public est recevable.

2.
2.1 L'appréciation des preuves est en particulier arbitraire lorsque le juge
n'a manifestement pas compris le sens et la portée d'un moyen de preuve ou
si, sur la base des éléments recueillis, il a fait des déductions
insoutenables (ATF 129 I 8 consid. 2.1 p. 9). Il ne suffit pas qu'une
interprétation différente des preuves et des faits qui en découlent paraisse
également concevable, sans quoi le principe de la libre appréciation des
preuves par le juge du fond serait violé (ATF 120 Ia 31 consid. 2d p. 37 s.).
Par ailleurs, il faut que la décision attaquée soit insoutenable non
seulement dans ses motifs, mais également dans son résultat (ATF 131 I 57
consid. 2 p. 61 et la jurisprudence citée), ce qu'il appartient au recourant
de démontrer en vertu de l'art. 90 al. 1 let. b OJ (ATF 131 I 217 consid.
2.1. p. 219 et la jurisprudence citée).

2.2 La présomption d'innocence est garantie par l'art. 6 par. 2 CEDH et par
l'art. 32 al. 1 Cst., qui ont la même portée. Elle a pour corollaire le
principe in dubio pro reo, qui concerne tant le fardeau de la preuve que
l'appréciation des preuves. En tant que règle de l'appréciation des preuves,
ce principe, dont la violation n'est invoquée que sous cet angle par le
recourant, signifie que le juge ne peut se déclarer convaincu d'un état de
fait défavorable à l'accusé, lorsqu'une appréciation objective de l'ensemble
des éléments de preuve laisse subsister un doute sérieux et insurmontable
quant à l'existence de cet état de fait (ATF 127 I 38 consid. 2a p. 41; 124
IV 86 consid. 2a p. 88; 120 Ia 31 consid. 2c p. 37). Le Tribunal fédéral ne
revoit les constations de fait et l'appréciation des preuves que sous l'angle
restreint de l'arbitraire (ATF 127 I 38 consid. 2a p. 41; 124 I 208 consid. 4
p. 211; 120 Ia 31 consid. 2d p. 37/38). Il examine en revanche librement la
question de savoir si, sur la base du résultat d'une appréciation non
arbitraire des preuves, le juge aurait dû éprouver un doute sérieux et
insurmontable quant à la culpabilité de l'accusé; dans cet examen, il
s'impose toutefois une certaine retenue, le juge du fait, en vertu du
principe de l'immédiateté, étant mieux à même de résoudre la question (cf.
arrêt 1P.283/2006 du 4 août 2006 consid. 2.2 et les références citées).

2.3 Selon le recourant, la version des faits présentée par la plaignante ne
serait pas crédible, car les traces de sperme retrouvées dans l'appartement
ne correspondent pas à son profil ADN, la tâche de sang évoquée par la
plaignante n'a pas été décelée et les vêtements de cette dernière ne
portaient aucune trace suspecte. Le fait que la plaignante est atteinte de
HPV et de candidose signifierait au demeurant qu'elle aurait entretenu des
relations sexuelles avec une autre personne que lui.

Il n'est toutefois pas déterminant que les traces de sperme retrouvées ne
correspondent pas au profil ADN du recourant, car comme l'ont relevé les
autorités cantonales, C.________ a précisé avoir lui-même entretenu des
relations sexuelles sur ce tapis. Le fait que les vêtements de la plaignante
n'aient pas été souillés n'est pas surprenant, puisqu'ils ont été arrachés
par le recourant. Quant au caleçon, il a de toute façon été lavé avant son
analyse, de sorte que l'on ne peut rien inférer de l'absence de traces
particulières. En outre, il n'est pas exclu que le recourant ait veillé à
faire disparaître la tâche de sang après les faits, étant précisé que les
analyses ont été effectuées plus de trois mois plus tard. Enfin, le
Professeur consulté par le Président du Tribunal d'arrondissement a déclaré
que les infections dont souffrent le recourant, soit la gale, et la
plaignante, soit les HPV et le candida, peuvent avoir une autre origine qu'un
contact sexuel entre eux. Un contact sexuel avec d'autres partenaires serait
possible. L'autorité cantonale a donc à juste titre considéré que cet élément
ne pouvait être pris en considération, puisqu'un rapport entre les affections
des deux intéressés ne pouvait être clairement établi. Au demeurant, le
recourant n'apporte pas la preuve que les maladies dont souffre la plaignante
ne peuvent être transmises que sexuellement. Le Professeur a d'ailleurs
précisé à cet égard qu'en principe, les HPV et la gale s'attrapent par des
contacts sexuels, moins et pas exclusivement le candida. Quoi qu'il en soit,
même s'il devait pouvoir être établi que la plaignante a entretenu d'autres
rapports sexuels avec un autre homme, cela ne signifie pas encore que le
recourant n'a pas commis les faits qui lui sont reprochés.

2.4 Le recourant explique qu'il serait impossible que la plaignante ait pu
aboutir par hasard devant l'appartement de C.________. Le frère de la
plaignante n'aurait même pas été entendu. Il ne serait en outre pas
compréhensible que la plaignante ait vu du sperme si l'activité délictueuse
avait été interrompue par la sonnerie du téléphone. La brève durée de
l'appel, soit 74 secondes, aurait du reste été insuffisante pour permettre à
la plaignante de quitter l'appartement. Enfin, il serait contraire à toute
logique qu'il ait pris le soin de verrouiller la porte, sans chercher à
cacher la clé.

Le Tribunal d'arrondissement a retenu que la plaignante, en raison de la
configuration des lieux, pouvait voir son frère et le recourant tourner pour
prendre la rue du Viaduc, ce que le recourant ne conteste pas. L'autorité
cantonale a donc estimé qu'il n'était pas impossible que la plaignante soit
par la suite tombée par hasard sur le vélo du recourant, l'appartement où se
sont déroulés les faits se trouvant à l'angle de la rue du Viaduc et de la
rue du Midi. Au demeurant, C.________ a déclaré que D.________ lui avait dit
que le recourant et la plaignante étaient entrés dans l'appartement. Une
audition du frère de la plaignante, alors âgé de moins de quinze ans,
n'apparaissait donc pas au surplus nécessaire. Ensuite, s'il est vrai que
c'est la sonnerie du téléphone portable qui a mis fin à l'activité du
recourant, on ne peut pas automatiquement en déduire que cette dernière n'a
pas été menée jusqu'au bout. En effet, la plaignante a expliqué que le
recourant n'avait pas immédiatement répondu, mais qu'il était resté encore un
moment sur elle. Enfin, les autorités cantonales ont estimé qu'une minute et
quatorze secondes étaient suffisantes pour permettre à la plaignante de
s'habiller et de s'enfuir, si les clefs étaient à portée de main. Selon le
recourant, un tel enchaînement nécessiterait une présence d'esprit très
aiguisée qui ne serait pas possible pour une enfant de moins de seize ans. Au
contraire, il apparaît qu'une fuite après une agression ne dénote pas une
"présence d'esprit aiguisée", mais un simple réflexe de survie, qui peut tout
à fait être présent même chez une jeune fille de quinze ans. A cela s'ajoute
le fait qu'il n'est nullement établi que le recourant a caché les clefs après
avoir verrouillé la porte. Les autorités cantonales ont, de façon tout à fait
soutenable, retenu à cet égard que le recourant avait certainement agi assez
spontanément après le départ de D.________ sans penser à dissimuler les
clefs.

2.5 Le recourant soutient que les autorités cantonales lui auraient
arbitrairement imputé les démarches entreprises par son épouse pour trouver
une solution amiable avec la famille de la plaignante. Les rumeurs qui ont
circulé dans la communauté noire de Moutier ne pourraient pas davantage être
retenues comme un élément de preuve probant. Enfin, le recourant se dit
surpris que la Cour suprême ait considéré qu'il avait fait un demi-aveu,
puisqu'il aurait en réalité simplement déclaré avoir fait un bisou à la
plaignante et l'avoir entouré de ses bras, ses caresses n'ayant aucune
connotation sexuelle.

Contrairement à ce qu'affirme le recourant, les autorités cantonales ne lui
ont nullement imputé les démarches entreprises par sa femme. Cela ne ressort
ni du jugement du Tribunal d'arrondissement, ni de celui de la Cour suprême.
Au demeurant, la plaignante a de toute façon déclaré que le recourant était
venu lui-même s'excuser après les faits. Le recourant se fourvoie également
en soutenant que les rumeurs qui ont circulé au sein de la Communauté noire
de Moutier ont été considérées comme un élément de preuve. La Cour suprême a
au contraire indiqué qu'elles ne constituaient pas des éléments d'importance.
S'agissant enfin du demi-aveu, il ressort très clairement du dossier que le
recourant a déclaré qu'il avait été tenté d'entretenir des relations
sexuelles avec la plaignante et qu'il l'avait caressée un peu partout dans un
jardin public. Il a même précisé qu'il était possible qu'il l'ait caressé
sous les habits. Les autorités cantonales n'ont donc nullement déformé ses
propos en retenant qu'il avait une attirance sexuelle pour la plaignante. Le
fait qu'il ait cherché par la suite à minimiser la portée de ses déclarations
n'est pas déterminant.

2.6 La crédibilité des allégations de la plaignante est au demeurant attestée
par de nombreux éléments qui ont, pour certains, déjà été mis en évidence
ci-dessus. Pour le surplus, il sera rappelé, à l'instar de ce qui a été fait
par les autorités cantonales, que, contrairement aux déclarations de la
plaignante, celles du recourant sont contradictoires. Il a en effet soutenu
ne pas connaître D.________, alors qu'il a appelé ce dernier depuis son
téléphone portable. Elles ne sont pas davantages crédibles, car il ne paraît
pour le moins pas logique que la plaignante ait pu l'appeler un jour de
semaine, alors qu'elle aurait dû se trouver à l'école, et qu'elle y serait
retournée à midi, heure à laquelle les élèves la quittent généralement pour
aller déjeuner. Les déclarations de la plaignante sont en revanche confirmées
par les déclarations de D.________, selon lesquelles la plaignante et le
recourant sont effectivement entrés dans l'appartement. L'examen
gynécologique a également mis en évidence l'existence de traces manifestes de
défloration qui sont compatibles avec les déclarations de la plaignante. Le
rapport du Service psychologique pour enfants et adolescents de Moutier, fait
au surplus état de la présence d'une série de symptômes chez la plaignante
qui, selon la classification internationale des troubles mentaux et des
troubles de comportement, sont caractéristiques d'un stress post-traumatique.
Enfin, on ne voit de toute façon pas quelle raison la jeune fille aurait eu
de mentir. Le recourant n'avance d'ailleurs aucune explication à cet égard.

Il s'ensuit que l'appréciation des preuves à laquelle se sont livrées les
autorités cantonales était minutieuse et ne peut être considérée comme
arbitraire à la lumière des considérations qui précèdent. Au terme de cet
examen, les autorités cantonales ont à juste titre considéré qu'il n'existait
pas de doute insurmontable quant à la culpabilité du recourant. Les griefs
tirés d'une appréciation arbitraire des preuves ainsi que d'une violation du
principe de la présomption d'innocence doivent donc être rejetés.

3.
Il résulte de ce qui précède que le recours doit être rejeté. La demande
d'assistance judiciaire doit également être rejetée, car les conclusions du
recourant paraissaient d'emblée vouées à l'échec (art. 152 OJ).
Le recourant, qui succombe, doit supporter l'émolument judiciaire (art. 153,
153a et 156 al. 1 OJ).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours de droit public est rejeté.

2.
La demande d'assistance judiciaire présentée par le recourant est rejetée.

3.
Un émolument judiciaire de 1'000 fr. est mis à la charge du recourant.

4.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des parties, ainsi
qu'au Procureur général et à la 3ème Chambre pénale de la Cour suprême du
canton de Berne.

Lausanne, le 14 septembre 2006

Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse

Le président:  La greffière: